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Le film « Shoes » (1916)

Shoes est un film de 45 minutes tourné par Lois Weber, réalisatrice phare du cinéma muet, sorti en 1916. Il s’agit encore des début du cinéma, dont l’invention coïncide avec celle du kinétographe (considéré comme la première caméra) par Thomas Edison en 1891.

On y suit Eva, une jeune femme vivant chez ses parents avec ses trois soeurs, et travaillant dans une petite boutique pour subvenir aux besoins de sa famille.

L’histoire repose sur un enjeu très simple : son unique paire de chaussures est totalement usée, trouée, rafistolé avec du carton. Elle attend donc son salaire hebdomadaire de 5$ avec impatience pour s’en acheter une nouvelle paire. Seulement sa mère qui récupère l’argent refuse de lui donner ses 3$ comme prévu, puisque la famille n’a presque plus de quoi s’acheter à manger.

En parallèle à cela un homme aisé lui fait des avances, représentant la tentation de la corruption (ici la prostitution). Tout au long du film Eva tentera de résister à cela malgré la dégradation de sa condition.

Les enjeux sont donc simple et clair, et cela n’est pas sans rappeler les nombreuses luttes sociales du début du XXème siècle, qui avait  souvent pour base des détails de la vie quotidienne.

On est ici plongée dans une réalité terrible, où maintenir sa dignité semble impossible puisque d’un côté il faut nourrir sa famille et de l’autre pour continuer à le faire la seule solution semble être de se compromettre.

Émile Zola, dans Au bonheur des dames, avait également souligné cet aspect sordide de la vie quotidienne où les travailleuses sont dépendantes de rapports de force particulièrement violent.

La seconde figure masculine du film est celle du père, qui se complait dans une forme d’oisiveté malgré la détresse sociale de sa famille et de sa fille.

Le ton du film est résolument réaliste, à l’exception d’une scène qui tend davantage vers l’expressionnisme lorsqu’une main géante avec “POVERTY” inscrit dessus surgit du haut du cadre pour aller essayer de s’emparer d’Eva qui se morfond dans son lit.

On comprend évidemment pourtant le sens allégorique de cela. Le film se termine également avec ces deux panneaux :

This flower had not had a fair chance to bloom in the garden of life. The worm of poverty had entered the folded bud and spoiled it.

Ce qui en français se traduit comme suit :

Cette fleur n’a pas pu s’épanouir dans le jardin de la vie. Le ver de la pauvreté s’était introduit en elle et l’avait pourrie de l’intérieur.

Le second panneau dit :

Whatever happened, life must go on. Whatever boats are wrecked, the river does not stop flowing the sea.

Ce qui se traduit par :

Quoiqu’il arrive, la vie doit continuer. Des bateaux ont beau faire naufrage, cela n’empêche pas le fleuve de couler jusqu’à la mer.

La portée sociale de ces véritables petites sentences est évident.

Le film représente également évidemment un intérêt pour qui s’intéresse au cinéma, les restaurations de film des années 1910 n’étant pas si nombreuses.

Lois Weber est la première réalisatrice d’un long métrage et ose déjà une mise en scène très audacieuse avec l’utilisation de gros plans, de travelling, de plans en plongée et une direction d’acteurs moderne.

A noter que Shoes est disponible en ligne sur Arte+7 (ainsi que Suspense de la même Lois Weber) jusqu’au 7 avril.