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Guerre

Le 11 novembre 2022, rien de nouveau

C’était la première guerre mondiale.

La guerre est une horreur tout à fait concrète, épuisant les hommes au plus profond du corps et de l’esprit. Quand elle ne tue pas. C’est ce que raconte avec puissance le fameux roman À l’Ouest, rien de nouveau (Im Westen nichts Neues en allemand), publié par Erich Maria Remarque en 1929.

En voici les premières lignes, racontant la vie d’une poignée d’hommes au front. Ils sont les rares survivants d’une compagnie de 150 personnes et se retrouvent alors très content d’avoir une immense ration de nourriture et de tabac à se partager.

Il faut lire ce livre, ainsi que voir le film éponyme sorti l’année suivante en 1930, car la guerre mondiale est à nouveau d’actualité le 11 novembre 2022, l’Humanité n’ayant toujours pas compris la leçon.

« À L’OUEST RIEN DE NOUVEAU« 

1

Nous sommes à neuf kilomètres en arrière du front. On nous a relevés hier. Maintenant, nous avons le ventre plein de haricots blancs avec de la viande de bœuf et nous sommes rassasiés et contents. Même, chacun a pu encore remplir sa gamelle pour ce soir ; il y a en outre double portion de saucisse et de pain : c’est une affaire ! Pareille chose ne nous est pas arrivée depuis longtemps ; le cuistot, avec sa rouge tête de tomate, va jusqu’à nous offrir lui-même ses vivres. À chaque passant il fait signe avec sa cuiller et lui donne une bonne tapée de nourriture. Il est tout désespéré parce qu’il ne sait pas comment il pourra vider à fond son « canon à rata ». Tjaden et Müller ont déniché des cuvettes et ils s’en sont fait mettre jusqu’aux bords, comme réserve. Tjaden agit ainsi par boulimie, Müller par prévoyance. Où Tjaden fourre tout cela, c’est une énigme pour tout le monde : il est et reste plat comme un hareng maigre.

Mais le plus fameux, c’est qu’il y a eu aussi double ration de tabac. Pour chacun, dix cigares, vingt cigarettes et deux carottes à chiquer : c’est très raisonnable. J’ai troqué avec Katczinsky mon tabac à chiquer pour ses cigarettes, cela m’en fait quarante. Ça suffira bien pour une journée.

À vrai dire, toute cette distribution ne nous était pas destinée. Les Prussiens ne sont pas si généreux que ça. Nous la devons simplement à une erreur.

Il y a quinze jours, nous montâmes en première ligne pour relever les camarades. Notre secteur était assez calme, et par conséquent le fourrier avait reçu, pour le jour de notre retour, la quantité normale de vivres et il avait préparé tout ce qu’il fallait pour les cent cinquante hommes de la compagnie. Or, précisément, le dernier jour il y eut, chez nous, un marmitage exceptionnel ; l’artillerie lourde anglaise pilonnait sans arrêt notre position, de sorte que nous eûmes de fortes pertes et que nous ne revînmes que quatre-vingts.

Nous étions rentrés de nuit et nous avions fait aussitôt notre trou, pour pouvoir, enfin, une bonne fois, dormir convenablement ; car Katczinsky a raison, la guerre ne serait pas trop insupportable si seulement on pouvait dormir davantage. Le sommeil qu’on prend en première ligne ne compte pas et quinze jours chaque fois c’est long.

Il était déjà midi lorsque les premiers d’entre nous se glissèrent hors des baraquements. Une demi-heure plus tard chacun avait pris sa gamelle et nous nous groupâmes devant la « Marie-rata », à l’odeur grasse et nourrissante. En tête, naturellement, étaient les plus affamés : le petit Albert Kropp, qui, de nous tous, a les idées les plus claires, et c’est pour cela qu’il est déjà soldat de première classe ; Müller, numéro cinq, qui traîne encore avec lui des livres de classe et rêve d’un examen de repêchage (au milieu d’un bombardement il pioche des théorèmes de physique) ; Leer, qui porte toute sa barbe et qui a une grande prédilection pour les filles des bordels d’officiers ; il affirme sous serment qu’elles sont obligées, par ordre du commandement, de porter des chemises de soie et, pour les visiteurs à partir de capitaine, de prendre un bain préalable ; le quatrième, c’est moi, Paul Baümer. Tous quatre âgés de dix-neuf ans, tous quatre sortis de la même classe pour aller à la guerre.

Tout derrière nous, nos amis. Tjaden, maigre serrurier, du même âge que nous, le plus grand bouffeur de la compagnie. Il s’assied pour manger, mince comme une allumette et il se relève gros comme une punaise enceinte ; Haie Westhus, dix-neuf ans aussi, ouvrier tourbier, qui peut facilement prendre dans sa main un pain de munition et dire : « Devinez ce que je tiens là » ; Detering, paysan qui ne pense qu’à sa ferme et à sa femme ; et, enfin, Stanislas Katczinsky, la tête de notre groupe, dur, rusé, roublard, âgé de quarante ans, avec un visage terreux, des yeux bleus, des épaules tombantes et un flair merveilleux pour découvrir le danger, la bonne nourriture et de beaux endroits où s’embusquer.

Notre groupe formait la tête du serpent qui se déroulait devant le canon à rata. Nous nous impatientions, car le cuistot était encore là immobile et attendait ingénument.

Enfin, Katczinsky lui cria :

« Allons, ouvre ta cave à bouillon, Henri ; on voit pourtant que les fayots sont cuits ! »

L’autre secoua la tête d’un air endormi :

« Il faut d’abord que tout le monde soit là. »

Tjaden ricana :

« Nous sommes tous là. »

Le caporal cuisinier ne s’était encore aperçu de rien.

« Oui, vous ne demanderiez pas mieux. Où sont donc les autres ?

— Ce n’est pas toi qui les nourriras aujourd’hui ! Ambulance et fosse commune. »

Le cuistot fut comme assommé lorsqu’il apprit les faits. Il chancela.

« Et moi qui ai cuisiné pour cent cinquante hommes ! »

Kropp lui donna une bourrade :

« Eh bien, pour une fois, nous mangerons à notre faim. Allons, commence ! »

Mais, soudain, Tjaden eut une illumination. Sa figure pointue de souris prit un teint luisant : ses yeux se rapetissèrent de malice, ses joues tressaillirent et il s’approcha le plus qu’il put :

« Mais alors… mon vieux !… tu as reçu aussi du pain pour cent cinquante hommes, hein ? »

Le caporal, encore estomaqué et l’esprit ailleurs, fit un signe de tête affirmatif.

Tjaden le saisit par la veste.

« Et aussi de la saucisse ? »

La tête de tomate fit oui de nouveau.

Les mâchoires de Tjaden tremblaient.

« Et aussi du tabac ?

— Oui, de tout. »

Tjaden regarda autour de lui, d’un air radieux.

« Nom de Dieu ! c’est ce qu’on appelle avoir de la veine ! Alors tout va être pour nous ! Chacun va recevoir… Attendez donc… ma foi oui, exactement double ration. »

Mais voici que la tomate revint à la vie et déclara :

« Non, ça ne va pas. »

Alors, nous aussi, nous nous éveillâmes et nous poussâmes en avant.

« Pourquoi donc que ça ne va pas, vieille carotte ? demanda Katczinsky.

— Ce qui est pour cent cinquante hommes ne peut pas être pour quatre-vingts.

— C’est ce que nous te ferons voir, grogna Müller.

— Le fricot, si vous voulez ; mais, les rations, je ne puis vous en donner que pour quatre-vingts », persista la tomate.

Katczinsky se fâcha.

« Tu veux te faire ramener à l’arrière, n’est-ce pas ?… Tu as de la bectance, non pas pour quatre-vingts hommes, mais pour la deuxième compagnie, suffit ! Tu vas nous la donner. La deuxième compagnie, c’est nous. »

Nous serrâmes de près le gaillard. Personne ne pouvait le souffrir : plusieurs fois déjà il avait été cause que dans la tranchée nous avions reçu la nourriture avec beaucoup de retard et toute froide, parce que, quand il y avait un peu de bombardement, il n’osait pas s’avancer suffisamment avec ses marmites, de sorte que nos camarades, en allant chercher le manger, avaient à faire un chemin beaucoup plus long que ceux des autres compagnies. Bulcke, de la première, par exemple, était un bien plus chic type. Il avait beau être gras comme une marmotte, lorsque c’était nécessaire, il traînait lui-même les plats jusqu’à la première ligne.

Nous étions précisément de l’humeur qu’il fallait et, à coup sûr, il y aurait eu de la casse, si notre commandant de compagnie ne s’était pas trouvé à venir. Il demanda la raison de la dispute et se contenta de dire :

« Oui, nous avons eu hier de fortes pertes…» Puis il regarda dans la chaudière.

« Les haricots ont l’air bon. » La tomate fit signe que oui.

« Cuits avec de la graisse et de la viande. »

Le lieutenant nous regarda. Il savait ce que nous pensions. Il savait aussi beaucoup d’autres choses, car il avait grandi parmi nous, et il n’était que caporal quand il était venu à la compagnie. Il souleva encore une fois le couvercle de la chaudière et renifla. En s’en allant il dit :

« Apportez-m’en aussi une pleine assiette. Et on distribuera toutes les rations : ça ne nous fera pas de mal. »

La tomate prit un air stupide, tandis que Tjaden dansait autour de lui.

« Ça ne te fait aucun tort, à toi. On dirait que les subsistances lui appartiennent ! Allons, commence, vieux fricoteur, et ne te trompe pas en comptant…

— Va te faire foutre ! » hurla la tomate.

Il était tout dérouté ; une pareille chose ne pouvait pas entrer dans son esprit ; il ne comprenait plus le monde où il se trouvait. Et, comme s’il eût voulu montrer que maintenant tout lui était égal, de son propre mouvement il distribua encore par tête une demi-livre de miel artificiel.

Aujourd’hui, c’est vraiment une bonne journée. Même le courrier est là ; presque tout le monde a reçu des lettres et des journaux. Maintenant nous déambulons vers le pré derrière les baraquements. Kropp a sous son bras le couvercle d’un fût de margarine. »

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Culture

À l’ouest rien de nouveau, un film-plaidoyer contre la guerre

À l’ouest rien de nouveau (Im Westen nichts Neues en allemand) est initialement un roman de l’écrivain allemand Erich Maria Remarque sorti en 1929, livre qui sera brûlé lors des autodafés nazis en 1933. C’est un roman très connu, de par sa qualité que par sa violente charge contre la guerre. Erich Maria Remarque a participé à la Première Guerre mondiale, incorporée en 1916 et envoyé sur le front de l’est en 1917 où il sera blessé.

Lewis Milestone l’adapte au cinéma l’année suivant sa sortie (All Quiet on the Western Front pour le titre original), en 1930, dans un film très ambitieux, au début du cinéma parlant, et qui recevra deux oscars, celui du meilleur film et du meilleur réalisateur.

Auparavant, d’autres films importants ont déjà traité de la Grande Guerre, comme La grande parade de King Vidor (1925), ou Au service de la gloire de Raoul Walsh (1926), mais aucun n’atteint la puissance évocatrice d’À l’ouest rien de nouveau.

C’est une véritable plongée dans l’enfer des tranchées que propose Milestone. Tout débute dans une classe d’étudiants en Allemagne, d’où on peut voir à l’extérieur, par la fenêtre, un défilé militaire avec une foule patriotique en liesse.

Le professeur lance alors un monologue belliciste et nationaliste, appelant à s’unir pour défendre la patrie contre l’ennemi dans une guerre qu’il prévoit courte et peu meurtrière.

Son discours harangue ses étudiants qui partent alors se porter volontaire, la plupart conquis à l’idée de partir pour cette grande aventure, d’autre plus pour suivre le mouvement général.

Après un passage à l’école militaire pour faire leur classe à ramper dans la boue et obéir aux ordres tyranniques de leur ancien postier, la petite troupe part au front.

À partir de ce moment, le film prend une autre dimension et regorge alors d’inventivité.

Tout d’abord dans la mise en scène avec de nombreux travellings le long des tranchées, montrant les charges des ennemis, avec un montage souvent très haché, faisant monter la tension au fur et à mesure que les soldats adversaires approchent, montrant la peur, l’horreur, tout en restant d’une exemplaire lisibilité.

Clarté d’autant plus remarquable que dans ces scènes d’affrontements les soldats des deux camps sont presque indifférenciés, seuls les casques (à pointe ou non) permettent de faire une différence.

D’ailleurs, tout au long du film, il y a assez peu d’éléments pour caractériser les protagonistes comme allemands, si ce n’est leur nom, et parfois le nom d’une ville au pays. Comme si la même histoire aurait pu être racontée de n’importe quel côté de la ligne de front.

Le travail sur le son a également une importance primordiale pour l’immersion, avec le bruit continu des bombardements, tel une pluie d’obus qui hante les esprits.

On sent par ailleurs un fort héritage du cinéma muet dans de nombreuses scènes qui se passent très bien de parole, et il n’est pas incongru d’y voir également quelques influences du cinéma expressionniste allemand, notamment au début lorsque les étudiants survoltés se déclarent volontaires pour s’enrôler, ou lors de certains plans de soldat dans les tranchées, pouvant même faire songer au fameux triptyque Der Krieg du peintre et graveur expressionniste allemand Otto Dix.

Le lien semble d’autant moins surprenant si on note que Karl Freund a travaillé sur le film en tant que chef opérateur, bien que seul Arthur Edeson soit crédité. Karl Freund a notamment travaillé autour des années 1920 avec deux grands noms du cinéma expressionniste allemand : Robert Wiene et Friedrich Wilhelm Murnau pour lequel il assura la direction de la photographie sur Le dernier des hommes.

Le film possède également de nombreuses scènes clés d’où ressort un fort sentiment de fraternité et pacifisme : que ce soit à l’occasion d’un face à face mortel entre le protagoniste principal Paul et un soldat français dont il dira “tu es un comme comme moi et je t’ai tué”, ou lors de discussions entre camarades. Se posent alors des questions logiques comme les origines de la guerre, dont on dit toujours que c’est l’autre camp qui l’a débuté, et son apparente absurdité, qui doit bien servir à quelques-uns.

Une des plus grandes réussites du film, c’est la caractérisation et le parcours de ses personnages, révélant la déshumanisation amenée par la guerre. Pour continuer à se battre, alors il faut abandonner toute compassion, toute empathie, il faut se débarrasser peu à peu de sa vie intérieure. Ce qui donne des personnages qui ne sont plus que des machines de guerre, complètement inadaptées à un retour à la vie civile.

Un autre obstacle à ce retour, pour Paul, est le fossé qui se creuse au fil du temps entre l’abstraction qui est faite de la guerre par les gens restés à l’arrière, au pays, et ceux qui comme lui rentrent, pour de bon ou en permission, et qui ont eu une expérience sensible de celle-ci, bien loin de l’aventure exaltante vantée par son professeur au début du film.

Ainsi, il y a plus de 90 ans, À l’ouest rien de nouveau lançait un puissant plaidoyer contre la guerre.

On remarquera qu’à l’époque le Parti communiste en France a valorisé le film, parlant dans le journal L’Humanité d’une œuvre remarquable, et de l’auteur comme étant un « véritable talent ». Ce fut pareil pour le livre, dont un extrait fut publié et valorisé dès 1929 dans la rubrique « Les bonnes pages », l’ouvrage étant considéré au même plan que le célèbre Le Feu, journal d’une escouade d’Henri Barbusse.

Il était écrit en présentation de l’extrait :

« Écoutons, raconté par un soldat allemand, le tragique récit d’une « attaque au gaz »… Et tirons-en la haine, la haine de classe et la volonté d’action révolutionnaire contre le régime qui prépare le retour de « cela ». »

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Guerre

La Gauche a perdu l’interprétation de la Première Guerre mondiale

Depuis quelques années, l’interprétation totalement dominante de la Première Guerre mondiale est que celle-ci a été mal gérée, mais était un mal nécessaire et de toute façon relevant du passé. Toute la dénonciation anti-guerre de la Gauche se retrouve totalement marginalisée.

À la fin de la Première Guerre mondiale, la base de la Gauche s’est soulevée dans de très nombreux pays contre une direction politique qui a soutenu la guerre. Cela a produit les partis communistes, mais également des partis socialistes renouvelés. Il était évident à tout le peuple que cette guerre, c’était la guerre des banquiers et des marchands de canon.

Normalement, dans notre pays, cela se sait. Sauf que ce n’est désormais plus le cas. Il y a, en raison de la participation d’une très large partie de la Gauche au gouvernement pendant des décennies, en raison de la perte des fondamentaux, une capitulation complète devant l’interprétation militariste de la Première Guerre mondiale.

Cela aurait été un coup des Allemands, ainsi que des Autrichiens et des Russes qui de toute façon étaient monarchistes et réactionnaires. La République française n’aurait pas voulu la guerre, les généraux auraient parfois mal géré, mais c’est du passé et, de toute façon, on a gagné et récupéré l’Alsace et la Lorraine.

C’est une catastrophe, surtout alors que de nouveaux conflits se pointent à l’horizon. L’idée d’une France non militariste prédomine dans notre pays, alors qu’en réalité les agressions extérieures sont extrêmement nombreuses, sans parler du colonialisme modernisé dans une large partie de l’Afrique.

Toute une leçon historique, payée dramatiquement avec le prix du sang de millions de personnes, a été littéralement perdue. Cet immense acquis de l’expérience populaire – les dominants sont prêts à aller à la guerre en mobilisant sur la base de la démagogie chauvine – a disparu. Comment va-t-on faire dans le futur ?

Car un tel poison, lorsqu’il est actif au plus profond d’un pays, se maintient durablement. Ainsi, en 1945, la totalité des masses allemandes, à très peu d’exceptions près, considère que la guerre a été perdue, que leur pays a été envahi. Le fanatisme nationaliste, militariste, est allé jusque-là.

Pour cette raison, il est probable qu’il n’est plus possible de récupérer le terrain perdu. Les cérémonies pour les cent ans de 1918 ont d’ailleurs définitivement asséché toute critique. L’État est allé jusqu’à réhabiliter des fusillés, pour vraiment détruire toute possibilité d’espace critique.

Vue la faiblesse de la Gauche, aucune campagne au sujet de la Première Guerre mondiale n’est de toute façon possibles ; elle apparaîtrait de toute façon comme totalement décalée. Ce qui signifie qu’un terrain a été perdu, qu’une position a été perdue dans la société. Et ce n’était pas n’importe quelle position.

Car à quoi va ressembler la guerre de l’avenir ? Beaucoup de gens se voilent la face en pensant que, de toute façon, une guerre ne pourra plus jamais se fonder sur une mobilisation totale. La guerre serait devenue une affaire de professionnels, de spécialistes combattant qui plus est sur des territoires extérieurs.

C’est là une erreur terrible, due à une soumission complète aux mensonges du capitalisme qui prétend amener la paix internationale. Car oui le capitalisme, par ses échanges, amène la paix internationale. Mais en même temps il amène la guerre internationale.

Les énormes échanges nationaux entre pays à la veille de 1914 n’ont pas empêché la déflagration ; ils ont même accompagné le processus y amenant. Car le capitalisme, c’est plus de capital, tout le temps, et il faut bien qu’il se place quelque part. S’il n’y a plus de place, il faut forcer le passage. Cela signifie la guerre.

Et une guerre, cela implique le contrôle, l’assimilation territoriale. Cela implique une mobilisation de masse, des efforts de grande envergure à l’échelle du pays. On peut être certain du traumatisme immense qui va naître dans le peuple français avec toute cette question de la guerre.

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Politique

11 novembre 1918 : comment Emmanuel Macron n’a pas parlé d’Octobre 1917

Dans son discours lors de la cérémonie du centenaire du 11 novembre 1918, Emmanuel Macron a fait comme tous les journalistes et historiens : il n’a pas mentionné les révolutions russes de février et d’Octobre 1917, qui ont ébranlé la première guerre mondiale.

Emmanuel Macron

Pour faire court, rappelons de manière sommaire les faits. Les empires étaient très faibles, de par leur base moyen-âgeuse, l’Autriche-Hongrie et la Russie étaient incapables de mener la guerre, de par leur intendance lamentable, la faiblesse de leur appareil d’État bureaucratique, etc. La Russie s’effondre avec la révolution démocratique de février 1917. Mais le gouvernement veut continuer la guerre et il est lui-même renversé à l’initiative des bolcheviks de Lénine en octobre 1917, avec le mot d’ordre « pain paix liberté ».

La Russie sort alors de la première guerre mondiale. Qui plus est, comme le drapeau rouge flotte sur le Palais d’Hiver, c’est la panique générale dans toutes les bourgeoisies européennes. Si la guerre continue, que cela se passe mal, n’y a-t-il pas les risque d’un soulèvement général ? La Gauche, brisée par la guerre et intégrée dans les institutions, ne risquent-elles pas de renaître à travers une désobéissance générale ?

Cette peur était accompagnée, effectivement de nombreuses mutineries, de protestations toujours plus nombreuses de la part des soldats. La guerre s’enlisait, la fièvre nationaliste s’était lassée dans les tranchées, les massacres dans les affrontements ne modifiaient pas réellement les lignes de front.

Il fallait donc en terminer la guerre coûte que coûte et c’est l’intervention américaine qui va être décisive, alors que l’Allemagne n’était plus en mesure de pouvoir assurer l’intendance de sa propre armée pour très longtemps. C’est pour cela que la guerre fut terminée d’un coup, sans aller jusqu’à Berlin. Il fallait se débarrasser de la guerre, le plus vite possible, couper court à toute rébellion et faire en sorte que le soulagement de la fin de la guerre se transforme en joie apolitique, sans conséquences pour le régime.

Le silence d’Emmanuel Macron est révélateur de ce qui est masqué. D’ailleurs, les médias et les historiens ne sont-ils pas restés silencieux pareillement au moment du centenaire d’Octobre 1917, un événement qui a pourtant ébranlé l’histoire du monde ?

La manière dont ce silence s’est déployé est révélateur de la hantise, encore aujourd’hui et avec raison, des bourgeois devant le spectre de la révolution sociale, et plus exactement du socialisme, qui représente leur antithèse exacte.

La mobilisation populaire organisée, assumant la gestion du pays, voilà ce qui est leur grande peur. D’où la nécessité de vanter l’État, d’infantiliser les gens, d’effacer les expériences historiques de véritable démocratie, de nier la possibilité même pour le peuple d’être lui-même l’État.

L’État ne pourrait exister que par en haut, au moyen de quelques milliers de spécialistes, en collusion avec les grandes entreprises. Un État par en bas, comme l’État des « soviets », des « comités », n’est même pas présentée comme une absurdité, mais comme une impossibilité, et comme il y a eu une expérience historique, il s’agit de ne pas en parler.

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La première guerre mondiale, les républiques, les empires

Marine Le Pen a affirmé il y a peu que les empires, et non les nations, étaient responsables de la guerre. C’est un discours parallèle à celui d’Emmanuel Macron sur l’unité européenne contre les nations, dans le sens où cela témoigne d’une course à la puissance, au renforcement dans le cadre d’une éventuelle guerre pour le repartage du monde.

Marine Le Pen

Il y a quelques jours, Marin Le Pen a expliqué qu’Emmanuel Macron aurait tort de dénoncer le nationalisme comme cause de guerre. Selon elle, la première guerre mondiale aurait été provoqué par les empires, non par les nations. Et selon elle encore, Emmanuel Macron serait justement partisan d’un empire, l’empire européen, ne pouvant conduire qu’à la guerre.

A l’arrière-plan, on retrouve beaucoup de choses. Marine Le Pen reprend le thème classique comme quoi seuls les empires – l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, voire la Russie – auraient été les forces motrices de la tendance à la guerre. Sauf que la Grande-Bretagne était alors un empire, et que qui plus est la France l’était aussi, en tant que « République » étant un empire colonial.

La France de la première guerre mondiale n’était pas un État national, mais un empire multiculturel ne sachant pas comment faire pour maintenir son emprise, oscillant entre universalisme avec intégration de tous et demi-apartheid.

Il y a également chez Marine Le Pen la seconde idée qu’une France non alliée à l’Allemagne tirerait davantage ses épingles du jeu, alors que les États-Unis et la Chine vont à la confrontation. Une « république » avec une base sociale contrôlée serait plus sûre, plus à même de manœuvrer, qu’une France intégrée dans une Union Européenne centralisée dans sa direction par une tête franco-allemande.

Ce qui revient à cette idée malsaine, fondamentalement malsaine, de placer son pays sur l’échiquier géopolitique des affrontements mondiaux, de raisonner uniquement en termes de partage et de repartage du monde.

Il ne faut pas ici se voiler la face, une partie importante des Français raisonnent déjà ainsi, expliquant que « les Chinois vont nous bouffer », qu’il existe un complot américano-sioniste, que Merkel veut un grand Reich allemand de nouveau, ou bien encore que seule l’Union Européenne peut relancer la France dans la course mondiale.

Un raisonnement du même type explique que l’écologie ne sert à rien en France, car seuls les États-Unis et la Chine compteraient si on s’intéresse à ce domaine.

Le problème de fond est que la France a été une très grande puissance, qu’elles est affaiblie, mais encore très puissante. Il y a donc un complexe et souvent la volonté de la grenouille de se faire plus grosse que le bœuf. Il y a un sentiment inacceptable de perte de puissance impérialiste, qui provoque des réactions épidermiques nationalistes.

Tout cela accumulé risque de transformer le pays en cocotte-minute nationaliste, avec des fractions politiques s’affirmant pour ou contre l’Union Européenne, mais toujours avec comme seule perspective le renforcement de la France.

Jean-Luc Mélenchon, qui ne critique jamais l’armée française comme institution et appelle la France à développer économiques les zones océaniques qu’elle contrôle, est un bon exemple d’une telle variante, ici sociale-impérialiste, c’est-à-dire sociale en parole, impérialiste dans les faits.

Cela n’est pas gai et ce sentiment de frustration impérialiste peut nous péter à la figure, tout comme le ressentiment italien a été marquant après 1918, dans un pays victorieux mais à qui la victoire n’a rien apporté, à part cette impression d’être une puissance de seconde zone.

On sait comment est le patriotisme français, hautain au point d’accepter une critique éventuelle de gens d’autres pays, mais de mauvaise foi et prompt au nationalisme. Il y a là une bombe à retardement culturel.

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Politique

La cérémonie du 11 novembre 2018 et l’incohérence si française

La cérémonie du 11 novembre, avec sur les Champs-Élysées de très nombreux chefs d’État, est la preuve que la France est entièrement enserrée dans une idéologie à la fois républicaine et guerrière, chauvine et libérale. Une incohérence qui lui fournit cependant une vraie dynamique.

Cérémonie 11 novembre 2018. Emmanuel Macron.

Il est difficile de faire de la politique en France, car les Français sont incohérents. Ils sont plutôt contre le libéralisme économique, mais dans tous les cas pour le libéralisme politique et culturel. Ils sont opposés au nationalisme, mais pratiquent un chauvinisme maquillé en fierté de la « grande nation ». Ils détestent le système social américain, mais adorent Apple et McDonald’s, les films de gangsters et la course à l’argent.

Ils sont contre les impôts, mais pour la sécurité sociale. Ils sont pour les grandes idées et la culture, voire pour le communisme, mais pratiquent le cynisme, consomment des choses culturellement stupides, ne lisent plus de livres. Ils sont pour l’égalité hommes-femmes, mais acceptent le machisme « latin ». Ils sont contre le racisme, mais ne quittent pas le terrain des préjugés sur les autres peuples.

Quand ils sont catholiques, ils pensent que le pape peut dire ce qu’il veut et que cela ne change pas grand-chose ; quand ils sont juifs et musulmans ils pensent pareillement que c’est l’intention qui compte. Le Parisien adore les musées de sa ville, mais n’y va pas. Le Français râle contre chaque président, mais votera passionnément pour le prochain.

Toute cette incohérence fait qu’on ne sait pas comment s’y prendre pour aborder les Français, et Emmanuel Macron, qui se veut un grand modernisateur, tout étant un ardent défenseur de la chasse et des chasseurs, correspond à cette incohérence française.

La cérémonie d’hier du 11 novembre en dit beaucoup à ce sujet également. Les Français considèrent la première guerre mondiale comme une boucherie, mais en même temps ils acceptent sans broncher le discours républicain patriotique. Il suffit pour cela qu’il soit parlé de paix.

Les Français ont donc accepté et apprécié. Sur les Champs-Élysées, de très nombreux chefs d’État entouraient Emmanuel Macron, pour des petites cérémonies militaires, des intermèdes musicaux, des lectures de documents d’époque, etc. Ce sont des lycéens de Seine-Saint-Denis qui lisaient les documents, il y a eu un petit intermède musical d’Afrique, avec une femme en tenue traditionnelle d’un peuple de ce continent, Emmanuel Macron a vanté l’armistice : tout est parfait pour un confort national ouaté.

Qu’importe s’il a proféré le mensonge comme quoi la guerre de 1914-1918 était une bataille pour la patrie et la liberté, avec des gens du monde entier venant rejoindre les rangs de l’armée française, car « la France représentait ce qu’il y a de plus beau dans le monde ».

Tout cela ne compte pas, car les Français ont capitulé devant l’État et son appareil, son armée et son administration. Du moment qu’il est possible de râler, d’être mécontent, de recevoir des aides de l’État à certains moments, le contrat est signé et l’État peut faire ce qu’il veut.

Cette attitude n’a pas changé depuis 1914, il y a la même confiance méfiante en l’État et si l’État disait de nouveau : il faut la guerre, les Français donneront pareillement leur blanc-seing. Si c’est ainsi, c’est qu’il n’y a pas le choix, tout le monde n’est-il pas raisonnable ?

C’est exactement ce raisonnement qui a coulé la Gauche en 1914, qui était contre la guerre et l’armée, mais a fait confiance en l’État, considérant que l’administration et l’armée devaient forcément être raisonnables face à une telle crise.

Cette capacité à protester, râler, rager, combattre quelque chose, tout en faisant finalement tout de même confiance, en dernier recours, est la vraie caractéristique de l’attitude des Français. Tant que n’est pas brisée une telle démarche, la Gauche sera toujours engloutie dans les sables mouvants d’une République qui est un simple appareil de la bourgeoisie, dont la prétention humaniste et universaliste, raisonnable et généreuse, pour fausse qu’elle soit, hypnotise avec force, encore et toujours.

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La première guerre mondiale, ce grand non dit en France

Malgré son importance et son caractère de boucherie générale, de militarisme et de fanatisme, la première guerre mondiale est considérée en France comme une petite période à part, dont finalement personne ne serait responsable.

Soldats français à l'assaut sortent de leur tranchée pendant la bataille de Verdun, 1916.

La première guerre mondiale a été une horreur, et surtout une horreur où les Français ont participé avec beaucoup de bonne volonté. Le patriotisme a été tellement généralisé qu’il n’y a eu aucune opposition à la guerre ; les socialistes de la SFIO et les syndicalistes de la CGT sont eux-mêmes passés dans le camp de l’affrontement.

On a beau jeu de dire aujourd’hui que les soldats sont partis la fleur au fusil, car ils pensaient revenir vite. C’est là un raccourci qui masque que, concrètement, tous les Français faisaient confiance à la « République », considérée comme critiquable peut-être, mais objective en ce qui concerne les questions générales.

C’est tellement vrai qu’il ne reste aucune mémoire de cela. Normalement, la guerre laisse des traces, en littérature, dans les films, dans la culture en générale. Non pas sous la forme générale de la guerre, mais dans le détail, dans le vécu, dans des anecdotes, des mémoires.

Or, là il n’y a rien. C’est comme si la guerre avait été celle de la République, qu’on a gagné en 1918, et que cela s’arrête là. Cela a d’autant plus été vrai que la guerre a été gagnée.

Le seul roman de grande valeur sur la guerre, c’est Le feu, journal d’une escouade, de Barbusse, mais il a été publié pendant la guerre elle-même. Il y en a eu d’autres et il y a également eu des films, cependant ils parlent de la guerre comme d’un phénomène comme un autre. Aucun ne touche sa dimension réelle : des millions de morts, une boucherie, la militarisation complète de la société, le fanatisme nationaliste, etc.

Même le roman de Barbusse ne le fait pas par ailleurs. Et après la guerre, la Gauche n’en parlera pas non plus, les socialistes étant trop heureux de faire oublier leur soutien, les communistes s’imaginant que la France commence en 1920 avec leur apparition.

Pourquoi tout cela ? Parce que la France a réussi à imposer la vision unilatérale que la seule responsable de la première guerre mondiale, ce serait l’Allemagne. Même pas d’ailleurs l’Allemagne impériale, non l’Allemagne tout court. La France a réussi ainsi à entièrement encadrer l’opinion publique, tout en donnant également des ailes aux nationalistes allemands, notamment les national-socialistes, sans parler des réparations énormes coulant la république allemande née des décombres de l’empire.

On a ici affaire à un véritablement problème, celui de la lecture historique et de la mémoire. Sans Gauche organisée, les idées l’emportant sont celles des classes dominantes, et celles-ci racontent les choses du passé selon leurs intérêts du présent.

La France est en réalité un pays coupable autant que l’Allemagne de la première guerre mondiale ; ce sont les banques, la grande bourgeoisie, les industriels liés aux fabriques de matériel pour la guerre qui ont poussé les choses jusqu’au point de non-retour, précipitant le pays dans la guerre.

Il y a ici une autocritique française à faire quant à la direction du pays. Une autocritique ne pouvant aboutir qu’à la conclusion suivante : c’est à la classe ouvrière, au prolétariat, de diriger le pays, en tant que classe, et non pas à une bourgeoisie prête à l’aventure militaire pour satisfaire ses intérêts, ses besoins de profit.

Publicité du Crédit Lyonnais pour un emprunt national pendant la 1ere guerre mondiale.
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Politique

Appel des socialistes serbes au monde civilisé (1918)

Le document suivant est un témoignage poignant, les socialistes serbes racontant les dramatiques événements qui frappent leur pays en 1918, alors que des forces étrangères interviennent de manière sanglante.

L’appel au monde civilisé souligne l’importance de l’unité face à la barbarie. La préface est de Camille Huysmans, une figure très connue de la social-démocratie de Belgique, qui fut également notamment nommé secrétaire de la seconde Internationale en 1905.

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