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L’essor de la «phonk» dans le milieu des années 2010

La « Phonk » ou « vaportrap » est un courant musical lié à la Trap, elle-même sous-genre musical du Hip-Hop, qui a explosé au milieu des années 2010. Il puise ses racines dans le rap des années 1990 de la côte Est américaine, notamment de Memphis, Houston ou Miami. Une vague musicale qui marque de son empreinte la jeunesse des années 2010.

L’essor de la « phonk » date véritablement de 2010 avec le morceau « Bringing Da Phonk » de SpaceGhostPurpp, rappeur et producteur de Miami, dont le clip est basé sur des vidéos type VHS. La « phonk » c’est ce style de trap vaporeux très axé sur l’instrumental, réalisé sur de long mix inventifs entre jazz, funk et hip-hop.

Le genre s’est rapidement répandu grâce à DJ Smokey, un jeune artiste d’Hamilton, une ville de l’Ontario au Canada très impactée par la pollution de l’air générée par l’industrie sidérurgique. Influencé par les mix de « SpaceGhostPurpp », il sort son premier volume en 2013, « Evil Wayz Vol.1 ».

Portée par une génération née à la fin des années 1990, la «phonk » est tournée vers cette décennie, jusqu’à la nostalgie. Evidemment, être entièrement tourné vers le passé ne peut rien vraiment produire de nouveau, de populaire. Il serait donc faux de croire qu’il n’y ait là qu’une nostalgie.

Le style puise ses origines dans le style trap de la côte Est américaine, propulsé dans les années 1990 entre autres par « Three Six Mafia » de Memphis ou par DJ Screw de Houston à l’origine de la technique « Chopped & Screwed » (ralentir et répéter un passage en boucle).

Pour l’anecdote, pas si anecdotique que cela d’ailleurs, George Floyd, homme noir tué par un policier à Minneapolis le 25 mai 2020, avait participé sous le nom de « Big Floyd » à une compil’ de Dj Screw.

Mais, la nouvelle génération « phonk » parvient à dépasser ses origines, ne serait-ce par les sonorités et le style qui tournent en dérision justement l’aspect « gangsta » des débuts du sous-genre hip-hop. On le voit avec les images de cartoon ou les pochettes d’album qui se moque du fameux « parental advisory explicit lyrics ».

Avec la « phonk », on a une approche plus posée avec des mix aux basses saturées, des sonorités déformées jusqu’à l’extrême dans une ambiance trap temporisée. A ce titre, il est à l’opposé d’un autre genre de trap qu’est la Drill, assumant le style violent, grave et agressif du gangsta rap.

Depuis le milieu des années 2010, le genre connaît un élan jusqu’à devenir la première référence sur la plateforme SoundCloud en 2016 avec le mot clef #phonk. Cela n’est pas pour rien que c’est sur cette plateforme que ce genre s’est imposé : au-delà de mieux conserver la qualité musicale, elle est aussi un véritable espace tourné vers l’échange et le partage strictement musical.

En France, Soudière est un des artistes de renommée mondiale le plus en vue du genre. Originaire de Nancy, il a découvert le genre en tant que skater après avoir visionné la très fameuse « part » de Beagle dans la « Baker 3 » (2005).

Avec un style de skate original, le morceau « Smoke A Sack » de « DJ Paul & Juicy J » a indéniablement marqué tout skater de ces années là, valorisant un esprit amusant, fun et 100 % décontracté, tranchant avec l’esprit « piss drunk ».

Avec la « phonk », on a une jeunesse cherchant l’esprit de synthèse. C’est une génération qui profite des avancées technologiques de l’informatique et d’internet pour produire de la « phonk » à la fois liée à ses origines des 90’s, tout en la complexifiant musicalement et en assumant une critique des aspects culturels jugés dérisoires de cette époque.

Et en même temps, la critique, la synthèse ne parvient pas à pleine maturité. Elle est une jeunesse encore prisonnière des vicissitudes de son époque, tourmentée par le désir de paix, le « chill » agissant comme une véritable anti-dépresseur et la dépendance aux drogues comme fuite en avant.

La « vaportrape » est indéniablement liée à la codéine et au cannabis, dont certains albums et certaines sonorités font explicitement la référence. Est-ce étonnant de ce point de vue que le genre ait été notamment propulsé par DJ Smokey, originaire d’Hamilton, la ville canadienne la plus ravagée par la récente crise de opioïdes ?

La « phonk » exprime bien l’expérience de la jeunesse des années 2010 qui cherche inévitablement à progresser vers l’avenir, sans arriver à se départir complètement de son époque.

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Culture Culture & esthétique

Playlist cross over, fusion: oui à l’appropriation culturelle!

La rencontre du punk, du hardcore, du métal… avec le hip hop, le reggae, le jazz, le ska, la funk… et inversement, fut un processus des années 1980 et 1990 à rebours des problématiques identitaires actuelles. Le mélange des genres musicaux, le dédain complet pour la couleur de peau… tout cela était et est encore considéré comme normal par qui sait que le peuple, c’est la fusion.

Il existe en France une obsession pour la couleur de peau et cela depuis une vingtaine d’années. C’est une véritable catastrophe identitaire, qui place les gens dans des cases racistes. Rien de tel qu’une bonne playlist témoignant de l’absurdité de tout cela, avec une rencontre du métal, du hardcore, du rap et du Hiphop, de la funk, du jazz, tout cela dans un mélange de musiciens noirs, blancs, arabes ou on ne sait quoi, et cela ne compte pas.

> La playlist « Cross over » est disponible sur la colonne de droite (version web) ou sous l’article (version mobile), ainsi que sur la page des playlists.

Les années 1990 ont été marquées par ce puissant esprit positif, contestataire, constructif, parfois appelé Cross over, fusion. Le groupe Fishbone est une figure majeure de cette tendance, aux côtés des Bad Brains ; leur admiration est immense dans le milieu des musiciens.

Deux groupes strictement parallèles, les Beastie Boys et les red Hot Chili Pepper auront un succès immense. La vidéo de la chanson Hump de Bump des Red Hot Chili Peppers, tournée par Chris Rock en 2009, témoigne de cet esprit joyeux et plein d’unité populaire.

Tout « postmoderne » considérera par contre forcément cette vidéo comme raciste, « appropriation culturelle », pleine de « clichés », etc.

La chanson Sabotage des Beastie Boys – à la base un groupe de punk hardcore – avec sa vidéo décalée et également très bon esprit, est un autre exemple brillant de tendance cross-over, fusion.

Un groupe classique de Hiphop comme Public Enemy s’appuie parfois ouvertement sur une base rock, chose inconcevable aujourd’hui pour beaucoup d’esprits rétifs, enfermés sur eux-mêmes. Un autre groupe ayant eu un immense succès est Rage against the machine.

La France connut également toute une vague très proche, bien que différente tout de même, avec Lofofora, Silmarils, No one is innocent… au coeur de toute une véritable scène, qui malheureusement fut incapable d’avancer par manque de socle culturel alternatif assez solide.

La vague néo-métal de la fin des années 1990 profite dans une très large mesure de cet esprit « cross over », avec Linkin Park, Korn, Limp Bizkit ou encore dans un esprit différent Papa Roach.

Impossible de ne pas mentionner la chanson Last resort de Papa Roach, éloge de l’esprit contestataire de la jeunesse qui suffoque dans l’impossibilité de s’épanouir. C’était avant que les identitaires et les postmodernes ne torpillent les exigences alternatives avec leur repli identitaire individualiste délirant et fanatique…

Impossible non plus de parler de rencontres culturelles productives sans évoquer la chanson Planet Rock d’Afrika Bambaataa & The Soul Sonic Force qui, en samplant le groupe électronique allemand Kraftwerk, a apporté une contribution énorme à l’émergence de la musique techno.

Le son n’a rien à voir avec le « cross over » ou la fusion, mais l’esprit est le même : le mélange, la rencontre. Pas d’ethno-différentialisme, pas de soupe commerciale « mondialisée » pour autant.

Au milieu des années 2000, le groupe Death Grips est l’un des exemples significatifs de rencontre d’un son abrasif, dans un certain esprit de collage punk, et du Hiphop. Car le processus de rencontre est sans fin et lui seul est productif. Les rencontres ne sont pas productives en soi… mais sans elles, il n’y a rien.

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Culture

XXXTentacion, un punk moderne et dépressif mort très jeune

Le rappeur américain XXXTentacion a été retrouvé tué par balle dans sa voiture ce lundi 18 juin 2018 . Figure d’une nouvelle scène de rappeurs américains au style décalé, son succès était grandissant, en raison de son talent. Il n’avait que 20 ans.

XXXTentacion était une personne particulièrement violente et ses concerts étaient toujours l’occasion de bagarres hystériques. Ayant connus la pauvreté et l’abandon social-culturel des quartiers populaires américains, sa jeune vie a été faite d’altercations, d’exclusions d’établissements scolaires, d’arrestations, et même de prison pour détention illégale d’une arme à feu ou cambriolage.

Bien qu’il récuse ces accusations, son ex-compagnes a également porté plainte contre lui pour des faits de violences qui, s’ils sont avérés, sont particulièrement glauques.

Une grande sensibilité

« X » était en même temps doté d’une grande sensibilité, avec la volonté d’être utile socialement, tout en étant rongé par la dépression.

Somme toute, il apparaissait comme un personnage sympathique, se livrant facilement dans de longues émissions radios. Il s’exprimait aussi régulièrement dans des vidéos intimes en direct depuis son portable. Il y était très calme et posé, prônant la paix, l’altruisme, refusant de glorifier sa vie de délinquant, ne mettant pas en avant la drogue qu’il consommait malgré tout, refusant la décadence et les errements sentimentaux, ne parlant jamais de religions.

Sa mort, comme le reste de sa courte vie, illustre de manière intense et tragique les maux qui rongent la société américaine. C’est un pays à la pointe de modernité, avec un peuple doté de grandes capacités, particulièrement sur le plan artistique, d’exigences morales très hautes, mais qui sombre à sa base, rongé par la violence physique et le désemparement social.

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Un éclectisme partant dans tous les sens

Sur le plan musical, XXXTentacion exprimait un spleen très brutal et intense, dans un style particulièrement tourmenté, mais avec un sens du rythme et de la mélodie très élaboré. Sa courte œuvre donne l’impression de partir dans tous les sens, avec des morceaux trap rap classiques, d’autres plus underground et dans un style propre à la scène musicale de Floride active sur Soundcloud, certains autres morceaux puisant dans le rock alternatif, le reggaeton, le R’n’B des années 1990 ou encore des titres carrément métal hardcore.

Le jeune artiste était une sorte de punk moderne, multipliant les inspirations pour une expression élaborée, qui n’est resté finalement qu’un expressionnisme ne parvenant à trouver le « positif » qu’il semblait chercher. Il pouvait même donner l’impression de se complaire dans la dépression, à la manière de la culture « emo » dont il est directement le produit, comme 21 Savage, Post Malone, Lil Pump ou encore Lil Uzi Vert, autre figures « emo rap ».

En phase avec son époque et la jeunesse de son époque, la base de son public s’agrandissait sans cesse, y compris en France. Sa mort prématurée a mis fin à ce qui aurait pu être une brillante carrière.

3 titres et 1 album qui illustrent sa courte œuvre

Vice city – Sortie en 2014, ce morceau est le premier signé sous son nom de scène. Le sample de Sing To The Moon par la britannique Laura Mvula est magistrale et le texte est d’une maturité déconcertante pour un garçon de 16 ans. Il déroule un discours pessimiste et dépressif qui fait froid dans le dos. La production est basique et le titre s’est fait connaître à l’écart des circuits commerciaux majeurs.

Look at Me – D’abord sortie en 2015, c’est ensuite grâce au clip éponyme sortie plus tard en septembre 2017 qu’il s’est fait un nom aux États-Unis. Avec un sample de Change de Mala, c’est de la trap puissante, dégageant une violence particulièrement bien exprimée, avec des paroles très vulgaires. L’arrangement du morceau est très sale, très punk. Le clip ne reprend pas l’entièreté du morceau d’origine et semble l’orienter vers autre chose. Il se finit par un manifeste antiraciste optimiste (“Vous faite votre choix, mais votre enfant ne défendra pas la haine / Cette génération sera aimée, nourrie, entendue et comprise”)

Save me – Sortie en 2017, ce morceau illustre très bien la couleur de son excellent première album « 17 ». Une guitare électrique, une batterie lourde et lente, accompagnant une voix langoureuse et dépressive parlant de suicide : on croirait un morceau de grunge des années 1990 !

? – Sortie en mars 2018, malgré la grande qualité de chacun des morceaux, cet album a quelque chose de dérangeant dans sa façon de passer d’un style à l’autre sans aucune transition. Difficile de ressentir un lien entre Floor 555 et NUMB. Il y a bien plus qu’un grand écart entre Hope et schizophrenia, etc.

On notera cependant l’enchaînement très pertinent entre SAD!, qui est une complainte amoureuse pessimiste, et the remedy for a broken heart (why am I so in love), beaucoup plus positif et intéressant, tant dans la forme que dans le fond (« I’am find a perfect balance, it’s gon’ take time », / « Je vais trouver un équilibre parfait, ça va prendre du temps »).

Moonlight est quand a lui un morceau d’une grande modernité, contribuant indéniablement à définir ce qu’est la musique en 2018.

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Culture

La chanson « Un jour de paix » du groupe 113 (2005)

Le mouvement hip-hop français a été depuis ses origines dans les années 1980 une des rares tentatives de faire émerger un courant artistique populaire à peu près digne de ce nom.

Bien entendu, et malheureusement, pris dans les nasses du capitalisme, ce courant n’a jamais été non plus en mesure d’assumer les valeurs d’émancipation qu’il entend porter en reflétant, de manière expressionniste, le réel du vécu et les valeurs des classes populaires urbaines en général, et selon sa propre mythologie, des quartiers périphériques des grandes métropoles, élevés dans les années 1960-1980, connus sous le nom de « cités ».

L’expressionnisme de ce mouvement est d’abord la clef de la réussite et du formidable écho rencontré par ce courant, qui dépasse largement la seule dimension des couches urbaines populaires, pour toucher l’ensemble des masses de notre pays.

Mais cette réussite sociale s’accompagne aussi de son effondrement, et de sa pure et simple annexion à la culture de masse capitaliste, combinée aux assauts réactionnaires ouverts à la promotion des mafias, des trafics et des religions, en particulier de l’islam, sous une forme virulente et patriarcale-agressive.

Cette double évolution est bien sûr repérable dans d’autres sociétés du capitalisme avancé au stade de l’impérialisme, sous des formes parfois différentes.

Il n’empêche que le hip-hop reste en mesure de proposer un espace d’expression populaire d’une envergure tout à la fois remarquable et qui est à reconnaître pour telle. C’est ainsi l’exemple du titre « un jour de paix » du groupe de rap 113, sorti en 2005.

Le groupe en question est un collectif formé de trois amis d’enfance, issu d’une cité de la banlieue parisienne, rue Camille Groult à Vitry-sur-Seine (du nom d’un agro-industriel local de la fin du 19e siècle, dont l’outil a fusionné depuis dans le groupe Tipiak).

113 étant le numéro du bloc où ils ont passé leur enfance. Le groupe est parvenu à développer un esprit authentique, reflétant la dignité et les difficultés de la vie telle qu’exprimées dans leur propre cadre de vie, ce qui lui a valu une reconnaissance populaire très forte, autant locale que nationale.

Pour autant, la fascination pour le grand-banditisme, l’argent facile, teintée de pseudo-valeurs du soi-disant code de « l’honneur » mafieux, parfois aussi du refuge sectaire dans l’islam, ne sont jamais très loin.

Mais le groupe a néanmoins réussi à produire de beaux morceaux comme ce titre, publié dans l’album « 113 degrés » sorti chez Jive Epic, une société de Sony Music France, dirigée par Laurent Rossi, ce qui en dit déjà long sur la récupération alors déjà irrémédiable de ce groupe par les monopoles capitalistes de l’entertainment.

Cet album marque toutefois le point haut de la popularité du groupe avant sa totale bascule dans l’expressionnisme le plus décadent, surfant depuis sur la réaction identitaire ou le cosmopolitisme commercial.

« Un jour de paix » est une ode à l’espoir au-delà des difficultés de la vie dans la grisailles des cités HLM et de manière générale, dans celle des métropoles de la France actuelle. Le clip illustre cette description, par le concret qui prend en quelque sorte Vitry comme miroir de notre société tout entière, en particulier de notre jeunesse urbaine, de ses tensions, de ses solitudes et de sa détresse mais aussi de ses valeurs, notamment populaires.

Et le clip met en particulier à l’honneur l’aspiration des masses à la vie paisible, à la rencontre des cultures, à l’éducation et aux arts, à la solidarité et au vivre ensemble. Même les références à Dieu du chanteur invité Black Renégat (ou Blacko, du groupe du Val-d’Oise Sniper) le sont sous la forme d’une base déiste pour l’expression de la justice et comme refuge, certes vain, de l’espoir.

Impossible en tout cas pour toute personne de gauche de ne pas être touché par l’expressionnisme positif, et mélancolique, qui se dégage de cette chanson, de ne pas voir l’immense aspiration populaire pour les valeurs démocratiques et pacifiques, au-delà des mailles de la société capitaliste qui les entravent et limitent leur horizon et leur portée.

Impossible de ne pas sentir toute la force populaire qui attend de se libérer dans la bonne direction et de s’émanciper des formes capitalistes qui malheureusement les enserrent et les dégrade.

 [Refrain : Blacko]
Si la paix pouvait embrasser ce monde juste un jour
Une trêve, une pause pour que l’on sache après quoi on court
Sait-on encore c’que signifie l’amour ?
J’ai bien peur que non, Dieu nous le montre tous les jours…
La planète tourne à l’envers, ça m’fait peur
Voyez vous les flammes de l’enfer frères et sœurs
Ne lui vendez pas vos âmes

[Couplet 1 : Rim’K]
J’aimerais dire qu’les clés du bonheur s’trouvent pas dans les billets d’banque
Voir tous ces gens libérés d’la peur qui les hante
Qui aiment la vie mais celle-ci leur a fait un baiser mortel
Quelques rimes que tu peux comparer aux larmes du soleil
Un jour de paix, tant qu’y’aura des hommes et des femmes qui s’aiment
Mon cœur c’est pas une télécommande
Nous on veut tous une femme présente, même dans la tourmente
Chacun regagne son domicile, comme les tranchées
Ta couleur de peau peut faire de toi un étranger
Tu trouves ça normal ? Moi j’me sens chez moi n’importe où
Citoyen du monde avec peu d’moyens mais libre au moins
Au fond d’moi j’ai du mal à comprendre
Quand j’vois ces mômes mal vêtus, mal nourris, victimes de maltraitances
Vitry, mon cadre de vie rongé par l’trafic d’l’amour au compte goutte
Comme les aides humanitaires pour l’Afrique
Au coeur d’l’incendie, suffit pas d’s’lever du bon pied
Traverse les flammes courageux et brave comme un pompier

[Refrain]
Si la paix pouvait embrasser ce monde juste un jour
Une trêve, une pause pour que l’on sache après quoi on court
Sait-on encore c’que signifie l’amour ?
J’ai bien peur que non, Dieu nous le montre tous les jours…
La planète tourne à l’envers, ça m’fait peur
Voyez vous les flammes de l’enfer frères et sœurs
Ne lui vendez pas vos âmes

[Pont : Rim’K & Blacko & AP]
Comment rester insensible ?
La violence déborde, changer l’attitude de l’être humain est-ce possible ?
Comment rester insensible ?
Une vie minable dans un quartier minable mais pour la paix tant qu’c’est possible

[Couplet 2 : Blacko]
En tant que rasta man, je mène mon combat
J’veux la paix, l’amour mais pour le diable j’ai des coups de ton-ba
J’lâcherai pas l’affaire, non je ne baisserai pas les bras
J’y croirai dur comme fer même quand mon cœœur s’arrêtera
Un jour de paix pour nos fils
Un jour de paix pour nos filles
Un jour sans que tout parte en vrille
Un jour sans pleurs, sans haine, sans peur, sans peines
Un jour où tombe Babylone system

[Couplet 3 : AP]
J’suis un être humain comme tout l’monde
J’m’arrête aux choses sensibles
Tu sais que même avec le temps les plus rebelles s’assagissent
J’veux voir d’la joie au lieu d’la haine dans les yeux des gens
J’ai d’la peine quand j’regarde les infos, et vois c’qui s’passe sur d’autres continents
J’vis là où les jours s’confondent avec la nuit
Là où aussi on laisse peu d’chances aux plus démunis
Aux orphelins qui retrouvent l’amour dans un foyer secondaire
Dès leur enfance, bercés par la colère d’un père
Toutes nos valeurs sont écoulées dans les ZUP
Une violence urbaine au milieu des nôtres
Rêve d’une terre sans discriminations, sans conflits
Tend la main à ceux dans la solitude
Comme ce p’tit paralysé sur un lit, qu’on voit qu’le bonheur ce second souffle
Y’a des gens qui souffrent, et qui font pas semblant
Pour tous les pays en guerre, j’agite le drapeau blanc
Baissez les armes, séchez vos larmes pour un jour de paix c’est maintenant

[Refrain]
Si la paix pouvait embrasser ce monde juste un jour
Une trêve, une pause pour que l’on sache après quoi on court
Sait-on encore c’que signifie l’amour ?
J’ai bien peur que non, Dieu nous le montre tous les jours…
La planète tourne à l’envers, ça m’fait peur
Voyez vous les flammes de l’enfer frères et sœurs
Ne lui vendez pas vos âmes

[Pont : Rim’K & Blacko]
Comment rester insensible ?
La violence déborde, changer l’attitude de l’être humain est-ce possible ?
Comment rester insensible ?
Une vie minable dans un quartier minable mais pour la paix tant qu’c’est possible

[Outro]
Ohohoh yeah …man
113, Blacko
9-4, 9-5
Gotcha music
Ghetto youth progress
Yeah man
Comment veux-tu qu’la terre tourne à l’endroit si nos cerveaux marchent à l’envers man ?
Reaction, reaction !

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Abra : « Rose » (2015)

Aaliyah avait contribué à redéfinir une forme de R&B largement travaillé par la pop et le hip hop, mais l’orientation restait résolument ancrée dans une accessibilité tendant ouvertement au commercial.

Avec la chanteuse Abra, la « duchesse de la darkwave », on a un profil tout à fait similaire, mais avec cette fois une optique d’intimisme tourmenté et d’affirmation féminine dense et en-dehors des attentes des codes dominants.

Cette perspective, commune à d’autres artistes comme Kelela, Princess Nokia ou encore Tommy Genesis qui est proche d’Abra, n’est jamais simple de par les risques de sombrer dans l’esthétisme faussement rebelle de la posture identitaire, comme le « queer ».

Abra s’y arrache pourtant pour l’instant de manière magistrale grâce à son très haut niveau culturel, au moyen d’une R&B tendant vers cet electro vaporeux, froid, lancinant, d’une puissance démesurée.

Le plus impressionnant est que dans son premier album Rose en 2015, on croit qu’Abra pratique ses gammes, touchant à toutes les extrémités possibles d’une musique feutrée et dansante, avec à chaque fois une touche différente, une approche choisie.

S’agit-il d’ailleurs d’une pop electro tendant à la Soul pleine de langueur, visée de la quête inaboutie cette dernière décennie de Madonna, ou bien d’une musique de club envoûtante, ou encore de la bande originale d’une vie urbaine musicalisée, à la fois hostile à la société et totalement dedans, comme le vivent les jeunes ?

La nature féminine ainsi qu’afro-américaine du véritable projet d’Abra saute aux yeux. On est clairement dans une affirmation particulièrement étudiée, de la part d’une jeune chanteuse qui se produit avec un micro et un ordinateur, avec une aisance oscillant entre jeu sensuel et touche garçon manqué.

Et en arrière-plan, il y a cette force de frappe de l’esprit funk, avec cette basse frappant le rythme dans la première partie des années 1980, ou encore à la soul et son esprit particulièrement chaleureux. Ici, la seconde chanson n’est pas sur l’album, mais est issu d’une collaboration avec Stalin Majesty.

On a ici quelque chose de résolument moderne, correspondant à l’esprit de synthèse. Née à New York dans une famille de missionnaires s’installant à Londres juste après sa naissance, Abra a vécu à Atlanta à partir de 8 ans.

Sa famille interdisait la musique semblant non conforme à la religion, donc elle fonde sa culture musicale sur le folk, le jazz, le flamenco, pour ensuite se tourner elle-même vers la pop, son frère se tournant vers le punk et le neo-metal.

L’album Rose, sorti en 2015, revient quant à lui toujours à la R&B, mais Abra a une production inépuisable et les commentateurs musicaux sont unanimes pour souligner à quel point son avenir sera d’une très grande signification culturelle.

Loin de tout formatage identitaire individuel, on a ici une expression personnel faisant synthèse de plusieurs courants musicaux, avec une démarche solide et une très haute qualité, ici de l’autoproduction exigeante : Abra est une référence de la fin des années 2010.

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Princess Nokia : « 1992 Deluxe » (2017)

Destiny Frasqueri alias Princess Nokia, avec son album l’album 1992 Deluxe sorti en septembre 2017, a réussi à produire à quelque chose de très intéressant, exprimant quelque chose de très fort, correspondant à une réaffirmation féministe urbaine des femmes, à travers un style hip hop marquée profondément par la soul et le R&B.

Pour bien évaluer la valeur et les limites de sa démarche, il faut se tourner vers ce qu’elle a fait juste avant, sous le nom de Destiny : une approche soul marqué par le funk et le hip hop, entre sensualité féminine afro-américaine et affirmation du patrimoine culturel, où l’on sent déjà une quête de la reconnaissance identitaire et personnelle, avec un son « maîtrisé ».

Ce que donne la musique en tant que Princess Nokia est bien différent. Dans une synthèse d’agressivité et d’esprit universel, mêlé à des sons particulièrement léchés, 1992 Deluxe est un album de reprise du terrain par les femmes, avec une orientation clairement tournée vers l’esprit de patrimoine, de culture, de communauté.

En ce sens, les chansons Bart Simpson et Kitana sont sans doute les plus révélatrices de l’atmosphère réelle à laquelle appartient la chanteuse dans sa dimension authentique : celle du hip hop d’une grande ville, avec une froideur quotidienne dans une immensité bétonnée, compensée par une quête de chaleur sociale, dans l’esprit de la musique soul.

C’est d’autant plus intéressant que à moins de se renouveler entièrement, ne pourra pas dépasser cette œuvre fondamentalement intéressante. La base de sa démarche est déjà corrompue, en raison de son « jeu » avec les identités.

Destiny Frasqueri a en effet un parcours chaotique : elle est d’origine afro-porto-ricaine et caribéenne, élevée dans différents foyers, sa mère étant décédée du SIDA, lorsqu’elle avait neuf ans, avant d’être élevé en partie par une famille juive. Adolescente en rupture mais s’intégrant dans un milieu plus aisé, elle se tourne vers le punk, vers la mythologie caribéenne des sorcières, ainsi que le mouvement de la Harlem Renaissance des années 1920-1930.

Se tournant alors vers la culture hip hop et R&B, elle prend le nom de Wavy Spice, puis Destiny et enfin Princess Nokia. Or, la valeur de sa démarche ne pouvait qu’attirer le commerce avide de modernité et de différence, de culte de l’identité, dont le phénomène du « queer » est le fer de lance aux États-Unis.

Si elle se veut donc résolument « ghetto » et totalement hostile au commerce de la musique, affirmant mépriser l’argent, elle est déjà justement par là devenue une figure de toute la scène intellectuelle et commerciale qui se prétend en marge.

Vogue a parlé d’elle, elle a défilé pour Calvin Klein, sa musique a pu être repris pour tel défilé de mode, alors que bien entendu des médias comme l’anglophone Vice ou le germanophone Spex la célèbrent pour son identité décalée, sa vulgarité outrancière, son affirmation féministe, etc.

La chanson Tomboy est un excellent exemple de cette fétichisation de l’identité. L’esthétique de la chanson se rattache à l’esprit révolté des années 1970, avec un féminisme de conquête de l’espace public clairement affirmé, tout comme la remise en cause des stéréotypes exigés par les femmes, y compris la beauté.

Mais cela passe par la vulgarité et la quête de reconnaissance identitaire, la chanteuse expliquant que « avec mes petits sein et mon gros ventre / Je peux prendre ton mec si tu me laisses faire », tout en disant en même temps être un mannequin pour Calvin Klein.

Cette démarche identitaire se retrouve dans la vidéo à prétention éco-féministe Young girls, au style totalement déconnecté de Tomboy, mais de la même démarche identitaire. La chanson Brujas, sur les sorcières caribéennes, serait alors une sorte d’intermédiaire.

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Princess Nokia pourra-t-elle se sortir d’un tel tournant identitaire, résolument commercial malgré sa prétention à ne pas l’être ? Cela révèle toutes les limites du phénomène « queer », qui prétend dépasser les clichés, mais qui au lieu des les abolir les fabrique au kilomètre, perdant de vue la société pour ne se tourner que vers l’individu s’imaginant roi… ou reine, ou princesse.