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Le mariage des prêtres, entre histoire et théologie

La question du mariage des prêtres peut se prêter à un petit aperçu historique, prétexte à une compréhension plus approfondie de ce qu’est une religion. C’est un débat nécessaire pour la Gauche, qui a perdu énormément de terrain dans sa lutte anti-cléricale ou plus directement anti-religieuse.

Le mariage, Giulio Rosati, 1885

A l’occasion des propos du pape François sur le mariage des prêtres, un article publié sur agauche.org a affirmé que le refus de ce mariage était un principe théologique inaliénable du catholicisme. Aucune « modernisation » ne serait possible, ni même souhaitable finalement, car la religion ne sert que les réactionnaires.

Un lecteur a alors fait la remarque comme quoi le mariage des prêtres n’a été interdit qu’au cours du moyen âge, afin que les prêtres cessent « de léguer les propriétés religieuses à leurs familles ». La théologie, finalement, ne jouerait un rôle que secondaire.

Cette question est tout à fait intéressante, au-delà de son simple thème, car elle pose la question du rapport entre l’économie et la culture, l’idéologie, la théologie. Pour dire les choses plus crûment on a la vieille problématique que les marxistes appellent l’opposition infrastructures / superstructures, avec tout une panoplie d’évaluations différentes de leur rapport. Vu le poids des religions dans le monde, on n’échappe pas à l’approfondissement d’une telle mise en perspective.

Cependant, en ce qui concerne la question proprement dite, notre lecteur a vraisemblablement raté l’évolution, la transformation, l’actualité de ce qu’est l’Église catholique comme religion. Le refus de la réalité matérielle au profit d’un monde idéal immaculé est en effet le cœur du catholicisme et cela de plus en plus. Ou, si l’on veut, le catholicisme est bien plus que du cléricalisme : c’est un mysticisme complet. Ce que les gens religieux ne voient pas le plus souvent, parce qu’ils ne s’intéressent pas à de telles fantasmagories.

Regardons ce qu’il en est, de manière organisée. Déjà, le catholicisme refuse le mariage, par définition même, pour ceux qui font le choix de la pureté. Il fait en effet une grande distinction entre les croyants et le personnel religieux, et même au sein de ce personnel religieux il y a une hiérarchie très importante.

Cette hiérarchie est d’ordre mystique ; elle est notamment théorisée par le (pseudo) Denys l’aréopagite. Pour faire court, lors de l’Eucharistie, le pain est vraiment le corps du Christ et le vin vraiment son sang. Mais pour que cette opération qu’on peut appeler « magique » ait lieu, il faut un magicien. Ce magicien c’est le prêtre.

Et comment fait-il apparaître le corps et le sang ? En étant l’époux de l’Église. Il a, si l’on veut, des super pouvoirs parce qu’il est marié à un seul être, l’Église qui aurait été établie à la demande du Christ. S’il se mariait à quelqu’un d’autre, il perdrait ses super-pouvoirs : il ne peut donc pas se marier avec un être humain. Ou bien, on peut inverser la proposition : si avec les protestants on enlève la dimension « magique » du dimanche, alors le vin est seulement du vin, le pain seulement du pain, et le prêtre peut se marier (il est alors simplement pasteur, par ailleurs).

En termes juridiques catholiques romains, cela donne cela dans le Code de droit canonique de 1983 :

« Can. 277 – § 1. Les clercs sont tenus par l’obligation de garder la « continence parfaite et perpétuelle » à cause du Royaume des Cieux, et sont donc astreints au célibat, don particulier de Dieu par lequel les ministres sacrés peuvent s’unir plus facilement au Christ avec un cœur sans partage et s’adonner plus librement au service de Dieu et des hommes. »

Le catholicisme est ici une religion « fusionnelle », comme l’hindouisme. Ni le judaïsme, ni l’Islam ne vont aussi loin dans ce rejet de la réalité matérielle. Voilà pour la dimension théologique.

Maintenant, on se doute bien que si telle ou telle conception a a gagné dans l’Église catholique romaine, ce n’est pas simplement parce que son argumentaire théologique était supérieur. Il y a des intérêts matériels que les différents points de vue reflétaient. Et effectivement pour empêcher la dispersion des biens de l’Église, le célibat a été instauré de manière rigide. Auparavant les hommes mariés avant de devenir prêtres pouvaient le rester, mais devenir abstinents. Comme cela ne marchait pas vraiment et qu’on avait peur que les fils réclament le poste ou les terres ou le privilèges, il a été procédé à la fin de 1100 à la suppression de l’ordination des hommes mariés.

Seulement, on aurait tort de voir simplement une sorte de machiavélisme de l’Église. Il faut en effet voir qu’avant l’an 800, l’Église n’était pas forte comme elle le fut justement après. Ce n’est qu’avec l’appui d’une féodalité développée que la religion a connu une expansion très forte qui a, on s’en doute, demandée davantage de personnel. On passe, si l’on veut, des petits monastères dans les campagnes, des églises romanes, aux églises gothiques, aux cathédrales. Avec le célibat forcé, l’Église a juste fait le ménage dans ses nombreuses recrues.

Ce qui a été machiavélique, ce n’est pas tant de décider subitement le célibat, mais de l’avoir mis de côté simplement pour devenir une religion de masse, et une fois établie, de remettre tout en ordre… De plus, si l’Église fait ce rappel à l’ordre, ce n’est pas simplement pour ses propres intérêts. C’était aussi en rapport avec sa concurrence avec la noblesse, mais ceci nous éloigne du sujet.

Donc, il y a eu ménage de fait, qui rentre évidemment en adéquation avec ses intérêts, mais il y a bien une vie autonome de l’Église. On peut prouver cela de deux manières. D’abord, l’Église d’Orient n’applique pas ce principe, sauf pour les moines et les évêques. On peut dire que l’orient n’a pas connu la même féodalité que l’occident, mais cela ne fait que déplacer le problème : pourquoi y a-t-il telle chose en occident, telle chose en orient ?

Ensuite, et c’est le grand paradoxe, le célibat du clergé ayant reçu les sacrements est, dans l’Église catholique, une règle de discipline et non d’un point de foi. Cela signifie concrètement qu’on ne touche pas au dogme si l’on instaure le mariage des prêtres : c’est juste une mesure administrative, rien de plus. C’est donc, somme toute, assez facile à mettre en place.

Mais l’Église catholique ne veut pas le faire, elle ne cesse de le rappeler. Pourquoi ? Parce qu’elle prétend être la porte vers l’au-delà. Et une structure tournée vers l’au-delà ne peut pas prétendre en même temps être tourné vers le monde matériel. C’est pour cela que les juifs, les musulmans, les protestants vaquent à leurs occupations, tout en étant de bons juifs, de bons musulmans, de bons protestants. Chez les catholiques, ce n’est pas possible : seul compte l’au-delà.

Si jamais se pose d’ailleurs la question ici des djihadistes, qui veulent atteindre l’au-delà, il faut bien voir que leur Islam « fusionne » le monde matériel et l’au-delà. Les lois musulmanes sur Terre sont déjà une préfiguration, voire un moment de l’au-delà. C’est la conception du Tawhid, de l’unicité divine.

Chez les catholiques, l’univers est quant à lui coupé radicalement en deux, et seul l’au-delà compte. La religion n’est pas qu’une structure liée à l’économie ou des intérêts matériels : elle naît aussi comme opium du peuple, inquiétude métaphysique, quête mystique de l’au-delà. En fait, elle se nourrit de l’absence de reconnaissance du monde matériel, à quelque échelle que ce soit.

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Un mariage socialiste (1896)

Un mariage socialiste

La revue socialiste

Février 1896

On ‘accuse couramment les socialistes de vouloir tout remettre entre les nuits de l’État. La vérité est que, en rendant à la collectivité, surtout dans le domaine économique, certaines choses qui doivent loi appartenir, ils veulent aussi restituer à l’individu, dans le domaine politique, religieux, civil, beaucoup de prérogatives que l’État leur pare détenir indûment.

Ainsi, beaucoup d’entre eux estiment que l’État non plus que l’Église n’a point â intervenir dans le mariage, du moment qu’il cesse erre l’association de deux fortunes ou de deux positions, afin de redevenir, ce qu’il devrait toujours être pour le bien de l’espèce et des époux, l’union de deux êtres humains qui se, sont choisis en pleine liberté.

Sans empêcher ceux qui le désirent de chercher une consécration officielle, légale ou ecclésiastique, ils réclament le droit de s’en passer, et cela non point dans le désir de diminuer la valeur morale ou de rabaisser l’importance de l’acte accomplir mais, au contraire, en vue d’accroître l’une et de rehausser l’autre.

En fondant la famille sur l’amour, sur la confiance mutuelle, sur un engagement, solennel sans doute, mais affranchi de toute sanction extérieure, ils dégagent la création d’un nouveau foyer domestique des bas calculs d’intérêt et des vilaines idées de chalut qui s’y trouvent trop souvent associés.

On peut, si l’on veut, taxer d’imprudence les parents et les fiancés qui ont une foi aussi profonde dans la parole jurée, bien qu’il faille peu compter pour empêcher la désunion possible sur le lien fragile établi par la loi; mais on ne saurait sans injustice méconnaître ce qu’a de noble et de généreux l’appel exclusif fait en pareille matière à l’honnêteté et à l’affection réciproque.

Tel est le sens de la fête intime qui a eu lieu, le 10 janvier dernier, dans les bureaux de la Revue Socialiste.

Mademoiselle Héna Mink, la plus jeune fille de notre amie Madame Paule Mink, et filleule de notre vénéré maître Benoît Malon, épousait en union libre un jeune et vaillant militant du parti socialiste, Monsieur Henri Jullien.

Devant une assemblée de parents et d’amis, qui remplit la salle décorée de fleurs et de plantes vertes, M. Rodolphe Simon, administrateur de la Revue Socialiste (en l’absence de M. Georges Renard, directeur) reçoit le jeune couple.

La mère de la mariée, Madame Paule Agnis, très impressionnée, dit quelques mots :

« Mes amis, je vous ai priés de vous réunir ici pour vous présenter ma fille et le jeune homme qu’elle aime, le citoyen Henri Jullien, qui désirent se marier en union libre et ont tenu à vous faire part de leur résolution.

Si j’ai consenti à une telle union, qui sera celle de l’avenir, c’est que je connais bien le jeune homme auquel ma fille va s’unir et que je le sais loyal et fier, incapable d’une tacheté et d’une vilenie.

L’union libre est la plus sérieuse de toutes ; car elle n’a pour consécration que la conscience des deux époux, pour sanction que le respect de leur propre dignité. »

Le citoyen Rodolphe Sinton, en quelques paroles émues, félicite les jeunes gens de l’exemple qu’ils donnent et du courage qu’ils montrent en contractant une union libre, « la plus belle et la plus noble de toutes » dit-il.

Il rappelle le souvenir de Benoît Malon et souhaite tout le bonheur possible aux deux jeunes conjoints.

Le docteur Blatin, ancien député, grand-maître de la franc-maçonnerie l’année dernière, se lève alors et fait un discours tout empreint d’une noble et douce philosophie, que nous regrettons bien de ne pouvoir reproduire tel qu’il a été prononcé :

« Jeunes gens, dit-il, en commençant, vous inaugurez une ère nouvelle ; dans le monde social nouveau nous n’aurons besoin ni de maire, ni de curé, ni de notaire pour nous unir, nous ne prendrons conseil que de notre coeur ; la sanction, nous la trouverons dans notre honneur, et le bonheur nous sera donné, parce que nous serons loyaux et bons, sincères et honnêtes en notre amour comme en toutes choses. »

Tous les assistants serrent les mains des jeunes époux et les félicitent. Un lunch est ensuite offert aux mariés, à la famille, aux amis et invités, par M. Rodolphe Simon, et la journée se termine à Auteuil, par un dîner intime chez M. Argyriadès, directeur de la Question sociale.