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Décès de Henri Weber, figure socialiste issue des JCR et de la Ligue Communiste

Figure du courant trotskiste frankiste-pabliste, Henri Weber a ensuite rejoint le Parti socialiste dont il a été un des principaux stratèges à partir des années 1990. Il vient de décéder des suites du covid-19.

Surréaliste. Alors que Henri Weber est décédé en raison du covid-19, Gala titre un article « Carla Bruni a le cœur brisé : son touchant hommage à Henri Weber ». C’était en effet un de ses amis très proches. Comment Henri Weber a-t-il pu se transformer au point de devenir une figure de la « Gauche » la plus bourgeoise, la plus hypocrite ?

Car Henri Weber, c’est un des cadres rompant avec l’Union des Étudiants Communistes pour fonder les Jeunesses Communistes Révolutionnaires, juste avant 1968, dont lui-même est une figure. Les JCR, une structure frontiste trotskiste, donna la Ligue Communiste, au service d’ordre éprouvé dont Henri Weber sera le fondateur et le responsable.

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Seulement voilà, Henri Weber s’est fait happer par la faculté expérimentale de Vincennes, un bonbon sucré empoisonné donné par l’État. Il devint professeur de philosophie politique, aux côtés de Daniel Bensaïd. Ce dernier, l’un des dirigeants historiques des JCR puis de la Ligue Communiste (et la Ligue Communiste Révolutionnaire), descendra pourtant en flamme Henri Weber dans un long texte en 1998, que le NPA, successeur de la Ligue Communiste Révolutionnaire, s’est empressé de republier.

Car Henri Weber a assumé de tourner la page du « gauchisme ». Lorsqu’il a été à la tête du service d’ordre, la Ligue Communiste s’orientait vers la clandestinité et l’affrontement militaire. Le film « Mourir à trente ans » raconte cet épisode de manière romantique, en gommant que les JCR ne sont pas nées spontanément mais comme « front » trotskiste. Or, ce front n’hésitait pas à saluer Che Guevara et Ho Chi Minh, au grand dam des trotskistes historiques.

C’était l’expression d’un romantisme gauchiste que les JCR surent capter, mais la tendance alla donc au guévarisme, au principe du foyer révolutionnaire (aujourd’hui encore, on retrouve le principe foquiste chez des postmodernes se revendiquant paradoxalement de Mao Zedong, ce qui est absurde). L’interdiction de 1973, pour de violents affrontements avec l’extrême-Droite, fit abandonner cette direction et la Ligue Communiste devenue Ligue Communiste Révolutionnaire s’orienta vers une sorte de néo-syndicalisme avec une grande ouverture aux « mouvements sociaux » et un soutien total aux mœurs libérales-libertaires.

L’objectif si ambitieux disparu, il fallait soit assumer de vouloir la guerre révolutionnaire et tout relancer, soit continuer en passant à autre chose en considérant que l’époque avait changé. Henri Weber rompit alors avec la LCR, abandonnant la politique au début des années 1980 avant de rejoindre le Parti socialiste en 1986, tout comme d’ailleurs un trotskiste d’une autre faction, Jean-Christophe Cambadélis.

Henri Weber sera alors un cadre socialiste, comme conseiller technique au cabinet de Laurent Fabius à la présidence de l’Assemblée nationale, chargé de mission de ministres chargés des relations avec le Parlement, sénateur, député européen. Il deviendra d’ailleurs à partir de la fin des années 1990 l’un des principaux stratèges du Parti socialiste.

Il a été une figure du passage du Parti socialiste sur une ligne post-socialiste, post-moderne ; François Hollande l’a d’ailleurs salué avec chaleur :

« Henri Weber était une grande et belle figure de la gauche. Il ajoutait à son érudition une clarté d’analyse, un goût de l’action et une fraîcheur militante avec un humour joyeux qui enchantait jusqu’à ses contradicteurs.

Venu du mouvement de mai 68, il avait rejoint le Parti socialiste car il savait que la Gauche avait besoin d’une force centrale pour aspirer à gouverner. Il y a encore quelques semaines il appelait à un dépassement pour renouveler la social-démocratie que la crise sanitaire qui l’a emporté remet au cœur du débat public.

C’est un homme généreux et un intellectuel lumineux qui disparaît aujourd’hui. Et aussi un ami cher.

J’adresse à Fabienne et à ses enfants mes sentiments affectueux. »

La photo mise par François Hollande présente d’ailleurs Henri Weber à l’arrière-plan alors que lui-même fait face à Lionel Jospin. C’est tout un symbole, Henri Weber résumant mai 1968 à une révolte « démocratique et libérale » et tournant totalement le dos à son passé révolutionnaire. Paradoxalement, son choix a été plus marquant que celui de la LCR, qui s’est effondrée en devenant le NPA, faisant du sous-Henri Weber, car au moins Henri Weber a assumé de passer à autre chose.

Reste que tout cela ne fait pas bien rêver et qu’on chercherait vainement un contenu. On a ici affaire à un social-romantisme n’allant somme toute pas bien loin, qu’il soit ouvertement réformiste ou bien à prétention transformatrice.

> Lire également : Polémique Edwy Plenel-Henri Weber sur les gilets jaunes
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Polémique Edwy Plenel-Henri Weber sur les gilets jaunes

Henri Weber, une figure historique de la Gauche depuis cinquante ans, critique de manière développée l’ouvrage d’Edwy Plenel faisant une sorte d’éloge des gilets jaunes sans dimension critique ni même réellement politique. C’est un bon marqueur.

Edwy Plenel, le responsable de Mediapart (une sorte de presse alternative payante), a publié un ouvrage aux éditions La Découverte (anciennement les Éditions sociales liées au PCF). Il est consacré aux gilets jaunes et est intitulé La victoire des vaincus – À propos des gilets jaunes.

Henri Weber a publié un long article sur le site Slate.fr pour critiquer cet ouvrage, avec une perspective assez intéressante. Henri Weber a été l’une des figures dirigeantes des Jeunesses Communistes Révolutionnaires en 1968, puis de la Ligue Communiste (dont Edwy Plenel faisait également partie). Il a fini par rejoindre le Parti socialiste en 1986.

Henri Weber dit, grosso modo, qu’Edwy Plenel est de mauvaise foi, parce qu’il affirme que les gilets jaunes convergent vers la Gauche. Or, en réalité, souligne Henri Weber, tout est bien plus compliqué que cela. Et c’est de la manipulation intellectuelle que de prétendre le contraire. Voici un long extrait représentatif de la critique faite par Henri Weber :

« Dans son courant principal, assure Plenel, ce mouvement est égalitaire et démocratique. Il s’inscrit dans la lignée des révolutions françaises des siècles passés. C’est une sorte de Mai 68 rampant, dont les forces motrices ne seraient pas les étudiants et les ouvriers d’industrie, mais les perdants de la mondialisation et de la révolution numérique: les classes populaires et moyennes précarisées de la «France périphérique» (…).

Cette interprétation optimiste et unilatérale occulte soigneusement les singularités du mouvement des «gilets jaunes».

La première d’entre elles est le refus farouche de désigner des représentants. Curieux mouvement démocratique que celui qui rejette le principe même de la représentation, sans lequel il n’y a pas d’auto-organisation possible, et menace de mort celles et ceux, issus de ses rangs, qui cherchent à structurer le mouvement et à lui trouver un débouché politique. Sans représentants élus, mandatés, contrôlés, la place est nette pour des chefaillons non élus, incontrôlés, n’ayant de compte à rendre à personne. Il n’existe pas de démocratie sans représentation. Même la démocratie directe la plus radicale, celle des conseils d’ouvriers, de paysans, et de soldats de la révolution russe, était fondée sur l’élection de délégués, à tous les niveaux: depuis l’atelier et le quartier… jusqu’au conseil central des conseils –le Soviet suprême de 1917–, désignant le gouvernement. Le fait que ces délégués étaient révocables à tout moment, ce qui a rendu –soit dit en passant– cette démocratie directe impraticable et éphémère, n’empêche pas qu’ils étaient élus et ré-élus.

En réalité, les «gilets jaunes» ont des leaders de fait: les principaux s’appellent Éric Drouet, Maxime Nicolle, Étienne Chouard, Priscillia Ludosky… Ils ont été choisis par les médias en fonction de leur aptitude à «faire le buzz», mais aussi en raison de l’audience de leur page Facebook sur les réseaux sociaux (…).

N’en déplaise à Plenel, les enquêtes d’opinion et les études sociologiques qui s’accumulent depuis quatre mois montrent que ces composantes populistes de droite et d’extrême droite pèsent d’un bon poids parmi les «gilets jaunes» (…).

La crise des démocraties occidentales a malheureusement des causes beaucoup plus variées et profondes que la nature de leur Constitution, même si en France celle-ci mérite d’être substantiellement réformée.

Edwy Plenel ne décrit pas le mouvement des «gilets jaunes» tel qu’il est, dans sa diversité, mais tel que, selon lui, il devrait être, pour prolonger le sillon creusé par les révolutions françaises. Il idéalise ce mouvement à des fins de prescription politique. Cette idéalisation ne favorise pas, quoiqu’il en pense, la lutte contre les populismes d’extrême droite et d’extrême gauche, qui mènent le mouvement des «gilets jaunes» dans l’impasse, et mettent en péril notre État de droit et notre République. »

La position de Henri Weber est très intéressante, car elle est vraiment socialiste réformiste et ne cède pas au populisme. Il est étrange, évidemment, de le voir parler d’État de droit, alors que n’importe qui en France sait qu’il y de véritables problèmes de démocratie, pour ne pas dire plus. En fait, Henri Weber idéalise l’État pour contrer l’idéalisation des gilets jaunes.

> Lire également : notre dossier gilets jaunes

Cependant, au moins il y a ici une critique de gauche des gilets jaunes, chose très partagée, mais très rarement exprimée. En ce sens, c’est une bonne chose, et une bonne contribution à l’appui d’une identité de gauche, ancrée dans la rationalité et la Politique.

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Henri Weber et mai 1968

A la mi-avril 2018, Henri Weber signait une tribune dans Libération, intitulée « Il n’y aura pas un nouveau Mai 68 ». Il y analysait la différence entre aujourd’hui et il y a cinquante ans ; il la signait en tant que « Ancien sénateur et député européen socialiste », mais en réalité son identité politique est bien plus complexe, ce qui donne à son opinion une valeur très importante.

Henri Weber est en effet un des cadres de l’Union des Etudiants Communistes qui donne naissance à la  la Jeunesse communiste révolutionnaire en 1965. Il joue un rôle important durant mai 1968 de par sa fonction au sein de la JCR.

Dans la foulée, il devient l’un des plus hauts responsables de la Ligue communiste (puis Front communiste révolutionnaire, puis Ligue communiste révolutionnaire), étant notamment directeur de l’hebdomadaire Rouge et de la revue Critique communiste jusqu’en 1976, ce qui lui confère un poids idéologique très important.

A cela s’ajoute qu’il appartenait également à la direction de la « Commission très spéciale », c’est-à-dire l’organisation clandestine, à visées militaristes ou militaires, de la Ligue. Le changement de nom de cette dernière a comme origine l’attaque d’un meeting d’extrême-droite en 1973 à Paris, organisé conjointement avec le Parti Communiste Marxiste-Léniniste de France.

Le film « Mourir à trente ans », de 1982, retrace ce moment « chaud » de la Ligue, avant le tournant institutionnel.

Henri Weber reflète justement ce tournant. Il arrête la politique en 1981, pour rejoindre le Parti socialiste, dont il devient une figure d’importance. Voici donc comment il voit les choses, cinquante ans après, à partir de l’identité d’un ex-révolutionnaire ayant rejoint les socialistes.

On est en droit de considérer qu’il réduit tout de telle manière à justifier sa propre position se limitant à une dénonciation du libéralisme économique.

Il n’y aura pas un nouveau Mai 68

Ce qui explique la puissance et l’ampleur du soulèvement de la jeunesse il y a cinquante ans, c’est la combinaison de trois facteurs.

Le premier est «sociétal», comme on dit aujourd’hui, ou culturel : la France s’était beaucoup modernisée sur les plans technologique et économique depuis 1945.

Elle s’était industrialisée et urbanisée à pas de géant. Mais sur les plans des mœurs et des rapports d’autorité elle était restée engluée dans le XIXe siècle. L’autoritarisme et le traditionalisme répressifs, hérités de la société catholique et rurale, pesaient de tout leur poids sur la jeunesse.

La révolte de celle-ci fut d’abord culturelle : capillaire, vestimentaire, musicale, sexuelle, esthétique.

Le second facteur fut politique: dans les années 60 du siècle dernier, «le fond de l’air était rouge», comme le titrait le cinéaste Chris Marker. Les peuples coloniaux avaient pris les armes pour conquérir leur indépendance et volaient de victoires en victoires, au prix de longues et sanglantes guerres de libération nationale.

C’était «l’heure des brasiers». Les «baby boomers» sont venus massivement à la politique par indignation et révolte contre les exactions des impérialismes, occidentaux et soviétique, que leur montrait quotidiennement le journal télévisé.

Le troisième facteur fut universitaire : entre 1962 et 1968, le nombre des étudiants a triplé, sans que les méthodes pédagogiques et les programmes ne soient adaptés à ce nouveau public. La réponse des autorités fut au contraire principalement malthusienne : le plan Fouchet préconisait (déjà !) la sélection à l’entrée des facultés.

A cela s’ajoute en France un autoritarisme patronal spécifique renforcé par la victoire du général de Gaulle en 1958-62. Les syndicats ouvriers en étaient réduits à manifester devant le siège du CNPF (le Medef d’alors) pour obtenir l’ouverture de négociations !

Ce n’est pas par hasard que «l’étincelle» étudiante a si aisément «mis le feu à la plaine» ouvrière. Celle-ci était sèche et archi-sèche.

Cette combinaison a nourri un lourd contentieux entre la jeunesse et la société des adultes. Celui-ci a engendré des situations d’autant plus explosives que la génération des baby-boomers était habitée par un formidable optimisme historique : l’homme avait marché sur la Lune, la croissance économique dépassait 5%, le plein-emploi semblait assuré, la société de consommation, d’abondance, de loisir déployait ses promesses…

Le contexte sociétal, politique, social, idéologique est bien différent aujourd’hui, même si les raisons de mécontentement ne manquent pas.

Le contentieux entre la jeunesse et la société adulte existe, mais il est  incomparablement moins fort. La France de 2018 est beaucoup plus libérale, au sens politique et culturel du terme, que celle des années 60. Le contexte géopolitique et idéologique a profondément changé.

Désormais «le fond de l’air est brun» : les populismes xénophobes et les «démocratures» ont le vent en poupe, les démocraties sont fragilisées et menacées. L’institution universitaire demeure en crise, mais sa réalité s’est considérablement diversifiée.

A côté des «facs parkings» existent beaucoup d’établissements de bonne qualité, voire d’excellence, y compris dans les filières techniques courtes. Ce contentieux est aussi plus fragmenté : beaucoup plus fort chez les jeunes issus de l’immigration et relégués dans les banlieues déshéritées, que chez ceux des centres-villes.

Des conflits sectoriels, durs et prolongés, sont probables, et mêmes inévitables, en cette ère de changements accélérés et de réformes nécessaires et, pour certaines, impopulaires.

Des «convergences» partielles des luttes peuvent se produire, mais sûrement pas une explosion généralisée comparable, même de loin, à celle de 1968. Il faudrait pour cela qu’une alternative politique et sociétale crédible existe et soit portée par des forces capables de la mettre en œuvre.

Ce qui, on en conviendra, est loin d’être le cas. Les syndicats réformistes et la gauche social-démocrate doivent mettre à profit les mobilisations en cours pour faire valoir leurs propres solutions progressistes, alternatives à celles du gouvernement d’Edouard Philippe.