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Société

Emmanuel Macron et le coup de fil en direct de Cyril Hanouna

L’émission Touche pas à mon poste! de Cyril Hanouna est connue des gens disposant d’une conscience culturelle pour être un monument de stupidité, de vacuité, de destruction de l’intelligence. Emmanuel Macron qui se veut si moderne a pourtant participé à la mascarade que représente cette émission, en acceptant d’être appelé en direct pendant l’émission le 20 décembre 2017.

Jouant la carte de l’humour et n’hésitant pas à saluer Cyril Hanouna, Emmanuel Macron s’est révélé excellent dans ce petit exercice de négation de la pensée. Quatre jours plus tard, il rééditait une telle opération en accordant une interview au pathétique site Konbini, un « site d’infodivertissement ».

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Société

Prendre conscience des suicides et des tentatives de suicide

Selon les différentes études officielles, il y aurait environ 12,3 suicides pour 100 000 habitants en France (chiffres de l’OMS pour l’année 2015), soit environ 10 000 suicides par an.

Ce chiffre ne doit pas en cacher un autre, les tentatives de suicide : environ huit fois plus d’hospitalisations suite à une tentative de suicide. Ils sont difficiles à établir précisément mais il ressort que la France est en tête parmi les pays d’Europe, encore un triste record.

Comment en arrive-t-on là ? Comment la société en arrive-t-elle à pousser des personnes à se donner la mort ?

Le suicide tue plus que les accidents de la route. Il existe des campagnes de prévention de la sécurité routière : vidéos, affiches, sites… Qu’en est-il des actions pour prévenir le suicide ?

Et contrairement à certaines idées reçues, les plus jeunes ne sont pas la tranche d’âge la plus touchée : les adultes de la trentaine à soixante ans le sont. Il n’y a pas de « club des 27 » pour eux, pas de « vivre à fond, mourir jeune » non plus : juste le silence et l’oubli de la part de la société.

Pour les proches il y a la douleur et le deuil. Et il y a une différence avec les autres morts, bien connue : on a plus de chances de se suicider, et d’avoir des idées suicidaires, lorsqu’une personne de notre entourage est disparue de la sorte. Il est donc d’autant plus difficile d’enrayer ce phénomène qui se nourrit lui-même.

Nous ne parlons pas ici d’un virus inconnu, d’une épidémie dont ne connaissons ni traitement ni vaccin. Nous parlons ici de la vie d’une société, des personnes qui la composent et la font vivre.
Ces morts ne sont pas des statistiques regrettables, elles sont l’expression d’une société morbide qui en arrive à insuffler l’idée de mettre un terme à son existence à une partie de ses membres.

Au-delà de la dépression, de la souffrance de l’impression que plus rien n’a de sens… il y a l’idée que la seule chose à faire est de se pendre, de se couper les veines, etc.

Nous pourrons toujours nous acharner à dire qu’il faut s’accrocher, mais tant que la vie quotidienne est façonnée par la lutte de tous contre tous, le mensonge et la tromperie comment lutter ? Quelle alternative proposer ?

La gauche française a renié son héritage et préfère les calculs politiciens. Il n’y a plus ni morale ni universalisme, ce qui revient ici à laisser des personnes sur le bord de la route. C’est une faute morale impardonnable. Il est temps de redresser la barre et d’offrir de véritables perspectives de progrès.

Qu’en est-il de la gauche française aujourd’hui ? Toute cette gauche qui n’a d’yeux que pour les questions économiques lorsqu’il s’agit d’avoir une vue d’ensemble, et pour le libéralisme présenté comme « progressiste » lorsqu’il s’agit de redescendre au niveau des personnes.

Se donner la mort n’a rien de naturel, ce n’est pas une fatalité. Il faut changer la vie, il faut changer le monde. Il faut que la vie ait un sens, car elle en a toujours un et il s’agit de le redécouvrir.

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Nouvel ordre Politique

Le programme du Front Populaire (1936)

Le programme de revendications immédiates que publie le Rassemblement populaire résulte d’un accord unanime entre les dix grandes organisations qui composent le Comité national de Rassemblement :

Ligue des Droits de l’Homme,

Comité de Vigilance des Intellectuels Antifascistes,

comité mondial contre le fascisme et la guerre (Amsterdam-Pleyel),

Mouvement d’Action combattante,

Parti Républicain Radical et Radical-Socialiste,

Parti Socialiste S.F.I.O.,

Parti Communiste,

Union socialiste et Républicaine,

Confédération Générale du Travail,

Confédération Générale du Travail Unitaire.

Il s’inspire directement des mots d’ordre du 14 juillet Les partis et organisations, groupant des millions d’êtres humains, qui ont juré de rester unis, aux termes du serment, « pour défendre les libertés démocratiques, pour donner du pain aux travailleurs, du travail à la jeunesse et, au monde, la grande paix humaine » ont cherché ensemble les moyens pratiques d’une action commune, immédiate et continue.

Ce programme est; volontairement limité aux mesures immédiatement applicables.

Le Comité national entend que chaque parti, chaque organisation, participant au Rassemblement populaire, puisse se joindre à l’action commune sans rien abdiquer de sa doctrine, de ses principes, et de ses fins particulières. Il s’est astreint, d’autre part, à présenter des solutions positives aux problèmes essentiels, actuellement posés devant la démocratie française.

C’est ainsi que, dans l’ordre politique, il définit les mesures indispensables pour assurer le respect de la souveraineté nationale, exprimée par le suffrage universel, et pour garantir les libertés essentielles (liberté d’opinion et d’expression, libertés syndicales, liberté de conscience et laïcité) – que, dans l’ordre international, il pose les conditions nécessaires à la sauvegarde et à l’organisation de la paix, suivant les principes de la Société des Nations – et que, dans l’ordre économique et financier, il s’attache à lutter, dans l’intérêt des masses laborieuses et épargnantes, contre la crise et contre les organisations fascistes qui l’exploitent pour le compte des puissances d’argent.

Ces problèmes d’économie et de finance, d’une si haute importance actuelle, le Rassemblement populaire se refuse à les résoudre séparément : il veut atteindre les causes des moins-values fiscales en agissant contre la crise, et compléter son action contre la crise par l’amélioration du crédit public et privé.

Le Rassemblement populaire souligne qu’un grand nombre des revendications qu’il présente figurent déjà dans les plans et programmes élaborés par les organisations syndicales de la classe ouvrière.

Il ajoute que ces revendications urgentes, et par là même restreintes, si elles apportent une première modification au système économique actuel, devront être complétées par des mesures plus profondes pour arracher définitivement l’Etat aux féodalités industrielles et financières.

En tous les ordres de problèmes, le Rassemblement, a cherché des solutions de justice, seules conformes aux principes de la démocratie : justice égale pour tous dans l’application des lois pénales – justice fiscale – justice pour les indigènes dans les colonies – justice internationale, dans le cadre et suivant l’esprit de la Société des Nations.

S’il a été possible au Comité national du Rassemblement populaire d’aboutir à des formules unanimes, c’est que les partis et organisations qui le composent ont collaboré amicalement dans un esprit de conciliation et de synthèse. Aux masses populaires de soutenir à présent ces revendications et de les faire triompher. Quand ce programme commun aura passé dans la réalité, un grand changement sera obtenu : la liberté sera mieux défendue, le pain mieux assuré, la paix mieux garantie.

De tels biens sont assez précieux pour que tout soit subordonné à la volonté de les conquérir.

C’est à cette volonté revendicatrice que le Rassemblement populaire fait appel. Qu’elle se traduise par une cohésion étroite, où se prolonge la fraternité du 14 juillet, et qu’elle signifie à tous, en France et hors de France, que la démocratie est invincible dès qu’elle reprend sa vigueur créatrice et sa puissance d’attraction.

REVENDICATIONS POLITIQUES

I – Défense de la Liberté

1 – AMNISTIE GÉNÉRALE.
2 – CONTRE LES LIGUES FASCISTES :

a) Désarmement et dissolution EFFECTIVE des formations paramilitaires, conformément à la loi.

b) Mise en vigueur des dispositions légales en cas de provocation au meurtre ou d’attentat à la sûreté de l’Etat.

3 – ASSAINISSEMENT DE LA VIE PUBLIQUE, notamment par les incompatibilités parlementaires.

4 – LA PRESSE

a) Abrogation des lois scélérates et des décrets-lois restreignant la liberté d’opinion;

b) Réforme de la presse par l’adoption de mesures législatives :

1° qui permettent, la répression efficace de la diffamation et du chantage ;

2° qui puissent assurer aux journaux des moyens normaux d’existence, qui les obligent à rendre publique l’origine de leurs ressources, qui mettent fin aux monopoles privés de la publicité commerciale et aux scandales de la publicité financière, et qui empêchent enfin la constitution de trusts de presse.

c) Organisation des émissions radiophoniques d’Etat en vue d’assurer l’exactitude des informations et l’égalité des organisations politiques et sociales devant le micro.

5 – LIBERTÉS SYNDICALES :

a) Application et respect du droit syndical pour tous.

b) Respect du droit des femmes au travail.

6 – L’ÉCOLE ET LA LIBERTÉ DE CONSCIENCE :

a) Assurer la vie de l’école publique, non seulement par les crédits nécessaires, mais par des réformes telles que la prolongation de la scolarité obligatoire jusqu’à 14 ans et la mise en pratique, dans l’enseignement du second degré, d’une sélection indispensable comme, complément de la gratuité.

b) Garantir à tous, élèves et maîtres, la pleine liberté de conscience, notamment par le respect de la neutralité scolaire, de la laïcité et des droits civiques du corps enseignant.

7 – LES TERRITOIRES COLONIAUX : Constitution d’une Commission d’enquête parlementaire sur la situation politique, économique et morale dans les territoires français d’outre-mer, notamment dans l’Afrique française du Nord et l’Indochine.

II – Défense de la Paix

1 – Appel à la collaboration du peuple et notamment des masses laborieuses pour le maintien et l’organisation de la paix.

2 – Collaboration internationale, dans le cadre de la Société des Nations, pour la sécurité collective, par la définition de l’agresseur et l’application automatique et solidaire des sanctions en cas d’agression.

3 – Effort incessant pour passer de la paix armée à la paix désarmée, d’abord par une convention de limitation, puis par la réduction générale, simultanée et contrôlée des armements.

4 – Nationalisation des industries de guerre et suppression du commerce privé des armes.

5 – Répudiation de la diplomatie secrète, action internationale et négociations publiques pour ramener à Genève les Etats qui s’en sont écartés, sans porter atteinte aux principes constitutifs de la Société des Nations : sécurité collective et paix indivisible.

6 – Assouplissement de la procédure prévue par le Pacte de la Société des Nations pour l’ajustement pacifique des traités dangereux pour la paix du monde.

7 – Extension, notamment à l’Europe orientale et centrale, du système des pactes ouverts à tous, suivant les principes du Pacte franco-soviétique.

REVENDICATIONS ÉCONOMIQUES

I – Restauration de la capacité d’achat supprimée ou réduite par la crise

CONTRE LE CHÔMAGE ET LA CRISE INDUSTRIELLE : Institution d’un fonds national de chômage. Réduction de la semaine de travail sans réduction du salaire hebdomadaire. Appel des jeunes au travail par l’établissement d’un régime de retraites suffisantes pour les vieux travailleurs Exécution rapide d’un plan de grands travaux d’utilité publique, citadine et rurale, en associant à l’effort de l’Etat et des collectivités l’effort de l’épargne locale.

CONTRE LA CRISE AGRICOLE ET COMMERCIALE : Revalorisation des produits de la terre, combinée avec une lutte contre la spéculation et la vie chère, de manière à réduire l’écart entre les prix de gros et les prix de détail.

Pour supprimer la dîme prélevée par la spéculation sur les producteurs et les consommateurs ; création d’un office national interprofessionnel des céréales.

Soutien aux coopératives agricoles, livraison des engrais au prix de revient par les offices nationaux de l’azote et des potasses, contrôle et tarification de la vente des superphosphates et autres engrais, développement du crédit agricole, réduction des baux à ferme.

Suspension des saisies et aménagement des dettes.

Mise au point de la révision des billets de fonds de commerce.

En attendant l’abolition complète et aussi rapide que possible de toutes les injustices que les décrets-lois comportent, suppression immédiate des mesures frappant les catégories les plus touchées dans leurs conditions d’existence par ces décrets.

II – Contre le pillage de l’épargne

Pour une meilleure organisation du crédit. Réglementation de la profession de banquier.

Réglementation du bilan des banques et des sociétés anonymes.

Réglementation nouvelle des pouvoirs des administrateurs des sociétés anonymes.

Interdiction aux fonctionnaires retraités ou en disponibilité d’appartenir aux conseils d’administration des sociétés anonymes.

Pour soustraire le crédit et l’épargne à la domination de l’oligarchie économique, FAIRE DE LA BANQUE DE FRANCE, aujourd’hui banque privée, LA BANQUE DE LA FRANCE :

Suppression du Conseil des Régents.

Élargissement des pouvoirs du Gouverneur, sous le contrôle permanent d’un conseil composé de représentants du pouvoir législatif, de représentants du pouvoir exécutif et de représentants des grandes forces organisées du travail et de l’activité industrielle, commerciale et agricole.

Transformation du capital en obligations, des mesures étant prises pour garantir les intérêts des petits porteurs.

III. – Assainissement financier.

Révision des marchés de guerre en liaison avec la nationalisation des industries de guerre.

Répression du gaspillage dans les administrations civiles et militaires.

Institution de la caisse des pensions de guerre.

Réforme démocratique du système des impôts comportant une détente fiscale en vue de la reprise économique, et création de ressources par des mesures atteignant les grosses fortunes (progression rapide de la majoration du taux de l’impôt général sur les revenus supérieurs à 75 000 francs – réorganisation de l’impôt successoral – taxation des profits des monopoles de fait en évitant toute répercussion sur les prix de consommation).

Suppression de la fraude sur les valeurs mobilières, par la mise en vigueur de la carte d’identité fiscale votée par les Chambres, en l’accompagnant d’une amnistie fiscale.

Contrôle des sorties de capitaux et répression de leur évasion par les mesures les plus sévères, allant jusqu’à la confiscation des biens dissimulés à l’étranger ou de leur contre-valeur en France.

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Culture

Princess Nokia : « 1992 Deluxe » (2017)

Destiny Frasqueri alias Princess Nokia, avec son album l’album 1992 Deluxe sorti en septembre 2017, a réussi à produire à quelque chose de très intéressant, exprimant quelque chose de très fort, correspondant à une réaffirmation féministe urbaine des femmes, à travers un style hip hop marquée profondément par la soul et le R&B.

Pour bien évaluer la valeur et les limites de sa démarche, il faut se tourner vers ce qu’elle a fait juste avant, sous le nom de Destiny : une approche soul marqué par le funk et le hip hop, entre sensualité féminine afro-américaine et affirmation du patrimoine culturel, où l’on sent déjà une quête de la reconnaissance identitaire et personnelle, avec un son « maîtrisé ».

Ce que donne la musique en tant que Princess Nokia est bien différent. Dans une synthèse d’agressivité et d’esprit universel, mêlé à des sons particulièrement léchés, 1992 Deluxe est un album de reprise du terrain par les femmes, avec une orientation clairement tournée vers l’esprit de patrimoine, de culture, de communauté.

En ce sens, les chansons Bart Simpson et Kitana sont sans doute les plus révélatrices de l’atmosphère réelle à laquelle appartient la chanteuse dans sa dimension authentique : celle du hip hop d’une grande ville, avec une froideur quotidienne dans une immensité bétonnée, compensée par une quête de chaleur sociale, dans l’esprit de la musique soul.

C’est d’autant plus intéressant que à moins de se renouveler entièrement, ne pourra pas dépasser cette œuvre fondamentalement intéressante. La base de sa démarche est déjà corrompue, en raison de son « jeu » avec les identités.

Destiny Frasqueri a en effet un parcours chaotique : elle est d’origine afro-porto-ricaine et caribéenne, élevée dans différents foyers, sa mère étant décédée du SIDA, lorsqu’elle avait neuf ans, avant d’être élevé en partie par une famille juive. Adolescente en rupture mais s’intégrant dans un milieu plus aisé, elle se tourne vers le punk, vers la mythologie caribéenne des sorcières, ainsi que le mouvement de la Harlem Renaissance des années 1920-1930.

Se tournant alors vers la culture hip hop et R&B, elle prend le nom de Wavy Spice, puis Destiny et enfin Princess Nokia. Or, la valeur de sa démarche ne pouvait qu’attirer le commerce avide de modernité et de différence, de culte de l’identité, dont le phénomène du « queer » est le fer de lance aux États-Unis.

Si elle se veut donc résolument « ghetto » et totalement hostile au commerce de la musique, affirmant mépriser l’argent, elle est déjà justement par là devenue une figure de toute la scène intellectuelle et commerciale qui se prétend en marge.

Vogue a parlé d’elle, elle a défilé pour Calvin Klein, sa musique a pu être repris pour tel défilé de mode, alors que bien entendu des médias comme l’anglophone Vice ou le germanophone Spex la célèbrent pour son identité décalée, sa vulgarité outrancière, son affirmation féministe, etc.

La chanson Tomboy est un excellent exemple de cette fétichisation de l’identité. L’esthétique de la chanson se rattache à l’esprit révolté des années 1970, avec un féminisme de conquête de l’espace public clairement affirmé, tout comme la remise en cause des stéréotypes exigés par les femmes, y compris la beauté.

Mais cela passe par la vulgarité et la quête de reconnaissance identitaire, la chanteuse expliquant que « avec mes petits sein et mon gros ventre / Je peux prendre ton mec si tu me laisses faire », tout en disant en même temps être un mannequin pour Calvin Klein.

Cette démarche identitaire se retrouve dans la vidéo à prétention éco-féministe Young girls, au style totalement déconnecté de Tomboy, mais de la même démarche identitaire. La chanson Brujas, sur les sorcières caribéennes, serait alors une sorte d’intermédiaire.

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Princess Nokia pourra-t-elle se sortir d’un tel tournant identitaire, résolument commercial malgré sa prétention à ne pas l’être ? Cela révèle toutes les limites du phénomène « queer », qui prétend dépasser les clichés, mais qui au lieu des les abolir les fabrique au kilomètre, perdant de vue la société pour ne se tourner que vers l’individu s’imaginant roi… ou reine, ou princesse.

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Politique

« Youpi j’ai compris ! » et l’existence d’Israël

Toute personne de gauche sait très bien que le peuple palestinien connaît une situation humainement extrêmement difficile, de par la raison de la politique de l’État israélien. Même la droite israélienne la plus cynique le reconnaît elle-même.

Le souci qu’il y a, c’est qu’avec l’histoire de l’antisémitisme, Israël est devenu un prétexte pour une sorte de folie furieuse, de véritable passion totalement déconnectée de la réalité.

Ainsi, lorsque Donald Trump a décidé de déplacer l’ambassade américaine à Jérusalem, tous les médias se sont empressés de dire que le président américain avait reconnu cette ville comme capitale israélienne. Le titre du Monde est ainsi « Trump reconnaît Jérusalem comme capitale d’Israël, une décision historique et unilatérale ».

La presse internationale a fait de même. Or, c’est entièrement faux, parce que cela fait bien longtemps que les États-Unis ont reconnu Jérusalem comme capitale d’Israël.

Le congrès américain avait ainsi voté en 1995 un « Jerusalem Embassy Act » annonçant le transfert de l’ambassade américaine dans les quatre ans. Le vote avait été écrasant, tant au Sénat (93 voix contre 5) qu’à la Chambre des représentants (374 contre 37).

Barack Obama avait déjà affirmé que Jérusalem était la capitale d’Israël lors de sa candidature à la nomination comme candidat du parti démocrate, ainsi que lors de sa candidature aux présidentielles. C’était même déjà une promesse électorale de Bill Clinton en 1992.

On peut tout à fait critiquer cela, en disant que cela rentre en conflit avec le projet de partition de l’ONU fait en 1947.

La gauche a d’ailleurs historiquement soutenu cette partition et l’URSS sera le premier pays à reconnaître juridiquement l’État israélien.

Mais si critique il doit y avoir, alors il faut le faire de manière rationnelle, sans quoi, on est dans la mise en scène, pas dans une aide quelconque au peuple palestinien.

Ce qui se passe réellement n’intéresse pas des gens qui ont intérêt à se présenter comme faisant face à une ignominie immédiate, apparue de nulle part, eux-mêmes faisant office de justicier.

Les faits sont niés, pour apparaître comme « radical » – une démarche qui relève historiquement de l’extrême-droite, pas d’une gauche fondée sur les idées. Cela montre à quel point l’antisémitisme est si puissant qu’il se sert de la question israélo-palestinienne pour ses projections.

Un exemple significatif de cette course à l’échalote se trouve dans le dernier numéro du magazine pour enfant de 5-8 ans « Youpi j’ai compris ! », dont Bayard Presse – la grande maison d’édition catholique française, éditrice notamment de Babar, Pomme d’Api, Okapi, J’aime Lire, Phosphore, etc. – a annoncé hier le retrait devant des protestations.

La raison en est que l’existence de l’État israélien est niée, malgré sa reconnaissance par les Nations-Unies en 1948, dans la foulée de la réalisation du plan de partage de la Palestine du 29 novembre 1947.

Tout cela totalement absurde : on peut exiger un État nouveau sous la forme d’une fédération israélo-palestinienne, ou sous la forme d’une République laïque unifiée. Mais nier les faits en disant : cela n’existe pas, cela n’a pas de sens.

Les seuls qui ont adopté cette démarche, ce sont les partisans du panarabisme, du parti Baath comme en Syrie et en Irak, qui ont toujours parlé de « l’entité sioniste ». Avec les résultats que l’on sait : la manipulation démagogique des opinions publiques arabes, l’antisémitisme forcené.

Sans que rien ne change pour le peuple palestinien, qui perd chaque jour davantage du terrain depuis 1947, étant qui plus est dominés par les islamistes ou une OLP totalement corrompue.

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Écologie

Poinsettia, les « étoiles de Noël »

En cette fin d’année et ces jours de fêtes, en France, des Poinsettia, ou plus familièrement appelées les « étoiles de Noël » seront offertes. Elles sont d’ailleurs les plantes les plus vendues en cette période de fin d’année.

Aussi flamboyante soit-elle, cette jeune pousse rouge en pot, risque fortement ne pas résister à l’année à venir. Il faut pour cela comprendre son mode de vie et voir comment les Poinsettia ont été modifiés.

Poinsettia est un ancien nom faisant référence à un ambassadeur américain au Mexique et botaniste à ses heures, Joël Poinsett. Il découvre en 1825 cette plante arbustive, à Taxco et envoie des plants dans son état natal de Californie, dans le but de l’étudier. Elle portera alors le nom de Poinsettia en l’honneur de l’ambassadeur, en 1836.

Bien évidemment, la découverte ne dépend pas de Joël Poinsett. Cette plante existe depuis très longtemps. Cuetxlaxochitl «  la fleur de peau » est originaire du Mexique du sud et d’Amérique centrale.

Selon la tradition aztèque, cette plante rouge est sortie du sol dès suite de la mort d’un chagrin d’amour de la déesse. Les Aztèques l’utilisaient pour ses pigments rouges et comme remède aux difficultés de lactation et d’allaitement des mères.

Sur le plan botanique, c’est l’explorateur allemand Von Humboldt qui amène un plan en 1804. Le Poinsettia est un ancien genre botanique qui est dorénavant classé comme sous-genre des Euphorbiaceal du genre des Euphorbia (euphorbe véritable).

En 1834 la désignation d’euphorbia pulcherrima lui est attribué par le botaniste Ludwig Wildenow. C’est une plante arbustive pouvant atteindre, dans son milieu naturel (Amérique central et Sud du Mexique) la hauteur de 5 mètres.

Toutefois, on promotionne souvent l’ euphorbia pulcherrima comme la plante représentative de Noël. Or, elle correspond bien au mois de décembre, mais dans l’hémisphère sud.

Voyons pourquoi.

Les bractées lancéolées rouge vif (en forme d’étoile), jouent le rôle de pétales. Les petites fleurs nectarifères se regroupent dans une inflorescence de capitule (mâle apétales autour de fleur femelle). Les canaux de la plante véhiculent quant à elles, comme toutes les euphorbes, un latex blanc proche du caoutchouc. Ce liquide contient des protéines allergènes.

Sa culture est très fragile en Europe du fait de multiples aspects : un système racinaire, le besoin d’une phase de repos stricte, les engrais, l’hygrométrie, le bouturage, l’obscurcissement, le réglage des températures et la régulation de croissance.

De plus la multiplication se fait par bouturage tous les ans afin d’assurer la production industrielle. Ce sont donc de jeunes plants qui sont tous les ans exploités dans le but d’assurer une induction florale vigoureuse. Pour cela, il y a le forçage de l’obscurité si la durée du jour dépasse 15 jours par l’application de bâches noires sur les plantes.

Une euphorbia pulcherrima, dans notre hémisphère restera donc ornementale pour un temps donné. Il sera difficile (pour les raison sus mentionnées) de les maintenir en vie.

Afin de conserver cet engouement commercial, les « étoiles de noël » sont ainsi produites à grandes échelle dans des serres. En effet, ce ne sont que les jeunes pieds, issus de sélections variées, qui donnent des pétales rouges flamboyants.

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Culture

Johnny Hallyday et le rôle négatif de ses 392 reprises

Le Parisien a publié un article très intéressant sur la proportion de reprises dans le nombre total de chansons de Johnny Hallyday. Les journalistes de ce quotidien ont comptabilisé pas moins de 392 reprises sur le millier de chansons faisant partie du répertoire de Johnny Hallyday.

C’est un chiffre vraiment extrême, qui souligne un problème de fond : le manque de maturité qui a longtemps existé en France dans l’assimilation de la culture rock. A part Téléphone et Noir Désir, ou encore peut-être Trust ou encore les Rita Mitsouko, la France a été incapable de produire de manière continue des groupes de rock d’une véritable ampleur.

Il y a eu une gigantesque consommation de groupes et de chanteurs anglais et américains, mais une vraie incapacité de se lancer soi-même. Johnny Hallyday a certainement joué ici un très mauvais rôle, parce qu’il a empêché une assimilation correcte, passant en sous-main, de manière dévoyée, la culture rock.

Johnny Hallyday était en effet un chanteur d’adaptation, faisant passer de la musique en contrebande, en brisant sa réelle nature, en l’asservissant au son de la variété.

Johnny Hallyday a repris tout ce qu’il pouvait, d’Aretha Franklin à Lynyrd Skynyrd ou Bob Dylan et Jon Bon Jovi, pour prétendre avoir une authenticité, en fait fictive. La liste sur son site officiel fait pratiquement dix pages.

Il n’était pas un passeur de musique, contribuant à la découverte des originaux, ou quelqu’un modifiant dans le sens d’une interprétation réellement différente, mais un pillard, s’appropriant le prestige d’une musique évoluée, pour la démolir dans le sens de la conformité avec l’esprit variété et radio.

Voici par exemple Génération banlieue (1984), où il chante que la banlieue va exploser, que cela va péter, etc, ce qui est plutôt ironique pour un multi-millionnaire ayant toujours fui le fisc français. Juste après, on a l’original de Warren Zevon, un chanteur important de la culture américaine, considéré comme une sorte de musicien des musiciens, comme l’a défini Bob Dylan.

C’est odieux, parce qu’il y a un lissage musical, une réduction du texte à des éléments caricaturaux, un décalage total par rapport à l’esprit originel.

Voici une autre chanson, qu’il « emprunte » à Aretha Franklin.


Les mimiques de Johnny Hallyday sont ici clairement une tentative de s’approprier le prestige de l’approche d’Aretha Franklin, mais il n’y a évidemment strictement rien à voir.

Le masque de l’émotion a vraiment servi à empêcher d’aborder la culture selon un angle authentique.

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Société

Logiciel libre : le manifeste GNU de Richard Stallman

Le manifeste GNU

Le manifeste GNU, reproduit ci-dessous, a été écrit par Richard Stallman en 1985 pour demander un soutien au développement du système d’exploitation GNU.

Une part du texte provient de l’annonce originelle de 1983. Jusqu’en 1987, il y a eu quelques petites mises à jour pour tenir compte de l’évolution du projet, mais il nous semble maintenant plus judicieux de le laisser inchangé.

Nous avons appris depuis que certains passages étaient souvent mal interprétés ; ceci peut être corrigé en changeant quelques mots. Des notes ajoutées depuis 1993 aident à clarifier ces points.

Si vous voulez installer le système GNU/Linux, nous vous recommandons d’utiliser l’une des distributions GNU/Linux 100% libres. Pour savoir comment contribuer, voir http://www.gnu.org/help.

Le projet GNU fait partie du mouvement du logiciel libre, une campagne pour la liberté des utilisateurs de logiciels. Associer GNU avec le terme « open source » est une erreur dans la mesure où ce terme fut inventé en 1998 par des gens en désaccord avec les valeurs éthiques du mouvement du logiciel libre. Ils l’utilisent pour promouvoir une approche amorale du même domaine.

Qu’est ce que GNU ? GNU N’est pas Unix !

GNU, l’acronyme de GNU’s Not Unix (GNU N’est pas Unix), est le nom du système complet de logiciels, compatible avec Unix, que je suis en train d’écrire pour pouvoir le donner [give away free] à qui en aura l’usage (1). J’ai l’aide de plusieurs autres bénévoles. Les contributions en temps, en argent, en logiciel et en équipement nous sont indispensables.

Pour l’instant, nous avons un éditeur de texte, Emacs, utilisant le Lisp pour écrire des commandes d’édition, un débogueur, un générateur d’analyseurs syntaxiquesa compatible avec YACC, un éditeur de liens, et environ trente-cinq autres utilitaires.

Un shell (un interprète de commandes) est presque terminé. Un nouveau compilateur C portable et capable d’optimisation s’est compilé lui-même et devrait être disponible cette année. Un noyau initial existe, mais nécessite des fonctionnalités supplémentaires pour émuler Unix. Quand le noyau et le compilateur seront terminés, il sera possible de distribuer un système GNU approprié au développement.

Nous utiliserons TeX comme formateur de texte, mais un nroff est en cours de développement. Nous utiliserons aussi le système libre et portable X Window System.

Par la suite, nous ajouterons un Common Lisp portable, le jeu Empire, un tableur et des centaines d’autres choses, plus une documentation en ligne. À terme, nous espérons fournir toutes les choses utiles qui sont normalement incluses dans un système Unix, et plus encore.

GNU pourra exécuter des programmes Unix mais ne sera pas identique à Unix. Nous ferons toutes les améliorations dont notre expérience avec d’autres systèmes d’exploitation nous suggère l’utilité.

En particulier, nous prévoyons d’avoir des fichiers avec des noms longs, des numéros de version de fichier, un système de fichiers à tolérance de panne, éventuellement un système de complétion des noms de fichiers, un dispositif d’affichage indépendant du terminal, et peut-être, à terme, un système de fenêtrage fondé sur Lisp, au travers duquel plusieurs programmes Lisp et des programmes Unix ordinaires pourront partager un écran.

Deux langages de programmation système seront disponibles, C et Lisp. Enfin nous essayerons de gérer les protocoles de communication UUCP, Chaosnet (protocole du MIT), et Internet.

Initialement, GNU vise les machines de classe 68000/16000 avec de la mémoire virtuelle, car ce sont les machines sur lesquelles il est le plus simple de le faire fonctionner. Libre à celui qui voudra s’en servir sur des machines moins puissantes de poursuivre notre travail pour l’adapter à cet usage.

Pour éviter d’horribles confusions, merci de prononcer distinctement le g de « GNU » quand vous parlez de ce projet.

Pourquoi je dois écrire GNU

Si j’apprécie un programme, j’estime que la Règle d’orb m’oblige à le partager avec ceux qui l’apprécient également. Les éditeurs de logiciel cherchent à diviser et à conquérir les utilisateurs en forçant chacun à accepter de ne pas partager avec les autres.

Je refuse de rompre la solidarité avec les autres utilisateurs de cette manière. Je ne peux pas, en mon âme et conscience, signer un accord de non-divulgation ou de licence pour un logiciel. Pendant des années, j’ai œuvré au sein du laboratoire d’intelligence artificielle du MIT pour résister à ces tendances et à d’autres manquements à l’hospitalité, mais finalement ils sont allés trop loin : je ne pouvais pas rester dans une institution où ce genre de choses étaient faites en mon nom contre ma volonté.

Afin de pouvoir continuer à utiliser les ordinateurs en accord avec ma conscience, j’ai décidé de réunir un ensemble de logiciels libres avec lequel je pourrai me débrouiller sans aucun logiciel non libre. J’ai démissionné du labo d’intelligence artificielle pour que le MIT ne puisse invoquer aucune excuse juridique pour m’empêcher de distribuer GNU gratuitement (2).

Pourquoi GNU sera compatible avec Unix

Unix n’est pas pour moi le système parfait, mais il n’est pas trop mauvais. Ses fonctionnalités essentielles semble être les bonnes, et je pense pouvoir ajouter ce qui lui manque sans les dégrader.

De plus, il est probable que beaucoup de gens trouveront pratique d’adopter une système compatible avec Unix.

Comment GNU sera distribué

GNU n’est pas dans le domaine public. Tout le monde aura le droit de modifier et redistribuer GNU, mais aucun distributeur ne pourra restreindre ces futures redistributions. C’est-à-dire que les modifications propriétairesc seront interdites. Je veux m’assurer que toutes les versions de GNU resteront libres.

Pourquoi de nombreux programmeurs veulent m’aider

J’ai rencontré nombre de programmeurs que GNU passionne et qui souhaitent apporter leur aide.

Beaucoup d’entre eux sont insatisfaits de la commercialisation de logiciels système. Il se peut que cela leur permette de gagner plus d’argent, mais cela les oblige en général à regarder les autres programmeurs comme des ennemis plutôt que des camarades.

La base d’une amitié entre programmeurs est le partage de logiciel. Or les dispositions commerciales typiquement en usage de nos jours leur interdisent de considérer les autres comme des amis.

L’acheteur de logiciel doit donc choisir entre l’amitié et l’obéissance à la loi. Naturellement, beaucoup décident que l’amitié est plus importante. Mais ceux qui respectent la loi se sentent souvent mal à l’aise avec les deux termes de l’alternative. Ils deviennent cyniques au point de penser que programmer n’est qu’une façon de gagner de l’argent.

En développant et en utilisant GNU, plutôt que des programmes propriétaires, nous pouvons nous montrer accueillants envers tout le monde, tout en respectant la loi. De plus, GNU est une source d’inspiration et une bannière sous laquelle d’autres peuvent nous rejoindre dans le partage.

Ceci peut nous procurer un sentiment d’harmonie, impossible à atteindre avec des logiciels qui ne sont pas libres. Pour environ la moitié des programmeurs avec lesquels j’ai discuté, c’est une satisfaction importante que l’argent ne peut pas remplacer.

Comment vous pouvez contribuer

(Actuellement, si vous voulez nous aider dans le domaine du logiciel, regardez la liste des projets hautement prioritaires [en] et la page des appels à contribution de GNU, qui liste les tâches générales ayant rapport avec les paquets GNU. Pour aider dans d’autres domaines, regardez le guide pour aider le projet GNU.)

Je demande aux fabricants d’ordinateurs de faire don de machines et d’argent. Je demande aux particuliers de faire don de programmes et de travail.

Ce à quoi vous pouvez vous attendre si vous nous donnez des machines, c’est que GNU tournera dessus à brève échéance. Les machines doivent être complètes et prêtes à l’emploi ; leur utilisation doit être autorisée en zone résidentielle, et ne doit pas avoir de besoins sortant de l’ordinaire en climatisation ni en alimentation.

J’ai trouvé un grand nombre de programmeurs impatients de collaborer à GNU à temps partiel. Pour la plupart des projets, un tel travail distribué à temps partiel serait très difficile à coordonner ; les diverses parties codées indépendamment ne fonctionneraient pas ensemble.

Mais puisqu’il s’agit de remplacer Unix, ce problème n’existe pas. Un système Unix complet contient des centaines d’utilitaires, ayant chacun leur propre documentation.

La plupart des spécifications des interfaces sont déterminées par la compatibilité avec Unix. Si chaque collaborateur peut écrire un programme compatible remplaçant un seul utilitaire Unix et le faire fonctionner convenablement sur un système Unix à la place de l’original, il s’ensuit que ces nouveaux utilitaires fonctionneront ensemble sans problème.

Même en tenant compte des quelques problèmes inattendus que la loi de Murphy ne manquera pas de créer, l’assemblage de ces composants sera une tâche réalisable (le noyau demandera quand même une communication plus soutenue et sera développé par un petit groupe structuré).

Si je reçois des dons en argent, je pourrai embaucher quelques personnes à temps plein ou à temps partiel. Le salaire ne sera peut-être pas très élevé par rapport au marché, mais je cherche des personnes pour lesquelles l’esprit de communauté est aussi important que l’appât du gain.

Je considère que c’est une façon de permettre à quelques personnes dévouées de consacrer toutes leurs ressources au projet GNU, en leur évitant d’avoir à gagner leur vie autrement.

Pourquoi tous les utilisateurs en bénéficieront

Une fois GNU achevé, tout le monde pourra se procurer de bons logiciels système, gratuits comme l’air qui nous entoure (3).

Cela représente beaucoup plus que l’économie d’une licence Unix. Cela veut dire qu’on va éviter de perdre beaucoup d’énergie à faire de la programmation système en double, et qu’on pourra rediriger ces efforts vers le progrès méthodologique.

Le code source complet du système sera disponible pour tous. Et cela aura pour résultat qu’un utilisateur ayant besoin de modifier un composant aura toujours la liberté de le faire lui-même, ou d’en passer commande à n’importe quel programmeur ou entreprise disponible.

Les utilisateurs ne seront plus à la merci d’une personne ou entreprise particulière, seule à pouvoir effectuer les modifications car elle possède le code source.

Les écoles pourront offrir un environnement beaucoup plus pédagogique en encourageant tous les étudiants à étudier et à améliorer le code du système.

Le laboratoire informatique d’Harvard avait comme politique de n’installer aucun programme sur le système si ses sources n’étaient pas affichées publiquement, et ils faisaient respecter cette politique en refusant carrément d’installer certains programmes. Cela m’a beaucoup inspiré.

Enfin, les frais engendrés par les questions de propriété et de limites d’utilisation des logiciels système ne seront plus d’actualité.

Les mesures mises en œuvre pour faire payer l’utilisation d’un programme, y compris la délivrance d’une licence pour chaque exemplaire, génèrent toujours un coût important pour la société en général, à cause des mécanismes nécessaires pour calculer combien (c’est-à-dire quels programmes) chacun doit payer. Et il faudrait un État policier pour appliquer parfaitement ces mesures.

Prenons une station orbitale, où l’air doit être fabriqué à un coût important : facturer chaque litre inspiré peut être justifié, mais porter un masque-compteur toute la journée et toute la nuit est intolérable même si l’on a de quoi payer la facture.

Et les caméras de surveillance placées partout pour vérifier que vous ne retirez jamais le masque-compteur seraient inacceptables. Il vaut mieux financer la fabrication de l’air par un impôt de capitation et se débarrasser des masques.

Copier tout ou partie d’un logiciel semble aussi naturel à un programmeur que de respirer, tout aussi productif. Cela aussi devrait être libre.

Quelques objections facilement contrées aux objectifs de GNU

« Personne ne s’en servira si c’est gratuit, car cela veut dire que l’on ne peut compter sur aucun support technique. »

« Il faut faire payer le logiciel pour financer le service après-vente. »

Si les gens préfèrent acheter GNU avec du service après-vente, plutôt que d’obtenir GNU gratuitement sans service, une entreprise qui proposera uniquement du service à ceux qui auront obtenu GNU gratuitement devrait être rentable (4).

Nous devons faire la distinction entre le support en termes de réel travail de programmation et la simple assistance. On ne peut pas compter sur le premier de la part d’un fournisseur de logiciel. Si votre problème n’est pas suffisamment répandu, le fournisseur vous enverra balader.

Si votre société a besoin d’un support fiable, la seule solution est d’avoir toutes les sources et tous les outils nécessaires. À partir de là, vous pouvez engager n’importe quelle personne disponible pour régler votre problème ; vous n’êtes pas à la merci de quiconque.

Avec Unix, le prix des sources rend cette solution inabordable pour la plupart des sociétés. Avec GNU ce sera facile. Il serait éventuellement concevable que personne ne soit disponible, mais les modalités de distribution ne sont pas responsables de ce problème. GNU ne résout pas tous les problèmes de la planète, mais seulement quelques-uns.

En attendant, les utilisateurs qui n’y connaissent rien en informatique ont besoin d’assistance, besoin qu’on fasse à leur place ce qu’ils pourraient facilement faire eux-mêmes si seulement ils s’y connaissaient.

De tels services pourraient être proposés par des sociétés qui ne font que de l’assistance et du dépannage. S’il est vrai que les utilisateurs préfèrent dépenser de l’argent pour un logiciel intégrant un service après-vente, ils seront aussi d’accord pour payer simplement le service, ayant obtenu le logiciel gratuitement.

Les sociétés de service se feront concurrence sur la qualité et le prix de leurs prestations ; les utilisateurs ne seront pas tributaires d’une société particulière. En même temps, ceux d’entre nous qui n’ont pas besoin du service devront être en mesure d’utiliser le logiciel sans payer le service.

« On ne peut pas être connu sans publicité et il faut faire payer le logiciel pour la financer. »

« Ça ne sert à rien de faire de la publicité pour un programme que l’on peut obtenir gratuitement. »

Il existe divers canaux d’information gratuits ou presque pour faire connaître une chose comme GNU à de nombreux informaticiens. Cependant, il est peut-être vrai que l’on peut atteindre plus d’utilisateurs de microordinateurs avec de la publicité.

Si c’est le cas, une entreprise qui fait une campagne publicitaire pour un service payant de copie et d’envoi de GNU par la poste devrait être suffisamment rentable pour financer cette campagne et bien davantage. Ainsi, seuls les utilisateurs qui tirent avantage de la publicité la payent.

En revanche, si de nombreuses personnes obtiennent GNU par leurs relations, et que de telles entreprises ne sont pas rentables, cela démontrera que la publicité n’était pas vraiment nécessaire pour répandre GNU.

Pourquoi les partisans de l’économie libérale ne veulent-ils pas laisser cette décision au marché libre (5) ?

« Ma société a besoin d’un système d’exploitation propriétaire pour être compétitive. »

GNU va retirer les systèmes d’exploitation du champ de la concurrence. Vous ne pourrez pas vous assurer un avantage dans ce domaine, mais votre concurrent non plus. Vous pourrez rivaliser dans d’autres domaines, tout en profitant d’avantages mutuels dans celui-ci.

Si votre commerce est la vente de systèmes d’exploitation, vous n’aimerez pas GNU, et c’est tant pis pour vous. Si votre commerce est différent, GNU peut vous éviter d’être poussé vers le domaine onéreux de la vente de systèmes d’exploitation.

J’aimerais bien voir le développement de GNU financé par des dons de fabricants et d’utilisateurs, réduisant ainsi les coûts pour chacun (6).

« Les programmeurs ne méritent-ils pas d’être récompensés pour leur créativité ? »

Si quelque chose mérite récompense, c’est bien la contribution au bien commun. La créativité peut en faire partie, mais seulement dans la mesure où la société est libre de profiter de ses résultats. Si les programmeurs méritent d’être récompensés pour la création de logiciels innovants, de même ils méritent d’être punis s’ils limitent l’utilisation de leurs programmes.

« Un programmeur ne doit-il pas avoir le droit de demander une récompense pour sa créativité ? »

Il n’y a rien de mal à vouloir être payé pour son travail, ou à chercher à augmenter ses revenus, tant que l’on n’utilise pas de moyens destructeurs. Mais dans le secteur du logiciel de nos jours, les moyens habituels sont fondées sur la destruction.

Soutirer de l’argent aux utilisateurs d’un programme en restreignant son usage est destructeur, car cela a pour effet de réduire le nombre et la variété des utilisations de ce programme, ce qui à son tour fait diminuer la richesse qu’il apporte à l’humanité. Quand on choisit délibérément d’imposer des limites, les conséquences néfastes qui en découlent sont de la destruction délibérée.

Un bon citoyen n’utilise pas de telles méthodes destructrices pour augmenter sa richesse personnelle car, si tout le monde faisait de même, il y aurait un appauvrissement général dû à la destruction mutuelle.

C’est ce que l’on appelle la morale kantienne, ou Règle d’or : puisque je n’apprécie pas les conséquences qui adviennent si tout le monde fait de la rétention d’information, je dois considérer comme inacceptable un tel comportement. Plus précisément, le désir d’être récompensé pour sa création ne justifie pas que l’on prive le monde entier de tout ou partie de cette créativité.

« Les programmeurs ne vont-ils pas mourir de faim ? »

Je pourrais répondre qu’on ne force personne à être programmeur. La plupart d’entre nous n’arriveraient pas à se faire payer pour faire des grimaces sur le champ de foire. Mais nous ne sommes pas pour autant condamnés à passer notre vie sur le champ de foire à faire des grimaces et à mourir de faim. Nous faisons autre chose.

Mais c’est une mauvaise réponse, car elle accepte l’a-priori de la question, à savoir que, sans la propriété du logiciel, les programmeurs ne pourraient pas recevoir le moindre sou. C’est, soi-disant, tout ou rien.

La vraie raison pour laquelle les programmeurs ne vont pas mourir de faim, c’est qu’il leur sera tout de même possible d’être payés pour programmer ; seulement, pas aussi bien qu’aujourd’hui.

Restreindre la copie n’est pas la seule base du commerce des logiciels. C’est la base la plus commune (7), car la plus rentable. Mais si ces restrictions étaient interdites ou rejetées par le client, les éditeurs passeraient à d’autres formes d’organisation qui sont actuellement moins utilisées. Il y a de nombreuses façons d’organiser une entreprise.

Il est probable qu’avec ce nouveau système, la programmation sera moins rentable qu’elle ne l’est aujourd’hui. Mais ce n’est pas un argument valable contre le changement. Il n’est pas considéré comme injuste que les vendeuses gagnent ce qu’elles gagnent actuellement. Si les programmeurs gagnaient la même chose, ce ne serait pas non plus une injustice (en pratique, ils gagneraient quand même beaucoup plus).

« Les gens n’ont-ils pas le droit de contrôler l’usage qui est fait de leur créativité ? »

« Contrôler l’usage qui est fait de ses idées » revient à contrôler la vie des autres ; et c’est souvent utilisé pour leur rendre la vie plus difficile.

Ceux qui ont étudié la question des droits de propriété intellectuelle (8) à fond (les avocats, les juristes, etc.) soutiennent qu’il n’existe aucun droit intrinsèque à la propriété intellectuelle. Les différents droits de soi-disant propriété intellectuelle reconnus par les pouvoirs publics ont été créés par des actes législatifs précis dans des buts bien précis.

Par exemple, le système de brevets a été établi pour encourager les inventeurs à divulguer les détails de leurs inventions. Sa raison d’être était d’aider la société plutôt que les inventeurs. À l’époque, la durée de vie de 17 ans pour un brevet était courte par rapport à la cadence des évolutions technologiques.

Puisque les brevets ne concernent que les fabricants, pour lesquels le coût et l’effort d’établir une licence sont minimes comparés à la mise en production, les brevets ne font souvent pas trop de tort. Ils ne gênent pas la plupart des particuliers qui utilisent des produits brevetés.

Le concept de copyright (droit d’auteur) n’existait pas dans l’Antiquité ; les auteurs copiaient souvent de longs extraits des ouvrages de documentation écrits par d’autres. Cette pratique était utile, et c’est de cette seule façon que les travaux de nombreux auteurs ont survécu, ne serait-ce qu’en partie.

Le système du copyright a été créé expressément pour encourager les auteurs. Dans le domaine pour lequel ce système a été inventé – les livres, qui ne pouvaient être copiés économiquement qu’en imprimerie – ce système ne causait pas beaucoup de tort, et ne gênait pas la plupart des lecteurs.

Les droits de propriété intellectuelle ne sont tous que des licences accordées par la société en se basant sur l’idée, juste ou fausse, que globalement elle en bénéficierait. Mais dans chaque situation précise, nous devons nous demander : avons-nous vraiment intérêt à accorder cette licence ? Quels actes autorisons-nous avec cette licence ?

Le cas des logiciels aujourd’hui est très différent de celui des livres il y a un siècle.

Le fait que la manière la plus facile de copier un programme soit entre voisins, le fait qu’un programme ait à la fois un code source et un code objet, bien distincts, et le fait qu’un programme soit utilisé plutôt que lu pour le plaisir, concourent à créer une situation dans laquelle celui qui fait appliquer un copyright fait du tort à la société, matériellement et spirituellement ; une situation dans laquelle personne ne doit agir ainsi, que ce soit ou non autorisé par la loi.

« La concurrence permet de mieux faire les choses. »

Le paradigme de la concurrence est une course : en récompensant le vainqueur, nous encourageons tout le monde à courir plus vite. Quand le capitalisme fonctionne réellement de cette façon, tout marche bien ; mais ses partisans ont tort s’ils pensent que c’est toujours de cette façon qu’il fonctionne.

Si les coureurs oublient le pourquoi de la récompense au point d’être obsédés par la victoire, à n’importe quel prix, ils risquent de trouver d’autres stratégies comme d’agresser les autres concurrents. Si les coureurs en viennent aux mains, ils finiront tous en retard.

Les logiciels propriétaires et secrets sont l’équivalent moral de coureurs qui en viennent aux mains. C’est triste à dire, mais le seul arbitre que nous ayons ne semble pas s’opposer aux combats ; il se contente de les réguler : « Pour dix mètres parcourus, vous avez le droit de tirer un coup de feu. » Ce qu’il devrait faire, c’est séparer les combattants et pénaliser les coureurs dès qu’ils font mine de se battre.

« Les gens ne s’arrêteront-ils pas de programmer, sans l’appât du gain ? »

En fait, beaucoup de gens programmeront sans aucune incitation financière. La programmation exerce une fascination irrésistible pour quelques-uns, généralement les meilleurs.

Nous ne manquons pas de musiciens professionnels qui n’ont aucun espoir de gagner leur vie avec la musique, et pourtant continuent à jouer.

Mais en fait cette question, bien qu’elle soit souvent posée, ne convient pas à la situation. Les salaires des programmeurs ne disparaîtront pas mais diminueront peut-être. La question devient donc : trouvera-t-on des programmeurs qui travailleront pour une moindre rémunération ? D’après mon expérience, la réponse est oui.

Pendant plus de dix ans, nombre de programmeurs parmi les meilleurs mondiaux ont travaillé au laboratoire d’intelligence artificielle du MIT pour un salaire bien inférieur à celui qu’ils auraient eu n’importe où ailleurs. Ils étaient récompensés de plusieurs autres manières : la notoriété et la reconnaissance des autres, par exemple. Sans oublier que créer est amusant ; c’est une récompense en soi.

Et puis la plupart sont partis quand on leur a proposé de faire le même travail intéressant en étant très bien payés.

Les faits démontrent que les gens programment pour d’autres raisons que l’envie de faire fortune ; mais si en plus on leur propose beaucoup d’argent, ils finiront par s’y attendre, et l’exigeront. Les organismes qui payent moins bien ont du mal face à ceux qui payent bien, mais ils devraient pouvoir s’en sortir si les gros payeurs sont bannis.

« Nos besoins en programmeurs sont tellement importants que s’ils interdisent le partage, nous ne pouvons que leur obéir. »

La situation n’est jamais assez désespérée pour qu’on soit obligé d’obéir à une telle interdiction. Rappelez-vous : des millions pour la défense, mais pas un sou de tribut !

« Il faut bien que les programmeurs gagnent leur pain. »

À court terme, c’est vrai. Cependant, il y a de nombreuses possibilités offertes à un programmeur pour vivre décemment sans pour autant vendre le droit d’utiliser un programme.

C’est le moyen habituel actuellement, parce que c’est celui qui engendre le profit maximum pour les programmeurs et les hommes d’affaires, et non parce que c’est la seule manière de gagner son pain. Vous pouvez facilement trouver d’autres manières si vous le voulez. Voici quelques exemples.

Un fabricant qui sort un nouvel ordinateur payera pour le portage des systèmes d’exploitation sur le nouveau matériel.

Les services payants d’enseignement, d’assistance et de maintenance peuvent également créer des postes de programmeurs.

Des personnes aux idées novatrices peuvent distribuer des logiciels comme « graticiels » [freeware] (9), en demandant des dons aux utilisateurs satisfaits ou en vendant un service d’assistance. J’ai rencontré des personnes qui travaillent déjà de cette manière avec succès.

Les utilisateurs ayant des besoins en commun peuvent créer des groupes d’utilisateurs et verser des cotisations. Chacun de ces groupe pourrait passer contrat avec une entreprise de développement pour écrire des programmes spécifiques répondant aux souhaits de ses membres.

Toutes sortes de développements pourraient être financés par une taxe sur le logiciel.

Supposons que chaque acheteur d’un ordinateur ait à payer une taxe sur le logiciel s’élevant à x pour cent du prix. L’administration reverse alors cette somme à un organisme comme la NSFd pour subventionner le développement.

Mais si l’acheteur fait lui-même un don au développement logiciel, il peut s’en servir pour réduire sa taxe. Il peut donner au projet de son choix – choix souvent guidé par l’espoir de profiter des résultats à l’achèvement du projet. La réduction peut atteindre le montant total de la taxe qu’il avait à payer.

Le taux de la taxe pourrait être déterminé par un vote de ceux qui la payent, pondéré par le montant sur lequel ils seront taxés.

Les conséquences :

  • la communauté des utilisateurs soutient le développement logiciel ;
  • cette communauté décide du niveau de soutien financier nécessaire ;
  • les utilisateurs qui s’intéressent aux projets bénéficiant de leur participation peuvent les choisir eux-mêmes.

À terme, rendre les programmes libres est un pas vers le monde de l’après-pénurie, où personne ne sera obligé de travailler très dur pour simplement survivre.

Les gens seront libres de se consacrer à des activités ludiques comme la programmation, après avoir, bien entendu, passé les dix heures par semaine nécessaires à des œuvres telles que la rédaction des lois, le conseil familial, la réparation de robots et l’exploration d’astéroïdes. On pourra programmer sans avoir besoin d’en faire un gagne-pain.

Nous avons déjà beaucoup fait diminuer la quantité de travail que la société dans son ensemble doit fournir pour ses activités productives, mais cela ne s’est que très partiellement traduit en temps libre pour les travailleurs, car beaucoup d’activités non productives sont nécessaires pour accompagner l’activité productive. Les raisons principales en sont la bureaucratie et la lutte isométrique contre la concurrence.

Le logiciel libre va grandement réduire ces pertes dans le secteur du logiciel. C’est pour nous la seule chose à faire pour que les gains de productivité sur le plan technique se traduisent en une diminution du temps de travail.

Notes

  1. Ici, le choix des mots était irréfléchi. Je voulais dire que personne n’aurait à payer l’autorisation d’utiliser le système GNU. Mais cela n’était pas clair, et les gens ont souvent compris que les copies de GNU devaient toujours être distribuées gratuitement ou presque. Cela n’a jamais été mon intention ; plus loin, le manifeste mentionne la possibilité que des entreprises fournissent un service de distribution rentable. Par la suite, j’ai appris à bien faire la distinction entre free dans le sens de libre, et free dans le sens de gratuit.e Un logiciel libre est un logiciel que les utilisateurs ont la liberté de distribuer et de modifier. Certains utilisateurs peuvent en obtenir des exemplaires gratuitement tandis que d’autres les paieront ; et si cela peut rapporter de quoi financer l’amélioration de programmes, tant mieux. Le principal est que toute personne disposant d’un exemplaire ait le droit de l’utiliser en collaboration avec d’autres.
  2. L’expression utilisée, give away, est une autre indication que je n’avais pas encore clairement séparé le problème du prix de celui de la liberté. Nous recommandons maintenant d’éviter cette expression lorsque l’on parle de logiciel libre. Consulter « Termes prêtant à confusion » pour d’autres explications.
  3. Voilà un autre endroit où je n’ai pas fait la distinction entre les deux définitions de free. La phrase telle quelle n’est pas fausse, vous pouvez obtenir des exemplaires de logiciels GNU gratuitement, par vos amis ou par Internet. Mais le fait est qu’elle suggère la mauvaise interprétation.
  4. Plusieurs sociétés de ce type existent actuellement.
  5. Bien qu’il s’agisse d’une organisation à but non lucratif, la Free Software Foundation récolte depuis 10 ans l’essentiel de ses fonds à travers un service de distribution. Vous pouvez commander des logiciels, des livres, etc., à la FSF [en] pour soutenir son travail.
  6. Un groupe de sociétés informatiques a réuni des fonds vers 1991 pour financer la maintenance du compilateur C de GNU.
  7. Je pense que je me fourvoyais en disant que le logiciel propriétaire était le moyen le plus courant de gagner de l’argent dans le monde du logiciel. Il semble que le modèle le plus courant ait été, et soit encore, le développement de logiciel sur mesure. Cela ne permet pas de collecter des rentes, donc l’entreprise est obligée de continuer à travailler effectivement pour continuer à percevoir des revenus. Le modèle du logiciel sur mesure devrait continuer d’exister, plus ou moins inchangé, dans un monde de logiciel libre. Par conséquent, je ne m’attends plus à ce que les programmeurs payés gagnent moins dans un monde de logiciel libre.
  8. Dans les années 80, je n’avais pas encore réalisé à quel point il est déroutant de parler de « la question » de la « propriété intellectuelle ». Ce terme est à l’évidence partial ; plus subtil est le fait qu’il mélange diverses lois disparates traitant de questions très différentes. De nos jours, j’insiste auprès des gens pour qu’ils rejettent totalement le terme « propriété intellectuelle », de peur qu’il ne conduise d’autres personnes à supposer que ces lois forment un tout cohérent. Pour être clair, on doit parler de brevets, de copyright (droit d’auteur) et de marques déposées, séparément. Voir des explications plus détaillées sur la manière dont ce terme sème la confusion et le parti pris.
  9. Par la suite, nous avons appris à faire la distinction entre « logiciel libre » et « graticiel ». Le terme « graticiel » s’applique aux programmes qu’on est libre de redistribuer, mais dont on n’est généralement pas libre d’étudier et de modifier le code source ; donc la plupart ne sont pas des logiciels libres. Vous trouverez des explications supplémentaires sur la page « Termes prêtant à confusion ».

Notes de relecture

  1. Parser generator, ce qui peut aussi se traduire par « compilateur de compilateur ».
  2. « Traite les autres comme tu voudrais être traité. »
  3. Nous traduisons maintenant proprietary par « privateur », ces logiciels nous privant de certaines des libertés énoncées.
  4. Fondation nationale pour la science, organisme américain de financement de la recherche fondamentale.
  5. En français, la distinction entre « libre » et « gratuit » est évidente.
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Les élections du 21 décembre 2017 en Catalogne

Les élections catalanes se sont tenues hier 21 décembre 2017, suite à la crise provoquée par la tentative d’affirmation d’indépendance par le gouvernement régional. Avec 82 % de participation, la mobilisation a été importante et elles ont été marquées par la victoire de la même majorité, avec cette fois 70 députés contre 72 auparavant.

C’est donc un retour à la case départ, avec cette fois le responsable du gouvernement catalan, Carles Puigdemont, en exil à Bruxelles pour éviter la répression de l’État espagnol. Pourra-t-il revenir ? Pas s’il continue de mettre en avant l’indépendance.

Mais comment mettre en avant l’indépendance si le pays est coupé en deux parts à peu près égales ? Sans compter qu’il y a la question de l’unité de l’Espagne. Si le camp de tradition franquiste est indéniablement encore très puissant, il y a aussi les gens qui ne veulent pas d’implosion d’un pays, de morcellement en toujours plus de petits pays.

Naturellement, être de gauche, c’est se dire qu’après tout, c’est une bonne chose que la monarchie espagnole vacille. Mais le contraire de la monarchie, n’est-ce pas la république ? Mais alors la république pour tout le monde, pas simplement pour les Catalans.

Lors de la guerre d’Espagne, la Catalogne existait sous la forme d’une Généralité catalane, au sein de la République. C’était une composante essentielle du Front populaire, tout en conservant une large autonomie. Les partis socialistes et communistes avaient d’ailleurs fusionné leurs sections locales, devenues indépendantes, en un Parti socialiste unifié de Catalogne.

La Catalogne s’était insérée dans un projet plus global de république portée par les partis de gauche, dans le sens de valeurs résolument ancrées dans les traditions socialistes et communistes. Défendre la Catalogne alors, c’était participer à ses valeurs. C’était la liberté catalane contre la monarchie, l’armée, l’Église. C’était finalement la cause de tout le monde.

La Catalogne ne prend pas du tout aujourd’hui une telle direction. Elle veut être un pays riche dans une Europe composée de petits pays, chacun tirant son épingle du jeu autant qu’il peut. Sous prétexte d’être catalan, tout le monde devrait être ensemble en Catalogne et toutes les questions sociales devraient passer à la trappe.

Les partisans de l’indépendance de la Catalogne sont ainsi contre la monarchie, mais uniquement contre la monarchie pour ce qui les concerne. Ils ne se sentent pas proches des républicains ailleurs en Espagne. Ils veulent leur république, comme si d’ailleurs un tel républicanisme était une fin en soi.

Un tel manque d’universalisme reflète toujours le particularisme, le repli sur soi, l’égoïsme. Alors qu’une cause juste, même particulière, participe toujours à l’universel. Cela pourrait être le cas si la cause catalane avait les mêmes fondamentaux qu’en 1936.

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Johnny Hallyday et les Zéniths comme salles de concerts

Johnny Hallyday a marqué de son empreinte ce qu’est la musique en France depuis les années 1960. Ses concerts sont reconnus comme des monuments de divertissement spectaculaires, réunissant un grand nombre de spectateurs acquis à son style de musique de variété souvent teintée de rock’n’roll.

Le chanteur était au centre de séries de spectacles destinés à être joués à travers le pays selon le principe des tournées. Chaque tournée est alors conçue comme une entreprise indépendante, réunissant temporairement des investisseurs autour du projet, dans le but de réaliser des profits.

Ainsi par exemple, le « Tour 66 » réalisé par Johnny Hallyday en 2009-2010, dernière grande entreprise du genre autour du chanteur, aurait généré plus de 60 millions d’euros de bénéfices, sans compter les ventes de produits-dérivés.

De telles entreprises nécessitent des infrastructures adaptées à les accueillir, ces spectacles réunissant en effet jusque 20 000 spectateurs par soir. Les concerts se déroulent dans des stades ou de très grandes salles de spectacles.

C’est la politique culturelle menée par Jack Lang au début des années 1980 qui a permis l’essor de ce type d’entreprises de divertissement.

Le ministre a encouragé les grandes villes à construire de grandes salles pour accueillir la musique pop en plein essor à cette époque. Ce sont les Zéniths, dont les cahiers des charges très stricts, tant sur le plan de l’architecture que sur celui de la localisation, ont tous été élaborés sur le même modèle.

Dix-sept salles dont certaines ont une capacité de 9000 places seront construites en périphérie des principales agglomérations françaises.

Johnny Hallyday a été l’un des conseillers techniques du Ministère de la Culture pour la conception du Zénith de Paris, ouvert en 1984.

Jean-Claude Camus, le principal producteur de Jonnhy Hallyday entre 1961 et 2009, a lui-même été l’exploitant du Zénith de Saint-Étienne durant de nombreuses années.

Construits avec de l’argent public provenant de l’État et des collectivités locales, les Zéniths sont exploités comme des entreprises dont la survie dépend de la réalisation de bénéfices importants, par l’organisation de concerts géants.

Ce modèle économique s’oppose à la production de spectacles moins consensuels ou plus pointus, sans parler évidemment des artistes des scènes alternatives, incapables de réunir une quantité de spectateurs suffisantes.

Johnny Hallyday aura été la figure de proue des concerts-monstres à la française, l’idole de milliers de personnes arrivant en voiture à la périphérie des villes, pour des spectacles stéréotypés, conçus pour satisfaire facilement le plus grand nombre, de manière passive et commerciale.

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Déclaration d’indépendance de la Catalogne d’octobre 2017

[Document signé par 72 députés formant la majorité du parlement catalan, dont la valeur a été suspendu par le même parlement, afin d’entamer des négociations avec l’Etat espagnol, qui aboutiront en fait sur la répression.]

Au peuple de Catalogne et à tous les peuples du monde,

La justice et les droits humains individuels et collectifs intrinsèques, fondements essentiels qui donnent la légitimité historique et la tradition juridique et institutionnelle de la Catalogne, sont la base de la constitution de la République catalane.

La nation catalane, sa langue et sa culture ont mille ans d’histoire. Pendant des siècles, la Catalogne a été dotée et a bénéficié de ses propres institutions qui ont exercé l’autonomie avec plénitude, avec la Generalitat comme la plus grande expression des droits historiques de la Catalogne.

Le parlementarisme a été, pendant les périodes de liberté, la colonne vertébrale sur laquelle ces institutions ont été soutenues, il a été canalisé par les « Cortes catalans » et a été cristallisé dans les Constitutions de Catalogne.

La Catalogne restaure aujourd’hui sa pleine souveraineté, perdue et largement attendue depuis des décennies lors d’une coexistence institutionnelle honnête et loyale avec les peuples de la péninsule Ibérique.

Depuis l’adoption de la Constitution espagnole de 1978, la politique catalane a joué un rôle clé avec une attitude exemplaire, loyale et démocratique à l’égard de l’Espagne et un sens profond de l’Etat. L’Espagne a répondu à cette allégeance en refusant la reconnaissance de la Catalogne en tant que nation; et a accordé une autonomie limitée, plus administrative que politique et a provoqué une processus de recentralisation; un traitement économique profondément injuste et une discrimination linguistique et culturelle.

Le statut d’autonomie, approuvé par le Parlement et le Congrès et approuvé par la citoyenneté catalane, devrait constituer le nouveau cadre stable et durable des relations bilatérales entre la Catalogne et l’Espagne. Mais c’était un accord politique brisé par la décision de la Cour constitutionnelle et qui a fait émerger de nouvelles plaintes des citoyens.

Reprenant les demandes d’une grande majorité de citoyens de Catalogne, le Parlement, le gouvernement et la société civile ont demandé à plusieurs reprises à l’état espagnol la tenue d’un référendum sur l’autodétermination. Devant la constatation les institutions de l’Etat ont rejeté toutes les négociations, elles ont violé le principe de démocratie et d’autonomie et ont ignoré les mécanismes juridiques prévus par la Constitution, la Generalitat de Catalogne a organisé un référendum pour l’exercice du droit à l’autodétermination reconnu en droit international.

L’organisation et la célébration du référendum ont conduit à la suspension de l’autonomie gouvernementale en Catalogne et à l’application de fait de l’état d’urgence. Les opérations policières brutales de caractère et de style militaires orchestré par l’Espagne contre les citoyens catalan ont touché, en de multiples occasions répétées, leurs libertés civiles et politiques et les principes des droits de l’homme, et a contrevenu aux accords internationaux signés et ratifiés par l’Etat espagnol.

Des milliers de personnes, parmi lesquelles des centaines d’élus, institutionnels et professionnels du secteur des communications, l’administration et la société civile ont été surveillées, détenues, frappées, interrogées et menacées par de sévères peines de prison.

Les institutions espagnoles, qui doivent rester neutres, protéger les droits fondamentaux et arbitrer le conflit politique, sont devenues une partie et un instrument de ces attaques et ont laissé les citoyens de Catalogne sans protection. Malgré la violence et la répression visant à empêcher un processus démocratique et pacifique, les citoyens de Catalogne ont voté majoritairement en faveur de la constitution de la République catalane.

La Constitution de la République catalane se fonde sur la nécessité de protéger la liberté, la sécurité et la coexistence de tous les citoyens de la Catalogne et d’avancer vers un Etat de droit et une démocratie de meilleure qualité et répond à l’interdiction de la part de l’Etat espagnol de rendre effectif le droit à l’autodétermination des peuples.

Le peuple de Catalogne est l’amant du droit, et du respect de la loi est et sera l’une des pierres angulaires de la République.

L’Etat catalan remplira toutes les dispositions conformes à la présente Déclaration et garantira le maintien de la sécurité juridique et le maintien des accords de l’esprit fondateur de la République catalane.

La constitution de la République est une main tendue au dialogue. Conformément à la tradition catalane, nous maintenons notre engagement en faveur de l’accord comme moyen de résoudre les conflits politiques. De même, nous réaffirmons notre fraternité et notre solidarité avec le reste des peuples du monde et en particulier avec ceux avec lesquels nous partageons la langue et la culture et la région euro-méditerrannée pour la défense des libertés individuelles et collectives.

La République catalane est une opportunité pour corriger les déficits démocratiques et sociaux actuels et de construire une société plus prospère, plus juste, plus sûre, plus durable et plus solidaire. En vertu de tout ce qui vient d’être exposé, nous, représentants démocratiques du peuple de Catalogne, dans le libre exercice du droit à l’autodétermination et conformément au mandat reçu des citoyens de Catalogne,

NOUS CONSTITUONS la République Catalane, en tant qu’État indépendant et souverain, de droit, démocratique et social.

NOUS METTONS EN VIGUEUR la loi de transition juridique et fondamentale de la République.

NOUS INITIONS le processus constitutif, démocratique, citoyen, transversal, participatif et contraignant.

NOUS AFFIRMONS la volonté d’ouvrir des négociations avec l’Espagne, sans conditions préalables, visant à établir un système de collaboration au bénéfice des deux parties. Les négociations doivent nécessairement être sur un pied d’égalité.

NOUS PORTONS A LA CONNAISSANCE de la communauté internationale et des autorités de l’Union européenne la constitution de la République catalane et la proposition de négociations avec l’Espagne.

NOUS DEMANDONS instamment à la communauté internationale et aux autorités de l’Union européenne d’intervenir pour mettre fin à la violation continue des droits civils et politiques et de suivre le processus de négociation avec l’État espagnol et d’être témoins.

NOUS MANIFESTONS le désir de construire un projet européen qui renforce les droits sociaux et démocratiques des citoyens ainsi que l’engagement à continuer à appliquer les normes de l’ordre juridique de l’Union européenne et celles de l’Espagne et de la Catalogne autonome qui transposent cette norme.

NOUS AFFIRMONS que la Catalogne a le désir sans équivoque de s’intégrer le plus rapidement possible à la communauté internationale. Le nouvel Etat s’engage à respecter les obligations internationales actuellement appliquées sur son territoire et à continuer à faire partie des traités internationaux auxquels le Royaume d’Espagne est partie prenante.

NOUS APPELONS les États et les organisations internationales à reconnaître la République catalane comme un État indépendant et souverain.

NOUS DEMANDONS au Gouvernement de la Generalitat de prendre les mesures nécessaires pour rendre possible la pleine réalisation de cette déclaration d’indépendance et des dispositions de la loi de transition juridique et fondamentale de la République.

NOUS APPELONS chacun des citoyens de la République catalane à nous rendre dignes de la liberté que nous avons donnée et à construire un Etat qui se traduit par des actions et en conduite des inspirations collectives.

Les représentants légitimes du peuple de Catalogne

Barcelone, 10 octobre 2017

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Culture

Kelela : « Take me apart » (2017)

Le premier album de Kelela était très attendu de par les morceaux connus depuis quelques années, en faisant déjà une figure de proue de ce qui est défini comme l’alternative R&B, et il est indéniable que la sortie de l’album Take me apart de Kelela a très certainement été l’un des événements musicaux les plus marquants de la fin de l’année 2017.

L’écouter avec un son puissant est nécessaire pour se retrouver dans l’ambiance R&B sucrée et urbaine typique des banlieues françaises des années 1990 où planait l’ombre lumineuse de Prince.

Take me apart réactive ce processus, appuyant sur la délicatesse et le raffinement sonore tout en restant fondamentalement dansant – l’influence du garage UK est ici fortement présente -, ainsi surtout qu’une orientation electronica particulièrement poussée.

Kelela qui est né en 1983 à Washington d’une famille éthiopienne-américaine, a un avec Take me apart un premier album qui correspond à l’adage coup d’essai, coup de maître.

Si l’une de ses références est Björk, on a ici quelque chose de plus accessible, avec l’irruption d’une féminité assumée, assumant toute sa complexité, la question sentimentale se posant au premier plan, qui dévoile particulièrement les faiblesses des dernières tentatives de Madonna.

Non seulement l’atmosphère ne se dégrade pas en facilités electro-dance – ce que Kylie Minogue n’a littéralement jamais réussi à faire, malgré les quelques mélodies accrocheuses – mais il y a une très profonde maturité sonore et textuelle, amenant qu’on se dit : enfin, de la musique populaire pour adultes.

Ce qui est marquant également est que Take me apart est un album véritablement complet, formant une ambiance particulièrement prenante, résolument chaleureuse et urbaine, tout en étant profondément intimiste ou, comme le précise Kelela, « une vision honnête de comment nous naviguons, dissolvant les liens entre nous, tout en restant sanguin pour la prochaine possibilité d’aimer ».

Take me apart appartient à l’esprit de la musique soul et disco, si marqué par le questionnement sur les sentiments, le couple ; par son témoignage d’une affirmation féminine – qui plus est marquée par l’africanité -, il fera très certainement peur à ceux qui préfèrent s’imaginer simple, simpliste, élémentaire, la densité féminine.

Et il n’est qu’un diamant parmi une multitude d’autres, dont l’un des exemples les plus marquants de 2015-2016 a été Abra, la duchesse de la dark wave, mais à qui il faut bien sûr ajouter Tommy Genesis ou encore Princess Nokia.

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Culture

Emmanuel Macron sur Johnny Hallyday à l’église de la Madeleine

Transcription du discours du Président de la République – Hommage populaire à Johnny Hallyday en l’église de la Madeleine

Mes chers compatriotes,

Vous êtes là pour lui, pour Johnny HALLYDAY.

Près de 60 ans de carrière, 1.000 chansons, 50 albums. Et vous êtes là, encore là, toujours là.

Je sais que vous vous attendez à ce qu’il surgisse de quelque part. Il serait sur une moto, il avancerait vers vous. Il entamerait la première chanson et vous commenceriez à chanter avec lui.

Il y en a certaines qu’il vous laisserait chanter presque seuls. Vous guetteriez ses déhanchés, ses sourires.Il ferait semblant d’oublier une chanson et vous la réclameriez, alors il la chanterait.

Vers la fin, il présenterait ses musiciens et vous applaudiriez, vous applaudiriez plus encore pour que cela ne finisse jamais. Et dans un souffle, en n’osant pas vous l’exprimer trop fort, alors il vous dirait qu’il vous aime.

Alors oui, ce samedi de décembre est triste. Mais il fallait que vous soyez là pour Johnny parce que Johnny depuis le début était là pour vous.

Dans chacune de vos vies, il y a eu ce moment où l’une de ses chansons a traduit ce que vous aviez dans le cœur, ce que nous avions dans le cœur : une histoire d’amour, un deuil, une résistance, la naissance d’un enfant, une douleur.

Dans sa voix, dans ses chansons, dans son visage il y avait cette humanité indéfinissable qui vous perce à jour et qui fait qu’on se sent moins seul.

C’est comme cela que Johnny est entré dans nos vies, par ce blues qui dit nos misères et nos bonheurs, par ce rock qui dit nos combats et nos désirs et pour beaucoup il est devenu une présence indispensable, un ami, un frère.

Et je sais que certains aujourd’hui ont le sentiment d’avoir perdu un membre de leur famille, je sais que beaucoup d’entre vous depuis quelques jours découvrent une solitude étrange.

Mais vous aussi, vous étiez dans sa vie. Vous l’avez vu heureux, vous l’avez vu souffrir. Vous avez vécu ses succès et ses échecs.

Vous l’avez vu parcourir le moindre recoin du pays, passer près de chez vous, chanter dans les petites salles et dans les plus grands stades. Vous l’avez vu frôler la mort plusieurs fois et vous avez tremblé pour lui. Vous avez aimé ses amours, vous avez vécu ses ennuis et à chaque instant, vous l’avez aidé parce qu’il savait que vous étiez là pour lui.

Nous sommes là avec sa famille : avec Sylvie VARTAN, Nathalie BAYE, Laeticia HALLYDAY ; avec ses enfants David, Laura, Joy et Jade, avec ses petits enfants, Emma, Ilona, Cameron.

Et je n’oublie pas que pour eux, c’est aussi un jour de souffrance intime. Nous vous avons si souvent volé votre mari, votre père, votre grand-père, aujourd’hui nous devons aussi vous le laisser un peu parce que ce deuil est d’abord le vôtre.

Nous sommes là avec sa marraine, avec ses musiciens, avec ses paroliers, ses équipes, ses amis, avec ses compagnons de route de toujours. Eux aussi sont déjà un peu plus seuls, ils chercheront cette énergie qui emportait tout sur scène.

Ils devront désormais retenir les mots et les mélodies que personne d’autre ne pouvait chanter ; et ils attendront le copain, l’ami, celui dont ils aimaient les longs silences et l’œil qui à un moment sourit.

Mais tous, tous au fond d’eux-mêmes savent depuis longtemps que Johnny était à vous, Johnny était à son public, Johnny était au pays.

Parce que Johnny était beaucoup plus qu’un chanteur, c’était la vie, la vie dans ce qu’elle a de souverain, d’éblouissant, de généreux et c’était une part de nous-mêmes, c’était une part de la France.

Que ce jeune belge décidant de prendre un nom de scène anglo-saxon soit allé chercher très loin le blues de l’âme noire américaine, le rock’n’roll de Nashville pour le faire aimer aux quatre coins du pays était hautement improbable. Et pourtant, c’est un destin français.

Dix fois, dix fois il s’est réinventé, changeant les textes, les musiques, s’entourant des meilleurs mais toujours il a été ce destin et toujours vous étiez au rendez-vous. Il a été ce que Victor HUGO appelait « une force qui va ».

Il a traversé à peu près tout sur son chemin, il a connu les épreuves, les échecs. Il a traversé le temps, les époques, les générations et tout ce qui divise la société.

Et c’est aussi pour cela que nous sommes ensemble aujourd’hui, c’est aussi pour cela que je m’exprime devant vous. Parce que nous sommes une nation qui dit sa reconnaissance. Parce que nous sommes un peuple uni autour d’un de ses fils prodigues.

Et parce qu’il aimait la France, parce qu’il aimait son public, Johnny aurait aimé vous voir ici.

Il ne savait pas vraiment exprimer ce qu’il vivait, il préférait les silences. Alors il chantait les mots des autres, les chansons des autres. Il n’osait pas avouer ce qu’il ressentait, il aimait la pudeur.

Alors il se brûlait au contact du public, dans la ferveur de la scène et il s’offrait entièrement, terriblement, furieusement à vous.

Il aurait dû tomber 100 fois, mais ce qui l’a tenu, ce qui souvent l’a relevé c’est votre ferveur, c’est l’amour que vous lui portez.

Et l’émotion qui nous réunit ici aujourd’hui lui ressemble. Elle ne triche pas. Elle ne pose pas. Elle emporte tout sur son passage. Elle est de ces énergies qui font un peuple parce que pour nous, il était invincible parce qu’il était une part de notre pays, parce qu’il était une part que l’on aime aimer.

Alors au moment de lui adresser un dernier salut, pour que demeure vivant l’esprit du rock’n’roll et du blues, pour que le feu ne s’éteigne pas, je vous propose où que vous soyez, qui que vous soyez pour lui dire merci, pour qu’il ne meure jamais d’applaudir monsieur Johnny HALLYDAY.

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Politique

Autriche : l’extrême-droite obtient l’intérieur, les affaires étrangères et la défense

L’Autriche de l’après-guerre a connu un régime marqué par un grand compromis, entre la droite du Parti autrichien du peuple et le Parti social-démocrate.

Les postes étaient partagés, les deux camps coexistant parallèlement, toute la société se divisant suivant cette ligne. Symbole de ce compromis, l’aigle nationale se voyait coiffé d’une couronne en forme de tour, symbole de la ville, du bourg, du bourgeois.

Et, dans ses pattes, il tient un marteau et une faucille, se libérant de chaînes : c’est le symbole de la social-démocratie, de la classe ouvrière, du socialisme.

Ce compromis était contre-nature, mais la social-démocratie l’acceptait, car elle préférait les Etats-Unis au communisme. Il n’a été remis vraiment en cause que dans les années 1980-1990 avec l’irruption du FPÖ, le parti de la liberté d’Autriche, avec à sa tête Jörg Haider.

Mais l’alliance du Parti autrichien du peuple et du FPÖ, en 2000, avait provoqué un cordon sanitaire international, l’Autriche connaissant un isolement diplomatique, l’extrême-droite n’obtenant de toutes façons que des postes ministériels secondaires.

L’époque a changé et le nouveau gouvernement qui vient de se former en Autriche correspond au cauchemar de tous les gens de gauche. Non seulement l’extrême-droite arrive au gouvernement, non seulement elle obtient six ministères, mais en plus parmi ceux-ci il y a l’intérieur, les affaires étrangères et la défense.

C’est très exactement le genre de moment où l’on se dit : cela recommence, ce sont de nouveau les années de crise de l’après-première guerre mondiale, avec tout ce chantage nationaliste, cette crispation de la société.

Quelle personne de gauche ne peut pas trembler à l’idée que le ministre de l’intérieur, le ministre de la défense, le ministre des affaires d’étrangères, soient d’extrême-droite, membres d’un parti fondé par le chef de brigade SS Anton Reinthaler ?

Une extrême-droite dont les parlementaires, lors des sessions, portent un bleuet. Cette fleur était le symbole de reconnaissance des nationaux-socialistes à partir de 1933, année de leur interdiction.

Une interdiction mise en place par… les nationalistes-catholiques autrichiens, ayant comme dirigeant Engelbert Dollfuss, le dictateur de « l’État des corporations » de 1932 à 1934.

Engelbert Dollfuss qui avait encore, jusqu’à il y a quelques mois et la rénovation du parlement, son portrait dans le club parlementaire de la droite !

Cerise sur ce gâteau indigeste, l’annonce de l’alliance formant le nouveau gouvernement, entre le Parti autrichien du peuple et le Parti de la liberté d’Autriche, s’est faite sur le mont Kahlenberg, lieu du camp de base des armées de l’empire ottoman devant Vienne, symbole de leur dernière grande offensive en Europe centrale, mis en échec en 1683.

C’est une alliance contre-nature, puisque le Parti autrichien du peuple, formant la droite, est de tradition nationaliste – catholique, alors que le Parti de la liberté d’Autriche, l’extrême-droite, représente le courant nationaliste – pangermaniste.

Mais les descendants des austro-fascistes et des nationaux socialistes ont su s’entendre, disposant d’une majorité largement suffisante, puisque aux élections législatives la droite a obtenu 31,5 % des voix, l’extrême-droite 26 %.

L’occasion était trop belle et de toutes manières, droite et extrême-droite sont d’accord pour se tourner ouvertement vers la Russie, tout en restant dans l’Union Européenne.

Qui plus est, avec un chancelier de droite, Sebastian Kurz, qui n’a que 31 ans, le gouvernement peut se prétendre comme représentant une Autriche se modernisant, au moyen d’une équipe nouvelle. Le dirigeant d’extrême-droite Heinz-Christian Strache, âgé de 48 ans, est quant à lui vice-chancelier.

L’Autriche s’enfonce donc dans la droite et l’extrême-droite de manière significative.

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Culture

Aswad : Live and direct (1983)

L’album Live and direct du groupe Aswad est un bijou reggae de 1983, qui a été une porte d’entrée à ce type de musique pour beaucoup de monde, par son incroyable accessibilité. C’est vraiment le maître-mot.

Live and direct est connu comme retranscrivant de manière assez unique en son genre toute une ambiance de concert, toute une atmosphère live, avec un son très particulier et beaucoup de chaleur.

Non seulement on s’y croirait, mais la musique colle tellement au public qu’il y a toute une profonde dimension contestataire qui se dégage, et cela pourtant dans un esprit d’introversion mêlé à une ferveur collective.

Le lieu du concert enregistré tient une place particulière, indéniablement. Il s’agit d’un live au carnaval de Notting Hill qui a lieu chaque année à Londres et consiste en toute une expression culturelle immigrée, dans une perspective syncrétique à l’époque.

Les Anglais originaire des Caraïbes d’Aswad présentent ainsi une musique largement teintée de dub, marquée par le jazz, influencée par la soul. C’est une perspective tout à fait représentative de la scène musicale anglaise de l’époque, du moins celle qui n’est pas tournée ou marquée par la cold wave.

Aswad ne va cependant pas vraiment parvenir à maintenir le cap, renforçant la dimension monumentale du Live and direct comme étant l’apogée de toute une démarche.

L’album se situe ainsi entre une période reggae traditionnelle,« roots », avec notamment l’album Showcase (contenant des chansons importantes dans le reggae : « Three Babylon », « It’s Not Our Wish » et l’instrumental « Warrior Charge ») et un tournant pop virant au commercial avec un certain succès, dévaluant particulièrement le prestige d’Aswad.

C’était peut-être le prix à payer pour dépasser le reggae (Steel Pulse conservant davantage son orientation « roots ») et parvenir à captiver un public de toutes origines, dans une ambiance chaleureuse, avec un son mêlant expression populaire et contestation, esprit de communion et haut niveau de technique musicale, tout en restant agréable et plaisant.

L’album Live and direct, à son écoute, témoigne de toute une réalité débordant largement la musique, il est pratiquement une photographie réaliste et en ce sens un grand classique de la musique.

Au début du live, le chanteur demande ce que signifie « live and direct » et il explique que cela veut dire… « live and direct » : jamais une réponse ayant l’air si stupide n’a exprimé pourtant quelque chose de si vrai et si précis.

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Culture

Les oiseaux enfermés au musée d’art contemporain de Rochechouart

Le Canard enchaîné de cette semaine publie les propos de Jean-Marc Bustamante, directeur de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, chevalier de la Légion d’honneur, commandeur dans l’ordre des Arts et des Lettres, membre de l’Académie des Beaux-Arts section peinture.

Celui-ci connaît en effet une plainte déposée par l’association CLAMA de Limoges, en raison de la condition des animaux employés pour ce qui est censé être une œuvre d’art.

Jean-Marc Bustamante a créé en effet une installation avec sept oiseaux, des pinsons mandarins, enfermés chacun dans une cage.

Ce n’est pas de l’art, c’est de la cruauté et la responsable de l’association CLAMA dit à juste titre que :

« Cette œuvre pose un problème de principe, celui de se servir d’êtres dotés de sensibilité comme des objets de décoration. De plus les mandarins sont des animaux grégaires. Ils ont besoin de contacts physiques avec leurs congénères. Seuls dans leurs cages, ils peuvent être stressés. »

Le musée d’art contemporain de Rochechouart, dans la Haute-Vienne, feint de s’étonner, expliquant que cette installation est là depuis 20 ans… L’artiste s’étonne aussi, expliquant que de nombreux musées l’ont exposée, dont le Guggenheim de Bilbao.

Le Canard enchaîné relate même son inquiétude :

« Sous prétexte de défendre la cause animale, ne sommes-nous pas face à des gens qui rejettent l’art contemporain ? »

Cela en dit long sur la mentalité de ces « artistes ». Mettons entre guillemets, car on a là affaire à de simples nombrilistes, qui trop pressés de vendre une fortune leurs tableaux, leurs « installations » à des gens riches, n’ont plus aucun rapport avec la réalité.

Enfermer des oiseaux est déjà une bien triste démarche, mais qui plus est les séparer, exhiber leur souffrance, quel intérêt, si ce n’est une mentalité faisant de l’art une sorte de magie mêlé à de l’égocentrisme, à un sentiment de toute puissance ?

En quoi les oiseaux auraient-ils à souffrir d’un attachement à une « perception mentale voire psychologique du monde »?

Et quel intérêt à un charabia comme le suivant, commis par Jean-Marc Bustamante :

« La présence ne renvoie qu’à elle-même, rien vous empêche de passer sans la voir, rien ne vous empêche d’y stationner. »

Jean-Marc Bustamante peut bien exposer au Musée national d’art moderne (Centre Pompidou), au Musée National Reina Sofia Madrid, au Musée d’ art contemporain de Barcelone, au Tate Modern de Londres, au musée d’art contemporain de Vienne, au Stedelijk Museum d’Amsterdam…

Il ne fait que montrer que l’art contemporain est une lecture « psychologique » du monde qui est coupée de la réalité, qui n’est là que pour satisfaire les goûts abstraits ou morbides de gens tellement riches qu’ils en arrivent à nier que des oiseaux soient des oiseaux.

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Politique

Un mariage socialiste (1896)

Un mariage socialiste

La revue socialiste

Février 1896

On ‘accuse couramment les socialistes de vouloir tout remettre entre les nuits de l’État. La vérité est que, en rendant à la collectivité, surtout dans le domaine économique, certaines choses qui doivent loi appartenir, ils veulent aussi restituer à l’individu, dans le domaine politique, religieux, civil, beaucoup de prérogatives que l’État leur pare détenir indûment.

Ainsi, beaucoup d’entre eux estiment que l’État non plus que l’Église n’a point â intervenir dans le mariage, du moment qu’il cesse erre l’association de deux fortunes ou de deux positions, afin de redevenir, ce qu’il devrait toujours être pour le bien de l’espèce et des époux, l’union de deux êtres humains qui se, sont choisis en pleine liberté.

Sans empêcher ceux qui le désirent de chercher une consécration officielle, légale ou ecclésiastique, ils réclament le droit de s’en passer, et cela non point dans le désir de diminuer la valeur morale ou de rabaisser l’importance de l’acte accomplir mais, au contraire, en vue d’accroître l’une et de rehausser l’autre.

En fondant la famille sur l’amour, sur la confiance mutuelle, sur un engagement, solennel sans doute, mais affranchi de toute sanction extérieure, ils dégagent la création d’un nouveau foyer domestique des bas calculs d’intérêt et des vilaines idées de chalut qui s’y trouvent trop souvent associés.

On peut, si l’on veut, taxer d’imprudence les parents et les fiancés qui ont une foi aussi profonde dans la parole jurée, bien qu’il faille peu compter pour empêcher la désunion possible sur le lien fragile établi par la loi; mais on ne saurait sans injustice méconnaître ce qu’a de noble et de généreux l’appel exclusif fait en pareille matière à l’honnêteté et à l’affection réciproque.

Tel est le sens de la fête intime qui a eu lieu, le 10 janvier dernier, dans les bureaux de la Revue Socialiste.

Mademoiselle Héna Mink, la plus jeune fille de notre amie Madame Paule Mink, et filleule de notre vénéré maître Benoît Malon, épousait en union libre un jeune et vaillant militant du parti socialiste, Monsieur Henri Jullien.

Devant une assemblée de parents et d’amis, qui remplit la salle décorée de fleurs et de plantes vertes, M. Rodolphe Simon, administrateur de la Revue Socialiste (en l’absence de M. Georges Renard, directeur) reçoit le jeune couple.

La mère de la mariée, Madame Paule Agnis, très impressionnée, dit quelques mots :

« Mes amis, je vous ai priés de vous réunir ici pour vous présenter ma fille et le jeune homme qu’elle aime, le citoyen Henri Jullien, qui désirent se marier en union libre et ont tenu à vous faire part de leur résolution.

Si j’ai consenti à une telle union, qui sera celle de l’avenir, c’est que je connais bien le jeune homme auquel ma fille va s’unir et que je le sais loyal et fier, incapable d’une tacheté et d’une vilenie.

L’union libre est la plus sérieuse de toutes ; car elle n’a pour consécration que la conscience des deux époux, pour sanction que le respect de leur propre dignité. »

Le citoyen Rodolphe Sinton, en quelques paroles émues, félicite les jeunes gens de l’exemple qu’ils donnent et du courage qu’ils montrent en contractant une union libre, « la plus belle et la plus noble de toutes » dit-il.

Il rappelle le souvenir de Benoît Malon et souhaite tout le bonheur possible aux deux jeunes conjoints.

Le docteur Blatin, ancien député, grand-maître de la franc-maçonnerie l’année dernière, se lève alors et fait un discours tout empreint d’une noble et douce philosophie, que nous regrettons bien de ne pouvoir reproduire tel qu’il a été prononcé :

« Jeunes gens, dit-il, en commençant, vous inaugurez une ère nouvelle ; dans le monde social nouveau nous n’aurons besoin ni de maire, ni de curé, ni de notaire pour nous unir, nous ne prendrons conseil que de notre coeur ; la sanction, nous la trouverons dans notre honneur, et le bonheur nous sera donné, parce que nous serons loyaux et bons, sincères et honnêtes en notre amour comme en toutes choses. »

Tous les assistants serrent les mains des jeunes époux et les félicitent. Un lunch est ensuite offert aux mariés, à la famille, aux amis et invités, par M. Rodolphe Simon, et la journée se termine à Auteuil, par un dîner intime chez M. Argyriadès, directeur de la Question sociale.

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Culture

Johnny Hallyday : les éditoriaux élogieux du Figaro et de l’Humanité

Voici l’éditorial du Figaro sur Johnny Hallyday, puis celui de l’Humanité.

humanite.fr

L’éditorial de Patrick Apel-Muller.

Johnny Hallyday. À cœur perdu

Johnny n’aura pas eu la mort violente et inattendue de James Dean, celle dont il disait rêver. Les mots de Jack London auraient pu l’accompagner : « J’aime mieux être un météore superbe plutôt qu’une planète endormie. La fonction de l’homme est de vivre, non d’exister. Je ne gâcherai pas mes jours à tenter de prolonger ma vie. Je veux brûler tout mon temps. »

L’angoisse de mourir et la peur de perdre ont accompagné ses flamboiements et sculpté un destin que les Français ont aimé, parce que dans ce pays on aime aussi les chutes et les douleurs, les rédemptions et le panache, le dur désir de durer et le sens du rebond. L’amour toujours, l’élan animal, la faiblesse avouée, les peines revendiquées…

Sa musique a changé, mais pas nos frissons. Il a posé ses braises au long du chemin de toutes les générations et elles scintillent encore, témoins d’une perte ressentie presque unanimement.

Bien sûr, il eut ses conformismes – notamment politiques –, ses écarts fiscaux, les commandes que commandaient ses dettes. Mais même quand la France répétait « ah que » derrière les Guignols de l’info, la moquerie signait le statut de monument national, de chronologie musicale de nos vies.

Avec lui, nous aurons dansé le rock et le twist, goûté les slows et la romance, réconcilié le blues et la chanson française. Nous nous serons sentis biker, yé-yé, hippie, bidasse, flambeur magnifique ou amoureux lumineux, puis solitaire et trahi.

Ses contradictions dessinent une carte en forme d’Hexagone. Il chanta Chirac, aima Sarkozy, puis en perdit le goût, mais il versa des cachets pour soutenir le mouvement des sidérurgistes lorrains en 1979 et fit de ses passages à la Fête de l’Humanité des monuments. Parce que là était le peuple, les gens qu’il aimait et dont il se sentait.

Tout cela restera. Sa jeunesse insolente et les rides des épreuves, la voix qui arrache ou qui caresse, la mort trompée et gagnante au bout du compte.

Sa fin, il l’a aussi donnée au public, chantant au-delà des maux, marquant jusqu’à son dernier souffle qu’il était avec nous. Les agacements n’y changeront rien. Il a joliment « brûlé tout son temps ».

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Culture

Benoît Hamon : Johnny Hallyday ou les Sisters of mercy?

La comparaison de Johnny Hallyday avec la tour Eiffel qu’a faite Benoît Hamon est vraiment incompréhensible. Ou, plutôt, elle témoigne du fait que Benoît Hamon a sciemment fait de la démagogie.

Au détour d’une petite biographie que Libération lui consacre en 2007, on apprend que celui-ci a eu trois périodes niveau goûts musicaux :

Jeune, il n’est pas très lecture. Cela lui viendra plus tard: Primo Lévi, Gide, Gary, Cocteau, Gramsci. Il préfère la musique. Exhume trois strates datables au carbone 14. 1) Du hard rock (AC/DC, Trust). 2) De la new wave (Cure, Sisters of Mercy, encore les soeurs.) 3) Du rap. «J’écoute NTM, quand ma nana n’est pas là.»

Benoît Hamon, lorsqu’il avait gagné les primaires du Parti socialiste, avait accordé une interview au magazine Rolling Stone, présentant de manière plus poussée ses propres goûts musicaux. Le premier 45 tours qu’il a acheté était de Status Quo, puis il a écouté AC/DC, Motörhead, Saxon.

Après cette vague de son rock lourd et métallique, il est passé à la cold wave, avec Joy Division, The Cure (de la période très sombre de la fameuse trilogie) et les Sisters of mercy.

Ses goûts, ici, sont typiquement ceux des gens alternatifs au début des années 1980 : la minorité qui n’écoutait pas la musique commerciale dominante.

On se tourne alors vers le heavy metal, le punk, la cold wave, ou encore dez manière plus marginale vers le hip hop ou la musique electro-industriel.

On s’identifie à une certaine sensibilité exprimée de manière profonde, s’éloignant du caractère neutre, fade, répétitif d’une vie quotidienne dans une société morne et ennuyeuse.

C’est l’époque où, dans chaque lycée, il y avait quelques métalleux, quelques punks, quelques gothiques, tous ayant en commun de ne fréquenter que des gens pareillement tournés vers des musiques non commerciales.

Il y avait un besoin de distinction avec les normes dominantes. Benoît Hamon le revendiquait par ailleurs lui-même dans l’interview :

A ce propos, quand vous sortiez à Brest pour écouter de la bonne musique, c’était où votre QG ?

On allait tous au Mélo. Cette boite était le point de rendez-vous pour tous les amateurs de cold-wave. C’était le club rock incontournable de la ville. Au moins, là-bas on savait qu’on n’allait pas se retrouver encerclé par Michel Sardou ou François Valéry, la programmation musicale affichait clairement les couleurs.

« Encerclé » est un mot tout à fait bien choisi. Trouver un endroit où passait de la musique alternative, c’était briser l’encerclement de la ringardise, du consensus comme quoi dans la société tout est bien, tout va bien, etc.

Comment peut-il alors en arriver à Johnny Hallyday ? Dans la même interview, quand on lui la poste la question du rock français, il nomme les groupes Téléphone, Bijou, Starshooter, Noir désir. Il mentionne également Miossec.

Il ne parle pas de Johnny Hallyday. Si c’était une référence digne, en termes de référence, de comparaison avec la tour Eiffel, pourquoi ne pas le nommer ?

Dans une autre interview, il cite comme référence Trust, raconte qu’il appréciait (un peu) les Béruriers noirs et explique qu’il écoutait également les Stray cats, un groupe de rockabilly – psycho.

Il nomme également plusieurs groupes de New wave montrant qu’il s’y connaît au moins plutôt pas mal : Public Image Limited, Killing Joke, UltraVox, Depeche Mode, Talk Talk, Lords of the New Church.

Les gens qui écoutent ce genre de groupes ont deux caractéristiques : d’abord, le niveau musical est très poussé, ensuite c’est souvent une musique qui « rippe », qui a des sons perturbés, qui cherche à se démarquer musicalement des sons « traditionnels », pour souligner la rupture avec le consensus musical dominant et la société qui va avec.

Jamais ils n’écouteraient Johnny Hallyday ! Ce dernier recevait soit une indifférence complète, soit un mépris assumé. Johnny Hallyday, tout le monde savait qu’il se présentait comme un passeur de rêve et de sentiments, mais c’était juste symbolique, sans réelle profondeur, que c’était de la variété.

Joy Division ou les Smiths, par contre, voilà qui musicalement et sur le plan du vécu, représentait bien autre chose…

Benoît Hamon le sait très bien et a adopté la posture du démagogue en comparant Johnny Hallyday à la tour Eiffel. Il s’est plié au consensus.

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Johnny Hallyday : l’homélie de Monseigneur de Sinety

Voici le texte de l’homélie faite lors de « l’hommage populaire » à Johnny Hallyday, par le vicaire général de l’archidiocèse de Paris, le père Benoist de Sinety.

«Avec une seule poignée de terre, Il a créé le monde

Et quand Il eut créé la Terre, tout en faisant sa ronde

Le Seigneur jugeant en somme qu’il manquait le minimum

Il créa la femme et l’amour qu’elle a donné aux hommes.»

En ce jour où une foule immense communie à la même tristesse, autour de vous Laeticia, Jade et Joy, autour de vous David et Laura, autour de vous leurs mamans, voici que ce refrain chanté par un jeune homme au début des années 60, peut retentir de nouveau.

Ces paroles résonnent comme en écho à celles que nous venons d’entendre, paroles initiales du Livre de la Vie: «La vie s’est manifestée!». L’Apôtre Jean pousse ce cri de joie en écrivant aux premières communautés chrétiennes: oui la vie s’est manifestée et elle se manifeste encore, jour après jour, comme un don inestimable qui nous est confié en partage, à nous, hommes de toutes conditions, de tous peuples et de toutes cultures.

En entendant la nouvelle de sa mort, beaucoup ont été saisis de chagrin, d’angoisse, de détresse: ainsi celui qui avait accompagné tant de moments heureux ou douloureux de nos existences ne chanterait plus, sa voix s’est éteinte…

Même si chacun au plus intime de lui-même se reconnaît finalement mortel, on en vient à rêver que ceux que nous aimons et que nous admirons, ne connaissent jamais de fin. Et lorsque les ténèbres du deuil paraissent, un froid glacial saisit nos cœurs et nos esprits.

Il y a deux mille ans, un homme naquit. Il se manifesta à ceux qui attendaient du Ciel un Envoyé, comme le Messie, le Christ. Ceux qui le reconnurent comme tel, le suivirent, pensant qu’Il leur donnerait de voir un royaume humain inédit, que rien ni personne ne pourrait détruire. Ils le suivirent sur les chemins de Judée et de Galilée, de Samarie et jusqu’au Temple de Jérusalem.

En l’écoutant parler, en le regardant guérir l’aveugle de ses obscurités, purifier le lépreux des rejets qu’il inspire, relever la femme que tous veulent lapider, accueillir l’étranger que nul ne veut recevoir, relever ceux qui étaient morts, ceux qui le suivent apprennent à comprendre qu’en ce Jésus se révèle le visage de Dieu.

Et pourtant, un jour, celui qu’ils pensaient être roi sur terre, fut suspendu à la croix d’infamie. Les ténèbres semblaient devoir tout recouvrir: qu’espérer alors et qui croire? A cette question, le matin de Pâques apporte une réponse éclatante.

Celui qui était mort est vivant, le Christ est ressuscité. Désormais, tout homme peut entendre de ses oreilles une Espérance nouvelle: l’Amour est incorruptible. Ce que nos rêves osaient à peine envisager est bien la réalité: la mort n’est pas le dernier mot de nos histoires. S’il n’est pas roi sur la terre, le Christ est bien le Roi de cette terre nouvelle vers laquelle nous marchons, cahin-caha, où la mort disparaît!

«Recherchez avec ardeur les dons les plus grands», je vais vous en indiquer le chemin par excellence écrit Paul aux chrétiens de Corinthe. A ceux qui vivent dans cette cité antique où les plaisirs et les richesses coulent à flots, quel autre chemin vers le bonheur donner que de profiter de tout cela sans vergogne?

Que sont, pourtant, nos vies sans l’Amour? Non pas l’amour éphémère d’une passion aussi intense que fugace, non pas l’amour égoïste et narcissique, mais l’Amour véritable qui nous fait reconnaître dans l’autre un frère à aimer, l’amour exigeant qui nous invite à aimer comme Jésus lui-même a aimé.

Lequel d’entre nous ne mesure l’infini vide que procurent, au bout du compte, les objets de ce monde pour lesquels nous déployons pourtant tant d’efforts et d’énergie?

Qui n’a jamais ressenti, enfant, la déception devant le jouet tant espéré qui, sitôt obtenu, devient moins séduisant, moins excitant? Rien ne peut combler le cœur de l’homme sinon l’Amour. C’est cet Amour qui nous rend capables de sortir de nous-mêmes, de croire que nous valons plus que nous n’osons l’envisager, de comprendre que nous sommes appelés à l’immortalité.

À la différence de beaucoup d’entre nous, Jean-Philippe Smet n’a peut-être pas reçu dans les premiers instants de son existence cet Amour qui est dû pourtant à toute vie naissante. Ces regards absents, sans doute, les a-t-il guettés tout au long de sa vie et s’est-il profondément réjoui de les trouver auprès de ceux qui l’ont aimé du plus proche au plus lointain.

Mais il avait, un jour de son enfance, entendu retentir au plus secret de son être ces mots prononcés de la bouche même de Dieu: au jour de son baptême ces paroles ont été déposées en lui «Tu es mon enfant bien-aimé, en toi je mets toute ma joie».

«On peut me faire ce qu’on voudra, je resterai chrétien. Je suis sûr que Jésus, lui, ne m’en veut pas» dira-t-il plus tard alors que des journalistes l’interrogent sur sa foi.

À sa manière, tout au long de sa vie, il a cherché l’Amour et il a compris que le moyen le plus certain d’y parvenir était d’aimer, d’aimer sans compter, d’aimer toujours.

C’est pour cela que nous sommes là, parce que nous avons un jour compris, à travers ses chansons, sa générosité et sa disponibilité, que nous étions aimés de lui. Si la voix du chanteur et ses mélodies touchent en nous l’intime c’est qu’elles nous révèlent son désir et que ce désir nous bouleverse parfois.

Toute vie est mortelle mais ce qui ne meurt jamais c’est l’Amour: l’amour dont nous avons été aimés et l’amour dont nous aimons: ces liens tissent en chacun de nous un être spirituel immortel, éternel. Ces liens nous mettent dans une communion de plus en plus intime avec Dieu même ; ils nous divinisent.

La vie de Johnny Hallyday, parce qu’elle a manifesté l’Amour, y compris dans ses pauvretés et dans ses manques, nous invite à lever les yeux vers Celui qui en est la source et l’accomplissement.

Celui dont il nous dit, en reprenant l’image biblique, qu’avec «une poignée de terre il a créé le monde» afin d’y faire vivre l’Amour.

Oui, à chacun de vous cette promesse est renouvelée aujourd’hui: votre vie est précieuse, tellement précieuse. Ensemble, nous sommes invités à cheminer en ce monde, frères et sœurs, en laissant l’amour accomplir en nous le don de nous-mêmes.

Chacun d’entre vous est infiniment aimé de Celui qui ne cesse de nous créer et qui nous appelle le jour venu à le contempler face à face. Quels que soient votre existence, ses doutes, ses hontes, ses renoncements, ses blessures, cet Amour dont Dieu vous aime ne passera jamais. Il est le seul bien, la seule promesse que rien ni personne ne pourra jamais nous enlever, nous arracher.

«Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés» dit Jésus à ceux qui cherchent le chemin de la Vie.

Comme Jean-Philippe, devenu Johnny Hallyday, nous sommes tous appelés à laisser percer en nous cette lumière divine qui fait de nous des icônes de l’Amour de Dieu plutôt que des idoles dont la vie s’épuise.

Entre dans la Lumière Johnny Hallyday, une Lumière, un Feu qui ne s’éteint jamais. Te voilà accueilli par un Père qui ouvre les bras à l’enfant tant aimé, toi qui as tant cherché et tant donné aussi.

Avec toi, nous l’entendons te dire pour toujours ces paroles qui viennent en écho jusqu’à nous car elles nous sont aussi adressées, sans aucun doute possible: «Que je t’aime, que je t’aime…» Amen.