Catégories
Culture

«Asphalte Hurlante», la poésie métropolitaine de La Caution en mai 2001

Au mois de mai 2001 il y a 20 ans, le groupe La Caution sortait l’incroyable album « Asphalte Hurlante ». C’était un disque à part, avec son approche totalement pop et en même temps une sophistication musicale et lyrique extrêmement poussée, typiquement parisienne.

Autrement dit, La Caution avait réussi l’exploit d’une synthèse entre le rap « Versaillais » (qui mélangeait le fun à la sophistication instrumentale) et le récit de tranches de vie authentiquement populaires des HLM de Noisy-le-Sec en Seine-Saint-Denis.

Cela a donné des textes magnifiques, mais relativement difficiles à appréhender, ainsi que musicalement un style électro et « cassé » peu accessible de prime abord. C’était en fait l’apogée de pratiquement trente ans de musique « urbaine », depuis « The Revolution Will Not Be Televised » de Gil Scott-Heron en 1970.

Cela marquait en 2001 pour les amateurs de musique un véritable tournant vers le 21e siècle, avec une poésie métropolitaine d’une grande profondeur culturelle. Rien que la pochette de l’album est une grande réussite.

Voici la transcription du morceau « Souvent », poésie sombre exprimant à merveille la folie des grandes métropoles.

Souvent [La Caution]

[Nikkfurie & Hi-Tekk]
On associe les paramètres.
Les quartiers de France comme système métrique,
Se base sur l’arithmétique de masse et sa rime maîtrise.
Hélas, on a mis l’éthique en place et la rue s’excite.
On nage dans la prise de risque, face à ça : notre charisme d’équipe.
C’est tout con, vu l’style, de traces conductrices,
De haine combustible, en fait : on se duplique.
Une toux convulsive, toute pleine d’onces d’usine,
La peste ondule vite, Hi-tekk plombe une cible.
Je me dis : « nom d’une pipe », réflexe translucide,
De la merde : on butine, de la merde : on butine…

[Hi-Tekk]
Je m’arrête net, en parachute,
Dans les bars à neusks ou les bars à putes.
Dans ce cas, je l’assume et je cavale plus,
Loin des stars de l’anus et de leurs parades nulles.
Leurs carnavals, loin des bases navales, me rendent paranoïaque.
Les narvallos jactent,
Fais gaffe à nos actes, on se masque à l’occaz’,
On marche à l’orgasme paranormal…

[Refrain]
Souvent, on parle d’avant,
Parfois, on parle d’après,
Parfois, on parle d’argent,
Souvent, on parle de vrai.
Parfois, on est 40,
Souvent, on est tout seul,
Parfois, on r’monte la pente,
Souvent, on est sur le seuil.
Souvent, ça boit de l’alcool,
Souvent, ça fume du shit.
Parfois, ça parle de rap,
Tout le temps, on voit les flics.
Parfois ça s’entraide,
Parfois ça s’embrouille,
Souvent, ça galère sec,
Tout le temps : les rêves se rouillent !

[Nikkfurie]
Le flic : un dos d’âne anodin, doté du don d’abattre au teint,
Dompté d’un tonneau de vin d’antan, pendant qu’un badaud meurt d’OD.
La France d’auteur d’Alphonse Daudet, de Danton à Baudin,
Mentir de Sedan à Meudon, du bandit au mendiant, du lundi au lundi.
Du condé qui condamne à la place du juge et qui t’emmerde,
C’est bien au placard qu’il t’emmène, ça a une odeur de chrysanthème…

[Hi-Tekk]
Je représente l’injection létale,
Pour les pointeurs la peur se présente : inspectons les caves.
Pour eux : la peine capitale et maximale.
Après maintes questions légales,
On m’assimile à la peste en HLM habitacle.
Elle reflète la misère, après on se plaint que les cons s’éclatent…

[Nikkfurie]
Compte jusqu’à 10, on gravite au-dessus de notre maigre discographie.
Bon nombre d’africains trafiquent, arrivent en avion, en navire.
Regarde la poésie d’ici, car aucun pro n’hésite ici,
Ici personne n’est justicier et le choix des armes est judicieux…

[Refrain]
Souvent, on parle d’avant,
Parfois, on parle d’après,
Parfois, on parle d’argent,
Souvent, on parle de vrai.
Parfois, on est 40,
Souvent, on est tout seul,
Parfois, on r’monte la pente,
Souvent, on est sur le seuil.
Souvent, ça boit de l’alcool,
Souvent, ça fume du shit.
Parfois, ça parle de rap,
Tout le temps, on voit les flics.
Parfois ça s’entraide,
Parfois ça s’embrouille,
Souvent, ça galère sec,
Tout le temps : les rêves se rouillent !

[Nikkfurie]
On dépayse le racisme avec des armes dignes de Maciste.
On se fout de l’aristocratie : le rap, mon art dit trop crasseux.
Si la France était un poumon, nos tours en seraient les cancers !
Si la France était un sumo, nos tours en seraient les Pampers !
Si la France était un rouleau, nos tours seraient ce qu’il compresse !
Si la France, c’était les journaux, nous en serions les faits divers…

[Hi-Tekk]
Je suis complètement à côté de la plaque,
Un pote me casse les yeuks avec ses histoires de cunnilingus.
En face de moi le mur est sale, je vois que l’urine s’incruste.
L’odeur de bière est omniprésente.
Au final, avec la justice, ceux qui la subissent trinquent plus.
Je me dis que l’ultime insulte est celle qui vise mes ancêtres,
Quand on les traite en stupides incultes.
J’aimerais qu’à l’usine s’insurgent les prolétaires,
Qu’ils baisent la France patronale.
Quand je me défoule,
Plus je nique un truc, plus je me dis que dans ma vie,
Je suis l’unique intrus.
Je me prends un stop.
C’est anormal.
Sur les bancs publics s’incrustent,
Nos embrouilles sur la corde raide.
Ma haine : une forteresse munie d’instrus…

[Refrain]
Souvent, on parle d’avant,
Parfois, on parle d’après,
Parfois, on parle d’argent,
Souvent, on parle de vrai.
Parfois, on est 40,
Souvent, on est tout seul,
Parfois, on r’monte la pente,
Souvent, on est sur le seuil.
Souvent, ça boit de l’alcool,
Souvent, ça fume du shit.
Parfois, ça parle de rap,
Tout le temps, on voit les flics.
Parfois, ça s’entraide,
Parfois, ça s’embrouille,
Souvent ça galère sec,
Tout le temps : les rêves se rouillent !

Parfois c’est Hi-Tekk, souvent c’est du bon son
Parfois c’est Nikkfurie, tout le temps c’est La Caution
Parfois on parle de nos pères, parfois on parle de nos mères
Souvent de faits divers, jamais on ne sort de nos sphères
Parfois c’est Hi-Tekk, souvent c’est du bon son
Parfois c’est Nikkfurie, tout le temps c’est La Caution
Souvent, parfois, tout le temps, jamais en transe, maintenant, souvent

Parfois c’est Hi-Tekk, souvent c’est du bon son
Parfois c’est Nikkfurie, tout le temps c’est La Caution
Parfois c’est DJ FAB, souvent c’est du bon son
Parfois c’est KEROZEN, tout le temps c’est La Caution

L’album a été réédité en 2002 dans une « Ultime édition » avec quelques morceaux supplémentaire, dont le sublime Metropolis :

Catégories
Culture

Le cœur brisé de Starline dans «Takotsubo»

Starline est une jeune rappeuse originaire de Lyon qui a débuté sous le label montpelliérain LaClassic à l’âge de 15 ans. On comprends son choix pour ce label qui produit un rap plutôt sombre, « conscient » comme on dit, mais surtout poétique.

Il y a quelques jours Starline a fêté son 21e anniversaire à travailler le montage de son nouveau projet, le clip du morceau « Takotsubo ». Et c’est sur une chaîne Youtube personnelle et non d’un label, qu’il est publié, marquant semble-t-il, l’ouverture d’une nouvelle période dans sa carrière.

https://www.youtube.com/watch?v=MSjwrrlYrnU

Le Tako-Tsubo est un syndrome cardiaque décrit pour la première fois au Japon ; le « syndrome du cœur brisé ». Cette pathologie atteint principalement les femmes et peut être déclenché par une très forte émotion, comme lors d’une rupture sentimentale ou la perte d’un être cher.

Le Tako-Tsubo est évoqué dans la culture manga et de nombreuses séries télévisées, le rappeur Nekfeu en avait aussi fait un titre.

La version de Starline n’a rien a envier à ce dernier, dans un autre style, plus aérien, moins bavard. C’est du artisanal très réussi, ça n’en a que plus de valeur.

On retrouve donc dans ce morceau la thématique de la rupture et principalement des sentiments qui sont encore là et dont il est difficile de se défaire.

Le fait de fumer des joints y est abordé comme un mal dont il est difficile de se passer dans ces moments psychologiquement durs à traverser :

« Y’a pas qu’ce soir que j’ai les idées bancales
Tout oublier j’ai essayé long time
Donc j’fais qu’fumer
J’sais pas si c’est bon bail… »

« J’ai compris que la beuh ça m’aidait pas
Mais ça me détend
Quand j’veux pas faire face à tous mes torts… »

Contrairement à ce qui peut se faire en général dans le « rap » moderne, elle est donc lucide sur la fonction de cette drogue au quotidien.

Au delà de cette question, la scène trap a tendance à tourner en rond dans le nihilisme. On a ici quelque chose qui montre ce qui peut lui être apporté en terme de sensibilité et de réalisme. Comme ces plans en voiture, filmés de la place du chauffeur qui retranscrivent bien dans le clip une scène tout à fait typique dans la jeunesse, qui pourrait se trouver dans une story Instagram.

Tout cela est forcément satisfaisant à voir et à écouter au milieu d’un mouvement musical largement dominé par la superficialité, souvent machiste d’ailleurs.

Avec ses basses lourdes, son arythmie typique et ses possibilités illimitées en terme de nappes mélodiques, la trap est un style qui convient très bien à la rêverie et à l’introspection, il serait dommage de s’en priver.

Ce morceau tombe donc comme un fruit mûr, avec une artiste ayant gagné en indépendance et en profondeur. Starline nous montre qu’on peut être une 2000 avec l’amour du rap des années 1990, vivre avec son temps et participer à un nouveau souffle.

Catégories
Société

Le film Elle pleure en hiver

La vidéo version longue de la chanson d’Ichon Elle pleure en hiver est un film synthétisant tout un esprit français concernant le couple.

C’est une chanson d’Ichon qui date de décembre, mais la version longue de la vidéo consiste en un petit film de sept minutes. Et cela ne peut qu’interpeller tellement c’est une sorte de synthèse de tout un esprit français, depuis la psychologie des personnages jusqu’à la typographie employée dans la vidéo… avec naturellement comme thème la relation d’un couple.

C’est là une obsession française, avec ses psychodrames, la question de la reconnaissance des deux partenaires (qui se veulent indépendants mais tout de même ensemble), l’attente d’un premier mouvement de la part de l’autre, etc. C’est si vrai que cette vidéo apparaîtra brutal à beaucoup.

On dira avec raison que tout cela, c’est tout de même très bourgeois, très parisien, comme le montre le décor (qui fait immanquablement penser à Jean-Luc Godard). C’est tout à fait vrai, mais il faut bien voir que le couple en France, au début du 21e siècle, est largement défini par le couple bourgeois parisien. C’est indéniablement un problème, mais une telle chose ne s’abolit pas, elle se dépasse. Et pour l’instant, la société française n’a pas dépassé ce modèle.

On considère en France qu’un couple réussi, c’est celui où ses deux composantes s’engueule de manière régulière, que c’est la réalité du couple d’avoir une situation déséquilibrée, avec des reproches à l’autre qui sont déplacés mais qui permettent d’échapper à la pression sociale, avec cette idée temporaire du couple même après des années ensemble, etc. Bref, le couple français, s’il n’y a pas de malaise, c’est qu’il n’y a plus rien !

Tout cela est peut-être discutable, mais cette vidéo de la chanson d’Ichon témoigne de la réflexion en découlant forcément, sur cet aspect fondamental de la réalité française. En ce sens, on doit bien parler de film et ce film parle plus de la réalité qu’une quantité industrielle d’autres films et séries. Peut-être que l’époque commence enfin à être mûr pour passer à autre chose !

Catégories
Culture

L’essor de la «phonk» dans le milieu des années 2010

La « Phonk » ou « vaportrap » est un courant musical lié à la Trap, elle-même sous-genre musical du Hip-Hop, qui a explosé au milieu des années 2010. Il puise ses racines dans le rap des années 1990 de la côte Est américaine, notamment de Memphis, Houston ou Miami. Une vague musicale qui marque de son empreinte la jeunesse des années 2010.

L’essor de la « phonk » date véritablement de 2010 avec le morceau « Bringing Da Phonk » de SpaceGhostPurpp, rappeur et producteur de Miami, dont le clip est basé sur des vidéos type VHS. La « phonk » c’est ce style de trap vaporeux très axé sur l’instrumental, réalisé sur de long mix inventifs entre jazz, funk et hip-hop.

Le genre s’est rapidement répandu grâce à DJ Smokey, un jeune artiste d’Hamilton, une ville de l’Ontario au Canada très impactée par la pollution de l’air générée par l’industrie sidérurgique. Influencé par les mix de « SpaceGhostPurpp », il sort son premier volume en 2013, « Evil Wayz Vol.1 ».

Portée par une génération née à la fin des années 1990, la «phonk » est tournée vers cette décennie, jusqu’à la nostalgie. Evidemment, être entièrement tourné vers le passé ne peut rien vraiment produire de nouveau, de populaire. Il serait donc faux de croire qu’il n’y ait là qu’une nostalgie.

Le style puise ses origines dans le style trap de la côte Est américaine, propulsé dans les années 1990 entre autres par « Three Six Mafia » de Memphis ou par DJ Screw de Houston à l’origine de la technique « Chopped & Screwed » (ralentir et répéter un passage en boucle).

Pour l’anecdote, pas si anecdotique que cela d’ailleurs, George Floyd, homme noir tué par un policier à Minneapolis le 25 mai 2020, avait participé sous le nom de « Big Floyd » à une compil’ de Dj Screw.

Mais, la nouvelle génération « phonk » parvient à dépasser ses origines, ne serait-ce par les sonorités et le style qui tournent en dérision justement l’aspect « gangsta » des débuts du sous-genre hip-hop. On le voit avec les images de cartoon ou les pochettes d’album qui se moque du fameux « parental advisory explicit lyrics ».

Avec la « phonk », on a une approche plus posée avec des mix aux basses saturées, des sonorités déformées jusqu’à l’extrême dans une ambiance trap temporisée. A ce titre, il est à l’opposé d’un autre genre de trap qu’est la Drill, assumant le style violent, grave et agressif du gangsta rap.

Depuis le milieu des années 2010, le genre connaît un élan jusqu’à devenir la première référence sur la plateforme SoundCloud en 2016 avec le mot clef #phonk. Cela n’est pas pour rien que c’est sur cette plateforme que ce genre s’est imposé : au-delà de mieux conserver la qualité musicale, elle est aussi un véritable espace tourné vers l’échange et le partage strictement musical.

En France, Soudière est un des artistes de renommée mondiale le plus en vue du genre. Originaire de Nancy, il a découvert le genre en tant que skater après avoir visionné la très fameuse « part » de Beagle dans la « Baker 3 » (2005).

Avec un style de skate original, le morceau « Smoke A Sack » de « DJ Paul & Juicy J » a indéniablement marqué tout skater de ces années là, valorisant un esprit amusant, fun et 100 % décontracté, tranchant avec l’esprit « piss drunk ».

Avec la « phonk », on a une jeunesse cherchant l’esprit de synthèse. C’est une génération qui profite des avancées technologiques de l’informatique et d’internet pour produire de la « phonk » à la fois liée à ses origines des 90’s, tout en la complexifiant musicalement et en assumant une critique des aspects culturels jugés dérisoires de cette époque.

Et en même temps, la critique, la synthèse ne parvient pas à pleine maturité. Elle est une jeunesse encore prisonnière des vicissitudes de son époque, tourmentée par le désir de paix, le « chill » agissant comme une véritable anti-dépresseur et la dépendance aux drogues comme fuite en avant.

La « vaportrape » est indéniablement liée à la codéine et au cannabis, dont certains albums et certaines sonorités font explicitement la référence. Est-ce étonnant de ce point de vue que le genre ait été notamment propulsé par DJ Smokey, originaire d’Hamilton, la ville canadienne la plus ravagée par la récente crise de opioïdes ?

La « phonk » exprime bien l’expérience de la jeunesse des années 2010 qui cherche inévitablement à progresser vers l’avenir, sans arriver à se départir complètement de son époque.

Catégories
Culture

Le vrai Michel 2, la hype prolétaire

Le vrai Michel 2 de Michel sortie vendredi 4 septembre met la barre très haut en combinant une esthétique prolétaire masculine très typique avec toute une attitude parisienne ultra-branchée. C’est d’une fraîcheur incroyable et il faudrait vraiment être en dehors du temps pour ne pas y être sensible.

Si l’on combine le meilleur de la musique de niche pour jeunes urbains branchés avec ce que la pop-rap, frôlant la variété, a de mieux à offrir, on a le rappeur-chanteur Michel. C’est léger, aérien, bien ficelé, entraînant et plein de subtilité, bref, c’est de la très très bonne musique.

> Lire également : Michel: beaux-arts style et culture pop

 

Michel vient de la périphérie de Valenciennes dans le Nord et sa culture est incontestablement prolétaire. Cela produit forcément un décalage quand on est artiste musical, tant en France les artistes musicaux sont dans une perspective petite-bourgeoise ou bourgeoise, surtout à Paris.

Il exprime cela avec une profondeur incroyable dans le morceau « Air Max », l’un des plus brillant qu’il ait fait jusqu’à présent :

À côté de cela, Michel communique beaucoup sur les réseaux sociaux avec un très grand sens de la mise en scène. Il s’est ainsi construit un personnage très subtil, à la fois outrancièrement benêt, qui ne pense qu’à jouer à Fifa ou à épater la galerie sans en avoir les moyens, et en même temps toujours très sincère, particulièrement avenant, etc.

Voici la compilation des petits épisodes ayant servit de teasing à la sortie de son EP (présentée comme une mixtape), qui sont franchement très drôles :

Michel est un des artistes musicaux les plus marquants de ce début des années 2020 et il reflète un véritable changement de fond dans la société. Les grilles de lecture s’estompent, s’effacent, le côté populaire part à la conquête du style, en assumant un haut niveau. C’est un signe des temps : en profondeur, le peuple prend toujours plus de hauteur, il a gagne en densité, il est prêt à prendre les commandes de la société.

Le peuple n’en a encore pas du tout conscience, il n’en entrevoit la nécessité que de manière floue, mais il est déjà dans l’affirmation.

Catégories
Culture

Comment les chansons de Tessae témoignent du changement d’époque

La chanson et le clip « salope » de la jeune artiste marseillaise Tessae témoignent indéniablement d’un changement d’époque. C’est de la pop dans une version très chantée qui relève ouvertement de la variété/commerciale… mais avec une affirmation culturelle élevée, et surtout nouvelle.

Le titre évoque ces hommes arriérés interpellant les jeunes filles dans la rue, souvent le soir, souvent en prenant prétexte de leur habillement, souvent en les traitant de « salopes ». Quand elle présente sa chanson, Tessae ne prétend ici à un aucun militantisme féministe, et c’est peut être ce qui fait sa force, de part la justesse populaire de son propos : elle explique tout simplement qu’elle ne comprend pas que de tels comportements puisent exister à notre époque.

On a là une certaine candeur qui, associée à un goût prononcer pour la mélodie dans un état d’esprit tourné vers l’avenir, donne quelque chose d’éminemment nouveau, avec une grande puissance positive.

Il faut mettre cela en rapport avec son morceau « Bling », dont le clip est un succès avec près de trois millions de vues sur YouTube : ces deux chansons sont de véritables et merveilleux hymnes anti-beauferie ! Et c’est très très réjouissant !

Ce ne sont pas de simples témoignages, mais directement l’expression d’une génération jetant un vieux monde par la fenêtre, ne supportant plus les arriérations comme le sexisme, la superficialité, le racisme, les idéalismes identitaires, etc.

La jeunesse veut la paix, l’international et le life deluxe for all… On a changé d’époque, totalement, la crise du Covid-19 en est un aspect, mais pas le seul !

Catégories
Culture

Michel: beaux-arts style et culture pop

Michel fait typiquement partie de cette nouvelle génération de rappeur-chanteur ou chanteur-rappeur, assumant l’électro et la pop avec un grand sens artistique. Il est d’ailleurs à la pointe de toute une esthétique florissante dans et autours des écoles des beaux-arts, combinant le style banlieusard de la fin des années 1990 et du début des années 2000 avec une fascination/attraction pour toute une frange de culture populaire, de la culture de masse.

Ce clip, une reprise/détournement de holydays de Michel Delpech, est absolument somptueux de ce point de vue, avec une grande finesse.

Le filtrage vidéo force volontairement le trait pour donner un ton 1990, tout comme l’instrumentale typique de l’eurodance de l’époque. Tout le sens du clip réside dans ce décalage entre lui, jeune branché, qui surjoue l’ennui, et son entourage familial habillé de manière ordinaire, qui s’amuse grandement. Le choix d’un tel film dans une famille populaire, en l’occurrence sa propre famille lors d’une véritable fête, montre d’ailleurs l’approche démocratique/populaire, authentique, que peut avoir l’artiste, originaire de la périphérie de Valenciennes dans le Nord.

On retrouve la même démarche avec cet autre clip, reprise/détournement de Michel Fugain, cette fois dans un bar karaoké de Belleville. Les paroles assumant les drogues dures et le champ lexical de la drogue sont là aussi bien trouvées. Ni apologie, ni critique de la drogue, c’est surtout une manière de jouer sur la contradiction entre une chanson originale assez lisse, pour ne pas dire insipide, typique d’une certaine époque disons insouciante, et sa version actuelle plus rude, à l’image de l’époque nouvelle. Le tout bien sûr autour d’une esthétique faussement kitch, ou volontairement kitch si l’on veut, soigneusement travaillée.

Michel a sortir un EP « Le vrai Michel », en janvier 2020 avec 8 titres d’une grande qualité dont voici un extrait :

Il a sorti hier le clip, là encore très esthétiques, de son dernier titre tejla :

Catégories
Culture

Playlist: le souffle nouveau du rap français en 1997, 1998, 1999

À la fin des années 1990, le rap français a connu un souffle immense avec de nombreux artistes émergents et des sons d’une énergie incroyable, très sophistiqués. L’année 1997 a pour beaucoup marqué un tournant, rangeant au placard tout ce qui s’était fait avant. L’album Si Dieu veut… des Marseillais de la Fonky Family avait mit la barre très haute cette année-là.

Alors que tout une scène « underground » s’affirmait en dehors des grands circuits commerciaux, il y avait une grande vague très pop, comme avec « Bye Bye » de Menelik qui inondait les radios et faisait définitivement découvrir le rap à la France, pour ceux qui n’avaient pas vu ou voulu voir passer la vague Mc Solaar, IAM, Suprême NTM, etc.

La compilation Première classe (volume 1) assumait à la même époque une culture plus sombre, très musicale mais pas pop ni vraiment « underground », dressant un tableau tout à fait typique du quotidien des banlieues françaises. Au contraire, l’album KLR du Saïan Supa Crew assumait presque de faire de la variété, avec une approche très joviale et des morceaux de qualité.

Au milieu de tout cela, on a de nombreuses perles, plus ou moins connues, comme « Époque de fou » de Koma ou le très profond « Vivre ou mourir » de Bams en 1999.

Il y a dans ces morceaux une puissance tout à fait typique du rap de cette époque et de l’ambiance d’alors… avant les années 2000 où tout allait être corrompu par le business, la drogue, l’individualisme et le relativisme généralisé.

« Obsédée par le vide, le néant
Le trou noir qui s’ouvre devant moi géant comme un milliard
Vingt ans, vingt piges, je me sens déjà tarire
Lasse, assez de haïr, de me sentir envahir
De mauvaise vibes auxquelles je dois obéir
Que dois-je choisir, vivre ou mourir? » Bams.

[EDIT : le lecteur soundsgood n’étant plus disponible, voici la playlist sur Youtube en lecture automatique]

Catégories
Culture

Yépa – Oui? Non? OK

Le groupe Yépa des frères jumeaux Le Bon Nob (rap) et Rémo (prod) propose avec « Oui ? Non ? Ok » un morceau d’une grande valeur, qui aborde la question du viol de manière très réaliste.

On n’est pas ici dans une scène violente et impromptu, telle que l’on l’imagine presque toujours quand on parle de viol, mais dans un rapport presque banal de la vie quotidienne, le week-end en soirée. Le refrain est très bien vu :

« Elle a pas vraiment dit oui, elle a pas vraiment dit non, il a pas vraiment demandé, c’était  ambigu »

Dans de nombreux cas, les viols ont lieu dans ce genre de situations. Ce sont les comportements non-démocratiques de certains hommes qui produisent ces viols. Souvent, ils n’imaginent même pas agir en violeur. Pire, parfois même certaines femmes peuvent mettre beaucoup de temps, plusieurs années, avant d’assumer le fait qu’elle se soit faite violer (ce qu’elles savent pourtant au plus profond d’elles-mêmes depuis le début).

Yépa affirme donc une position démocratique très engagée, avec un clip d’une grande qualité montrant des femmes dans leur quotidien, afin de bien souligner leur dignité et la grande considération qu’elles méritent. Il faut écraser les comportements anti-démocratiques de ces hommes se moquant du consentement des femmes, ces violeurs.

Catégories
Culture

«Good News», le single posthume de Mac Miller

Depuis la mort brutale du rappeur et producteur de Hip-Hop Mac Miller l’année dernière, ses proches, famille et collaborateurs, ont fait en sorte que l’album sur lequel il travaillait puisse sortir. Le single « Good News », bouclé par Jon Brion avec qui il collaborait dessus, en est un avant-goût.

Mac Miller était une personne dépressive, cela se comprend à travers ses textes et « Good News » n’y échappe pas (voir la traduction). Pour autant, sa musique ne sombre jamais dans le nihilisme et montre même la volonté de se sortir de ses addictions.

On ne peut parler de Mac Miller, de son œuvre, sans parler de sa mort et donc de sa consommation de drogues. Il a connu de nombreuses phases de toxicomanie et d’alcoolisme, avec de nouveaux produits à chaque fois. Mais il pu s’en sortir plusieurs fois à l’aide de sa volonté, notamment concernant l’alcool.

En septembre dernier, le dealer qui lui avait fourni le produit à l’origine de son overdose a été arrêté. Il devait l’approvisionner en Oxycodone, un médicament largement utilisé par les toxicomanes et dévastant la jeunesse.

Ces médicament étant contrefaits, ils contenaient du Fentanyl, une nouvelle substance qui fait des ravages aux USA et surtout au Canada. L’espérance de vie de la ville de Vancouver a même baissé suite à cette déferlante de Fentanyl.

Cette drogue, un opiacé 50 fois plus puissant que l’héroïne, extrêmement bon marché, est désormais utilisée pour couper tout type de drogues et médicaments du marché parallèle.

Mac Miller en a fait les frais. Ce fut un choc car même pris dans un quotidien autodestructeur, la mort l’a réellement fauché alors qu’il était raccroché à un projet.

« Good News » est le single de cet album, Circles, arrivant après le plus sombre Swimming, album écrit après sa rupture avec la chanteuse Ariana Grande.

C’est qu’il y avait toujours une forme d’optimisme pouvant reprendre le dessus à chaque instant. Et cela se ressent dans ses œuvres, pour la plupart mélancoliques mais pas dépressives voir même carrément positives. C’est notamment l’ambiance musicale qui permet de trancher avec les paroles désabusées.

Catégories
Culture Culture & esthétique

Playlist cross over, fusion: oui à l’appropriation culturelle!

La rencontre du punk, du hardcore, du métal… avec le hip hop, le reggae, le jazz, le ska, la funk… et inversement, fut un processus des années 1980 et 1990 à rebours des problématiques identitaires actuelles. Le mélange des genres musicaux, le dédain complet pour la couleur de peau… tout cela était et est encore considéré comme normal par qui sait que le peuple, c’est la fusion.

Il existe en France une obsession pour la couleur de peau et cela depuis une vingtaine d’années. C’est une véritable catastrophe identitaire, qui place les gens dans des cases racistes. Rien de tel qu’une bonne playlist témoignant de l’absurdité de tout cela, avec une rencontre du métal, du hardcore, du rap et du Hiphop, de la funk, du jazz, tout cela dans un mélange de musiciens noirs, blancs, arabes ou on ne sait quoi, et cela ne compte pas.

> La playlist « Cross over » est disponible sur la colonne de droite (version web) ou sous l’article (version mobile), ainsi que sur la page des playlists.

Les années 1990 ont été marquées par ce puissant esprit positif, contestataire, constructif, parfois appelé Cross over, fusion. Le groupe Fishbone est une figure majeure de cette tendance, aux côtés des Bad Brains ; leur admiration est immense dans le milieu des musiciens.

Deux groupes strictement parallèles, les Beastie Boys et les red Hot Chili Pepper auront un succès immense. La vidéo de la chanson Hump de Bump des Red Hot Chili Peppers, tournée par Chris Rock en 2009, témoigne de cet esprit joyeux et plein d’unité populaire.

Tout « postmoderne » considérera par contre forcément cette vidéo comme raciste, « appropriation culturelle », pleine de « clichés », etc.

La chanson Sabotage des Beastie Boys – à la base un groupe de punk hardcore – avec sa vidéo décalée et également très bon esprit, est un autre exemple brillant de tendance cross-over, fusion.

Un groupe classique de Hiphop comme Public Enemy s’appuie parfois ouvertement sur une base rock, chose inconcevable aujourd’hui pour beaucoup d’esprits rétifs, enfermés sur eux-mêmes. Un autre groupe ayant eu un immense succès est Rage against the machine.

La France connut également toute une vague très proche, bien que différente tout de même, avec Lofofora, Silmarils, No one is innocent… au coeur de toute une véritable scène, qui malheureusement fut incapable d’avancer par manque de socle culturel alternatif assez solide.

La vague néo-métal de la fin des années 1990 profite dans une très large mesure de cet esprit « cross over », avec Linkin Park, Korn, Limp Bizkit ou encore dans un esprit différent Papa Roach.

Impossible de ne pas mentionner la chanson Last resort de Papa Roach, éloge de l’esprit contestataire de la jeunesse qui suffoque dans l’impossibilité de s’épanouir. C’était avant que les identitaires et les postmodernes ne torpillent les exigences alternatives avec leur repli identitaire individualiste délirant et fanatique…

Impossible non plus de parler de rencontres culturelles productives sans évoquer la chanson Planet Rock d’Afrika Bambaataa & The Soul Sonic Force qui, en samplant le groupe électronique allemand Kraftwerk, a apporté une contribution énorme à l’émergence de la musique techno.

Le son n’a rien à voir avec le « cross over » ou la fusion, mais l’esprit est le même : le mélange, la rencontre. Pas d’ethno-différentialisme, pas de soupe commerciale « mondialisée » pour autant.

Au milieu des années 2000, le groupe Death Grips est l’un des exemples significatifs de rencontre d’un son abrasif, dans un certain esprit de collage punk, et du Hiphop. Car le processus de rencontre est sans fin et lui seul est productif. Les rencontres ne sont pas productives en soi… mais sans elles, il n’y a rien.

Catégories
Culture

2 Bal & Mystic – La Sédition (1997)

Dans les années 1990, la culture de la Gauche était encore largement présente dans les cités HLM. Ce clip du morceau La sédition (issu de la BO de Ma 6T va crack-er, un film sans intérêt), assume un point de vue révolutionnaire communiste avec une grande fraîcheur.

C’est une jeunesse prolétaire très branchée, dont on comprend tout de suite les exigences culturelles, qui assumait alors de vouloir changer le monde et de s’en prendre à la bourgeoisie !

Voici le clip suivis des paroles :

« 2 Bal & Mystic – La Sédition

Rien ni personne ne pourra étouffer une révolte.
Tu as semé la graine de la haine, donc tu la récoltes.
Les rebelles et les rebuts ont tous opté pour le boycott.
Faisons en sorte que les aisés nous lèchent les bottes.
Traînons plus bas que terre ceux qui l’ont déjà fait.
Rendre le mal par le mal n’est pas bon en effet, mais…

La rage et la frustration empêchent à la réflexion.
Est-ce Dieu ou le diable qui guide toutes nos actions?
Sache que derrière nous il y a Beauval ainsi que les l’Ilettes.
Tous les départements du 01 au 77.

G accompagné de D accoudés de Mystik réagissent.
Notre tendance à l’extrémisme est poussée par le lest de la justice.
Strictement hardcore, la jeunesse est désespérée.
Elle est hardcore, et rien ne pourra l’arrêter.

Quoiqu’il arrive, nous saurons aussi nous défendre.
Car tu ne doutes que tout vient à point à qui sait attendre.

La sédition est la solution, révolution.
Multiplions les manifestations, passons à l’action.
La sédition est la solution, révolution.
Multiplions les manifestations, maintenant dégainons.

L’explosion de toutes les cités approche.
D’abord des gens fâchés qui n’ont pas la langue dans la poche.
Faisant partie d’un parti d’avant-garde guidé
Par des principes visant à renverser la société.

Juste pour le plaisir, je répète:
Ma 6Tva crack-er, une révolution complète.
Je prends plaisir au vacarme,
Aux fracas des vitres quand tout crame.

Les cris des jeunes deviennent des armes, qui désarment.
Das Booga, relève le gant, quand il le faut devient brigand.
Cramer le système est mon slogan.

Le sheitan fusionne avec les 2 Bal Nigga.
On additionne les forces pour faire
Face à la menace de l’état bourgeois.
La lutte des classes dans la masse, tu sens l’angoisse.

Cours très vite petit poulet, trace.
Le chacal de Beauval à l’affût de ta face.
Il faut lutter, affûter pour faire chuter le pouvoir en place.

La sédition est la solution, révolution.
Multiplions les manifestations, passons à l’action.
La sédition est la solution, révolution.
Multiplions les manifestations, maintenant dégainons.

Tise cette liqueur, ma milice est en sueur.
Forcé de bouger sur le beat indiqué par ailleurs.
J’effleure une folie meutrière.
Jusqu’à ce que Babylone prenne peur.

Pas peur d’y perdre la peau, OK pour dérailler les inspecteurs.
Regardant droit devant moi, élaborant mon phrasé de guerre.
Préparez le cimetière, « bleu l’enculé » ira en enfer.

Ouvre la porte de la guerre civile, et rentre avec fietré.
Car les droits de l’homme sont laissés à la porte d’entrée à jamais.
Sachez que ma rage est loin d’être passagère.
Face au « Commando numéro 3″, explique ce que tu comptes faire.
Car lorsque des chiens mordent mon frère,
Ces derniers sont en droit de les abattre.
Donc je check la muselière.

Celui qui s’en tire n’est pas le flambeur,
Mais celui qui a des tripes.
Donc, pour une fois, soyons à la hauteur de nos lyrics.
Du sang à 300% pour gé-chan la vision du champ.
Dorénavant, et dès maintenant, à toi de choisir ton camp.

La sédition est la solution, révolution.
Multiplions les manifestations, passons à l’action.
La sédition est la solution, révolution.
Multiplions les manifestations, maintenant dégainons. »

Catégories
Culture

Mc Circulaire et Patrick 51, des expressions prolétaires des campagnes

En juin 2018, le rappeur Kamini produisait « Eul’Vraie France » revenant sur la situation d’isolement et de délabrement des zones rurales. Quelques mois plus tard, c’est Mc Circulaire, le père du « rap de plouc », qui sortait « France éternelle » sur la même thématique. Ces titres expriment la contradiction entre la ville et la campagne, que le mouvement des gilets jaunes a été incapable de résoudre de par son incapacité à s’organiser sur le plan politique et idéologique.

Lorsqu’on écoute ses morceaux de rap, on comprend vite que Mc Circulaire n’est pas là pour faire du buzz, pour s’attirer la lumière. Avec plus de 3 millions de vues, le titre « Demain c’est trop tard » est au prolétariat des campagnes ce que « Demain c’est loin » d’I am a été au prolétaires des périphéries urbaines.

Ce rap respire une vie authentique, celle de la misère sociale et culturelle des campagnes françaises. Que Mc Circulaire soit originaire de Vendée ne change rien à la nature de sa musique : quiconque vivant l’ennui, la morosité et l’arriération culturelle des campagnes s’y reconnaît.

Dans la même démarche, il y a aussi Patrick 51 (que l’on peut voir dans le clip « France éternelle »). Usine, chômage, quotidien ennuyeux, alcool, les grands sujets de la vie prolétaire sont abordés avec réalisme. Des paroles à la production, « Campagne shit » reflète parfaitement cette ambiance au ralenti des campagnes, cette impression que tout tourne en rond.

Il serait bien erroné de penser qu’il y a là une valorisation unilatérale de l’alcool et des drogues car « quand tu voudrais être à New-York et qu’t’es dans la cambrousse, faut d’l’imagination et un pack de 12 ». C’est une volonté de transcrire fidèlement le réel pris dans une fuite en avant alors que toute la richesse sociale et culturelle est spoliée par la ville, la grande métropole.

Des paroles au « blase » de ces rappeurs, il y a une approche typiquement populaire de la franchise, de la rigolade, de ne pas trop « se prendre au sérieux ». Si ce style n’aide pas toujours à élever le niveau culturel, laissant une porte ouverte à la passivité, il reste un puissant rempart à la corruption mentale du business et de son esprit aseptisé.

C’est ainsi que Mc Circulaire a toujours refusé les grands majors du disque, les plateaux de TV, la démarche commerciale. Dans une récente interview, il déclare :

« Moi je fais ce business, enfin ce business, je fais ce taff pour faire des morceaux qui déchirent et faire des concerts. Le reste j’en ai rien à foutre, j’ai rien à vendre, j’ai jamais eu besoin de Hip Hop pour grailler tu vois »

Fidélité populaire disons : le délaissement des campagnes ne méritent pas d’être vendue, la situation ne doit pas être un tremplin à la promotion individuelle. Ces morceaux respirent la dignité, l’authenticité, la sincérité comme l’illustre si bien la tourmente existentielle de la mort avec « Pierre Tombale », ou cet ennui terrible que toute personne en campagne a vécu ce « jour de pluie ».

Il est finalement peu étonnant que ces « légendes rurales » soit originaires d’Île-et-Vilaine et de Vendée. La paysannerie y était encore forte dans les années 1960-1970 et a été brutalement prolétarisée au cours des années 1980-1990. Ce sont deux départements qui ont vu la paysannerie fondre comme neige au soleil et par conséquent les rares endroits en France qui ont connu une forte hausse du nombre d’ouvriers depuis 1968.

Mais cette prolétarisation s’accompagne nécessairement de l’accentuation de la contradiction entre une ville captant tout et une campagne se renfermant sur le quotidien « voiture, boulot, dodo ». La campagne française, c’est culturellement les années 1970, mais socialement l’usine moderne, l’individualisme des pavillons et des routes, avec l’alcool et le shit comme pacification sociale se substituant à une religion en perte de vitesse.

On est bien désemparé quand on reprend les paroles si justes et parallèles de NTM dans « qu’est-ce qu’on attend ? » en 1995 :

« Voilà pourquoi cela finira dans le désarroi
Désarroi déjà roi, le monde rural en est l’exemple
Désarroi déjà roi, vous subirez la même pente, l’agonie lente
C’est pourquoi j’en attente aux putains de politiques incompétentes
Ce qui a diminué la France
Donc l’heure n’est plus à l’indulgence, mais aux faits, par le feu
Ce qui à mes yeux semble être le mieux
Pour qu’on nous prenne un peu plus, un peu plus au sérieux »

Car finalement, avec une même substance sociale, ni la révolte de novembre 2005, ni celle de novembre 2018, n’ont été en mesure de résoudre ce grand problème de la contradiction ville/campagne. Il faut écouter et ré-écouter Mc Circulaire et Patrick 51 car la pente à remonter va être longue et sinueuse, avec une Gauche post-moderne aliénée aux grandes métropoles qui favorise l’emprise de l’extrême-Droite…

Catégories
Culture

Le très agréable pop-rap de Blry dans l’album «Rêves, pt. 1»

Il est convenu de dire que le rap français est devenu une forme de variété, mais cela ne date pas d’aujourd’hui car I am ou encore Mc Solarr relevaient déjà de cela en leur temps. Ce qui est nouveau par contre, c’est qu’il existe à côté des artistes les plus mainstream tout une scène de rappeurs indépendants assumant une sorte de pop-rap très positif, beaucoup plus confidentiel dans l’approche et la démarche, mais bien plus authentique.

C’est exactement là que se situe le dernier album de Blry (prononcez Blurry), « Rêves, pt. 1 » sorti ce 6 septembre 2019.

Avec sa voix lancinante, le jeune vendéen déroule à travers les huit titres de l’album un style très cohérent, absolument moderne dans sa forme. On y retrouve toute l’attitude détachée et (en apparence) nonchalante de la jeunesse d’aujourd’hui.

Le thème récurrent est celui de la recherche d’authenticité, tant dans les rapports aux autres que dans sa propre vie, avec un rejet vigoureux du pessimisme. La production est minimale, comme le chant qui est très basique, presque naïf. Le texte est au contraire très puissant, parfois saisissant comme sur « Hellboy » où il est question de dépendance aux anxiolytiques, ce terrible mal.

On reconnaît aisément les références assumées par Blry, de l’américain Juice WRLD à Columbine en passant par Lil Peep (qui avait enregistré Falling Down avec XXXTentacion avant leur décès), mais avec une touche bien spécifique, très identifiable. Ce jeune artiste d’à peine 20 ans nous propose avec « Rêves, pt. 1 » quelque-chose de très réjouissant, encore plus abouti que son album « Pensée » paru en début d’année, qui était déjà très intéressant.

https://www.youtube.com/watch?v=MCir6wA7bp0

> Écouter l’album : blry.fr/reves

Catégories
Culture

Quand Niska fait un «freestyle» sur France inter

Le rappeur Niska a produit un « freestyle » sur France inter qui a été mis en avant sur le site et les réseaux de la radio. Cet artiste porte pourtant un style et des valeurs aux antipodes de ceux que prétendent incarner les gens de France inter.

« Niska en freestyle » sur France inter, quoi de plus baroque ? Son style ne correspond pas du tout à « l’esprit » de cette radio. France inter, c’est un esprit intello-bobo « de gauche », très lisse, offusqué par la Droite, bien que ne rejetant pas pour autant le confort bourgeois. Elle vise un public de gens s’imaginant cultivés, surtout des « profs » dit-on, qui n’aiment pas les fachos et les bourgeois roulant des mécaniques à la Sarkozy, mais qui aiment quand-même le confort de beaux quartiers urbains ou des grandes maisons à la campagne. Cela n’a en tout cas absolument rien à voir avec le genre d’attitude et de préoccupations d’un artiste comme Niska.

Voici son « freestyle » :

Ce genre de propos, chantés sur France inter, sont vraiment mémorables :

– ne me demande pas combien d’oseille (d’argent) j’ai mangé cette année, je veski (j’esquive) les impôts ;

– demande-moi combien de bitch (« salope ») j’ai vu se faire tourner dans les escaliers ;

– oh my god (oh mon dieu), sa sœur elle fait la timp’ (la putain), mais comment je vais le dire à mon pote ? Mais comment je vais le dire à mon pote que sa feumeu (femme) veut que je la fuck (« baise ») ?

– des 10 sur 10 en cours, c’est ce que maman m’avait dit, le million à 25 ans, mon prof de math ne l’a pas prédit.

Voici qui est très patriarcal, grossier, complètement fasciné par l’argent. C’est, pour tout dire, un état d’esprit littéralement de droite. C’est du Nicolas Sarkoy, mais à la manière prolétaire immigré aliéné de banlieue plutôt qu’Auteuil-Neuilly-Passy !

La vidéo qui accompagne l’article, le clip de « Du lundi au lundi », est encore plus poussée dans cet état d’esprit de droite anti-ouvrier. Il y est chanté que c’est mieux « d’augmenter les délits » plutôt que d’« aller à l’intérim », car ce qui compte c’est l’argent facile, le tout après avoir montré une panthère noire tenue en laisse. Rien que cette scène d’ailleurs est inacceptable pour qui a un minimum de valeurs morales.

Seulement voilà, les intello-bobo « de gauche » de France inter ne sont aucunement à Gauche. Ils ne connaissent rien à la culture populaire et aux classes populaires, dont ils ne partagent pas les valeurs, ni la culture.

Leurs offuscations récurrentes contre les fachos, la Droite, les « réacs », ne sont que du cinéma qui ne correspond à rien d’authentique. Et ils s’imaginent que Niska est acceptable seulement parce qu’il est d’origine immigré et qu’il vient de banlieue. Jamais de tels propos ne seraient ainsi mis en avant sinon.

Un artiste comme Niska, dont le dernier album ne parle quasiment que de trafic de drogue et d’argent sans travail, correspond tout à fait aux clichés qu’ont ces gens à propos de la banlieue et qui parfois effectivement sont un portrait caractéristique de toute une décadence.

France Inter ne propose rien d’autre que d’accompagner une telle décadence. C’est une faillite intellectuelle et culturelle. C’est là encore un signe de l’appauvrissement moral généralisé de la bourgeoisie, qui sombre corps et âmes avec le capitalisme triomphant, allant donc droit dans le mur et aboutissant à une époque où il faudra tout changer en long, en large et en travers.

Le Socialisme ne récupérera que le meilleur et se débarrassera de tout ce vide culturel, de toute cette décadence individualiste opportuniste.

Catégories
Société

Morsay : «Moi, je dis des conneries et j’achète une maison à ma mère»

Morsay constate une vérité plus qu’amère : le travail ne paie pas, mais la vulgarité le fait. Et elle le fait justement en ôtant toute dignité au travail et à la rationalité qu’il implique. L’ensemble forme une terrible chape de plomb sur les mentalités, notamment des plus jeunes.

« Mon père, c’était un grand travailleur qui a galéré toute sa vie. Il est mort à cause de l’amiante à 63 ans. Moi, je dis des conneries sur YouTube et j’achète une maison à ma mère… »

Ces propos d’une grande profondeur sont tenus, paradoxalement, par Mohamed Mehadji, alias Morsay, connu justement sur internet par le passé pour des propos vulgaires et un positionnement violent, qui ont aisément attiré l’attention dans une société fascinée par les apparences. Lui-même, rapidement conscient de tout cela, en a profité pour se faire de l’argent par ce moyen par l’intermédiaire d’une marque de vêtements, tout en exprimant une sorte d’existentialisme perverti en soutenant Alain Soral.

Là n’est pas essentiel, toutefois. Car ce que dit Mohamed Mehadji, en l’occurrence dans un portrait du Monde, est beau, vrai, universel. Et c’est à la fois beau et vrai, car universel, ainsi qu’universel car beau et vrai. La réalité qui ressort de tels propos font comme péter à la figure, elle écrase littéralement toutes les impressions qu’on peut avoir.

Ce que dit Mohamed Mehadji au sujet de son père est parfaitement tourné, lui qui a quitté l’école en cinquième, sans savoir ni lire ni écrire. On l’imagine pratiquement l’avoir entendu, comme s’il l’avait dit juste devant nous. C’est une vérité tellement concomitante à notre société qu’on a l’impression d’avoir vécu la scène où il prend la parole. C’est qu’on l’a déjà entendu tellement de fois !

La dévaluation du travail est si immense – alors que celui-ci est la base de tout – que toute valorisation prend immédiatement une résonance pleine de dignité, et de dignité entière. Ce n’est pas pour rien que Mohamed Mehadji termine son propos en parlant de sa mère. La boucle est bouclée, le propos est puissant. Et le fait que son père soit mort à cause de l’amiante n’en résonne que davantage.

Alors, pourquoi Mohamed Mehadji ne prend-il pas le parti de la Gauche, du Socialisme, puisqu’il voit tout ? Sans doute qu’il ne sera pas contre la révolution et simplement qu’en attendant, il fait comme tout le monde, cherchant à tirer son épingle du jeu, avec fatalisme et avec une certaine joie, et fierté, d’avoir tenu le coup jusque-là. Oser vivre dans ce monde n’est pas simple, loin de là !

Mais il est un fait dont tout le monde a pleinement conscience, sauf les plus jeunes : les travailleurs sont méprisés, ils sont niés, ils sont considérés comme non existant. C’est de là que provient le discours faussement scientifique de la « disparition » de la classe ouvrière. La société ne valorise que les postures parasitaires, les « bons coups », les moyens les plus pragmatiques de « se faire de la maille ».

Cela n’empêche pas les jeunes bourgeois les moins fainéants de se précipiter pour faire une école de commerce, conscients de la difficulté de trouver la « bonne idée » et surtout le financement qu’il faut pour la réaliser. Mais l’imagerie capitaliste de la réussite va avec le non-travail. Les images d’oisiveté pullulent, avec Instagram comme fer de lance.

C’est d’autant plus une illusion que le capital engloutit les esprits et qu’une personne qui a accumulé de la richesse va chercher à continuer à le faire, parce qu’il est un vecteur du capitalisme et rien de plus. Des gens qui s’arrêtent de travailler, pour vivre sans rien faire, en « profitant de la vie » ? Il n’y en a pratiquement pas. Même les acteurs les plus connus tournent sans arrêt, quitte à participer à des nullités sans nom ridiculisant leur carrière. Ils croient choisir, c’est l’accumulation du capital qui choisit.

Morsay continue d’ailleurs à essayer de faire la même chose, prisonnier de sa « réussite ». Il lui faudra choisir entre le travail et le « coup », ce qui est d’ailleurs un vrai problème pour des millions de jeunes, notamment ceux issus de l’immigration, mais pas seulement, tellement le quête du « hold up » est célébrée partout, dans les séries, dans les films, dans les biographies des entrepreneurs à succès, etc.

C’est là qu’on voit que le capitalisme est à bout de souffle, qu’il ne peut plus valoriser les capitaines d’industrie, seulement les pirates les plus opportunistes. Mais c’est à cela aussi qu’on voit que le capitalisme en train de pourrir est d’autant plus dangereux de par ce qu’il véhicule comme situations ordurières, avec l’opportunisme qui va avec. Les deux quasi-adolescents qui viennent de gagner des millions au tournoi mondial du jeu Fortnite ont déjà leur esprit aspiré par le capitalisme, comme tous ceux qui les envient.

Catégories
Culture

« Ultratechnique » de Hyacinthe, du rap et de la techno hardstyle pour « survivre »

Avec « Ultratechnique », le Parisien Hyacinthe mélange rap français et techno hardstyle pour exprimer les angoisses de la jeunesse, pour qui « survivre, c’est technique ».

Le clip, volontairement simple, brut, montre une nuit de « teuf », entre l’autoroute et la boîte de nuit. On y voit tout au long une pilule d’ecstasy, qui est peut-être la métaphore d’une jeunesse « au bord de la falaise », fuyant la réalité pour « survivre », hésitant entre l’indifférence et la résignation.

Le ton est grave, mais le propos ne doit pas être qualifié de pessimiste :

« Y’a toutes ces peurs, tous ces doutes
Demain c’est loin mais demain c’est nous
Et si demain c’est pire, il nous restera le cran
Le cran d’vivre, de grandir, comme un printemps
Des campagnes jusqu’aux centre-villes
Puisque tout brûle, on s’ra libres au cœur d’l’incendie »

Le choix du hardstyle, un son à la fois très lourd, très dur, et en même temps très festif, donne tout leur sens à ces paroles.

Cette musique est issue de la techno hardcore et de la culture gabber, qui est absolument massive dans la jeunesse prolétarienne des Pays-Bas et de la Belgique. Le public hardstyle est d’ailleurs largement retourné vers la techno hardcore, depuis la grande vague des années 2000 et du début des années 2010 : c’est que l’époque à besoin de densité, de « boom-boom » très intense.

Hyacinthe avait déjà proposé une incursion dans l’univers gabber avec son excellent titre « Sur ma vie ». La production clairement techno hardcore était une collaboration avec le collectif Casual Gabberz et le clip avait été réalisé par Anna Cazenave-Cambet, auteur du court-métrage « Gabber Lovers ».

Dans une interview très intéressante au site Manifesto, Hyacinthe explique d’ailleurs qu’il avait à l’origine un son plus gabber pour son morceau « Ultratechnique », mais qu’il a préféré un son hardstyle afin d’être plus pop, car la musique de niche ne l’intéresse pas. Il y a là une démarche artistique très intéressante, très réfléchie, et pas seulement du son balancé à la va-vite pour seulement se faire plaisir.

Notons pour finir que ce morceau est placée à la fin de son album RAVE ( avril 2019, Chapter two records), comme une sorte d’outro. Le titre de l’album est sans ambiguïté quant à sa filiation à la culture techno et la plupart des morceaux en sont imprégné. Cela en fait un album d’une grande qualité et d’une grande cohérence artistique, à rebours des albums rap habituels qui sont souvent de simple mixtapes.

Catégories
Culture

XXXTentacion, un punk moderne et dépressif mort très jeune

Le rappeur américain XXXTentacion a été retrouvé tué par balle dans sa voiture ce lundi 18 juin 2018 . Figure d’une nouvelle scène de rappeurs américains au style décalé, son succès était grandissant, en raison de son talent. Il n’avait que 20 ans.

XXXTentacion était une personne particulièrement violente et ses concerts étaient toujours l’occasion de bagarres hystériques. Ayant connus la pauvreté et l’abandon social-culturel des quartiers populaires américains, sa jeune vie a été faite d’altercations, d’exclusions d’établissements scolaires, d’arrestations, et même de prison pour détention illégale d’une arme à feu ou cambriolage.

Bien qu’il récuse ces accusations, son ex-compagnes a également porté plainte contre lui pour des faits de violences qui, s’ils sont avérés, sont particulièrement glauques.

Une grande sensibilité

« X » était en même temps doté d’une grande sensibilité, avec la volonté d’être utile socialement, tout en étant rongé par la dépression.

Somme toute, il apparaissait comme un personnage sympathique, se livrant facilement dans de longues émissions radios. Il s’exprimait aussi régulièrement dans des vidéos intimes en direct depuis son portable. Il y était très calme et posé, prônant la paix, l’altruisme, refusant de glorifier sa vie de délinquant, ne mettant pas en avant la drogue qu’il consommait malgré tout, refusant la décadence et les errements sentimentaux, ne parlant jamais de religions.

Sa mort, comme le reste de sa courte vie, illustre de manière intense et tragique les maux qui rongent la société américaine. C’est un pays à la pointe de modernité, avec un peuple doté de grandes capacités, particulièrement sur le plan artistique, d’exigences morales très hautes, mais qui sombre à sa base, rongé par la violence physique et le désemparement social.

A post shared by XXXTENTACION (@xtentacionsad) on

Un éclectisme partant dans tous les sens

Sur le plan musical, XXXTentacion exprimait un spleen très brutal et intense, dans un style particulièrement tourmenté, mais avec un sens du rythme et de la mélodie très élaboré. Sa courte œuvre donne l’impression de partir dans tous les sens, avec des morceaux trap rap classiques, d’autres plus underground et dans un style propre à la scène musicale de Floride active sur Soundcloud, certains autres morceaux puisant dans le rock alternatif, le reggaeton, le R’n’B des années 1990 ou encore des titres carrément métal hardcore.

Le jeune artiste était une sorte de punk moderne, multipliant les inspirations pour une expression élaborée, qui n’est resté finalement qu’un expressionnisme ne parvenant à trouver le « positif » qu’il semblait chercher. Il pouvait même donner l’impression de se complaire dans la dépression, à la manière de la culture « emo » dont il est directement le produit, comme 21 Savage, Post Malone, Lil Pump ou encore Lil Uzi Vert, autre figures « emo rap ».

En phase avec son époque et la jeunesse de son époque, la base de son public s’agrandissait sans cesse, y compris en France. Sa mort prématurée a mis fin à ce qui aurait pu être une brillante carrière.

3 titres et 1 album qui illustrent sa courte œuvre

Vice city – Sortie en 2014, ce morceau est le premier signé sous son nom de scène. Le sample de Sing To The Moon par la britannique Laura Mvula est magistrale et le texte est d’une maturité déconcertante pour un garçon de 16 ans. Il déroule un discours pessimiste et dépressif qui fait froid dans le dos. La production est basique et le titre s’est fait connaître à l’écart des circuits commerciaux majeurs.

Look at Me – D’abord sortie en 2015, c’est ensuite grâce au clip éponyme sortie plus tard en septembre 2017 qu’il s’est fait un nom aux États-Unis. Avec un sample de Change de Mala, c’est de la trap puissante, dégageant une violence particulièrement bien exprimée, avec des paroles très vulgaires. L’arrangement du morceau est très sale, très punk. Le clip ne reprend pas l’entièreté du morceau d’origine et semble l’orienter vers autre chose. Il se finit par un manifeste antiraciste optimiste (“Vous faite votre choix, mais votre enfant ne défendra pas la haine / Cette génération sera aimée, nourrie, entendue et comprise”)

Save me – Sortie en 2017, ce morceau illustre très bien la couleur de son excellent première album « 17 ». Une guitare électrique, une batterie lourde et lente, accompagnant une voix langoureuse et dépressive parlant de suicide : on croirait un morceau de grunge des années 1990 !

? – Sortie en mars 2018, malgré la grande qualité de chacun des morceaux, cet album a quelque chose de dérangeant dans sa façon de passer d’un style à l’autre sans aucune transition. Difficile de ressentir un lien entre Floor 555 et NUMB. Il y a bien plus qu’un grand écart entre Hope et schizophrenia, etc.

On notera cependant l’enchaînement très pertinent entre SAD!, qui est une complainte amoureuse pessimiste, et the remedy for a broken heart (why am I so in love), beaucoup plus positif et intéressant, tant dans la forme que dans le fond (« I’am find a perfect balance, it’s gon’ take time », / « Je vais trouver un équilibre parfait, ça va prendre du temps »).

Moonlight est quand a lui un morceau d’une grande modernité, contribuant indéniablement à définir ce qu’est la musique en 2018.

Catégories
Culture

Pourquoi Médine n’est pas défendable à propos du Bataclan

Médine est actuellement la cible d’une campagne de l’extrême-droite et d’une partie de la droite traditionnelle qui demande l’annulation de sa programmation au Bataclan en octobre 2018. Ils lui reprochent quelques paroles (sans véritablement connaître son oeuvre) en prétextant la mémoire des victimes du massacre.

Le rappeur a réagit, en portant le débat sur le terrain politique. Il explique qu’il condamne les attentats, qu’il combat le radicalisme, que l’extrême-droite instrumentalise les victimes et que la question est de savoir s’ils doivent limiter la liberté d’expression.

Cela n’est pas nécessairement faux. Pour autant, Médine n’est pas défendable, comme en témoigne le simple fait qu’il a osé écrire une chanson sur le “Bataclan”, sans un mot sur le drame l’ayant frappé.

Le Bataclan était de par le passé une salle de concert renommée et représentait quelque chose de particulièrement important pour de nombreux musiciens.

Cependant, depuis les attentats du 13 novembre 2015, le Bataclan est devenu autre chose, bien plus que seulement une salle de concert. C’est un monument national, à la fois déjà historique, et en même temps porteur d’une actualité brûlante.

Le rappeur Médine a produit une chanson « Bataclan » dans son dernier album. Il y a aussi un clip de cette chanson, tourné en partie dans la salle, annonçant qu’il doit s’y produire en octobre 2018.

À aucun moment le rappeur n’y évoque les événements qui y sont associés. La salle est présentée comme un aboutissement personnel, comme s’il ne s’agissait que d’un simple lieu parmi d’autres. Ce titre est évidemment une provocation.

Un artiste aussi « politique » que Médine ne fait rien au hasard, ne dit rien au hasard. Il sait très bien que le nom de « Bataclan » est irrémédiablement attaché à la mémoire du massacre parisien du 13 novembre 2015.

En utilisant le nom de « Bataclan » pour parler délibérément d’autre chose, il choisit de relativiser cette réalité historique en la taisant.

Il en parle pour ne pas en parler.

C’est un acte politique d’une grande signification. Cela d’autant plus que Médine est un rappeur islamiste, au sens strict du terme. Il est un militant de l’islam, de manière très vive et virulente, un fervent défenseur de la religion.

Il est, à son échelle, un artisan de ce grand processus d »effacement de la Gauche issue du mouvement ouvrier par la religion musulmane et l’antisémitisme dans les quartiers populaires français.

L’ensemble de l’oeuvre de Médine l’illustre de manière indiscutable. Depuis de nombreuses années, il participe à diffuser une immense confusion dans les masses populaires, particulièrement celles issues de l’immigration.

Bien sûr, et heureusement, Médine a condamné et condamne les massacres islamistes ; il relève d’un courant protestataire petit-bourgeois qui ne pousse pas aussi loin la révolte réactionnaire contre le monde moderne.

Médine fait ainsi partie des gens qui entretiennent les confusions, en relativisent les concepts. Dans ses clips, il prône d’un côté le hijab et la barbe islamiste, de l’autre il se met en scène dans une borne d’arcade ou porte une veste “Nike” à l’effigie d’une franchise de Basketball américain.

De la même manière, il a pu se rendre en 2014 à une conférence du fasciste Kémi Séba, au Théâtre de la Main d’Or de Dieudonné, en y étant ovationné publiquement, pour ensuite affirmer qu’il ne s’agissait que d’une enquête de “terrain”, expliquant par ailleurs que sa démarche est celle d’un “chercheur”.

C’est le triste jeu de la confusion, du star system de la confusion, du refus de toute valeur de gauche, du rejet de tout le patrimoine historique de la Gauche, de la classe ouvrière. Médine, 50 ans après mai 1968, participe totalement à l’esprit anti-mai 1968.

Catégories
Culture

La chanson « Un jour de paix » du groupe 113 (2005)

Le mouvement hip-hop français a été depuis ses origines dans les années 1980 une des rares tentatives de faire émerger un courant artistique populaire à peu près digne de ce nom.

Bien entendu, et malheureusement, pris dans les nasses du capitalisme, ce courant n’a jamais été non plus en mesure d’assumer les valeurs d’émancipation qu’il entend porter en reflétant, de manière expressionniste, le réel du vécu et les valeurs des classes populaires urbaines en général, et selon sa propre mythologie, des quartiers périphériques des grandes métropoles, élevés dans les années 1960-1980, connus sous le nom de « cités ».

L’expressionnisme de ce mouvement est d’abord la clef de la réussite et du formidable écho rencontré par ce courant, qui dépasse largement la seule dimension des couches urbaines populaires, pour toucher l’ensemble des masses de notre pays.

Mais cette réussite sociale s’accompagne aussi de son effondrement, et de sa pure et simple annexion à la culture de masse capitaliste, combinée aux assauts réactionnaires ouverts à la promotion des mafias, des trafics et des religions, en particulier de l’islam, sous une forme virulente et patriarcale-agressive.

Cette double évolution est bien sûr repérable dans d’autres sociétés du capitalisme avancé au stade de l’impérialisme, sous des formes parfois différentes.

Il n’empêche que le hip-hop reste en mesure de proposer un espace d’expression populaire d’une envergure tout à la fois remarquable et qui est à reconnaître pour telle. C’est ainsi l’exemple du titre « un jour de paix » du groupe de rap 113, sorti en 2005.

Le groupe en question est un collectif formé de trois amis d’enfance, issu d’une cité de la banlieue parisienne, rue Camille Groult à Vitry-sur-Seine (du nom d’un agro-industriel local de la fin du 19e siècle, dont l’outil a fusionné depuis dans le groupe Tipiak).

113 étant le numéro du bloc où ils ont passé leur enfance. Le groupe est parvenu à développer un esprit authentique, reflétant la dignité et les difficultés de la vie telle qu’exprimées dans leur propre cadre de vie, ce qui lui a valu une reconnaissance populaire très forte, autant locale que nationale.

Pour autant, la fascination pour le grand-banditisme, l’argent facile, teintée de pseudo-valeurs du soi-disant code de « l’honneur » mafieux, parfois aussi du refuge sectaire dans l’islam, ne sont jamais très loin.

Mais le groupe a néanmoins réussi à produire de beaux morceaux comme ce titre, publié dans l’album « 113 degrés » sorti chez Jive Epic, une société de Sony Music France, dirigée par Laurent Rossi, ce qui en dit déjà long sur la récupération alors déjà irrémédiable de ce groupe par les monopoles capitalistes de l’entertainment.

Cet album marque toutefois le point haut de la popularité du groupe avant sa totale bascule dans l’expressionnisme le plus décadent, surfant depuis sur la réaction identitaire ou le cosmopolitisme commercial.

« Un jour de paix » est une ode à l’espoir au-delà des difficultés de la vie dans la grisailles des cités HLM et de manière générale, dans celle des métropoles de la France actuelle. Le clip illustre cette description, par le concret qui prend en quelque sorte Vitry comme miroir de notre société tout entière, en particulier de notre jeunesse urbaine, de ses tensions, de ses solitudes et de sa détresse mais aussi de ses valeurs, notamment populaires.

Et le clip met en particulier à l’honneur l’aspiration des masses à la vie paisible, à la rencontre des cultures, à l’éducation et aux arts, à la solidarité et au vivre ensemble. Même les références à Dieu du chanteur invité Black Renégat (ou Blacko, du groupe du Val-d’Oise Sniper) le sont sous la forme d’une base déiste pour l’expression de la justice et comme refuge, certes vain, de l’espoir.

Impossible en tout cas pour toute personne de gauche de ne pas être touché par l’expressionnisme positif, et mélancolique, qui se dégage de cette chanson, de ne pas voir l’immense aspiration populaire pour les valeurs démocratiques et pacifiques, au-delà des mailles de la société capitaliste qui les entravent et limitent leur horizon et leur portée.

Impossible de ne pas sentir toute la force populaire qui attend de se libérer dans la bonne direction et de s’émanciper des formes capitalistes qui malheureusement les enserrent et les dégrade.

 [Refrain : Blacko]
Si la paix pouvait embrasser ce monde juste un jour
Une trêve, une pause pour que l’on sache après quoi on court
Sait-on encore c’que signifie l’amour ?
J’ai bien peur que non, Dieu nous le montre tous les jours…
La planète tourne à l’envers, ça m’fait peur
Voyez vous les flammes de l’enfer frères et sœurs
Ne lui vendez pas vos âmes

[Couplet 1 : Rim’K]
J’aimerais dire qu’les clés du bonheur s’trouvent pas dans les billets d’banque
Voir tous ces gens libérés d’la peur qui les hante
Qui aiment la vie mais celle-ci leur a fait un baiser mortel
Quelques rimes que tu peux comparer aux larmes du soleil
Un jour de paix, tant qu’y’aura des hommes et des femmes qui s’aiment
Mon cœur c’est pas une télécommande
Nous on veut tous une femme présente, même dans la tourmente
Chacun regagne son domicile, comme les tranchées
Ta couleur de peau peut faire de toi un étranger
Tu trouves ça normal ? Moi j’me sens chez moi n’importe où
Citoyen du monde avec peu d’moyens mais libre au moins
Au fond d’moi j’ai du mal à comprendre
Quand j’vois ces mômes mal vêtus, mal nourris, victimes de maltraitances
Vitry, mon cadre de vie rongé par l’trafic d’l’amour au compte goutte
Comme les aides humanitaires pour l’Afrique
Au coeur d’l’incendie, suffit pas d’s’lever du bon pied
Traverse les flammes courageux et brave comme un pompier

[Refrain]
Si la paix pouvait embrasser ce monde juste un jour
Une trêve, une pause pour que l’on sache après quoi on court
Sait-on encore c’que signifie l’amour ?
J’ai bien peur que non, Dieu nous le montre tous les jours…
La planète tourne à l’envers, ça m’fait peur
Voyez vous les flammes de l’enfer frères et sœurs
Ne lui vendez pas vos âmes

[Pont : Rim’K & Blacko & AP]
Comment rester insensible ?
La violence déborde, changer l’attitude de l’être humain est-ce possible ?
Comment rester insensible ?
Une vie minable dans un quartier minable mais pour la paix tant qu’c’est possible

[Couplet 2 : Blacko]
En tant que rasta man, je mène mon combat
J’veux la paix, l’amour mais pour le diable j’ai des coups de ton-ba
J’lâcherai pas l’affaire, non je ne baisserai pas les bras
J’y croirai dur comme fer même quand mon cœœur s’arrêtera
Un jour de paix pour nos fils
Un jour de paix pour nos filles
Un jour sans que tout parte en vrille
Un jour sans pleurs, sans haine, sans peur, sans peines
Un jour où tombe Babylone system

[Couplet 3 : AP]
J’suis un être humain comme tout l’monde
J’m’arrête aux choses sensibles
Tu sais que même avec le temps les plus rebelles s’assagissent
J’veux voir d’la joie au lieu d’la haine dans les yeux des gens
J’ai d’la peine quand j’regarde les infos, et vois c’qui s’passe sur d’autres continents
J’vis là où les jours s’confondent avec la nuit
Là où aussi on laisse peu d’chances aux plus démunis
Aux orphelins qui retrouvent l’amour dans un foyer secondaire
Dès leur enfance, bercés par la colère d’un père
Toutes nos valeurs sont écoulées dans les ZUP
Une violence urbaine au milieu des nôtres
Rêve d’une terre sans discriminations, sans conflits
Tend la main à ceux dans la solitude
Comme ce p’tit paralysé sur un lit, qu’on voit qu’le bonheur ce second souffle
Y’a des gens qui souffrent, et qui font pas semblant
Pour tous les pays en guerre, j’agite le drapeau blanc
Baissez les armes, séchez vos larmes pour un jour de paix c’est maintenant

[Refrain]
Si la paix pouvait embrasser ce monde juste un jour
Une trêve, une pause pour que l’on sache après quoi on court
Sait-on encore c’que signifie l’amour ?
J’ai bien peur que non, Dieu nous le montre tous les jours…
La planète tourne à l’envers, ça m’fait peur
Voyez vous les flammes de l’enfer frères et sœurs
Ne lui vendez pas vos âmes

[Pont : Rim’K & Blacko]
Comment rester insensible ?
La violence déborde, changer l’attitude de l’être humain est-ce possible ?
Comment rester insensible ?
Une vie minable dans un quartier minable mais pour la paix tant qu’c’est possible

[Outro]
Ohohoh yeah …man
113, Blacko
9-4, 9-5
Gotcha music
Ghetto youth progress
Yeah man
Comment veux-tu qu’la terre tourne à l’endroit si nos cerveaux marchent à l’envers man ?
Reaction, reaction !