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Princess Nokia : « 1992 Deluxe » (2017)

Destiny Frasqueri alias Princess Nokia, avec son album l’album 1992 Deluxe sorti en septembre 2017, a réussi à produire à quelque chose de très intéressant, exprimant quelque chose de très fort, correspondant à une réaffirmation féministe urbaine des femmes, à travers un style hip hop marquée profondément par la soul et le R&B.

Pour bien évaluer la valeur et les limites de sa démarche, il faut se tourner vers ce qu’elle a fait juste avant, sous le nom de Destiny : une approche soul marqué par le funk et le hip hop, entre sensualité féminine afro-américaine et affirmation du patrimoine culturel, où l’on sent déjà une quête de la reconnaissance identitaire et personnelle, avec un son « maîtrisé ».

Ce que donne la musique en tant que Princess Nokia est bien différent. Dans une synthèse d’agressivité et d’esprit universel, mêlé à des sons particulièrement léchés, 1992 Deluxe est un album de reprise du terrain par les femmes, avec une orientation clairement tournée vers l’esprit de patrimoine, de culture, de communauté.

En ce sens, les chansons Bart Simpson et Kitana sont sans doute les plus révélatrices de l’atmosphère réelle à laquelle appartient la chanteuse dans sa dimension authentique : celle du hip hop d’une grande ville, avec une froideur quotidienne dans une immensité bétonnée, compensée par une quête de chaleur sociale, dans l’esprit de la musique soul.

C’est d’autant plus intéressant que à moins de se renouveler entièrement, ne pourra pas dépasser cette œuvre fondamentalement intéressante. La base de sa démarche est déjà corrompue, en raison de son « jeu » avec les identités.

Destiny Frasqueri a en effet un parcours chaotique : elle est d’origine afro-porto-ricaine et caribéenne, élevée dans différents foyers, sa mère étant décédée du SIDA, lorsqu’elle avait neuf ans, avant d’être élevé en partie par une famille juive. Adolescente en rupture mais s’intégrant dans un milieu plus aisé, elle se tourne vers le punk, vers la mythologie caribéenne des sorcières, ainsi que le mouvement de la Harlem Renaissance des années 1920-1930.

Se tournant alors vers la culture hip hop et R&B, elle prend le nom de Wavy Spice, puis Destiny et enfin Princess Nokia. Or, la valeur de sa démarche ne pouvait qu’attirer le commerce avide de modernité et de différence, de culte de l’identité, dont le phénomène du « queer » est le fer de lance aux États-Unis.

Si elle se veut donc résolument « ghetto » et totalement hostile au commerce de la musique, affirmant mépriser l’argent, elle est déjà justement par là devenue une figure de toute la scène intellectuelle et commerciale qui se prétend en marge.

Vogue a parlé d’elle, elle a défilé pour Calvin Klein, sa musique a pu être repris pour tel défilé de mode, alors que bien entendu des médias comme l’anglophone Vice ou le germanophone Spex la célèbrent pour son identité décalée, sa vulgarité outrancière, son affirmation féministe, etc.

La chanson Tomboy est un excellent exemple de cette fétichisation de l’identité. L’esthétique de la chanson se rattache à l’esprit révolté des années 1970, avec un féminisme de conquête de l’espace public clairement affirmé, tout comme la remise en cause des stéréotypes exigés par les femmes, y compris la beauté.

Mais cela passe par la vulgarité et la quête de reconnaissance identitaire, la chanteuse expliquant que « avec mes petits sein et mon gros ventre / Je peux prendre ton mec si tu me laisses faire », tout en disant en même temps être un mannequin pour Calvin Klein.

Cette démarche identitaire se retrouve dans la vidéo à prétention éco-féministe Young girls, au style totalement déconnecté de Tomboy, mais de la même démarche identitaire. La chanson Brujas, sur les sorcières caribéennes, serait alors une sorte d’intermédiaire.

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Princess Nokia pourra-t-elle se sortir d’un tel tournant identitaire, résolument commercial malgré sa prétention à ne pas l’être ? Cela révèle toutes les limites du phénomène « queer », qui prétend dépasser les clichés, mais qui au lieu des les abolir les fabrique au kilomètre, perdant de vue la société pour ne se tourner que vers l’individu s’imaginant roi… ou reine, ou princesse.

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