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La chasse à courre : une véritable néo-féodalité

L’idéologie portée par la chasse à courre est héritée du féodalisme, de l’époque précédant le capitalisme. Chaque forêt est considérée comme un fief, réservé à un seul équipage par animal, et logiquement les promeneurs ou les automobilistes sont traités comme des intrus, des « manants ».

La chasse à courre nous a rappelé son existence ces mois derniers, avec des incidents opposant des équipages à la population. A La Croix Saint-Ouen en octobre dernier, un cerf trouve refuge dans le jardin d’un lotissement. Le Maître d’équipage sautera le grillage pour le tuer et emporter le corps.

Cet incident est le début d’une mobilisation inédite en France : 450 habitants se rassemblent la semaine suivante pour exprimer leur opposition à cette pratique. Ils jurent de transformer leur quartier en « sanctuaire pour les animaux ». Et les événement qui suivent témoignent d’un engagement soutenu.

Fin décembre à Bonneuil-en-Valois, un cerf traqué se réfugie lui aussi dans un quartier résidentiel. Les habitants, qui font face aux chasseurs tout l’après-midi pour sauver l’animal, sortiront victorieux.

Un mois plus tard, à Pont-Sainte-Maxence, même ambiance : un cerf fuyant la meute de chiens entre dans le centre-ville et est protégé par les habitants, qui resteront pour veiller sur lui jusqu’à la tombée de la nuit. Les pompiers le soigneront et le raccompagneront en forêt, groggy.

Et le mouvement gagne maintenant les forêts, avec des habitants qui sortent chaque mercredi et samedi pour surveiller les chasses (jusqu’à une soixantaine certains jours).

Depuis, deux propositions de loi ont été déposées au Parlement pour obtenir l’abolition : une à l’initiative de Laurence Rossignol, du Parti socialiste, et une autre à l’initiative de députés de la France Insoumise.

Si de prime abord, il semble évident pour toute personne de gauche de rejeter cette pratique, au niveau des partis politiques les choses sont plus compliquées.

Dans les années 1970, le PCF, alors même qu’il finissait de rejeter son cœur idéologique, tenait une position étrangement neutre vis à vis de la chasse à courre.

Pour George Marchais, c’est « le vecteur d’une certaine culture qui se perpétue depuis des centaines d’années. Elle fait l’objet de fêtes et de rassemblements populaires, et à ce titre dépasse la seule pratique de la chasse. En toute conscience, peut-on interdire cela ?».

Pareillement, pour les sociologues Michel Pinçon et Monique Charlot, membres du même parti, « la chasse à courre réalise ce miracle de faire partager la même passion par des ducs, des grands bourgeois, des banquiers, des facteurs, des cantonniers ».

Aujourd’hui, les seuls refusant de s’engager contre la chasse à courre sont ceux dont l’électorat comprend potentiellement un grand nombre de chasseurs, comme par exemple François Ruffin à Amiens, qui n’a pas signé la proposition de loi déposée par son groupe parlementaire.

Maxime Gremetz, lui, s’était opposé à la chasse à courre, mais en la distinguant clairement de celle à tir, toujours sur l’argument que cette dernière serait « populaire ».

Pourtant, parmi les « saboteurs » de chasse à courre, beaucoup sont aussi issus des milieux populaires. Si on voit du « peuple » de chaque côté, comment choisir son camp ? En se plaçant sur le terrain des valeurs, en distinguant les pratiques culturelles qui appartiennent à l’ancien monde, et celles qui portent le progrès. Et du point de vue des valeurs, l’évidence est là.

L’idéologie portée par la chasse à courre est héritée du féodalisme, de l’époque précédant le capitalisme. Chaque forêt est considérée comme un fief, réservé à un seul équipage par animal, et logiquement les promeneurs ou les automobilistes sont traités comme des intrus, des « manants ».

Le débordement des veneurs sur la vie des habitants est constant : embouteillages, accidents de voiture, invectives, mise en danger d’animaux domestiques, invasion de jardins ou de centre-villes… De manière générale, les gens qui habitent en lisière de forêt sont accusés d’empiéter sur leur territoire ancestral.

Du côté des animaux, ils sont considérés soit comme des outils (chiens, chevaux) soit des proies, mais toujours des objets dont la sensibilité importe peu.

Ils n’existent que pour le bon plaisir des veneurs, et leur population est gérée selon ce simple critère.

La vie des animaux sauvages est hiérarchisée selon une valeur arbitraire : les cerfs sont les plus chers, puis viennent les chevreuils et les sangliers, puis les renards, et enfin les lièvres.

Dans cette logique, les équipages de chasse les plus huppés veulent s’attaquer à un animal digne de leur rang, donc le cerf, souvent considéré comme le « Roi des forêts ».

Socialement, le modèle d’organisation de la vénerie est aussi très parlant. Le prix d’entrée au sein d’un équipage (au moins 1.000€ par an et plusieurs autres milliers pour l’entretien du cheval, l’achat des accessoires, de l’uniforme…) sélectionne les pratiquants selon leur niveau de vie.

Cela fait de la vénerie un outil de réseau très important entre les notables des campagnes françaises. C’est là qu’on rencontre un avocat, un notaire, un industriel, un bon cardiologue… Les employés de l’équipage sont, encore aujourd’hui, appelés des « valets ». Les suiveurs, souvent des milieux les plus populaires, ne sont que les spectateurs de cette Cour, et n’ont aucune autonomie dans cette pratique.

Pour y voir clair autour de nous, il s’agit de distinguer ce qui constitue la force motrice de l’histoire et ce qui constitue la force d’inertie dont nous devons nous extraire.

Une fois abandonné le prisme grossier du populisme, un consensus devient évident à gauche : la chasse à courre doit disparaître. Il faut revendiquer son abolition et appuyer le mouvement qui naît en ce sens !