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Joël Robuchon, la grande cuisine française pour les riches

Le chef Joël Robuchon est décédé ce lundi 6 août, à 73 ans. Il est unanimement salué et reconnu comme une figure de la grande cuisine française, qu’il a largement participé à promouvoir dans le monde, mais uniquement pour les riches.

À vrai dire, peu de personnes ont réellement goûté à la cuisine de Joël Robuchon. Celle-ci était en effet réservée à une minorité de gens ayant les moyens économiques et culturels de manger dans ses établissements.

Il en est ainsi du luxe et d’une manière générale, de l’art de vivre à la française, accaparé de manière quasi-exclusive par la bourgeoisie. Pour autant, on aurait tort de croire que cette exigence ne concerne que les plus riches simplement parce qu’ils s’en réservent le résultat, réel ou supposé.

L’image d’une immense brigade de cuisiniers en blancs s’affairant sans répits avec des casseroles traditionnelles et des produits frais méticuleusement choisis, est quelque-chose qui plaît largement, à travers toutes les couches sociales.

Joël Robuchon est en ce domaine très apprécié car il incarnait précisément ce style français. Son succès, outre son talent qu’on imagine certain, vient du fait qu’il a su se présenter comme prônant la sophistication, dans une quête de l’excellence.

Il est systématiquement présenté par ses pairs comme un forçat de travail, précis et perfectionniste. Le chef du restaurant parisien trois étoiles L’Arpège, Alain Passart, dit par exemple de lui :

« Il avait une main redoutable et goûtait merveilleusement bien. Il savait corriger un assaisonnement olfactivement. Il avait également une oreille de dingue : il écoutait les cuissons et rectifiait à distance si besoin. »

Sa rigueur vient bien sûr de sa formation originale en pâtisserie, qui est une branche de la cuisine française particulièrement stricte. Il expliquait ainsi lui-même :

« Lorsque vous avez été pâtissier, vous regardez les choses avec un autre oeil. Vos gestes dans la cuisine ne sont pas les mêmes. Il faut faire preuve d’encore plus de précision. Le travail [de pâtisserie] n’est que formule et technique pure. Et ces qualités vous aident plus tard, lorsque vous arrosez un poulet en train de rôtir, quand vous déglacez un plat ou troussez une volaille. »

Joël Robuchon a été formé à l’école des Compagnons du tour de France des Devoirs unis, c’est-à-dire dans un style tout à fait traditionnel, puis a été Meilleur ouvrier de France en 1976. Rapidement, il a décroché deux étoiles au guide Michelin, puis une troisième, la plus haute distinction, en 1984.

Bien que classique, son approche se voulait néanmoins moderne, et donc tournée vers le business. En 1990, il était sacré « meilleur cuisinier du siècle » par le guide Gault & Millau, représentant du courant moderniste de la « Nouvelle cuisine », issue des années 1970

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Après avoir pris sa retraite de chef cuisinier en 1996, à 51 ans, il a développé à travers le monde tout une série de restaurants se voulant à la fois classiques à la française et modernes de manière cosmopolite.

Dans son édition d’aujourd’hui, le journal de droite Le Figaro, qui apprécie largement la démarche du chef, explique :

« Lassé de la haute gastronomie, des plats hyper techniques et des multiples contraintes d’un quotidien harassant, il se ressource et découvre une autre culture, un autre mode de vie. Cela lui inspirera le concept de l’Atelier, qu’il dupliquera partout dans le monde quelques années plus tard, oubliant son désir de retraite oisive. »

Ensuite, il a multiplié les concepts avec des dizaines d’établissements, à Paris, Bordeaux, Tokyo, Hongkong, New York, Bangkok, Las Vegas, Londres, Macao, ou encore Shanghai.

En homme d’affaire aguerri, il n’avait pas la gestion de ces lieux. Il les supervisait simplement, parfois à bord d’une Rolls-Royce mise à disposition, après avoir élaboré la carte et choisi les équipes. Il percevait en échange une redevance, à la manière d’une franchise ou de droits d’auteurs.

Ses contrats de licence et ses marques étaient partagées avec un fonds d’investissement luxembourgeois. Ce parfait capitaliste a très tôt goûté au monde des affaires en s’associant au groupe Fleury Michon dès 1987, puis à la marque Reflets de France de Carrefour en 1996.

Le grand public le connaît surtout pour l’image du chef traditionnel et quelque peu ringard qu’il a su façonner à la télévision. Durant neufs saisons, de 2000 à 2009, tous les midis en semaine, il a conclu chaque épisode de son émission de la même manière : Au revoir, et bon appétit bien sûr !

Pendant 4 min, il expliquait succinctement une recette dite traditionnelle, sans que cela ne soit réellement transposable dans sa cuisine pour le quidam, malgré les prétentions populaires de l’émission.

Ce qui semble avoir le plus marqué les esprits est l’épisode dans lequel il «révèle» comme cadeau de fin d’année le « secret » de sa purée de pomme de terre, particulièrement appréciée dans ses restaurants.

Cela est très cocasse pour celui qui est censé être le chantre de la gastronomie française, car il ne s’agit nullement d’une recette raffinée mais plutôt d’un goût très grossier, permis par une quantité immense de beurre. Il ne conseillait pas moins que 250 g de beurre pour 1 000 g de pomme de terre ! Et cela sans compter les « 20 à 30 centilitres de lait entier » à ajouter.


Cette émission d’un populisme outrancier résume bien la carrière de Joël Robuchon. Sa démarche n’était pas démocratique, mais tournée vers l’enrichissement personnel.

La grande cuisine française a forcément une valeur autre que symbolique, et Joël Robuchon en est certainement un grand représentant, comme l’affirment nombre de spécialistes. Il n’est pas question ici de nier la tradition classique française, avec son raffinement et son art de table issue largement du Versailles de Louis XIV.

Cependant, du point de vue populaire, l’excellence à la française n’est qu’une fiction inaccessible. Elle n’a d’utilité, en matière de gastronomie, que comme faire-valoir pour l’agro-industrie et les entrepreneurs capitalistes du « terroir », eux-mêmes liés à cette agro-industrie et à la grande distribution.

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