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Culture & esthétique

Merci Damo Suzuki !

Né le 16 janvier 1950 avant de s’en aller le 9 février 2024, Damo Suzuki est une figure marquante et attachante de la musique. Japonais parcourant le monde en mode bohème, il est découvert jouant de la musique sur les trottoirs de la ville de Munich en Allemagne et directement engagé par les membres du groupe Can. Il joue le soir même en concert et chante sur plusieurs albums, Soundtracks (1970), Future Days (1973), et surtout Tago Mago (1971), ainsi que Ege Bamyasi (1972).

Can

Can est un groupe dit de « Krautrock », la variante allemande de rock progressif. On parle ici d’un mélange de musique psychédélique, de jazz, de funk, avec l’utilisation des premiers matériels de musique électronique. Ecouter Can, c’est redécouvrir de nombreux groupes essentiels qui l’ont suivi : Joy Division, The Stone Roses, The Happy Mondays, Siouxsie and the Banshees, Cabaret Voltaire, Radiohead, The Jesus & Mary Chain, Sonic Youth, Portishead, Talk Talk, The Talking Heads, PIL, et plus tard on retrouve bien entendu Kanye West.

Can est emblématique d’un son répétitif envoûtant, au son particulièrement léché et d’un rythme dansant (ou bien au contraire très lancinant), avec une boucle psychédélique retrouvant pied grâce à la dynamique funk. C’est à la fois totalement minimaliste et entièrement plein, et toujours d’une pleine maîtrise musicale. On est ici chez des orfèvres de la musique.

En un sens, l’approche de Can est très intellectuel ou intellectualisé ; c’est entre Pink Floyd avec son approche psychédélique et le Velvet Underground (de White Light / White Heat) avec son approche abrasive underground. On est ici dans l’expérimental et il ne s’agit pas d’en faire un fétiche, ce que s’empressent de faire les snobs. On ne peut pas être un intellectuel bourgeois parisien – forcément « de gauche » – sans ne pas tarir d’éloge sur Can.

Si on voit les choses de manière socialiste par contre, on peut voir que Can a été à la base d’un mouvement de musique populaire de masse : la scène de Manchester appelée « Madchester », avec sa musique « avant-funk », sorte de démarche d’avant-garde de funk électronique avec tout un arrière-plan disco, dont les Happy Mondays sont un bon exemple. Can a produit tout un travail en amont et c’est en cela qu’il faut s’y intéresser et l’estimer. C’est sans doute de la musique pour musiciens, mais il en faut aussi.

Dans les Happy Mondays, il y a Bez qui ne sert à rien dans le groupe, il ne fait au sens strict que danser. Mais ce petit élément inégal tient justement à Can. Tout comme les postures de David Bowie ont bouleversé les jeunes qui formeront ensuite la vague gothic rock, la position de Damo Suzuki a inspiré ceux qui faisaient le dos rond au star system dans la musique.

Damo Suzuki chantait dans une langue inventée par lui, mais ce n’était pas un délire comme le feraient des tenants de l’art contemporain aujourd’hui, il y avait une idée de négation qu’on retrouve dans la « no wave », les sons répétitifs ou abrasifs à la PIL, Sonic Youth ou à la Jesus & Mary Chain (qui jouaient initialement souvent le dos au public).

Damo Suzuki insistait sur la dimension « spontanée », mais on parle ici d’un vrai artiste, avec un immense arrière-plan culturel. On est dans un travail sur la composition musicale, pas dans le subjectivisme.

Tago Mago fut enregistré dans un château prêté gratuitement au groupe par un collectionneur d’art, dans l’esprit « mécène » propre aux années 1960-1980, et inconcevable aujourd’hui dans la (haute) bourgeoisie.

En ce sens, merci Damo Suzuki, pour sa contribution à l’histoire de la musique, au développement de la composition musicale ! Il est un bon exemple de la rencontre inéluctable de toutes les nations du monde, de leur mélange, de leur fusion. Le monde de demain, fusion de toutes les nations en une seule humanité, regorgera de productions de valeur s’interpénétrant comme des vagues l’une en l’autre, à l’infini !

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Culture

Feu ! Chatterton et leur «Palais d’Argile»

Le groupe français Feu ! Chatterton a sorti son troisième album, « Palais d’Argile » le 12 mars 2021. Écrit avant le confinement, l’album résonne pourtant avec le contexte de la crise sanitaire. Il mêle les genres musicaux et les états d’esprit, oscillant entre réflexion sur le monde et sentiments amoureux, entre mélancolie et espoir.

Avec ce troisième album, Feu ! Chatterton se positionne en tant que groupe capable de renouveler la chanson française. Inspiré par Ferré, Gainsbourg ou encore Bashung, ce groupe typique du rock français montre qu’il sait puiser dans la diversité des genres, avec des références efficaces. Tantôt glissant vers le post-punk, tantôt vers l’électro avec notamment ici la collaboration d’Arnaud Rebotini.

La musique de Feu ! Chatterton est taillée pour la scène, la communion avec le public notamment par l’intermédiaire de la présence quasi mystique du chanteur, Arthur Reboul. Sa voix naturellement voilée, capable de partir dans les aigus et de vibrer de manière gutturale, donne une vie indéniable au tout, avec une palette d’émotions variées et intenses.

C’est sans doute le morceau Un Monde Nouveau, qui exprime le mieux quelque chose de notre époque, en fait l’état d’esprit d’une partie de la population française.

Pensé comme un constat sur notre époque depuis le futur, cette chanson préfigure les attentes idéalistes qui ont surgit pendant le confinement avec les considérations sur le « monde d’avant » et un hypothétique « monde d’après ».

C’est une peinture des classes moyennes éduquées face à un monde déstabilisant et l’impossibilité de trouver une porte de sortie sur leurs propres bases.

Il exprime justement l’angoisse classique des intellectuels, des artistes ayant conscience qu’il faut changer le monde mais que pour se faire il faut pouvoir le façonner. Et qu’au fond, bien qu’ils puissent être excellents à formuler des pensées complexes, ce ne sont pas les idées qui changent le monde.

Ils se sentent impuissants à transformer. C’est là qu’intervient l’obsession de « savoir faire quelque chose de ses mains », qui peut à la fois mener à une vision romantique du tous artisans ou à se tourner vers les manuels modernes.

Cet entre-deux est tout à fait palpable avec le clip qui prend place dans un décor post-industriel où les membres du groupe portent des costumes bleus marines identiques et déambulent avachis les uns sur les autres.

On a pareillement une vision de la technologie qui est ambivalente, avec une critique de son utilisation vide de sens et froide sans pour autant être dans le refus de la modernité.

« La clarté nous pendait au nez dans sa vive lumière bleue
Nous étions pris, faits, cernés, l’évidence était sous nos yeux
Comme une publicité qui nous masquait le ciel

Des millions de pixels pleuvaient sur le serveur central

Un monde nouveau, on en rêvait tous
Mais que savions-nous faire de nos mains
Un monde nouveau, on en rêvait tous
Mais que savions-nous faire de nos mains
Zéro, attraper le Bluetooth
Que savions-nous faire de nos mains
Presque rien, presque rien, presque rien. »

Trop d’amarres nous rivent au capitalisme et il n’y a personne pour les larguer collectivement. Ces amarres ce sont tous les attraits de l’hédonisme moderne de la consommation qui sont d’ailleurs dénoncés à demi-mot par Arthur Teboul dans une entrevue avec le groupe Catastrophe. Il y répond à la question « qu’est-ce qui est subversif aujourd’hui ? » :

« La discipline, la soumission, l’ordre. […] La liberté ce n’est pas sortir de tout cadre mais respecter un cadre qu’on aurait soi-même choisi […] L’abandon et la jouissance sont dans l’air du temps, la privation, voilà ce qui est subversif aujourd’hui, choisir de se priver dans un autre but. »

Finissant par citer Rousseau « L’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté ».

Face a un monde sans âme, où la sensibilité s’effrite, Feu ! Chatterton nous transporte dans une ambiance lyrique, teintée d’épicurisme.

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Culture Vie quotidienne

Détruire ce qui nous détruit

Slogan de la Gauche allemande alternative, « détruire ce qui nous détruit » est emblématique d’une exigence de transformation de la vie quotidienne.

« Détruire ce qui nous détruit » est un slogan classique de la Gauche allemande alternative des années 1970 en Allemagne de l’Ouest ; à rebours complet de la logique syndicale, il place les revendications sur le plan de la vie quotidienne. C’est exemplaire de la différence d’ailleurs entre la Gauche française des années 1960-1970 et son équivalent allemand.

Ce slogan est connu par le groupe « Ton Steine Scherben » (Hauteur de voix Pierres Bris de vitres), dont c’est le premier single en 1970. Le groupe, qui pratique une sorte de rock, est devenu emblématique d’une scène allant des Verts alternatifs à la Fraction Armée Rouge en passant par les autonomes et tous les squats berlinois des années 1980, avec comme dénominateur commun la revendication de la transformation de la vie quotidienne. En France, le journal L’Internationale liée à Action Directe reprendra d’ailleurs le slogan en couverture de son numéro de décembre 1983 ; il est souvent employé par le PCF(mlm).

Voici la chanson de Ton Steine Scherben.

En voici les paroles, les dernières lignes étant présentes sur la version de l’album.

« Les radios sont allumés, les disques tournent
Les films sont diffusés, les télévisions allumés
Acheter des voyages, acheter des voitures

Acheter des maisons, acheter des meubles
Pourquoi ?

Détruisez ce qui vous détruit !

Détruisez ce qui vous détruit !

Les trains roulent, les dollars roulent

Les gens s’épuisent au boulot, les machines tournent

Construire des usines, construire des machines
Construire des moteurs, construire des canons

Pour qui ?

Détruisez ce qui vous détruit !

Détruisez ce qui vous détruit !

Les bombardiers volent, les chars roulent,

Les policiers frappent, les soldats tombent
Protéger les chefs, protéger les actions

Protéger le Droit, protéger l’État

De nous !

[A quoi s’ajoute sur l’album la chanson du Front de l’unité de Bertolt Brecht et Hanns Eisler :

Et parce que l’homme est un homme
voilà pourquoi il lui faut de quoi manger, eh oui!
Aucun bavardage ne le rassasie
ça ne ramène pas de bouffe.

Donc gauche, deux, trois!
Donc gauche, deux, trois!
Là où est ta place, camarade!
Range-toi dans le Front de l’unité des travailleurs
Car toi aussi es un travailleur

Et parce que l’homme est un homme
voilà pourquoi il lui faut aussi vêtements et chaussures.
Aucun bavardage ne le réchauffe
et pas de roulement de tambour, non plus

Donc gauche, deux, trois!
Donc gauche, deux, trois!
Là où est ta place, camarade!
Range-toi dans le Front de l’unité des travailleurs
Car toi aussi es un travailleur

Et parce que l’homme est un homme
voilà pourquoi les bottes dans la figure ne lui plaisent pas.
Il ne veut voir parmi soi aucun esclave
et au-dessus de lui aucun maître.

Donc gauche, deux, trois!
Donc gauche, deux, trois!
Là où est ta place, camarade!
Range-toi dans le Front de l’unité des travailleurs
Car toi aussi es un travailleur

Et parce que le prolétaire est un prolétaire
voilà pourquoi aucun autre le libérera,
la libération de la classe ouvrière
ne peut être que l’œuvre des ouvriers

Donc gauche, deux, trois!
Donc gauche, deux, trois!
Là où est ta place, camarade!
Range-toi dans le Front de l’unité des travailleurs
Car toi aussi es un travailleur] »

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Culture

System of a Down: une opposition à la décadence et au capitalisme guerrier

Les années 1990 ont vu le groupe System of a Down (SOAD) se monter, dans le contexte d’un capitalisme américain très agressif, disposant d’une très grande puissance et influence à travers le monde.
SOAD, par les origines arméniennes de tous ses membres, a produit une musique puissante puisant dans diverses influences, vectrice d’un rejet et d’une très grande colère envers le génocide arménien, mais aussi des guerres menées par les USA, et de la décadence d’une société capitaliste où tout n’est qu’aliénation. Le nom du groupe annonce déjà la couleur.
En cherchant à exprimer cette souffrance, SOAD a donc naturellement produit des chansons contre les dictateurs sanglants écrasant des peuples entiers pour le compte d’une poignée de personnes, contre les monopoles et les grandes puissances impérialistes du monde. Cette expression, certes teintée d’une vision idéaliste de la réalité, n’en demeure pas moins d’une qualité exceptionnelle, particulièrement sur le plan musical.
Les harmonies au chant sont d’ailleurs généralement ce qui attire le plus ceux qui découvrent le groupe. Holy Mountains, leur plus grosse chanson sur le génocide arménien, représente parfaitement leur musique.

Le groupe ne s’arrête cependant pas à la dénonciation des guerres et des crimes qui les accompagnent. Le malaise englobe tous les aspects de la société, et par extension, leur expression musicale également. Dans une chanson comme Spiders, très riche musicalement, on retrouve sous l’idéalisme initial une critique de la partialité des médias diffusant largement les idées néfastes de la classe dominante dans toute la population. Une manière de s’opposer à la corruption des masses par ce qu’elles voient à la télé.

System of a Down, vu les valeurs mises en avant, a donc su entrer en vibration avec les masses à l’échelle internationale. L’impact culturel du groupe dans le monde a été immense. Leur chanson Chop Suey totalise presque le milliard de vues sur YouTube, sans doute déjà dépassé en prenant en compte toutes les autres versions vidéo de la chanson, avec clip, avec karaoké, avec simplement la pochette de l’album en image de fond… SOAD a été une inspiration pour beaucoup d’artistes, les morceaux les plus connus étant repris allant du remix techno hardcore… aux lecteurs disquettes !
Contre la corruption de la classe dominante, des chansons comme Prison Song dénoncent avec violence le business carcéral des prisons privées aux États-Unis. Contre la décadence, ce sont des chansons comme Lost in Hollywood qu’il faut écouter, dans laquelle est peint un portrait critique de l’hypocrisie et la décadence morale de l’industrie cinématographique de Hollywood, broyant les artistes et acteurs, issus de milieux populaires ou non, sous la pression de son absence de valeurs morales. On peut également mentionner la chanson Violent Pornography, qui critique l’exploitation et le viol des femmes par l’industrie du porno, vecteur d’une violence patriarcale inacceptable pourtant disponible sur nos écrans à volonté et procédant à un véritable brainwashing de ceux qui en consomment.

System of a Down, de part son nom même, cherche à se placer en opposition à la violence, à la corruption, bref : au capitalisme. Le groupe n’est pas exempt de défauts, mais malgré un certain idéalisme, l’aspect principal reste l’appel à la civilisation, à la résistance aux valeurs que véhicule le capitalisme, à la défense de la Nature vue comme une mère contre les activités humaines…
SOAD est porteur d’une grande dignité, offrant une musique puissante dans un style metal très hybride puisant aussi bien dans Rage Against the Machine que dans Black Sabbath, le rap, ou la musique traditionnelle arménienne. Cela donne un groupe sans style musical bien défini si ce n’est « neometal », mais qui a su trouver un écho puissant au sein des masses, y voyant des valeurs culturelles et musicales indéniables.
Il faut écouter et réécouter leur musique, car il se trouve une volonté sincère de voir se former un monde démocratique, de paix et d’harmonie avec notre Biosphère.
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Culture Culture & esthétique

Playlist cross over, fusion: oui à l’appropriation culturelle!

La rencontre du punk, du hardcore, du métal… avec le hip hop, le reggae, le jazz, le ska, la funk… et inversement, fut un processus des années 1980 et 1990 à rebours des problématiques identitaires actuelles. Le mélange des genres musicaux, le dédain complet pour la couleur de peau… tout cela était et est encore considéré comme normal par qui sait que le peuple, c’est la fusion.

Il existe en France une obsession pour la couleur de peau et cela depuis une vingtaine d’années. C’est une véritable catastrophe identitaire, qui place les gens dans des cases racistes. Rien de tel qu’une bonne playlist témoignant de l’absurdité de tout cela, avec une rencontre du métal, du hardcore, du rap et du Hiphop, de la funk, du jazz, tout cela dans un mélange de musiciens noirs, blancs, arabes ou on ne sait quoi, et cela ne compte pas.

> La playlist « Cross over » est disponible sur la colonne de droite (version web) ou sous l’article (version mobile), ainsi que sur la page des playlists.

Les années 1990 ont été marquées par ce puissant esprit positif, contestataire, constructif, parfois appelé Cross over, fusion. Le groupe Fishbone est une figure majeure de cette tendance, aux côtés des Bad Brains ; leur admiration est immense dans le milieu des musiciens.

Deux groupes strictement parallèles, les Beastie Boys et les red Hot Chili Pepper auront un succès immense. La vidéo de la chanson Hump de Bump des Red Hot Chili Peppers, tournée par Chris Rock en 2009, témoigne de cet esprit joyeux et plein d’unité populaire.

Tout « postmoderne » considérera par contre forcément cette vidéo comme raciste, « appropriation culturelle », pleine de « clichés », etc.

La chanson Sabotage des Beastie Boys – à la base un groupe de punk hardcore – avec sa vidéo décalée et également très bon esprit, est un autre exemple brillant de tendance cross-over, fusion.

Un groupe classique de Hiphop comme Public Enemy s’appuie parfois ouvertement sur une base rock, chose inconcevable aujourd’hui pour beaucoup d’esprits rétifs, enfermés sur eux-mêmes. Un autre groupe ayant eu un immense succès est Rage against the machine.

La France connut également toute une vague très proche, bien que différente tout de même, avec Lofofora, Silmarils, No one is innocent… au coeur de toute une véritable scène, qui malheureusement fut incapable d’avancer par manque de socle culturel alternatif assez solide.

La vague néo-métal de la fin des années 1990 profite dans une très large mesure de cet esprit « cross over », avec Linkin Park, Korn, Limp Bizkit ou encore dans un esprit différent Papa Roach.

Impossible de ne pas mentionner la chanson Last resort de Papa Roach, éloge de l’esprit contestataire de la jeunesse qui suffoque dans l’impossibilité de s’épanouir. C’était avant que les identitaires et les postmodernes ne torpillent les exigences alternatives avec leur repli identitaire individualiste délirant et fanatique…

Impossible non plus de parler de rencontres culturelles productives sans évoquer la chanson Planet Rock d’Afrika Bambaataa & The Soul Sonic Force qui, en samplant le groupe électronique allemand Kraftwerk, a apporté une contribution énorme à l’émergence de la musique techno.

Le son n’a rien à voir avec le « cross over » ou la fusion, mais l’esprit est le même : le mélange, la rencontre. Pas d’ethno-différentialisme, pas de soupe commerciale « mondialisée » pour autant.

Au milieu des années 2000, le groupe Death Grips est l’un des exemples significatifs de rencontre d’un son abrasif, dans un certain esprit de collage punk, et du Hiphop. Car le processus de rencontre est sans fin et lui seul est productif. Les rencontres ne sont pas productives en soi… mais sans elles, il n’y a rien.

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Culture

Mark Hollis, géant de la musique

La presse a largement repris hier l’information comme quoi l’Anglais Mark Hollis était décédé, à 64 ans. Son groupe Talk Talk avait en effet eu des tubes très importants durant les années 1980, faisant de lui une figure particulièrement appréciée.

Cependant, ce n’est rien par rapport à ce qui a suivi ses « tubes » : des albums considérés comme très importants dans la musique, dans le sens où ils ont posé un post-rock extrêmement intelligent, voire littéralement somptueux. Le groupe a payé le prix fort pour cette orientation, se faisant démolir par les labels et finissant par se saborder au début des années 1990.

Voici tout d’abord les deux « tubes » de Talk Talk, deux très belles chansons par ailleurs.

Voici une autre très belle chanson, d’une qualité exceptionnelle, tirée du troisième album, en 1986, et reflétant l’orientation nouvelle. On s’arrache à la new wave pour une préciosité sans ostentation.

Cette autre chanson du même album est très connue.

L’album Spirit of Eden, qui ne participe nullement à une démarche commerciale, fut considéré comme un très grand tournant vers le post-rock ; en voici des illustrations.

Et voici un extrait de l’album Laughing stock, sorti en 1991 et désormais considéré comme un immense classique, clairement incontournable.

C’est une grande preuve qu’on peut être populaire, accessible et s’appuyer là-dessus pour découvrir de nouveaux horizons, former de nouveaux espaces. Il est flagrant que le post-rock de Talk Talk correspond à toute une nouvelle phase de la musique par la suite. Mark Hollis a joué un rôle primordial dans cette activité de Talk Talk ; il a été un géant de la musique.

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Many Nights – Motorama (2018)

Motorama est un groupe russe qui propose une une cold-wave puissante et envoûtante. Leur dernier album Many Nights continue d’explorer une approche très esthétique du post-punk anglais avec une touche post-soviétique tout à fait moderne et plaisante.

Tout le monde le dit tellement c’est flagrant : la voix du chanteur Vladislav Parshin rappelle celle de Ian Curtis de Joy Division. On n’est plus cependant à Manchester dans les années 1980 mais à Rostov-sur-le-Don au XXIe siècle, au carrefour entre l’Asie et l’Europe.

Le ton est plus mélancolique que torturé ; les thèmes abordent souvent la nature et pas seulement les tourments individuels. Ce sont les steppes orientales qui sont évoquées dans le magnifique Kissing the ground, les montagnes de l’Altaï dans Homeward ou bien une île de la mer de Bering dans le très immersif Bering island.

Le propos et l’approche sont malgré tout souvent pessimistes, comme dans He will disappear. La démarche du groupe apporte en tous cas une grande attention à l’authenticité plutôt qu’à une musique formatée et insipide :

« J’essaie d’enregistrer le tout dans un seul élan pour conserver l’ossature dans sa fragilité. A mon sens, parfois, voire souvent, les maquettes sont meilleures que les versions définitives. »

Cela se ressent en concert avec un set très long, des instruments basiques et une certaine froideur qui peut déconcerter, mais n’est pas surjouée. Des images sympathiques sont projetées en fond, en noir et blanc, avec de la nature sauvage et des petites scènes pop’ de la vie quotidienne russe d’avant ou d’alors.

Les clips du groupe sont également toujours très cinématographiques. La musique de film influence leur démarche, notamment avec le soviétique Edouard Artemiev qui a composé pour Tarkovski.

> Lire également : Le film “Stalker” d’Andrei Tarkovski (1979)

Loin de se limiter à cet horizon très riche, les influences de Motorama sont multiples et volontairement mondiales, avec cette recherche de l’universel qui caractérise les grands artistes.

Many Nights de Motorama est sortie le 21 septembre 2018 sur le label indépendant bordelais Talitres.

wearemotorama.com

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Love – Forever Changes (1967)

A sa sortie en 1967, Forever Changes du groupe américain Love n’eut aucun succès. S’il reste encore strictement inconnu du grand public, il est depuis unanimement considéré par les critiques musicaux comme un des plus grands chefs d’œuvre.

Le paradoxe est que, loin d’une sur-esthétisation, d’un intellectualisme élitiste ou quoi que ce soit de ce genre, l’album est bien d’une très grande accessibilité.

On comprend pourquoi il fut l’album préféré des Stones Roses et de leur producteur, justement en raison de cette fragilité jamais gratuite, cette esthétique formidable et jamais ostentatoire, toujours ouverte, lisible, connaissable.

A cela s’ajoute bien entendu une incroyable synthèse de folk, de rock psychédélique, avec des éléments préfigurant la pop, alors que des guitares acoustiques accompagnent une démarche orchestrale.

La chanson Alone again or est la plus emblématique et la plus célèbre (« on dit que ça va ; je n’oublierai pas, toutes les fois que j’ai attendu patiemment pour toi, et tu feras seulement ce que tu as choisi de faire, et je serai encore seul ce soir ma chère »).

La chanson A House Is Not a Motel est également marquante, avec son éloge du couple (« Une maison n’est pas un hôtel de passage »).


Le groupe avait saisi une certaine précarité du mouvement hippie et l’échec de l’album amènera son implosion, avec un basculement encore plus flagrant dans l’héroïne et le LSD.

La critique de la société est profondément romantique, avec une exigence résolument franche d’une autre vie, comme ici avec Live And Let Live (Vivre et laisser vivre) : « J’ai t’ai vu de nombreuses fois de par la passé, une fois j’étais un Indien, et j’étais sur ma terre, pourquoi est-ce que tu ne comprends pas ? (…) J’ai fait mon temps, je l’ai bien servi, tu as fait de mon esprit une cellule ».

Le phrasé de Bummer In The Summer est également très puissant de par sa dimension blues, l’histoire comptant la mésaventure d’un plombier qui a trouvé la femme de ses rêves, mais la jalousie environnante agresse leur relation et lui rappelle à la femme sa liberté.

La référence à Love a été relativement partagée dans le milieu rock, des Ramones à Alice Cooper, de Jesus and Mary Chains à Billy Bragg, de Robert Plant au Velvet Underground, etc. La chanson Alone Again or fut notamment plusieurs fois reprises.

Voici la version des Damned, des Boo Radleys, des Oblivians, de Sarah Brightman, d’UFO, et enfin une version de Bryan McLean, le membre de Love auteur de la chanson et par ailleurs ancien roadie des Byrds.






Il est à noter que ces références à Love profitent également de la chanson Seven and Seven Is, de de l’album précédent datant de la même année, Da Capo, connue pour avoir une très forte dimension pré-punk.

Cependant, au-delà de la dimension expérimentale caractérisant Love, Forever Changes est marquant comme album avec beaucoup de sensibilité, partant selon dans le tourmenté déboussolé, le réconfortant, l’agressif protestataire, le frénétique ; c’est un album qui affirme toute une recherche d’expression des facultés émotionnelles lors de la vague psychédélique et hippie.

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Culture

Jacques Higelin, le saltimbanque des années Mitterrand

Voter François Mitterrand, ce n’était pas simplement croire qu’il y aurait enfin un changement profond, social, dans la société. Cela allait avec le fait de considérer Arthur Rimbaud comme le premier poète de la modernité, de lire la bande dessinée Philémon de Fred, ainsi que d’écouter Jacques Higelin.

Et lorsqu’on se mettait à douter, il suffisait de voir Jacques Higelin en concert, de constater sa gentillesse exaltée, sa présence scénique à la fois humble et poète, pour se dire qu’au moins, on était dans le bon camp, même si l’on était, en quelque sorte, comme tombé du ciel, décalé et idéaliste, mais de toutes façons, ce qui compte, c’est « L’amour, l’amour encore et toujours ».

La mort de Jacques Higelin annoncé hier marque par conséquent vraiment la fin d’une époque ; c’est tout un morceau de la gauche qui s’écroule littéralement. C’est tout un regard, propre aux années 1980, qui s’éteint : celui qui s’imaginait combiner rock’n roll, littérature et revendication d’une identité ferme de gauche, contre les connards de droite.

Avec Jacques Higelin, il y avait ce rappel : être de gauche, c’est être cultivé, mais pas avec une forme académique. C’est oser connaître les bas-fonds, les émotions fortes, les angoisses individuelles, en-dehors de toute apparence conformiste.

Pas négligé, pas déglingué, mais pas « clean » pour autant…

« Voilà que l’idée me prend
D’aller traîner mes godasses
Sur le dépotoir de l’aérogare
Qu’est juste en face

Et là, vautré sur la banquette d’un jumbo jet déglingué
Je rêve tout éveillé
A Paris New-York, New-York Paris
Comme si vous y étiez,
Comme si tu y es »

Il y a bien sûr le mois passé à la salle de concert de Bercy en 1985, avec notamment deux figures musicales importantes qui se révélaient au public français : le Sénégalais Youssou N’Dour et le Guinéen Mory Kanté.

On est dans l’esprit d’ouverture internationale, ou internationaliste, et l’idée d’un vrai show populaire : il y a plusieurs podiums, qui sont articulés, un gigantesque escalier digne des temples d’Amérique du sud, les musiciens sont une trentaine, il y a une jeep, Jacques Higelin court dans tous les sens, etc.

Jacques Higelin s’est toujours véritablement donné à son public, avec des improvisations, des concerts qui s’étirent. Impossible de le voir sans être marqué, il suintait un respect sincère pour le public, ou même le peuple. Lui-même habitait Pantin, en banlieue parisienne et sa position est pratiquement l’inverse de celle de Johnny Hallyday, puisque c’est toujours une forme de fragilité qu’il a mis en avant.



Cependant, il ne faut pas se leurrer : cela a d’énormes limites, d’énormes lacunes. Jacques Higelin, très rapidement et en ce sens il représente vraiment la Bande Originale des années Mitterrand, est aussi le symbole d’une gauche intellectuelle, tout à fait insérée socialement au point de disposer d’un vrai capital, lisant le Nouvel Observateur avec ses publicités pour les montres de luxe, les grosses cylindrées et l’immobilier.

Qu’il ait soutenu Anne Hidalgo aux municipales parisiennes de 2014 en dit assez long, puisque elle a joué un rôle de premier plan, avec Bertrand Delanoë, dans la sanctuarisation de la capitale comme bastion des classes privilégiées.

D’où les inévitables basculements vers une sorte de poésie à la Baudelaire, Breton, etc., c’est-à-dire le culte de lui-même par l’artiste, qui exprime une sensibilité large mais célèbre un entre-soi élitiste entre intellectuels, avec les références voilées, l’esthétisme semi-décadent, l’attitude de saltimbanque se jouant de tout, etc.

La chanson Champagne ou Poil dans la main, presque Spleen d’un côté Idéal de l’autre, témoigne bien d’une grande faiblesse sur le plan de la densité, ce qui l’oppose ici résolument à Hubert-Félix Thiéfaine qui lui tendait à une expression existentielle plus forte, plus intense, plus sombre (en puisant malheureusement dans l’esthétique anti-conformiste voire la rhétorique d’extrême-droite à défaut de trouver une voie réelle).


Jacques Higelin est, dans tous les cas, une figure incontournable des années 1980 et fut une figure attachante, parmi les plus attachantes.