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Marion Maréchal à l’université d’été du Medef

Le Medef, le syndicat patronal, a décidé d’organiser une première université d’été en tant que telle. C’est une volonté de son dirigeant Geoffroy Roux de Bézieux, un représentant de la Droite dure. Nulle surprise donc à ce qu’il y invite Marion Maréchal, ni à ce que cela se déroule à l’hippodrome de Paris-Longchamp.

La Droite décide de plus en plus de faire la sainte-alliance des forces conservatrices et des forces populistes, exactement comme ce fut le cas en Allemagne, en Italie, en Espagne, durant les années 1930.

Ce qui est véritablement marquant dans la présence annoncée par L’Express de Marion Maréchal à l’université d’été du Medef, c’est le titre de la table ronde à laquelle elle participera. Celle-ci s’intitule en effet :

« La grande peur des mal pensants, pourquoi les populistes sont populaires. »

Il s’agit là en effet d’une allusion très précise, que bien entendu les journalistes n’ont pas remarqué, de par leur inculture. Le titre de la table ronde fait en effet allusion à un essai de Georges Bernanos, publié en 1931, La Grande Peur des bien-pensants. La thèse qui y est défendue est la même que celle du polémiste Eric Zemmour en ce moment : par intérêt matériel, les forces conservatrices sabordent la tradition, abandonnent le pays et les responsabilités, etc.

Le second grand essai de Georges Bernanos marque au contraire une rupture avec son approche précédente. Dans Les Grands Cimetières sous la lune, publié en 1938, Georges Bernanos exprime son dégoût pour la barbarie du franquisme qui, pourtant, sur le plan des valeurs, lui correspondait totalement. Dans la foulée, Georges Bernanos soutiendra la France libre, abandonnera son antisémitisme forcené, tout en restant un idéaliste.

L’idéalisme n’est pas ce qui intéresse le Medef, ni la Droite, ni l’extrême-Droite. C’est l’esprit de l’essai de 1931 qui l’intéresse, avec cette volonté d’unifier toutes les forces totalement opposées à la Gauche et de promouvoir une dénonciation nationale-catholique de « l’argent ».

C’est qu’on devine qu’avec Emmanuel Macron, son ultra-individualisme économique et sa dialectique culturelle de la légalisation (la PMA pour toutes, le MMA, le cannabis à moyen terme, etc.), il y a un boulevard pour une lecture disant qu’avant, c’était mieux. Le chaos du capitalisme se voit ici opposé, dans le principe, à son propre fantôme. Le passé est censé rattraper et corriger l’avenir.

Normalement, le Front populaire s’oppose tant aux libéraux qu’aux conservateurs. Mais en France, la Gauche a été totalement contaminée par le libéralisme. Google promeut autant que possible la démarche LGBTQ+, cinquante gares de la SNCF pavoisent aux couleurs arc-en-ciel tout comme de nombreuses ambassades américaines dans le monde… et il faudrait leur faire confiance ? Allons, qui peut avoir autant de naïveté ?

Nous sommes coincés entre le marteau libéral et l’enclume conservatrice ; on a déjà Emmanuel Macron, on a désormais Marion Maréchal qui se profile. Et tout risque d’être emporté par une telle opposition ignoble qui vise à dévier le peuple vers le chauvinisme agressif, le protectionnisme au service du capitalisme national, l’esprit corporatiste comme seul horizon.

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Georges Bernanos et les héros du ghetto de Varsovie

Georges Bernanos a écrit un texte intitulé « L’honneur est ce qui nous rassemble », qui devait servir de préface à un ouvrage collectif sur le ghetto de Varsovie. Cet ouvrage n’est jamais paru et le texte a été retrouvé dans les archives de Georges Bernanos.

C’est un texte exemplaire, car Georges Bernanos vient de l’Action française et du catholicisme ultra ; il dénonçait Adolf Hitler comme quelqu’un incapable d’un vrai antisémitisme et qui se plierait bientôt aux ordres de la « banque juive ».

La seconde guerre mondiale ébranla profondément – autant que qu’un catholique voyant en la banque la source du mal dans une société devant être spirituelle – Georges Bernanos, qui ne pouvait cautionner quelque chose sortant entièrement du cadre de son romantisme spiritualiste.

Il est, en ce sens, profondément représentatif d’une attitude très française par rapport à l’antisémitisme, qui consiste en une méfiance et en un mépris dédaigneux n’hésitant pas au rejet dégoûté, mais considérant comme indigne de basculer dans la brutalité ou le populisme.

L’HONNEUR EST CE QUI NOUS RASSEMBLE

J’écris ces pages en mémoire de Georges Torres, ami de mon fils Michel, parti du Brésil avec lui pour rejoindre les armées de la France Libre et qui, dans l’enthousiasme et la naïveté de ses vingt ans, croyait devoir quelque chose à mes livres et à moi-même, alors qu’il était déjà écrit que je devrais rester au contraire pour toujours débiteur envers lui de sa pure et noble mort.

Georges Torrès était juif, juif comme un certain nombre d’amis de mes livres dont l’affection paraîtra peu croyable à certains esprits malheureux dont la besogne n’est que de classer ce qui échappe à tout classement comme un fou qui prétendrait puiser de l’eau dans un filet à papillons.

Il est vrai que la Religion, la Race, la Nation permettent de «situer» les hommes ainsi qu’un objet dans les trois dimensions de l’espace.

Mais, précisément, l’analyse mathématique démontre l’existence d’une quatrième dimension où se rencontrent les parallèles, où l’hyperbole finit par retourner à son point de départ comme un grand oiseau migrateur à son nid d’un autre printemps.

L’honneur n’est pas toujours ce qui nous unit, mais il est toujours ce qui nous rassemble.

En présentant ce livre au public français, je voudrais m’acquitter envers les morts, mais aussi envers les vivants. Je crois avoir quelque chose à dire sur les morts juifs, sur les innombrables morts juifs, sur les immenses charniers juifs de cette guerre, et je le dirai aussi clairement que je le pourrai.

Ayant écrit La Grande peur des bien-pensants, je passe pour antisémite et je ne saurai m’en indigner sans hypocrisie puisque le livre dont je viens de parler est consacré à mon vieux maître Edouard Drumont.

Le mot d’antisémite est mal né, un mot qui devait tôt ou tard, comme le disent les bonnes gens « mal tourner », à l’exemple de tous ceux qu’on a formés sans grande dépense de jugement ni d’imagination, grâce à la particule prépositive anti. Hélas ! il n’est pas de mot venu du vocabulaire qui ne soit capable de diviser les hommes au point de les faire se haïr, mais il n’est d’honorable que ceux-là qui, le jour venu, sont capables de les réconcilier.

Le mot d’antisémite n’a évidemment pas en lui cette vertu. Mais Drumont ne l’a pas inventé, ni délibérément choisi.

Drumont était par naissance et par goût un homme de bibliothèque, une homme d’étude, un historien, et comme tel sans défense contre la foule. La foule s’est emparée de lui, l’a roulé dans son tumulte comme une pierre, puis est allée porter ailleurs ses applaudissements et des huées. Le mot d’antisémite n’est pas un mot d’historien, c’est un mot de foule, un mot de masse, et le destin de pareils mots est de ruisseler, tôt ou tard, de sang innocent.

Je comprends bien qu’en tête de ces pages le nom de Drumont fasse scandale. Le mien ne fera pas moins scandale à la fin, qu’importe ?

Ce double scandale n’est pas inutile, je le crois. Il donne son vrai sens au témoignage que je vais porter.

Ayant décidé de rendre, selon mes forces, justice à des mémoires héroïques, je ne vais pas à elles sous un déguisement quelconque, je vais à elles tel que je suis, sans rien renier de moi-même, de mes amis, des mes maîtres, de mon passé, tel que beaucoup de juifs me connurent et, me connaissant, m’accordèrent librement leur confiance et leur amitié.

Il est certain que ce livre aura un très grand nombre de lecteurs juifs dont la susceptibilité légendaire se trouve encore exaspérée aujourd’hui par d’affreuses, d’inénarrables preuves, mais je ne crois tout de même pas que ce soit d’abord pour eux que ce livre est écrit, que mon modeste témoignage est rendu. Je ne crois pas, personne n’est capable de croire, que les héros du ghetto de Varsovie se soient sacrifiés dans le seul but de rendre l’orgueil de leur de leur race à ceux qui ne l’ont d’ailleurs jamais perdu.

Il est permis de penser, au contraire, que leur silencieux message s’adresse précisément à ceux du dehors, à ceux qui, jugeant Israël non pas sur ses qualités ou ses défauts que sur son extraordinaire, son unique aventure à travers l’Histoire, refusent de nier lâchement un problème dont l’importance se mesure aux effroyables sacrifices humains qu’il a coûtés ; bref, il s’adresse à ceux qui – pour tout résumer en peu de mots – se sentent incapables de soutenir, contre l’évidence, aux applaudissements des imbéciles confirmés ainsi ; dans leur sécurité d’imbéciles, que le peuple juif est un peuple absolument pareil aux autres, un peuple moyen formé d’hommes moyens, tenant dans le passé une place moyenne.

Au temps de ma jeunesse, il était de bon ton, en effet, de nier qu’il y eût un problème juif, mais ces pudeurs académiques n’ont pas empêché Hitler de poser le problèmes à sa manière, avec l’immense majorité de peuple allemand pour complice.

Qui eût osé prédire, en ces années déjà lointaines, qu’un demi-siècle plus tard, une jeunesse juive enthousiaste, sur la terre même de ses aïeux et sous son propre étendard, défierait l’immense monde arabe, et ferait plier, à deux reprises, la volonté de l’Angleterre ?

Qu’en ces derniers temps, Israël ait été une fois de plus broyé comme le grain sous la meule, comme le raisin dans le pressoir, le fait n’a rien qui puisse surprendre.

Depuis deux mille ans, c’est bien ainsi que par une espèce de substitution formidable, il nous apparaît sous les traits de celui qu’il vit lui-même un jour, au seuil du prétoire de Pilate, le visage défiguré par les coups, sa robe blanche trempée du sang de la flagellation : Ecce Homo…

Mais il semble bien que cette dernière expérience ne sera pas renouvelée, que la preuve est faite désormais qu’aucune persécution n’est capable d’en finir avec un peuple dont le génie est précisément de lasser la patience et d’épuiser l’imagination des bourreaux.

Les charniers refroidissent lentement, la dépouille des martyrs retourne à la terres, l’herbe avare et les ronces recouvrent le sol impur où tant de moribonds ont sué leur dernière sueur, les fours crématoires eux-mêmes s’ouvrent béants et vides sur les matins et sur les soirs, mais c’est bien loin maintenant de l’Allemagne, c’est aux rives du Jourdain que lève la semence des héros du ghetto de Varsovie.

Ce qui a au cours des siècles opposé le monde chrétien au monde juif n’est sans doute qu’un malentendu, mais c’est un malentendu fonda-mental, et qui en pénétrerait le sens connaîtrait du même coup, peut-être, la signification totale de l’Histoire.

Autre chose est de haïr, autre chose est de méconnaître, et si nous avions le courage d’aller au-delà des apparences, nous devrions sans doute convenir que le plus grand malheur d’Israël n’est pas d’avoir été si constamment haï, c’est d’avoir été non moins constamment méconnu et de n’avoir été méconnu que pour s’être méconnu lui-même.

Dans l’extraordinaire récit qu’on va lire, on remarquera qu’une grande partie de la population du ghetto s’est presque jusqu’au bout refusée à organiser la lutte.

Oh, certes on peut dire que ce fut par crainte, ou même par simple bon sens, car il était clair qu’une poignée de héros n’avait aucune chance d’affronter la Wehrmacht avec quelque espoir de succès.

Mais je crois aussi que, le sachant ou sans le savoir, les opposants à l’insurrection obéissaient à une vieille conception juive de l’honneur, très étrangère à notre sensibilité, conformant ainsi leur attitude à l’attitude immémoriale dé leurs pères, depuis la dispersion.

L’honneur juif en effet, depuis deux mille ans, n’est pas de résister par la force, mais par la Patience, par tous les moyens de la patience, car le but que se propose, que s’est toujours proposé ce peuple impérissable n’est pas de vaincre, mais de durer ; c’est de la durée qu’il attend le salut. Qu’Israël dure, et le Très-Haut vaincra pour lui.

En attendant, l’honneur, c’est de rester juif et de faire des enfants juifs, d’en faire assez pour que tous les pogroms ne puissent anéantir ce que Dieu a ordonné de conserver.

L’honneur n’est pas de venger les morts, c’est-à-dire d’en grossir autant le nombre, car Israël veut vivre et non pas mourir. Israël aime la vie d’un amour farouche tout en la blasphémant sans cesse, son Dieu est celui des vivants, non des morts.

Après tout, on oublie trop qu’au temps de Notre Seigneur Jésus-Christ, un grand nombre de Juifs fidèles, parmi les plus instruits, ne croyaient pas à l’immortalité de l’âme.

Voilà ce que la Chrétienté médiévale n’a pas compris. La chrétienté médiévale attachait à sa propre conception de l’honneur une importance capitale.

La lecture de Plutarque ne lui avait même pas révélé qu’il y en eût une autre que la sienne, elle lisait Plutarque avec des yeux chrétiens, c’est ce qui apparaît si clairement chez Amyot. Eût-elle vu plus clair, qu’elle eût d’ailleurs refusé de se poser le problème.

Elle faisait au juif l’injure de le dispenser de l’honneur, et nommément de l’honneur militaire, elle fermait obstinément les yeux sur les causes réelles de la survivance du peuple juif à travers l’Histoire, sur la fidélité à lui-même, à sa loi, à ses ancêtres, fidélité qui avait pourtant de quoi émouvoir son âme.

Parce que cette fidélité n’était pas une fidélité militaire, de tradition et d’esprit militaire, elle maintenait le juif hors d’une fraternité militaire dont n’était même pas exclu l’Infidèle. Et le juif devait nécessairement s’accommoder d’une telle exclusion, s’y installer, en tirer profit. Ainsi le malentendu n’a cessé de s’aggraver au cours des âges.

Certains peuples conquis par les armes, puis assimilés au point de disparaître comme peuples, laissaient une mémoire glorieuse simplement parce qu’ils n’avaient capitulé qu’après s’être battus, qu’ils avaient fait une capitulation militaire.

Au lieu que le peuple juif battu sans combat, mais jamais assimilé, n’obtenait’ rien de plus (qu’une espèce de curiosité indifférente. Il est vrai qu’il ne demandait rien de plus, puisqu’il lui suffisait de survivre, fût-ce dans l’injustice et le mépris, jus-qu’à ce que l’ombre du Très-Haut couvrît la terre — Dispersit superbos.

Oui, voilà ce que nous n’avons pas nous-mêmes toujours compris. Si l’honneur pour un peuple n’est pas de vaincre mais de subsister coûte que coûte jusqu’au jour certain, inéluctable, où Dieu doit triompher à sa place, il n’est pas équitable de le juger selon les règles de l’honneur chevaleresque…

Je me souviens du soir où l’enfant magnifique auquel j’ai dédié ces pages me parlait coeur à coeur, m’ouvrait son coeur, tandis que l’encens d’une soirée tropicale entrait à flots par la fenêtre ouverte. Il me parlait de sa famille, de ses amis, de certaines expériences qui avaient blessé profondément une sensibilité précocement douloureuse.

Son départ pour Londres lui apparaissait comme la voie du salut, son destin passait par Londres… «Je leur montrerai, me dit-il tout à coup, comment un luit peut se battre.» Et ce «leur» mystérieux prenait dans sa bouche un accent de sérieux enfantin qui me frappa le coeur d’un pressentiment funèbre.

Oh! sans doute, l’enfant que j’avais là devant moi ressemblait comme un frère à n’importe quel jeune garçon de bonne race que tentent le risque. et l’honneur, mais son enthousiasme trop réfléchi, volontaire, avait aussi je ne sais quoi de blessé, comme certains rires une imperceptible fêlure.

Le regard qui me fixait posait une question à laquelle je n’osais pas répondre. Mais les héros de Varsovie et lui-même ont depuis répondu pour moi.