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Culture

« Petit soldat » d’Ascendant Vierge

Le duo français installé Bruxelles montre encore une fois qu’il a une profondeur artistique réelle, à la hauteur de notre époque.

L’incroyable faible nombre de vues sur Youtube du pourtant excellent (ou exceptionnel, extraordinaire, etc.) Impossible mais vrai n’a pas déçu Ascendant Vierge, qui avec Petit soldat ajoute à sa patte une dimension engagée avec un texte de reproche très développé de celui qui va à la guerre.

Pour trouver quelque chose comme Petit soldat, c’est-à-dire une sorte de critique d’un aspect de la société avec un point de vue intime, dans une atmosphère oppressante correspondant aux faits, il faut indéniablement remonter aux années 1980. Les groupes « gothiques » (au sens vraiment le plus large et distordu), loin d’être autocentrés ou narcissiques, ont au contraire une démarche romantique. Si l’on prend Ascendant Vierge, on a une symbiose entre les Sisters of mercy et Siouxsie and the Banshees… Difficile de ne pas être terriblement impressionné.

On pourra arguer qu’Ascendant Vierge utilise un tempo plus dansant, plus marqué par la techno, pour ne pas dire le gabber. C’est assez écrasant. Cependant, on n’échappe pas à son époque et celle-ci est marquée par un vrai rentre-dedans. De plus, il y a un côté danse collective qui est considéré comme une valeur refuge.

Petit soldat apparaît ici comme une sorte de lointain successeur au fameux Nineteen de Paul Hardcastle, de 1985, mais remis au goût du jour, dans une ambiance sombre, tel dans un hangar avec une musique étouffante.

Et, d’ailleurs, pour conclure, remarquons que le fait qu’ascendant vierge n’ait pas atteint un succès mérité, cela doit indéniablement également au fait que la chanteuse Mathilde Fernandez propose une figure de magicienne qui fait immanquablement peur à une société superficielle.

Il faut se rappeler de l’incroyable dévaluation qu’a connu Niagara dans les années 1980, malgré une qualité indéniable de par son sens de la mélodie et des recherches très élaborées si l’on passe les petites chansons moqueuses. Alors que rien que Soleil d’hiver est une chanson d’une immense profondeur!

Espérons qu’Ascendant Vierge n’aura pas un tel dédain immérité!

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Culture Culture & esthétique

Playlist batcave – rock gothique

La critique romantique et esthétique de la scène gothique fut à la fois talentueuse et inspirante. Son affirmation de la sensibilité et du goût en fait quelque chose de tout à fait important.

Nous sommes à la fin des années 1970 et la vague punk a commencé. Mais déjà il y a l’idée de formuler quelque chose de plus dense, de plus sombre. Le côté punk nihiliste et brutal, parallèle à la violence skinhead, rapide et autodestructeur, semble trop insatisfaisant.

Ce qui s’affirme alors, c’est l’idée que la tristesse est une rébellion. C’est l’émergence du gothique, qui connaît deux phases. La première, celle montrée dans la playlist, est une opposition entre un son cinglant et abrasif – ce qu’on appellera le batcave – et de l’autre un son plus direct, plus accessible, plus rock – ce qu’on appellera le rock gothique.

> La playlist sera disponible quelques semaine dans la colonne de droite (version web) ou en bas de page (version mobile) et sera ensuite visible sur la page des playlists.

Une sorte de synthèse des deux se produit lorsque des groupes cinglants trempent leur musique dans la glace, pour donner ce qu’on appelle la cold wave.

Par la suite apparaîtra l’utilisation massive de la musique électronique, faisant qu’une réelle soirée gothique aujourd’hui dispose toujours de deux pistes de danse : une pour la direction rock, l’autre pour ce qui sera appelé l’electro-gothique.

Mais regardons l’une des grandes sources d’inspiration, qui a révolutionné les esprits de nombreux artistes qui deviendront goth et qui ont alors 12, 13, 14 ans. Il s’agit d’une vidéo totalement anodine pour nous aujourd’hui, mais qui a bouleversé l’Angleterre alors. Nous sommes en 1972 et David Bowie passe à l’émission Top of the pops.

On a ici une musique totale, une esthétique totale, une expression sensible assumée. L’Angleterre fut horrifiée pour une partie, fascinée pour une autre.

La vidéo de la reprise de la chanson de David Bowie Ziggy Stardust par Bauhaus reflète parfaitement comment cela été compris et transformé, de manière bien plus abrasive bien entendu.

Il faut comprendre ici que le gothique au sens le plus large est lié au punk. Il se vit, il se danse, il implique une esthétique dans la vie quotidienne. Il a une grande prétention de culture et d’exigence.

Pour cette raison d’ailleurs, et contrairement à ce que des préjugés peuvent laisser penser, le gothique a toujours possédé une très forte base populaire. En effet, quoi de plus normal que de vouloir s’arracher à un environnement beauf, sans attrait pour la beauté ?

Que ce soit par le côté punk abrasif rupturiste ou bien le rock gothique axé sur l’amour romantique, il y a toujours eu un fond de vaste critique du monde tel qu’il est. Voici deux chansons des Sisters of mercy (qui ont toujours réfuté le terme de gothique), avec une vidéo présentant indirectement une critique de la misère en Inde, et une chanson tirée d’une compilation intitulée « Ils ne passeront pas » en soutien à la CNT (avec notamment le groupe rock-soul The Redskins).

Porter un regard approfondi sur la musique gothique – batcave s’avère donc forcément utile ; de par les multiples directions prises – allant de l’incisif à la préciosité – on y trouve nécessairement des éléments parlant.

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Culture

Norma Loy – Sacrifice (1988)

La fascination pour un Orient mystique capable de faire dépasser une lecture trop restreinte de la vie quotidienne a une certaine tradition en France, avec notamment deux auteurs liés aux surréalistes historiquement. On a ainsi René Daumal (1908-1944), fervent expérimentateur d’intoxications aux drogues, auteur d’une grammaire sanskrite et d’une poésie extatique-mystique, et Pierre Drieu La Rochelle (1893-1945) concluant sa vie par un intérêt profond pour la transcendance comme totalité.

Cette fuite romantique – rejetant la religion comme structure au profit de l’illumination comme accès à la totalité – est très précisément ce qui caractérise le groupe Norma Loy, sans aucun doute l’un des plus grands événements musicaux des années 1980 de notre pays.

La reprise de L’homme à la moto d’Edith Piaf est puissamment atmosphérique et témoigne bien de son approche générale, à la fois sombre et romantique, puissante et entièrement intime.

Tout part d’un duo de Dijon qui commence à partir de 1977 à assumer un groupe, Metal Radiant, s’appuyant musicalement sur les Stooges, puis un autre, appelé Coit Bergman, s’appuyant sur le groupe Suicide.

Arrive alors Norma Loy, anagramme de Nom Royal, combinant le pré-punk énergique et torturé des Stooges et les expériences électriques – électroniques de Suicide, le tout avec une profonde démarche de mélange des arts (style, photographie, danse, mise en scène, projection d’images, etc.) et une inspiration dans la mystique orientale comme moteur de rejet du monde tel qu’il est.

En voici un exemple avec la chanson qui est une puissante charge romantique, « The Power of spirit », le pouvoir de l’esprit (« Je reste immaculé dans le maculé / Je suis né immaculé je n’ai aucune confiance dans les images / C’est le pouvoir de l’esprit »).

 

La vision de Norma Loy est celle d’un univers faux, peuplé de réplicants, de gens manipulés par la télévision, dans un monde désespéré, vide de sens, un monde bas, sans contenu, appelant à une révolte de la totalité de son être.

Tout est alors tendu vers une expression totale, justement. A l’atmosphère et au style para-religieux s’ajoutent des concerts particulièrement marquants, combinant notamment des écrans où sont projetés 600 diapositives, alors que des danseurs de Buto, une danse japonaise oscillant entre expressionnisme et post-moderne, renforcent le caractère marquant de l’atmosphère .

En voici un exemple avec un concert parisien de 1988, où la danseuse Sumako Koseki est présente sur scène. Cette « Nuit de la Saint Vitus » rassemblait également pas moins que Red Lorry / Yellow Lory et The Fields of the Nephilim…

A son apogée, Norma Loy n’a jamais intéressé que 5-6000 personnes, un chiffre incroyablement restreint pour quelque chose d’aussi puissant, d’une telle ampleur sur le plan culturel.

Il est vrai que n’a pas aidé le côté déstructuré qui a régulièrement eu tendance à primer chez Norma Loy, avec un culte du côté undeground jusqu’au fétichisme ; tel booklet possède des photos présentant une mise en scène où les membres ont été massacrés, tel autre photo présente une ambiance digne d’une secte, l’ambiance glauque et dérangeante est digne du surréaliste Hans Bellmer, etc.

L’album Sacrifice (1988) est, sans doute, son chef d’oeuvre, bien qu’il soit difficile de le séparer du très bon Rewind / T-Vision (1986), qui ouvre la perspective, et du très fort Rebirth (1990), qui clôt le cycle.

Avec Attitudes en 1991, Norma Loy partit dans une autre direction, celle d’une sorte de pop profonde et intelligente, très personnelle, d’un potentiel extrêmement riche, cependant en absence de mouvement historique porteur, tout ne pouvait que s’enliser.

Le groupe se sépara, se réunissant pour divers projets sans la même ampleur, même si on notera le fait significatif d’avoir voulu faire un chanson en mémoire des victimes du terrible attentat du 13 novembre.

Une preuve que Norma Loy fut un groupe expérimentant, mais cherchant une expression large, ample, pleine d’émotion, dans la quête de l’expression de la sensibilité la plus grande.

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Culture

Winter d’Amebix (1983)

Amebix est un groupe culte de punk anglais de la toute fin des années 1970 et qui se sépara en 1987, avant de se reformer pour quelques années en 2008. Le groupe produira deux albums (Arise ! et Monolith), et trois EPs (Who’s the Ennemy, Winter et No Sanctuary) – nous ne comptons pas ici leurs productions pendant la reformation.

Amebix émerge d’une partie de la scène punk anglaise tournée vers le metal et les courants post-punk et gothique. Leurs débuts seront plus post-punk tandis qu’à partir de l’album Arise ! le groupe se tournera vers le metal et sera d’ailleurs une influence notable pour de nombreux groupes de thrash et de black metal comme Sepultura, Bathory ou Celtic Frost.

A ce moment la scène punk anglaise est en plein foisonnement : à côté des groupes plus « No future » comme The Exploited, se trouve tout un mouvement de punk pacifiste qui ira explorer de nouveaux horizons tant musicalement qu’esthétiquement : parfois expérimental comme Crass ou Dirt (qui aura aussi un son plus pop), ou plus novateur et brutal comme Discharge, ou encore plus teinté de metal avec des groupes que l’on qualifiera de « stenchcore » ou plus généralement de crust. Amebix se situe dans cette dernière catégorie.

Si Arise ! aura marqué beaucoup plus de groupes que Winter, ce dernier restera le summum du groupe en terme de synthèse. Le EP est composé de deux chansons : Winter et Beginning of the end. Deux chansons de punk glacial et post-apocalyptique.

Cet EP est comme hors du temps : à l’écart dans le mouvement des premiers groupes punk au son de plus en plus metal, à part dans l’histoire du groupe.

Ce qui frappe en premier lieu est la place centrale de la basse. La batterie n’est là que pour la soutenir, l’appuyer. Tandis que la guitare vient davantage pour créer une atmosphère glaciale que pour donner une mélodie.

A cela s’ajoute un chant lointain, comme un écho qui parviendrait difficilement jusqu’à nous. Cette combinaison créée une atmosphère dense et envoûtante à la fois. Comme si cet hiver sera le dernier, comme si le monde était au bord de l’implosion et que personne ne voulait voir la vérité en face.

La dignité d’Amebix est de ne pas avoir sombré dans le nihilisme décadent d’une partie de la scène punk. Le monde tel qu’il avançait, tel qu’il était (et qu’il est encore aujourd’hui) est rejeté en bloc. Il n’y a pas de perspective, mais le rejet est complet.

«The machine has grown to crush the world, the walls are getting higher
The youth will be the first to throw themselves upon the pyre
The reason for living seems so fruitless in the aftermath
When we’ve finally walked to the end of the path

Looks like the beginning of the end »

Ce qui peut se traduire par :

« La machinerie est lancée et prête pour briser le mode, les murs se dressent toujours plus hauts
La jeunesse sera la première à se jeter au bûcher
Les raisons de vivre semblent si minces à présent
Lorsque nous avons finalement marché jusqu’au bout du chemin

Cela ressemble au début de la fin »

A ce moment-là, Amebix est une sorte de Joy Division de toute une frange de la scène punk anglaise : moins gothique, moins romantique, mais avec une esthétique et un son si particuliers et uniques.