Catégories
Culture

Les liquidateurs de Tchernobyl vus par Igor Kostin

Sur cette photographie se lie l’urgence. Les liquidateurs est une synthèse de la catastrophe de Tchernobyl. Dès le 29 avril 1986, soit trois jours après l’explosion nucléaire, Igor Kostin commence son premier reportage sur le sujet qui sera le fil rouge de toute sa carrière.

L’ambiance générale de la scène est presque lunaire. Des personnages dans d’étranges combinaisons s’activent sur un sol à l’aspect chaotique. Rien n’est vraiment nette sur l’image. La profondeur de champ semble mal maîtrisée, la mise au point paraît réglée sur l’objet au centre de l’image, derrière le personnage au premier plan. Autant d’indices d’une prise de vue précipitée.

La confusion du spectateur est néanmoins limitée grâce au soin apporté à la composition. La lecture est guidée suivant une ligne diagonale partant de l’angle inférieur gauche : la main droite du personnage de premier plan, puis sa main gauche, le brancard, le deuxième personnage, vers le troisième. On a affaire à des travailleurs manutentionnaires.

L’ensemble est imparfait et les anomalies sont notables. L’horizon ondule. Le grain de l’image est grossier, comme si le film avait été forcé au développement pour rattraper en laboratoire une sous-exposition causée par une prise de vue incorrecte. Des marques blanches en halo sont présentes au bas de l’image laissent penser que le dos du boîtier présentait des puits de lumière.

En cette fin avril 1986, les liquidateurs, civils et militaires, se relaient sur les toits de la centrale, à quelques dizaines de mètres du cratère laissé par l’explosion. Équipés de masques à gaz et de tablier de plomb, les travailleurs charrient les débris contaminés. Au hurlement de la sirène, huit équipiers se ruent sur le chantier pour un poste de 40 secondes.

En une semaine, Igor Kostin retourne cinq fois sur les toits pour des séances de prise de vue de deux à trois minutes. Chaque fois, ses films sont noirs, comme brûlés par les radiations. Il applique alors des plaques de plomb sur son boîtier, et varie les temps d’exposition sans tenir compte des mesures de lumière. Ce procédé lui permet de ramener des images exploitables.

Les quatre boîtiers utilisés pour réaliser le reportage dont est tiré cette photographie sont ensevelis avec les débris nucléaires dans le cratère du réacteur n°4 de la centrale de Tchernobyl.

Catégories
Politique

Guerre d’Espagne : affiches du PSUC et de l’UGT

Le Parti socialiste unifié de Catalogne est né en juillet 1936, quelques jours après le coup d’État de Franco, en tant que fusion des socialistes et des communistes. Il dirigeait également l’Union générale des travailleurs (UGT). Voici quelques unes de leurs affiches durant la guerre d’Espagne.

Catégories
Culture

Winter d’Amebix (1983)

Amebix est un groupe culte de punk anglais de la toute fin des années 1970 et qui se sépara en 1987, avant de se reformer pour quelques années en 2008. Le groupe produira deux albums (Arise ! et Monolith), et trois EPs (Who’s the Ennemy, Winter et No Sanctuary) – nous ne comptons pas ici leurs productions pendant la reformation.

Amebix émerge d’une partie de la scène punk anglaise tournée vers le metal et les courants post-punk et gothique. Leurs débuts seront plus post-punk tandis qu’à partir de l’album Arise ! le groupe se tournera vers le metal et sera d’ailleurs une influence notable pour de nombreux groupes de thrash et de black metal comme Sepultura, Bathory ou Celtic Frost.

A ce moment la scène punk anglaise est en plein foisonnement : à côté des groupes plus « No future » comme The Exploited, se trouve tout un mouvement de punk pacifiste qui ira explorer de nouveaux horizons tant musicalement qu’esthétiquement : parfois expérimental comme Crass ou Dirt (qui aura aussi un son plus pop), ou plus novateur et brutal comme Discharge, ou encore plus teinté de metal avec des groupes que l’on qualifiera de « stenchcore » ou plus généralement de crust. Amebix se situe dans cette dernière catégorie.

Si Arise ! aura marqué beaucoup plus de groupes que Winter, ce dernier restera le summum du groupe en terme de synthèse. Le EP est composé de deux chansons : Winter et Beginning of the end. Deux chansons de punk glacial et post-apocalyptique.

Cet EP est comme hors du temps : à l’écart dans le mouvement des premiers groupes punk au son de plus en plus metal, à part dans l’histoire du groupe.

Ce qui frappe en premier lieu est la place centrale de la basse. La batterie n’est là que pour la soutenir, l’appuyer. Tandis que la guitare vient davantage pour créer une atmosphère glaciale que pour donner une mélodie.

A cela s’ajoute un chant lointain, comme un écho qui parviendrait difficilement jusqu’à nous. Cette combinaison créée une atmosphère dense et envoûtante à la fois. Comme si cet hiver sera le dernier, comme si le monde était au bord de l’implosion et que personne ne voulait voir la vérité en face.

La dignité d’Amebix est de ne pas avoir sombré dans le nihilisme décadent d’une partie de la scène punk. Le monde tel qu’il avançait, tel qu’il était (et qu’il est encore aujourd’hui) est rejeté en bloc. Il n’y a pas de perspective, mais le rejet est complet.

«The machine has grown to crush the world, the walls are getting higher
The youth will be the first to throw themselves upon the pyre
The reason for living seems so fruitless in the aftermath
When we’ve finally walked to the end of the path

Looks like the beginning of the end »

Ce qui peut se traduire par :

« La machinerie est lancée et prête pour briser le mode, les murs se dressent toujours plus hauts
La jeunesse sera la première à se jeter au bûcher
Les raisons de vivre semblent si minces à présent
Lorsque nous avons finalement marché jusqu’au bout du chemin

Cela ressemble au début de la fin »

A ce moment-là, Amebix est une sorte de Joy Division de toute une frange de la scène punk anglaise : moins gothique, moins romantique, mais avec une esthétique et un son si particuliers et uniques.

Catégories
Politique

Célébration des femmes du 8 mars 2018

Les femmes ne sont pas présentes partout. Soit parce qu’elles sont exclues, soit parce qu’elles décident de ne pas être présentes. Prenons la chasse à courre. Le site venerie.org décrit la participation de la femme à la chasse comme un « apport chaleureux dans les équipages ».

Les femmes représentent 20% des veneurs. Les seules femmes participant à la chasse à courre sont issues des milieux grands-bourgeois le plus souvent parisiens. Pourtant, c’est d’une pratique féodale dont il s’agit ici. Les rôles de chacun durant la chasse sont immuables, tout est ritualisé, codifié, hiérarchisé à la manière des castes : le maître d’équipe, noble le plus souvent, les piqueurs, hommes influents triés sur le volet et les suiveurs appartenant aux classes populaires.

Il n’y a pas de suiveuses. Chacun doit tenir sa place dans ce qui est la traque d’un animal, sans relâche et à mort. Le spectacle est sanguinaire. Le système de valeurs est réactionnaire.

Les femmes refusent la violence gratuite. C’est pour cela qu’elles sont aussi rarement présentes dans les tribunes des supporters ultras de football. Pourtant, les femmes aiment le football. Elles pratiquent le jeu, mais rejettent le côté beauf « apéro-barbecue » d’avant match !

Voilà un exemple de la clairvoyance des femmes et de leur aptitude à trancher. Contrairement aux hommes qui se laissent entraîner, par faiblesse morale, de la tribune à la bière et de l’insulte à la ratonnade, les femmes coupent court. Dans le fatras de la culture foot, elles prennent le sport, le spectacle éventuellement, mais elles rejettent massivement le hooliganisme et la culture beauf.

D’ailleurs ce côté beauf, elles le fuient également dans les milieux syndicaux et leurs cortèges bières-merguez. Les femmes ne sont présentes qu’à hauteur de 7,5% dans les syndicats français.

Ces derniers prétendent négocier l’égalité entre hommes et femmes. Ils ne s’intéressent qu’aux salaires. C’est bien, mais cela ne remet pas du tout en cause la base sociale ! Les syndicats ont brillé par leur absence dans le mouvement #balancetonporc, qu’ils n’ont pas compris, alors qu’il concernait en premier lieu les violences sexistes au travail.

Un grand nombre de femmes s’est emparé de ce hashtag, et au-delà des réseaux sociaux, un véritable élan s’est amorcé pour dénoncer ce qu’elles subissent au quotidien, au boulot ou dans la rue. Ce n’est pas grâce aux syndicats si la peur a, partiellement et pour un temps seulement, changé de camp.

La barbarie est omniprésente. Et moins les femmes s’expriment et moins les femmes sont là, et plus la barbarie s’affirme. La société entretient les lieux de la barbarie et étouffe la voix des femmes, la voix sensible.

Prenons les relations sentimentales. Soit elles n’existent pas et les rapports entre les individus sont voués à la brutalité, soit elles sont d’une pauvreté lamentable. Même s’il n’y a pas toujours violence physique, la violence émotionnelle est bien là. Du fait d’un isolement causé par le mode de vie, une solitude qui détruit moralement se répand. Les rencontres se réduisent alors aux coups d’un soir, la drague à Tinder et l’amoureux n’est qu’un sexfriend. C’est toute notre sentimentalité qui se trouve ratatinée à la mode 50 nuances…

Cela la bourgeoisie semble ne pas l’avoir perçu.

Son indignité est à l’image d’Aurore Bergé, député La République en Marche, qui s’est illustrée dernièrement à la télévision. Elle s’est présentée dans un talk-show dans une toilette qui a fait polémique.

Il est évident que, vu de gauche, le problème n’est pas de savoir si une femme peut apparaître dénudée en public. La femme doit pouvoir se vêtir comme elle le souhaite, y compris en public, sans subir aucune violence quelle qu’elle soit. Mais les gens qui font de la politique à ce niveau savent que leur carrière est en partie déterminée par leur popularité. Aurore Bergé a choisi son image en conscience, pour « se vendre ». Elle a tout raté.

Car le corps des femmes est engagé politiquement. Pour les sentiments véritables, pour la dignité, contre la violence gratuite, les femmes veulent changer la vie parce qu’elles en connaissent la valeur.

Les femmes du 8 mars 2018, ce sont ces femmes de l’Oise qui comptent parmi les opposants à la chasse à courre. Après la journée de travail, leur corps se fait barricade, elles s’unissent par conviction à des actions, parfois violentes, afin de protéger un autre être, de la violence barbare. Ces femmes doivent gagner le pouvoir politique.

Catégories
Écologie

Chasse à courre et répression (tribune)

Tribune publiée originellement sur mediapart et dont agauche.org est signataire. Pour rappel : le facebook et le site du groupe AVA (Abolissons la vénerie aujourd’hui).

Depuis le mois d’octobre 2017, le mouvement d’opposition à la chasse à courre (aussi appelée vénerie) prend de l’ampleur dans le pays.

Mais, malgré les 84% de français opposés à cette pratique (sondage IFOP/Fondation Brigitte Bardot), l’abolition ne tombe pas du ciel.
Dans l’Oise, les habitants des villages ont décidé de s’organiser pour la défense de la Nature, mais aussi pour le simple respect de leurs droits et de leur quiétude.

Car les incidents continuent de se multiplier dans les villages : Bonneuil-en-Valois fin décembre, Choisy-au-Bac début janvier, Pont-Sainte-Maxence début février… A chaque fois, ces scènes donnent lieu à des affrontements entre les habitants et les veneurs, repoussés  souvent avec l’appui des maires.

Ces derniers sont de plus en plus nombreux à adopter des arrêtés municipaux interdisant le passage de la chasse à courre dans leur commune, mais ceux-ci sont constamment violés. La contestation gagne maintenant la forêt elle-même.

Chaque mercredi et samedi, des habitants se réunissent sous la bannière d’AVA (Abolissons la Vénerie Aujourd’hui) jusqu’à être parfois une soixantaine. Ils suivent les chasses à courre et en documentent les méfaits. Les méthodes d’action sont clairement pacifiques : une charte proscrit toute violence, injure ou dégradation.

Au grand dam des veneurs, les policiers qui assistent à ces sorties depuis le mois de novembre n’ont relevé aucune infraction.

Privés de recours légaux, la Fédération des Chasseurs de l’Oise saisit alors le préfet Louis Le Franc.

Celui-ci les assure immédiatement de « son entier dévouement » : « La sécurité et le bon déroulement de ces chasses traditionnelles sont, pour le représentant de l’Etat que je suis, une priorité. Face à cette situation, j’ai donné des instructions précises à la Gendarmerie Nationale pour que soient interpellés et poursuivis les individus pris en flagrant délit d’entrave au droit de chasse ».

Samedi 17 février, Guy Harlé d’Ophove, président de la FDC60, invite le préfet sur place, à l’arrière de son 4×4.

Ils tentent ensemble d’intimider les habitants. Mis en file indienne à un carrefour de forêt, certains d’entre eux subissent menaces et contrôles d’identité. Des brigades de Gendarmerie de tout le département sont mobilisées pour une séance d’intimidation. « Je veux que cela cesse, laissez-les chasser ! ».

Les veneurs, les encerclant à cheval, se délectent de la scène. Mais comme d’habitude, aucun délit n’est constaté, et à peine la mise en scène terminée, les activités reprennent des deux côtés. Le préfet, quant à lui, ne communique pas aux médias sa présence ce jour là. Loin de calmer le jeu, cette démonstration de force, hors de tout cadre légal, vient arbitrairement renforcer une position contre une autre, et ainsi aggraver le climat de violence.

Car deux jours avant, un événement est survenu, symptomatique du sentiment d’impunité des veneurs qui va crescendo.

Lors d’une promenade, quatre personnes tombent sur un rassemblement d’une centaine d’entre eux dans un lieu public, apprécié des familles le week-end.

Reconnus comme des opposants à la chasse à courre, les quatre personnes (trois femmes et un homme) sont frappées, et poursuivies jusqu’à leur voiture par une quinzaine d’hommes armés de fouets.

Ceux-ci leur volent un téléphone, et prennent en photo leurs plaques d’immatriculation. Moins d’une semaine plus tard, le propriétaire du journal « Oise hebdo » signera un article révélant l’identité d’un des militants, ainsi que des informations sur sa vie privée, son métier et sa famille. Celui-ci est depuis victime de menaces quotidiennes.

Quand la sécurité des personnes n’est pas assurée, la liberté d’expression n’est plus qu’une chimère.

Beaucoup craignent que cette situation se généralise dans l’Oise, car le plus inquiétant reste à venir. Le département est le théâtre d’une expérimentation inédite en France. La préfecture vient de signer un partenariat avec la Fédération des Chasseurs locale : les « Chasseurs Vigilants ».

Une véritable milice armée de deux cents hommes recevra le rôle d’assister la Gendarmerie dans les « zones forestières » et de « campagne profonde ».

Satisfait, Guy Harlé d’Ophove qualifie ce nouveau détachement de « RG des campagnes », et prévient les critiques : « si ces gens ne sont pas contents, qu’ils restent dans les villes ».

Le sentiment de toute-puissance des veneurs ne peut alors que se renforcer, finissant d’enterrer tout débat d’idées.
Par la présente tribune, nous affirmons notre solidarité aux personnes intimidées et violentées. Nous exigeons la fin de ce climat de menace constante dans nos campagnes.

Nous demandons au préfet l’arrêt immédiat du protocole « Chasseurs Vigilants », dont la partialité est insupportable, donnant le pouvoir de loi à un groupe d’intérêt de manière anti-démocratique.

Nous demandons expressément que le préfet de l’Oise, Louis Le Franc, donne des garanties de liberté d’expression aux personnes opposées à la vènerie et mette tout en œuvre pour les protéger des violences lors de leurs actions pacifiques, comme à leur domicile, faisant respecter l’ordre républicain dont il a la charge.

Les signataires :

– One Voice

– L.214

– Fondation Brigitte Bardot

– Réseau-Cétacés

– Collectif pour l’Abolition de la Chasse à Courre

– SAMA Protection Animale (Saint-Quentin)

– Laterredabord.fr

– PicardiePopulaire.net

– AGauche.org

– Parti Animaliste

– ASPAS

– Xavier Renou (Les Désobéissants)

– Aymeric Caron (auteur, Rassemblement des Ecologistes pour le Vivant)

– Eric Damamme (VASARA, fondateur de 269 Life France)

– Pierre Athanaze (Action Nature Rewilding France)

– Gérard Charollois (Convention Vie et Nature)

– Christophe Leprêtre (Parti Antispéciste Citoyen pour la Transparence et l’Éthique)

– Marc Vallaud (Collectif Contre l’Exploitation et l’Expérimentation Animales)

– Yves Bonnardel (auteur et chercheur, SFR université de Grenoble)

– Marc Giraud (journaliste, auteur)

– Rémi Gaillard (humoriste)

– Jean-Marc Sauvagnargues, Laurent Honel et Paul Léger (Fatals Picards)

Govrache (chanteur)

– Djamel Vice (rappeur)

– Pierre Rigaux (auteur)

MAN (dessinateur)

– Brigitte Bardot (actrice)

– Xavier Matthieu (acteur, ancien syndicaliste chez Continental-Clairoix)

– Gérard Filoche (Gauche Démocratique et Sociale)

– Cédric Maisse (Aube Nouvelle)

– Laurence Parisot (chef d’entreprise)

– Jean-Luc Mélenchon (député des Bouches du Rhone)

– Michel Larive (député de l’Ariège)

– Bastien Lachaud (député de Seine-Saint-Denis)

– Eric Coquerel (député de Seine-Saint-Denis)

– Muriel Ressiguier (députée de l’Hérault)

– Maud Petit (députée du Val de Marne)

– Maud Assila (secrétaire nationale du Parti de Gauche)

– Lionel Ollivier (maire de Clermont de l’Oise)

– Marie-Laure Darrigade (conseillère municipale d’Agnetz, Oise)

– Stéphane Coville (conseiller municipal de Venette, Oise)

– Corinne Morel-Darleux (conseillère régionale Rhone-Alpes)

– Laurent Grenier et Martin Battaglia (France Insoumise Oise)

– Matthieu Ricard (auteur)

– Guillaume Meurice (animateur radio)

Catégories
Société

L’alcoolisme : d’un petit verre à la dépendance.

Socialement, l’alcool est un problème. Il faut avoir des œillères pour ne pas le reconnaître. Pourtant, les boissons alcoolisées sont accessibles partout, à toute heure : il s’agit probablement du type de produit qu’il est le plus simple d’acheter peu importe le lieu et l’heure de la journée.

Tout le monde en vend, tout le monde en achète. La plupart en consomme toute leur vie avec au pire des lendemains difficiles, mais ce n’est pas toujours le cas. Certaines personnes deviennent dépendantes et se retrouvent dans une situation catastrophique.

On commence à boire adolescent, on commence par « tremper ses lèvres », puis « juste un verre » avec ses parents et sa famille. On continue avec ses amis à l’adolescence lors de soirée. Les premières cuites, les premières gueules de bois. On continue les fêtes, les sorties, les soirées, toujours avec de l’alcool. Avant et pendant. Certaines personnes lèvent le pied, d’autres sont sur le fil du rasoir et enfin d’autres plongent.

Les boissons alcoolisées sont au coeur des toute la vie sociale : on « prend un verre » dans un lieu qui vend des litres et des litres d’alcools par soirée, on « va à une soirée » qui se fait des bénéfices notoires sur la vente d’alcool, etc. Ne parlons même pas des écoles de commerce et d’ingénieurs et de leurs week-ends d’intégration (voire de « désintégration ») où les étudiants sont loin d’être sobres. Et tout est pris avec tant de légèreté.

L’alcoolisme est une vraie maladie. Beaucoup trop de personnes s’amusent à se qualifier d’alcooliques parce qu’elles boivent beaucoup en soirée. C’est irrespectueux envers les personnes qui le sont vraiment et leurs proches. Se retourner le tête trois fois par semaine ce n’est pas être alcoolique.

L’alcoolique est celui qui a toujours de un verre d’alcool à la main, celui qui a commencé l’air de rien à 14h, celui qui se verse un verre de vin le midi parce que c’est devenu normal : l’alcoolique est celui dont la vie tourne autour de l’alcool. L’alcoolique est celui qui est devenu dépendant. L’étudiant en école de commerce qui est saoul tous les vendredis soirs n’est pas alcoolique, même s’il trouve drôle de se qualifier ainsi – c’est un crétin voilà tout.

Le problème est d’autant plus difficile à combattre lorsqu’il s’immisce aussi profondément dans la vie quotidienne : tout le monde fait la fête pendant sa vingtaine, et petit à petit tout le monde se met en couple et se pose. Et l’alcool est masqué derrière la vie de couple, du moins en apparence.

Quand les amis refusaient de voir qu’un des leurs prenaient une pente glissante sous prétexte que tout le monde faisaient la fête, le conjoint se retrouve à présent avec une personne en train de dévaler la pente à toute vitesse : à l’image de la société, l’entourage ferme les yeux.

Comment gérer la maladie d’une personne que l’on aime ? Difficilement. On fait des erreurs, des choses qui auraient dû être faites ne l’ont peut-être pas été. Parfois le couple tient, parfois le couple craque.

Parfois le malade a l’air tout ce qu’il y a de plus normal, à une bouteille de whisky par jour près, parfois le maladie est difficile à cacher. Parfois le malade arrête, parfois il replonge. Souvent la dépendance est physique, elle est parfois psychologique.

Mais dans tous les cas les ravages continuent années après années. On n’est plus la même personne lorsque l’on absorbe de telles quantités d’alcool au cours de la journée. Si l’effet n’est pas visible directement, l’organisme, lui, encaisse les coups.

Quelle image renvoie-t-on à ses enfants lorsqu’on est alcoolique ? Quelle image a-t-on de soi lorsque replonge ? Comment arrêter lorsque l’on est isolé socialement ?

Contrairement à d’autres drogues, une personne qui a développé une dépendance physique à l’alcool l’aura toute sa vie.

Il n’y a pas de machine arrière, il faudra faire avec toute sa vie : passer devant les rayons interminables d’alcools pendant les courses, les verres de vins pour les « pots de départs » au travail, les réunions familiales plus ou moins arrosées, etc.

On pourra toujours débattre des siècles sur la question du goût, du plaisir procuré par les boissons alcoolisées. Mais le fait est là, très concret, sous nos yeux : l’alcool brise des vies.

Par respect pour les personnes alcooliques et pour tous leurs proches, il faut avoir une position ferme à ce sujet : l’alcool doit disparaître. Être de gauche, ce n’est pas faire des campagne de prévention d’un côté et la vente de poison de l’autre.Être de gauche, c’est : personne sur le côté de la route !

Catégories
Politique

Discours du pasteur Martin Luther King à Washington le 28 août 1963

Le fameux discours de Martin Luther King concluait une marche sur Washington pour l’emploi et la liberté, à laquelle avait participé environ 300 000 personnes, en majorité des Afro-américains.

Je suis heureux de me joindre à vous aujourd’hui pour participer à ce que l’histoire appellera la plus grande démonstration pour la liberté dans les annales de notre nation.

Il y a un siècle de cela, un grand Américain qui nous couvre aujourd’hui de son ombre symbolique signait notre Proclamation d’Émancipation. Ce décret capital se dresse, comme un grand phare illuminant d’espérance les millions d’esclaves marqués au feu d’une brûlante injustice. Ce décret est venu comme une aube joyeuse terminer la longue nuit de leur captivité.

Mais, cent ans plus tard, le Noir n’est toujours pas libre. Cent ans plus tard, la vie du Noir est encore terriblement handicapée par les menottes de la ségrégation et les chaînes de la discrimination.

Cent ans plus tard, le Noir vit à l’écart sur son îlot de pauvreté au milieu d’un vaste océan de prospérité matérielle. Cent ans plus tard, le Noir languit encore dans les coins de la société américaine et se trouve exilé dans son propre pays.

C’est pourquoi nous sommes venus ici aujourd’hui dénoncer une condition humaine honteuse. En un certain sens, nous sommes venus dans notre capitale nationale pour encaisser un chèque.

Quand les architectes de notre République ont magnifiquement rédigé notre Constitution de la Déclaration d’Indépendance, ils signaient un chèque dont tout Américain devait hériter.

Ce chèque était une promesse qu’à tous les hommes, oui, aux Noirs comme aux Blancs, seraient garantis les droits inaliénables de la vie, de la liberté et de la quête du bonheur.

Il est évident aujourd’hui que l’Amérique a manqué à ses promesses à l’égard de ses citoyens de couleur. Au lieu d’honorer son obligation sacrée, l’Amérique a délivré au peuple Noir un chèque en bois, qui est revenu avec l’inscription “ provisions insuffisantes ”.

Mais nous refusons de croire qu’il n’y a pas de quoi honorer ce chèque dans les vastes coffres de la chance, en notre pays. Aussi, sommes-nous venus encaisser ce chèque, un chèque qui nous donnera sur simple présentation les richesses de la liberté et la sécurité de la justice.

Nous sommes également venus en ce lieu sacrifié pour rappeler à l’Amérique les exigeantes urgences de l’heure présente. Ce n’est pas le moment de s’offrir le luxe de laisser tiédir notre ardeur ou de prendre les tranquillisants des demi-mesures. C’est l’heure de tenir les promesses de la démocratie.

C’est l’heure d’émerger des vallées obscures et désolées de la ségrégation pour fouler le sentier ensoleillé de la justice raciale. C’est l’heure d’arracher notre nation des sables mouvant de l’injustice raciale et de l’établir sur le roc de la fraternité.

C’est l’heure de faire de la justice une réalité pour tous les enfants de Dieu. Il serait fatal pour la nation de fermer les yeux sur l’urgence du moment. Cet étouffant été du légitime mécontentement des Noirs ne se terminera pas sans qu’advienne un automne vivifiant de liberté et d’égalité.

1963 n’est pas une fin, c’est un commencement. Ceux qui espèrent que le Noir avait seulement besoin de se défouler et qu’il se montrera désormais satisfait, auront un rude réveil, si la nation retourne à son train-train habituel.

Il n’y aura ni repos ni tranquillité en Amérique jusqu’à ce qu’on ait accordé au peuple Noir ses droits de citoyen. Les tourbillons de la révolte ne cesseront d’ébranler les fondations de notre nation jusqu’à ce que le jour éclatant de la justice apparaisse.

Mais il y a quelque chose que je dois dire à mon peuple, debout sur le seuil accueillant qui donne accès au palais de la justice : en procédant à la conquête de notre place légitime, nous ne devons pas nous rendre coupables d’agissements répréhensibles.

Ne cherchons pas à satisfaire notre soif de liberté en buvant à la coupe de l’amertume et de la haine. Nous devons toujours mener notre lutte sur les hauts plateaux de la dignité et de la discipline. Nous ne devons pas laisser nos revendications créatrices dégénérer en violence physique. Sans cesse, nous devons nous élever jusqu’aux hauteurs majestueuses où la force de l’âme s’unit à la force physique.

Le merveilleux esprit militant qui a saisi la communauté noire ne doit pas nous entraîner vers la méfiance de tous les Blancs, car beaucoup de nos frères blancs, leur présence ici aujourd’hui en est la preuve, ont compris que leur destinée est liée à la nôtre.

L’assaut que nous avons monté ensemble pour emporter les remparts de l’injustice doit être mené par une armée bi-raciale. Nous ne pouvons marcher tout seul au combat. Et au cours de notre progression il faut nous engager à continuer d’aller de l’avant ensemble. Nous ne pouvons pas revenir en arrière.

Il y a des gens qui demandent aux militants des Droits Civiques : “ Quand serez-vous enfin satisfaits ? ” Nous ne serons jamais satisfaits aussi longtemps que le Noir sera la victime d’indicibles horreurs de la brutalité policière.

Nous ne pourrons être satisfaits aussi longtemps que nos corps, lourds de la fatigue des voyages, ne trouveront pas un abri dans les motels des grandes routes ou les hôtels des villes.

Nous ne pourrons être satisfaits aussi longtemps que la liberté de mouvement du Noir ne lui permettra guère que d’aller d’un petit ghetto à un ghetto plus grand. Nous ne pourrons être satisfaits aussi longtemps que nos enfants, même devenus grands, ne seront pas traités en adultes et verront leur dignité bafouée par les panneaux “Réservé aux Blancs”.

Nous ne pourrons être satisfaits aussi longtemps qu’un Noir du Mississippi ne pourra pas voter et qu’un Noir de New-York croira qu’il n’a aucune raison de voter. Non, nous ne sommes pas satisfaits et ne le serons jamais, tant que le droit ne jaillira pas comme l’eau, et la justice comme un torrent intarissable.

Je n’ignore pas que certains d’entre vous ont été conduis ici par un excès d’épreuves et de tribulations. D’aucuns sortent à peine d’étroites cellules de prison. D’autres viennent de régions où leur quête de liberté leur a valu d’être battus par les orages de la persécution et secoués par les bourrasques de la brutalité policière. Vous avez été les héros de la souffrance créatrice. Continuez à travailler avec la certitude que la souffrance imméritée vous sera rédemptrice.

Retournez dans le Mississippi, retournez en Alabama, retournez en Caroline du Sud, retournez en Georgie, retournez en Louisiane, retournez dans les taudis et les ghettos des villes du Nord, sachant que de quelque manière que ce soit cette situation peut et va changer. Ne croupissons pas dans la vallée du désespoir.

Je vous le dis ici et maintenant, mes amis, bien que, oui, bien que nous ayons à faire face à des difficultés aujourd’hui et demain je fais toujours ce rêve : c’est un rêve profondément ancré dans l’idéal américain.

Je rêve que, un jour, notre pays se lèvera et vivra pleinement la véritable réalité de son credo : “ Nous tenons ces vérités pour évidentes par elles-mêmes que tous les hommes sont créés égaux ”.

Je rêve qu’un jour sur les collines rousses de Georgie les fils d’anciens esclaves et ceux d’anciens propriétaires d’esclaves pourront s’asseoir ensemble à la table de la fraternité.

Je rêve qu’un jour, même l’Etat du Mississippi, un Etat où brûlent les feux de l’injustice et de l’oppression, sera transformé en un oasis de liberté et de justice.

Je rêve que mes quatre petits-enfants vivront un jour dans une nation où ils ne seront pas jugés sur la couleur de leur peau, mais sur la valeur de leur caractère. Je fais aujourd’hui un rêve !

Je rêve qu’un jour, même en Alabama, avec ses abominables racistes, avec son gouverneur à la bouche pleine des mots “ opposition ” et “ annulation ” des lois fédérales, que là même en Alabama, un jour les petits garçons noirs et les petites filles blanches pourront se donner la main, comme frères et sœurs. Je fais aujourd’hui un rêve !

Je rêve qu’un jour toute la vallée sera relevée, toute colline et toute montagne seront rabaissées, les endroits escarpés seront aplanis et les chemins tortueux redressés, la gloire du Seigneur sera révélée à tout être fait de chair.

Telle est notre espérance. C’est la foi avec laquelle je retourne dans le Sud.

Avec cette foi, nous serons capables de distinguer dans la montagne du désespoir une pierre d’espérance. Avec cette foi, nous serons capables de transformer les discordes criardes de notre nation en une superbe symphonie de fraternité.

Avec cette foi, nous serons capables de travailler ensemble, de prier ensemble, de lutter ensemble, d’aller en prison ensemble, de défendre la cause de la liberté ensemble, en sachant qu’un jour, nous serons libres.

Ce sera le jour où tous les enfants de Dieu pourront chanter ces paroles qui auront alors un nouveau sens : “ Mon pays, c’est toi, douce terre de liberté, c’est toi que je chante. Terre où sont morts mes pères, terre dont les pèlerins étaient fiers, que du flanc de chacune de tes montagnes, sonne la cloche de la liberté ! ” Et, si l’Amérique doit être une grande nation, que cela devienne vrai.

Que la cloche de la liberté sonne du haut des merveilleuses collines du New Hampshire !
Que la cloche de la liberté sonne du haut des montagnes grandioses de l’Etat de New-York !
Que la cloche de la liberté sonne du haut des sommets des Alleghanys de Pennsylvanie !
Que la cloche de la liberté sonne du haut des cimes neigeuses des montagnes rocheuses du Colorado !
Que la cloche de la liberté sonne depuis les pentes harmonieuses de la Californie !

Mais cela ne suffit pas.

Que la cloche de la liberté sonne du haut du mont Stone de Georgie !
Que la cloche de la liberté sonne du haut du mont Lookout du Tennessee !
Que la cloche de la liberté sonne du haut de chaque colline et de chaque butte du Mississippi ! Du flanc de chaque montagne, que sonne le cloche de la liberté !

Quand nous permettrons à la cloche de la liberté de sonner dans chaque village, dans chaque hameau, dans chaque ville et dans chaque Etat, nous pourrons fêter le jour où tous les enfants de Dieu, les Noirs et les Blancs, les Juifs et les non-Juifs, les Protestants et les Catholiques, pourront se donner la main et chanter les paroles du vieux Negro Spiritual : “Enfin libres, enfin libres, grâce en soit rendue au Dieu tout puissant, nous sommes enfin libres !”

Catégories
Société

Lichess, le jeu d’échecs en ligne

Entièrement gratuit, Lichess.org est incontournable pour qui apprécie de jouer aux échecs. Il est d’une accessibilité complète, puisqu’une inscription n’est pas nécessaire. Celle-ci permet cependant de conserver l’historique de ses parties, parties qui sont d’ailleurs évaluées au moyen du puissant logiciel stockfish permettant une évaluation de ce qu’on a fait, afin de progresser.

Les parties peuvent être classées ou non, on peut décider contre quel niveau on veut jouer et de très nombreux exercices d’entraînement sont disponibles, on a les statistiques sur ses parties. C’est une excellente occasion de se mettre ou de se remettre à un jeu intellectuellement très intéressant et qui malheureusement dispose dans notre pays d’une mauvaise image.

Les échecs ne sont pas vus comme un jeu élaboré et populaire, comme dans l’Est de l’Europe, mais comme un exercice intellectuel stérile pour intellectuels. C’est fondamentalement dommage.

Lichess.org, de par sa gratuité et son accessibilité complète (depuis tous les smartphones) avec des gens de tous les continents – on passe aisément d’une partie contre une personne en Iran à elle contre une vivant au Brésil ou en Ukraine – est un vrai témoignage qu’un produit de consommation de masse peut permettre la rencontre de gens de tous les pays, des échanges internationaux, bref un esprit qui va à l’encontre de tout nationalisme.

Lichess, développé par un Français par ailleurs, Thibault Duplessis, est d’ailleurs open source de bout en bout.

Il y a cependant deux défauts majeurs, très secondaires il est vrai. Le premier est qu’en plus de périodes classiques de jeu (5, 10, 15+15 mn, ou davantage), il y a cette fascination anti-jeu pour les parties ultra-rapides ou bien les formes baroques.

Parmi celles-ci, qu’on n’est nullement obligé de choisir, il y a la victoire obtenue en faisant trois fois échec, celle obtenue en amenant le roi sur une des quatre cases centrales, celle en amenant le roi sur la dernière ligne, celle où les blancs disposent de 32 pions au lieu des pièces normales, celle où les pièces capturées vont au camp adverse pouvant les replacer à n’importe quel moment, celle où les pièces sont placées au départ selon le hasard, la version atomique où une capture provoque une « explosion » détruisant les pièces alentour, etc.

Ces variantes sont insipides et reflètent une course à la victoire qui pollue l’effort de réflexion. Des gens contournent les vrais échecs avec des variantes et ce type d’approche produit une plaie bien connue des jeux d’échecs en ligne : la triche.

Depuis le départ des jeux en ligne et déjà sur l’interface très rudimentaire proposé par Yahoo en ligne, il y a des gens ouvrant un programme pour jouer ce que joue l’adversaire en ligne, eux refaisant ce que fait l’ordinateur calculant les meilleurs coups.

Leur victoire, pleine de vanité et absurde, est alors assurée. Lichess surveille ce genre de choses, en écoutant attentivement les réclamations faites. Mais on ne peut pas toujours le prouver, ni même le voir ou le deviner et cela nuit forcément à l’esprit sympathique du fait de vouloir jouer simplement une partie.

C’est que la population jouant aux échecs est elle-même corrompue par l’esprit de compétition, de victoire à tout prix, de vanité, etc. Comment en serait-il autrement ? On peut toutefois éviter ces désagréments en se mettant ami avec des partenaires sympathiques avec qui on aura joué.

En se rappelant que, de toutes façons, aux échecs, c’est la partie qui compte, sa beauté, la victoire ou la défaite étant indifférente. On doit savoir s’émerveiller d’un beau coup adverse, décisif, autant que de son propre coup victorieux.

Catégories
Culture

« Mon nom est Rouge » d’Orhan Pamuk (1998)

« Mon nom est Rouge » est ce qu’on appelle un roman policier, ou plutôt une enquête sur un crime, mais ce serait presque injuste de réduire ce livre à cela.

D’autant plus que le genre policier est souvent le cheval de Troie de la littérature vers une plus grande accessibilité, vers un public plus large. Nous connaissons tous quelqu’un dans notre entourage qui ne lit que des romans policiers, n’est-ce pas? Et Orhan Pamuk est un immense écrivain turc de notre époque, il est à Istanbul ce que Balzac était à Paris.

Hiver 1591 : un homme dénommé Le Noir, tout juste rentré de la guerre à l’est, retrouve son Istanbul natale sous la neige, et c’est une ville pleine de mélancolie et de poésie qu’il nous décrit :

« Parmi les quartiers et les rues où je me promenais dans ma jeunesse, certains se sont, avec les incendies, envolés en cendres et en fumée, laissant à leur place des terrains vagues calcinés où l’on croise des chiens, et des clochards illuminés qui font peur aux enfants. »

Intrigue : le cadavre d’un enlumineur de miniatures persanes a été retrouvé au fond d’un puits, et Le Noir doit enquêter pour le compte du sultan. Malheur à lui s’il échoue…

L’empire ottoman est en pleine expansion. Mais les peintres de miniatures persanes, dépositaires d’un art sacré et ancien, sentent le vent tourner : ils ont déjà pu observer les portraits peints à la manière occidentale rapportés par les marchands de Venise.

Certains ne cachent pas leur consternation à la vue de ces images profanes, mais d’autres sont intrigués, comme ce vieux peintre qui raconte dans ces pages arrachées au livre:

« Il s’agissait, avant toute chose, de l’image de quelqu’un, quelqu’un comme moi. Un Infidèle, évidemment, pas quelqu’un comme nous; et pourtant, en le regardant, je me sentais son semblable. Il ne me ressemblait pas du tout, au demeurant (…) et pourtant, devant ce tableau, je sentais mon cœur s’émouvoir comme si c’était moi (…).

Il avait fait représenter, dans ce tableau, tout ce qui lui était cher dans la vie ; sur la table, une montre, des livres, le temps, le mal, la vie… et enfin, à côté de son père, une jeune fille ravissante de beauté.

Quelle était donc l’histoire pour laquelle ce tableau avait été peint? En le contemplant, je compris qu’il racontait sa propre histoire. Ils appellent cela faire un Portrait. Ce n’était pas l’illustration, le prolongement ou l’ornement d’un récit, mais un objet pour lui-même.

Si l’on peignait ne serait-ce qu’une seule fois ton visage de cette manière, plus personne ne pourrait t’oublier. Et même ceux qui ne t’auraient pas connu de ton vivant auront le sentiment de ta présence, et d’être en face de toi, bien des années après ta mort. »

Nulle part ailleurs qu’à Istanbul à la fin du XVIème siècle (calendrier chrétien, oups) un « érudit » n’aurait pu se faire des réflexions pareilles. On sent vraiment le bouleversement de la nouveauté! Et une grande finesse d’observation.

Combien il est difficile pour nous, qui vivons à l’ère des auto-portraits instantanés, de s’imaginer le choc culturel qu’a du représenter la rencontre entre les héritiers de l’art persan et la peinture des maitres flamands et italiens de la Renaissance.

Et combien il a du être encore plus difficile d’en faire un roman policier… Mais cela fonctionne, et on est avide de comprendre pourquoi la contradiction des approches artistiques est un enjeu important au point de déboucher sur un meurtre, lui même suivi d’une enquête conduite par ordre du Sultan.

De nombreux personnages donnent chacun leur version des faits, pauvres, artistes, puissants, colporteuses, hommes et femmes, un peu comme dans Rashomon de Kurosawa.

Cela donne un roman riche et foisonnant comme on en fait peu, avec une réflexion de haute volée sur « le dialogue entre l’Orient et l’Occident », un thème qui est devenu un cliché à lui tout seul certes, mais qui est rarement aussi bien articulé que dans « Mon nom est Rouge ».

Et puis il y a un meurtre, une enquête, et bien sûr une histoire d’amour, obligé! Sinon ce ne serait pas un grand roman, on est bien d’accord.

Catégories
Politique

« Jeunes dirigeant.e.s et élu.e.s du PCF » : « c’est le moment ! »

Ce texte signé par des « Jeunes dirigeant.e.s » (sic) du PCF vise le Congrès extraordinaire de celui-ci, du 24 au 26 novembre 2018. Sous la houlette de Igor Zamichei, le secrétaire de la fédération de Paris du PCF, il s’agit ni plus ni moins que d’un appel d’une sorte de nouvelle génération d’élus et d’intellectuels à prendre le contrôle du PCF.

On notera qu’il n’est pas parlé de capitalisme mais de « capitalisme mondialisé et financiarisé » ; s’il est dit que « La critique populaire progresse et la pensée de Marx retrouve une place dans la production intellectuelle », on ne trouve dans le texte ni le mot ouvrier, ni le mot bourgeoisie, ni le mot exploitation, ni le mot prolétariat, etc.

Comme nous y invite notre congrès, nous prenons ensemble la parole pour porter une haute ambition : poser les bases d’un communisme du XXIe siècle et révolutionner notre parti, sa stratégie, son organisation.

Cela implique de faire lucidement le bilan de nos difficultés pour les dépasser. Soyons francs : malgré toute l’énergie des militant.e.s et des élu.e.s communistes, malgré toutes les initiatives prises pour répondre aux intérêts populaires, notre parti perd pied dans la vie politique nationale.

Notre recul de plusieurs centaines de milliers de voix aux dernières élections législatives et le caractère inaudible de nos décisions nous conduisent à une marginalisation que la recomposition politique en cours peut rendre durable. Comme une majorité de communistes, nous ne nous y résignons pas.

Jeunes dirigeant.e.s et élu.e.s du PCF, nous sommes convaincu.e.s que notre parti peut et doit redevenir une force politique nationale influente au regard de l’évolution du monde. Nous n’avons pas toujours fait les mêmes choix stratégiques par le passé mais nous nourrissons ensemble de grandes ambitions pour le combat communiste. C’est le moment de notre propre révolution pour hisser le PCF à la hauteur des défis de notre temps. Il faut saisir ce moment car il ne reviendra pas.

À mesure que le capitalisme mondialisé et financiarisé semble écraser tout sur son passage, il génère dans le même mouvement des critiques et des aspirations toujours plus fortes pour son dépassement. La critique populaire progresse et la pensée de Marx retrouve une place dans la production intellectuelle.

Dans nos travaux résident beaucoup de clés de compréhension et de solutions face aux impasses du système : l’égalité et la lutte des classes, rendues incontournables par l’aggravation des inégalités et l’accumulation sans précédent de richesses par une minorité ; l’écologie, à l’heure où le changement climatique enfanté par le mode de production capitaliste menace l’humanité ; la libération du travail du coût du capital et la sécurisation de l’emploi pour en finir avec le chômage, la précarité et la souffrance au travail, qui ne cessent de progresser avec l’utilisation capitaliste de la révolution informationnelle.

C’est sur tous ces enjeux qu’il nous faut travailler à réidentifier le PCF.

Notre société y est prête. Le récent mouvement contre la loi travail, portant le mot d’ordre « On vaut mieux que ça », jusqu’aux luttes contre les ordonnances Macron ; la mobilisation des salarié.e.s de l’hôpital public et des EHPAD pour que la qualité de leur travail soit respectée, le droit fondamental à la santé garanti et pour que notre société prenne soin de nos aînés ; la montée en puissance d’un mouvement féministe, qui constitue un des plus puissants leviers pour l’égalité ; la mobilisation d’associations de solidarité et de tant de citoyens individuellement pour un accueil digne des migrants ; et d’autre part l’émergence d’initiatives comme les projets alternatifs à l’ubérisation des activités à l’image de Coopcycle ; la création de coopératives ou la reprise de l’activité sous cette forme par les salarié.e.s dans de nombreux secteurs ; l’action de collectivités pour promouvoir le logement social ou pour une nouvelle maîtrise publique par le retour en régie publique de la gestion de l’eau.

Et tant d’autres ! Avec les grandes conquêtes que constituent le droit du travail, la Sécurité sociale et la fonction publique, toutes ces initiatives constituent autant de « morceaux de communisme » à faire grandir pour de nouvelles victoires au XXIe siècle.

Avec ces forces vives, une voie nouvelle, faite de combats offensifs et d’ambitions révolutionnaires pour la France se cherche. Contre le « tout État » et le « tout marché », visons l’appropriation par chacun.e des avoirs, des savoirs et des pouvoirs.

Visons un nouveau mode de production basé sur des critères de gestion sociaux et écologiques et sur une appropriation sociale des moyens de production. Visons le développement de services publics démocratisés et de promotion des communs.

Pensons la combinaison des oppressions capitalistes, sexistes, racistes pour les surmonter. Visons l’émancipation culturelle, qui brise le carcan des identités. Visons un nouvel internationalisme, qui s’appuie sur la coopération des individus et des peuples pour un développement partagé et la paix. Ce communisme a de l’avenir si nous le prenons au sérieux.

Le prendre au sérieux, c’est passer à l’offensive politique. Passer à l’offensive, c’est relever d’importants défis stratégiques et organisationnels.

Nos difficultés stratégiques débouchent sur un gâchis d’énergie. Un doute se répand sur l’utilité de nos actions militantes. Nous avons souvent un coup de retard. Au lieu de subir un agenda, il s’agit de penser la manière dont chaque lutte, chaque initiative peut contribuer à nous faire progresser sur la base d’un cap politique national clair, d’objectifs réalistes mais ambitieux. Cessons d’opposer rassemblement et affirmation de notre parti.

À l’approche des européennes, retenons la leçon des échéances présidentielles et législatives : chercher à rassembler sans affirmer nos idées et sans rapport de force revient à nous positionner comme une force d’appoint et conduit in fine à l’échec d’un rassemblement pourtant indispensable. Par ailleurs pensons-nous encore qu’un rassemblement majoritaire est possible sans intervention populaire consciente de ses intérêts ?

Le PCF a un rôle décisif à jouer pour aider à cette intervention par la mise en débat de propositions radicales et la construction d’espaces politiques ouverts, pluralistes, concentrés sur la production d’alternatives crédibles.

Conséquence organisationnelle : nous devons revaloriser la place des adhérent.e.s et des structures locales pour construire des réseaux d’actions à l’échelle nationale capables de déployer des campagnes politiques fortes, efficaces et visibles sur tout le territoire. Et tout à la fois, nous devons revaloriser le rôle de direction, en perte de crédibilité.

Cela implique d’utiliser le meilleur de ce que nous produisons comme pratiques militantes dans les quartiers et les campagnes, les lieux de travail, d’expérimenter, de tirer profit de la révolution numérique, de prendre appui sur nos actions de solidarités concrètes, sur les batailles de nos parlementaires et sur les avancées obtenues dans les collectivités que nous dirigeons.

Cela implique une mise en commun nationale sans précédent, un renouvellement de notre communication politique et de profondes transformations de nos directions, dont le bilan témoigne de dysfonctionnements entraînant des difficultés à produire positionnements, outils militants et initiatives nationales.

Pourquoi ne sommes-nous pas, par exemple, capable de mener une campagne dans la durée ? Ou encore pourquoi ne nous donnons-nous pas tous les moyens d’une offensive médiatique pourtant plus indispensable que jamais ?

Dans le grand débat politique qui s’ouvre, toutes les questions doivent être sur la table, sans céder aux tendances qui rétrécissent le débat et sans tabou aucun sur notre projet et notre stratégie, jusqu’aux femmes et aux hommes qui se verront confier la tâche d’animer la nouvelle ambition qui sera fixée. Sans quoi nous nous serons payés de mots, en l’occurrence du beau mot de révolution.

Notre parti est à un moment clé de son histoire. L’idée communiste, qui a été le moteur de l’engagement de générations de militants, frappe à la porte du XXIe siècle. C’est le moment d’en prendre pleinement la mesure, d’écrire un nouveau manifeste.

Les signataires :

Simon Agnoletti, membre de la direction départementale du Nord (59), 26 ans ; Pierric Annoot, membre du CN (92), 34 ans ; Aurélien Aramini, professeur de philosophie (90), 38 ans;

Pierre Bell Lloch, vice-président du conseil départemental du Val-de-Marne (94), 40 ans ; Hélène Bidard, membre du CN en charge du féminisme et des droits des femmes et adjointe à la Maire de Paris (75), 36 ans ; Thibaut Bize, secrétaire de la fédération du Doubs (25), 33 ans ; Vincent Boivinet, secrétaire de la section de Bègles, membre du CN (33), 33 ans ; Nicolas Bonnet Oulaldj, membre du CN et président du groupe PCF – FG au Conseil de Paris (75), 43 ans ; Caroline Brebant, adjointe au Maire de Saint-Maximin (60), 38 ans ; Ian Brossat, membre du CN et adjoint à la Maire de Paris en charge du Logement (75), 37 ans;

Maxime Cochard, membre de la direction départementale de Paris (75), 33 ans ; Nicolas Cossange, membre du CN et secrétaire de la fédération de l’Hérault (34), 32 ans;

Raf Debu, membre du CN et secrétaire de la fédération du Rhône (69), 36 ans ; Ismaël Dupont, secrétaire de la fédération du Finistère (29), 38 ans;

Pierre Garzon, vice-président du conseil départemental du Val-de-Marne (94), 43 ans ; Aurélien Guillot, secrétaire de la fédération d’Île-et-Vilaine (35), 35 ans ; Florian Gulli, professeur de philosophie (25), 40 ans;

Mina Idir, membre de la direction départementale du Vaucluse (84), 42 ans;

Maud Jan-Brusson, dirigeante départementale de la Mayenne (53), 32 ans;

Sébastien Laborde, membre du CN et secrétaire de la fédération de Gironde (33), 43 ans ; Clara Laby, membre de la direction départementale du Nord (59), 22 ans ; Cédric Lattuada, secrétaire de la fédération de la Marne (51), 42 ans;

Elsa Maillot, vice-présidente de la communauté d’agglomération du Grand Besançon (25), 32 ans ; Céline Malaisé, membre du CEN et présidente du groupe FG à la région Île-de-France (75), 38 ans ; Pierre Miquel, membre du CN et secrétaire de la fédération du Puy-de-Dôme (63), 38 ans ; Yannick Monnet, membre du CN et secrétaire de la fédération de l’Allier (03), 43 ans ; Yannick Nadesan, président de la collectivité eau du bassin rennais (35), 34 ans ; Fred Mellier, membre de la direction départementale de la Gironde (33), 45 ans;

Sébastien Prat, secrétaire de la fédération du Cantal (15), 26 ans ; Anne Sabourin, membre du CEN en charge des affaires européennes (75), 33 ans ; Aymeric Seassau, membre du CN et secrétaire de la fédération de Loire Atlantique (44), 40 ans;

Adrien Tiberti, membre du CN et secrétaire à l’organisation de la fédération de Paris (75), 36 ans;

Bora Yilmaz, membre du CN et secrétaire de la fédération de Meurthe-et-Moselle (54), 38 ans;

Igor Zamichiei, membre du CEN en charge du projet et secrétaire de la fédération de Paris (75), 32 ans…