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Culture

Nausicaä de Miyazaki : un film tourné vers le passé

Nausicaä de la vallée du vent est un film d’animation japonais de Hayao Miyazaki sorti en 1984, un an avant la fondation du studio Ghibli. Le film est basé sur un manga que son réalisateur avait commencé en 1982 et est une de ses réalisations les plus connues et souvent considéré à tort comme une œuvre écologiste.

Nausicaä de la vallée du vent

L’histoire se déroule dans un monde post-apocalyptique mille ans après une guerre qui a balayé la civilisation. L’humanité est disséminée entre différentes communautés et villes, séparées par des désert et une jungle toxique. Celle-ci abrite des colonies d’insectes géants qui sont capables de tout ravager lorsqu’ils entrent dans un état de rage. Les plus imposants, les « Ohms », hauts comme un immeuble et tout en longueur, sont dotés d’une carapace indestructible, ce qui rend les armes à feu dont se servent les humains complètement caduques. Ils sont le symbole de ce nouveau monde et de l’opposition entre les humains et la jungle.

Le personnage principal est la jeune princesse Nausicaä de la vallée du vent, une communauté humaine retournée à société féodale. Aimée de tous, elle est présentée comme une personne pacifique et douée d’une très forte empathie qui l’amène à se soucier du sort de tous les êtres vivants : aussi bien les humains que les plantes, la jungle et ses insectes.

La perception de Nausicaä

Le film a été perçu comme une fable écologiste contre la folie destructrice de l’Homme, et s’il y a des éléments du film qui vont dans ce sens, le fond du film n’a rien de tel.

Il y a, dans la forme, une sensibilité vers ce qui semble être la nature : c’est ce qui fait dire que le film est écologiste. Cependant, les rapports aux insectes et à la jungle sont toujours regardés du point de vue des colonies humaines.

D’une part, Nausicaä est sensible à la beauté de la nature mais sa manière de la considérer se fait selon des critères d’utilité : pour soigner la maladie de son père, et pour comprendre comment vivre avec la jungle toxique. Pour ce qui est de la protection de la nature, Nausicaä a davantage une position de princesse totale aimée d’abord par les humains, et petit à petit par la jungle qui leurs semble si hostile. A la vision utilitariste s’ajoute une dimension mystique où la nature en tant que telle s’efface encore un peu plus.

Nausicaä de la vallée du vent

D’autre part, la jungle est défendue par des insectes géants… des animaux peu considérés voire détestés par l’humanité. Cette vision de la nature (hostile) est pour le moins déplacée pour un conte écologiste. Tout dans la jungle est gigantesque : insectes, arbres, plantes, spores… En revanche, les arbres et les animaux que l’on découvre dans le monde de Nausicaä sont tous de taille raisonnable : l’être humain peut les appréhender et reste dans une position de maître et de possesseur. Le propre de la jungle toxique est de ne plus être sous le contrôle et l’emprise des humains.

Enfin, notons aussi un détail révélateur : au tout début du film, Nausicaä n’hésite pas à récupérer un morceau d’une carapace morte d’Ohm pour la rapporter au village.

Il n’y pas de Nature dans le film, seulement différentes formes de vie et d’organisation qui doivent cohabiter. Ceci traverse tout le film et va à l’encontre de l’image écologiste du film.

Nausicaä de la vallée du vent

Retourner en arrière

On ne peut pas dénoncer la folie guerrière de l’humanité et appelant à retourner en arrière, qui plus est dans un système féodal idéalisé. Ceci est d’autant plus choquant quand on sait que le Japon est loin d’avoir brisé toutes les entraves féodales de la société…

A la fascination pour un passé féodal jugé bon s’ajoute le repli sur soi, garant de calme et d’une vaine sécurité. La vallée du vent est isolée et semble coupée du temps jusqu’à ce qu’un vaisseau venant d’un autre groupe d’humain s’écrase dans la vallée : le navire a permis à des spores de la jungle toxique de s’y poser ce qui pourrait causer sa fin si les villageois ne parviennent pas à détruire tous les spores qu’ils trouvent (quitte à prendre des mesures radicales).

Non seulement le monde extérieur est perçu comme une menace, mais l’idée même d’unification de l’humanité est décriée : le seul groupement d’humains désirant cette unité ne le fait que dans une optique d’asservissement des autres contrées.

Nausicaä de la vallée du vent

Belle réalisation et absence de contenu progressiste

Esthétiquement, le film est plaisant et la musique est travaillée. L’ensemble se regarde sans problème. S’il n’y avait pas de contenu, Nausicaä de la vallée du vent serait un film parmi tant d’autres que l’histoire aurait vite plongé dans l’oubli. Mais Nausicaä n’est pas une œuvre vide de contenu, et surtout n’est pas l’œuvre de n’importe qui.

Ce décalage entre ce que porte réellement le film et ce qu’il s’imagine véhiculer est un problème qui se retrouve dans d’autres grandes œuvres de Miyazaki. Ce dernier bénéficie d’une aura progressiste en raison de la place des personnages féminins dans ces films. Il y a une dimension positive, c’est vrai. Mais celle-ci est vite brisée par un passéisme qui lui n’a absolument rien de progressiste.

Le piège se voit très bien dans Nausicaä : la princesse est une femme qui a une place important dans sa communauté. Elle est aimée de tous et veut cohabiter pacifiquement avec les autres humains et la jungle toxique. Elle est une femme forte qui s’oppose à la guerre et à la violence, quitte à mettre sa vie en danger. Mais en définitive, Nausicaä ne propose pas un monde nouveau tournée vers la paix et la vie harmonieuse. Le film propose non pas un autre futur, mais un autre passé.

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Écologie

L’ONF réclame 55 000 € à trois opposants à la chasse à courre

Le collectif AVA – Abolissons la Vénerie Aujourd’hui est victime d’une nouvelle manœuvre d’intimidation de la part de l’État, par le biais de l’ONF – Office National des Forêts. Cet établissement public a en effet intenté une action en justice le 27 juillet 2018 pour réclamer pas moins de 55 000 euros à trois personnes désignées comme « meneurs ». La démarche vise à casser brutalement le mouvement populaire contre la chasse à courre qui prend de l’ampleur dans le pays.

La chasse à courre sera abolie en France, comme elle l’a été en Allemagne en 1950, en Belgique en 1995, en Écosse en 2002 puis en Angleterre en 2005. C’est inévitable, car la population ne peut plus tolérer une telle pratique arriérée et brutale, pour ne pas dire barbare.

En attendant, les forces réactionnaires s’organisent et cherchent des moyens pour freiner la marche de l’Histoire. agauche.org a déjà signé et relayé la tribune dénonçant cette répression.

> Lire : Chasse à courre et répression (tribune)

Celle-ci prend une dimension nouvelle avec l’assignation d’AVA devant le Tribunal de grande instance de Compiègne. Outre le fait qu’elle a lieu au plein milieu de l’été pour tenter d’isoler la défense, les sommes énormes qui sont réclamées visent clairement à intimider les opposants à la chasse à courre partout en France.

De plus, comme l’a expliqué l’avocate Barbara Vrillac au Courrier-Picard :

«  L’ONF fait le sale boulot. Pourquoi en prendre trois au hasard, même s’ils ont eu les honneurs de la presse. Au niveau juridique, il va y avoir un problème. »

Depuis la fin de la dernière saison de chasse, les déclinaisons locales d’AVA se sont multipliées et l’État considère que cela devient problématique. Quand on dit l’État, il faut bien sûr penser à Emmanuel Macron, car la France a un fonctionnement de type monarchique donnant un pouvoir immense au Président de la République. C’est sous son autorité que sont désignés tant les Préfets que les directions des Établissements publics comme l’ONF (par décision du conseil des ministres, sur proposition de l’Élysée).

> Lire également : Plus de 30 000 personnes appellent à la démission du préfet de l’Oise

Dans sa communication, reprise dans l’assignation en Justice, le Préfet de l’Oise explique qu’il a écrit au Ministre de l’Intérieur et qu’il a donné des consignes pour la prochaine saison de chasse afin de disperser les « entrave au droit de chasse ».

Mais comme tout le monde le sait, le Préfet n’est qu’une autorité exécutive, un relais de l’État dans son département.

C’est la même chose pour l’ONF et on notera d’ailleurs que le Président de son conseil d’administration, Jean-Yves Caullet, est un ancien socialiste s’étant rallié à Emmanuel Macron pour la présidentielle 2017. Il a ensuite été investi par En Marche dans la 2e circonscription de l’Yonne pour les élections législatives, qu’il n’a pas remportée.

Il est évident aujourd’hui qu’Emmanuel Macron entend soutenir la vénerie et empêcher le mouvement populaire de s’exprimer. Lui qui souhaite rouvrir les chasses présidentielles et qui a fêté ses 40 ans au Château de Chambord en assistant à une chasse de manière aristocratique.

Car justement, c’est de cela dont il est question avec la chasse à courre : soit l’on considère que la France doit évoluer sur le plan culturel, soit l’on trouve qu’il est acceptable qu’une bande de notables vêtus comme des aristocrates d’un autre temps pénètre brusquement des habitations ou des terrains, traverse les routes n’importe comment et cause un raffut pas possible dans les forêts.

Outre la chasse en elle-même, que l’on peut ne pas apprécier par compassion pour les animaux, il y a surtout la manière de la chasse à courre qui est rejetée par la population.

Faut-il le rappeler, celle-ci ne consiste pas simplement à tuer un animal, mais à le poursuivre pendant des heures pour l’épuiser, le terroriser, l’isoler, le « soumettre » en lui frappant les pattes, puis le tuer avec une dague, avant de le laisser dévorer par la meute de chien.

Ce sont des notables, souvent des châtelains, qui s’adonnent à cette activité très hiérarchisée et codifiée de manière féodale. Ils ont avec eux un certain nombre de suiveurs, c’est-à-dire des gens n’ayant pas le même rang social et n’ayant pas le droit d’être à cheval. Ils peuvent quand-même se voir récompenser d’un trophée (par exemple le bois d’un cerf) si leur dévouement est considéré par le maître d’équipage.

> Lire également : La chasse à courre : une véritable néo-féodalité

Un tel panorama est absolument détestable, et n’importe qu’elle personne de gauche ne peut que souhaiter l’interdiction de cette pratique, et soutenir AVA.

Le mouvement populaire contre la chasse à courre a pris de l’ampleur après que différentes vidéos aient circulé sur internet ces dernières années. Elles montrent le comportement des veneurs qui se considèrent au-dessus de tout, à la manière de grands seigneurs sur « leur » domaine.

AVA fait un travail démocratique remarquable, en mobilisant des personnes qui étaient auparavant isolées, ne trouvant pas les moyens d’y faire face.

Cela consiste à :

  •  créer des « réseaux de voisins capables de se rassembler rapidement en cas d’intrusion » et « transformer chaque village, chaque lotissement en sanctuaire pour les animaux » ;
  •  surveiller les chasses à courre en suivant les équipages ;
  • dénoncer cette pratique par des vidéos et des plaintes ;
  • rassembler des gens capables d’aider des maires à parfaire leurs arrêtés municipaux pour protéger les villages ;
  • permettre des réunions publiques afin de sensibiliser la population et faire connaître le mouvement d’opposition ;
  • contribuer à faire avancer l’abolition de la vénerie sur le terrain parlementaire.

Il ne s’agit pas d’un mouvement d’activistes isolés, mais bien un mouvement populaire qui s’organise démocratiquement, en se donnant les moyens d’être efficace.

La plainte de l’ONF vise évidement directement cela, et son objet n’est qu’un prétexte. L’argumentation est d’ailleurs assez grotesque puisqu’elle consiste à dire qu’AVA a empêché l’exécution du plan de chasse annuel.

Cette institution considère en effet que la nature n’est pas capable de fonctionner sans les humains, et qu’il faut donc « réguler » des équilibres dans les forêts. Elle établit donc un plan de chasse et délivre des permis afin qu’il soit réalisé par des gens en faisant leur loisir.

Cela est totalement contradictoire, et en fait n’a aucun sens. Soit il y a un loisir, soit il y a une mission de service publique indispensable, mais les deux ne sont pas compatibles. Les plans de chasses ne sont qu’un prétexte pour le « loisir », et cela est flagrant avec la chasse à courre.

D’ailleurs les veneurs expliquent eux-mêmes qu’ils ne tuent pas beaucoup d’animaux en définitive et que leur action permet d’éliminer les individus les faibles… pour renforcer les espèces !

Quelle prétention, et surtout quelle mauvaise foi !

Pour l’instant, aucune date n’a été fixée pour le procès. D’ici là, pour faire face aux frais de justice et organiser sa défense, AVA a lancé une souscription populaire de soutien dont voici le lien :

Cagnotte leetchi.com Frais de justice AVA

Cet épisode de répression est un obstacle, mais il n’empêchera pas le mouvement populaire. L’opposition va forcément se généraliser pour aboutir à l’abolition de la chasse à courre en France. C’est en tous cas indispensable si l’on souhaite que le pays évolue sur le plan des mœurs et de la civilisation. Il s’agit d’une cause démocratique essentielle, et cette tentative de procès en est un moment important.

Comme le dit AVA :

« Tous les habitants et usagers des forêts, les amis de la Nature, les démocrates, les progressistes, les élus des campagnes, les artistes et intellectuels engagés doivent faire front pour défendre ce mouvement authentiquement populaire qu’est AVA ! Ensemble, nous devons faire échouer cette manoeuvre anti-démocratique ! »

La liste des groupes pour rejoindre des habitants en forêt près de chez soit est disponible en suivant ce lien.

Voici pour finir le lien vers le communiqué d’AVA :

http://ava-picardie.org/2018/08/07/lonf-reclame-55-000e-a-trois-personnes/#more-756

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Politique

Jeremy Corbyn et le Labour face à la question antisémite

Le Labour (parti travailliste) au Royaume-Uni – l’équivalent du parti socialiste – a un très gros problème, que l’on connaît bien en France, mais plutôt du côté du PCF et de la France insoumise. En effet, après un tournant pro-gouvernemental sous une forme libérale de gauche (très proche d’ailleurs d’Emmanuel Macron) avec Tony Blair, le Labour cherche depuis plusieurs années à revenir à gauche et à gagner de nouveau aux élections sur cette base.

Jeremy Corbyn

Mais il ne le fait pas en se tournant vers les socialisme, l’histoire du mouvement ouvrier. Il le fait sur un mode populiste de gauche, avec évidemment une très large ouverture à l’antisémitisme, ce socialisme des imbéciles.

Au lieu de parler de la classe ouvrière, le mot Palestine a acquis dans le Labour une dimension pratiquement magique pour avoir l’air de gauche, tout au moins de cette gauche « moderne », post-industriel, post-moderne, post-colonial, post-tout ce qu’on voudra.

Cela a pris des proportions toujours plus extrêmes, avec des attitudes et positionnements que l’on connaît bien de ce côté-ci de la Manche, pas du tout chez les socialistes mais vraiment beaucoup chez la France Insoumise et énormément au PCF.

Seulement, à un moment donné il faut être sérieux et passer soit dans l’antisémitisme ouvert, soit finalement dans son refus. Le dirigeant du Labour, Jeremy Corbyn a ainsi été obligé vendredi dernier de chercher à se sortir de ce pétrin, en publiant dans le Guardian une lettre où il affirme vouloir déraciner les antisémites de son parti.

Cela suit la publication conjointe de la part de journaux de la communauté religieuse juive le présentant comme une « menace existentielle », une rhétorique bien entendu absurde, d’ailleurs très largement poussé par les rabbins britanniques, mais qui montre le problème de fond.

Car les nombreuses initiatives antisémites dans le Labour, allant du complotisme sur le 11 septembre jusqu’à l’éloge de Hitler ou la dénonciation des « banquiers juifs », se sont engouffrées dans une critique (elle non antisémite) de l’État israélien. En fait, on peut très bien voir que sans assumer le socialisme, la critique du sionisme devient un outil pour les enragés ne voulant pas le socialisme, mais une sorte de troisième voie.

I will root antisemites out of Labour – they do not speak for me (Jeremy Corbyn)

On connaît bien cela en France avec par exemple les Indigènes de la République, mais le PCF et la France insoumise ne sont guère différents dans le fond ; eux non plus ne veulent pas du socialisme, de l’histoire du mouvement ouvrier. La Palestine est surtout pour eux un argument masquant leur défense de la « politique arabe de la France ».

Jeremy Corbyn devait donc choisir entre faire comme si de rien n’était ou bien réfuter l’antisémitisme. Il devait adopter une critique non-antisémite de l’État israélien ou bien maintenir son populisme.Il a choisi de couper la poire en deux, ce qui n’est pas possible, car hostile à l’universalité du socialisme qui rejette toute religion et exige la fusion de toute l’humanité.

Il se positionne ainsi :

« J’ai mené campagne toute ma vie pour la reconnaissance de la force d’une société multiculturelle. La Grande-Bretagne ne serait pas ce qu’elle est sans nos communautés juives (…).

Dans les années 1970, certains à gauche ont expliqué de manière erronée que « le sionisme est du racisme ». C’était faux, mais l’assertion que « l’anti-sionisme est du racisme » est également fausse. »

Cela n’a pas de sens. Soit on est pour une culture universelle et on refuse le communautarisme, auquel cas on ne peut pas accepter de particularisme religieux, national, ethnique, etc., soit on est pour le multi-particularisme mais en ce cas on ne peut plus critiquer le sionisme, ni aucun nationalisme ou tribalisme d’ailleurs.

Et cela montre que Jeremy Corbyn n’est pas sérieux dans son engagement à gauche, que la question antisémite est un vrai problème chez lui aussi, lui qui en 2010 participait le jour de l’anniversaire de la Shoah à une conférence intitulée « Plus pour personne – d’Auschwitz à Gaza » assimilant les activités de l’État israélien aux crimes illimitées du nazisme.

C’est pourquoi Jeremy Corbyn est également coincé face à la député du Labour Margaret Hoge, qui est juive et membre du Labour depuis cinquante ans, qui lui a lancé en plein parlement : « Tu es antisémite et raciste ».

Ce qu’elle lui reproche, c’est de ne pas faire en sorte que le Labour accepte la définition de l’antisémitisme formulé par l’International Holocaust Remembrance Alliance, en raison de trois points.

Le premier est la question de l’assimilation de l’État israélien à l’Allemagne nazie, que désormais Jeremy Corbyn rejette également, du moins en apparence. Le second est la question de la dénonciation de personne juives comme plus fidèle à l’État israélien qu’à leur propre pays, le troisième est la question de la considération comme quoi le sionisme a une base ethnique, donc raciste.

Jeremy Corbyn

Cette dernière question n’a pas toujours été en débat à gauche. A l’origine, la gauche soutenait le sionisme et inversement ; l’URSS a été le premier pays, sous Joseph Staline, à reconnaître l’État israélien.

Puis, rapidement, le sionisme ayant choisi de se placer sous le parapluie américain, la gauche a rejeté le sionisme, dès le début des années 1950 et en particulier à parti de 1967, période d’émergence de la gauche palestinienne.

L’État israélien se refermant toujours plus sur lui-même, s’ouvrant à la religion contrairement à auparavant, ce rejet s’est amplifié, malgré la désormais non-existence à peu de choses près de la gauche palestinienne

Il va de soi aussi que la modification toute récente de la constitution israélienne, où les Israéliens arabes deviennent des citoyens de seconde zone, ou encore le blocus maritime de Gaza par une sorte de grand mur, ne vont pas amener les choses à changer de ce point de vue.

Le Labour a alors proposé à Margaret Hoge qu’elle s’excuse, afin de ne pas avoir à faire de mesure disciplinaire à son encontre. Naturellement, elle n’a pas voulu, polarisant cette situation terrible pour la gauche britannique. Le Labour a finalement décidé de ne prendre aucune sanction à son encontre.

Cela a, au moins, le mérite de poser une question importante, à l’opposé d’en France où il n’y a eu strictement aucune autocritique de la Gauche par rapport à l’antisémitisme diffusé sous prétexte d’antisionisme. Il a fallu le mouvement Je suis Charlie pour que l’antisémitisme connaisse un coup d’arrêt, la base de la Gauche s’exprimant enfin.

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Culture

Joël Robuchon a-t-il révolutionné la gastronomie française ?

Le décès de Joël Robuchon a donné lieu à toute une série d’éloges consacrant son talent et son rôle pour la cuisine française. Il est partout expliqué qu’il a bouleversé les traditions de la gastronomie en bousculant les codes.

Joël Robuchon est connu pour avoir dit :

« À part quelques expériences intéressantes, la grande cuisine française m’emmerde ! »

C’était dans un entretien au magazine l’Express, publié le 11 juin 2009. De manière plus précise, il expliquait juste avant :

« Le concept d’Atelier […] est une formule gagnante, surtout en temps de crise, car elle correspond exactement à ce que les gourmets et les hommes d’affaires veulent aujourd’hui : un comptoir qui donne directement sur les fourneaux, une cuisine minute et sans chichis, des produits de première fraîcheur, des sets de table, des couverts en Inox, un service décontracté et une addition raisonnable.

Il y a peu de temps, j’ai eu une conversation avec François Pinault, qui fréquente mes Ateliers dans le monde entier et qui me disait qu’il supportait de moins en moins les grands restaurants. »

Il précisait ensuite :

« Les plats sophistiqués à l’extrême, les nappes matelassées, l’argenterie, le ballet de trois garçons pour vous servir une assiette et les additions stratosphériques, j’ai assez donné. Il y aura toujours une place pour ce genre d’établissements, mais les clients exigent désormais plus de simplicité, quels que soient leurs moyens. Allez faire un tour dans les restaurants trois étoiles à Paris : la plupart d’entre eux sont à moitié vides… »

Ce grand chef français avait donc fait le choix de satisfaire une clientèle mondiale, cosmopolite, en quête de modernité et de rapidité.

     Lire également > Joël Robuchon, la grande cuisine française pour les riches

Les fioritures de la table française traditionnelle apparaissant pour nombre de ces gens comme dépassées, inutiles, voire encombrantes. Il y a bien-sûr, aussi, une coquetterie de grands-bourgeois qui veulent toujours du nouveau, pour s’imaginer différents, particuliers.

Dans un autre entretien à l’Express, en janvier 2016, Joël Robuchon expliquait :

« Les États-Unis font partie des pays où il y a le plus de végétariens. Même de vegan. On doit avoir des menus pour eux. A Las Vegas [dans son établissement], 20 à 30% de la clientèle est végétarienne, certains jours. »

Il affirmait également :

« Des pays qu’on n’attend pas se rendent compte de tous les bienfaits des produits sains, naturels, sans pesticides ou autres. La France est un des derniers d’Europe dans ce domaine. De toute façon, il faudra changer. »

On a là encore une volonté de s’adapter à une société changeante. Il adoptait un point de vue pragmatique, avec une démarche ouverte, non sectaire.

En mai 2013, dans un entretien au Figaro cette fois, il présentait un projet de restaurant à orientation végétarienne, à Bombay en Inde, avec ce discours :

« Mon constat est simple. C’est maintenant que se jouent les dix prochaines années. Elles s’appuieront sur la santé, et en cela, la cuisine végétarienne sera l’un des axes de cette évolution. Je veux être là. Voilà pourquoi, malgré l’avis de mes proches collaborateurs, j’ai décidé d’ouvrir un Atelier à Bombay à la fin de l’année. J’ai besoin d’apprendre leur cuisine et de suivre leur talent pour jouer avec les légumes et les épices. On n’imagine pas combien un simple plat de lentilles, de pois chiches, de courgettes ou de soja peut être grand… Aujourd’hui, je suis un apprenti, je recommence à zéro. »

Et quand les journalistes lui demandent si la cuisine végétarienne est vraiment de la gastronomie, il répondait franchement :

« Oui, regardez ce que font Alain Passard et Frédéric Anton avec une simple betterave. Le tout, c’est de ne pas s’enfermer dans la haute gastronomie et ses prix astronomiques, mais de rester sur terre. À l’image de ce que nous avons fait dans les Ateliers créés il y a dix ans: de la haute cuisine abordable avec un service convivial. Pas besoin de se compliquer la vie et de multiplier les prix par trois (étoiles). »

De manière intéressante, il a pu dire également :

« Nous quittons la cuisine sophistiquée pour aller vers plus de sagesse, ensuite ça tournera encore. La simplicité reste l’un des plus durs des challenges. Je rêve de voir le concours du Meilleur Ouvrier de France se jouer autour d’un panier de légumes ! »

Ce discours de « bons-sens », de simplicité élaborée, il l’a multiplié à l’envi. C’était comme une marque de fabrique, sa signature, à l’image de sa fameuse « purée ».

Joël Robuchon était-il une figure importante ayant fait avancer la gastronomie française ou bien a-t-il surtout eu un discours conforme à ses exigences commerciales dans une économie mondialisée ?

A-t-il révolutionné la gastronomie française ?

La France est un pays de lettres, donc quand il y a un sujet, il y a souvent au moins un auteur ou un écrit qui lui est associé. En ce qui concerne le gastronomie, c’est l’ouvrage La Physiologie du goût de Jean Anthelme Brillat-Savarin qui fait office de référence.

Publié en 1825, il y a près de deux siècles, toutes les prétentions de Joël Robuchon en termes de simplicité, de bon goût, d’authenticité dans les saveurs, d’intérêt pour la santé, y figurent déjà. Et en mieux, car c’est affirmé d’une manière bien plus radicale et universelle.

Le point de vue est évidemment bourgeois, mais il prend le parti de la civilisation, et non pas de simplement satisfaire quelques clients fortunés à travers le monde.

Jusqu’en 2018, Joel Robuchon a donc surtout été un homme en retard de deux siècles par rapport aux prétentions qu’a pu avoir la bourgeoisie en ce qui concerne la gastronomie.

L’ultra-formalisme et l’entre-soi porté par la grande cuisine française, ou du moins ce qu’elle est devenue au XXe siècle avec ses étoiles au guide Michelin, doit bien-sûr être critiqué, rejeté.

Mais il faut pour cela se tourner vers la population française elle-même, et non pas pratiquer la fuite en avant cosmopolite, au service d’une minorité d’ultra-riches mondialisée.

Bien sûr, la démarche d’ouverture sur le monde est forcément positive ; elle est d’ailleurs constitutive de l’identité française, et donc de la gastronomie française. Mais cela ne signifie pas qu’il faille pour autant jeter par la fenêtre l’héritage culturel français de la grande cuisine et tout l’art de vivre qu’il porte en lui.

La question du végétarisme, et surtout en fait du véganisme, est ici quelque chose de très intéressant. À partir du moment où la question des animaux dans l’alimentation est posée et qu’il est matériellement possible d’y répondre, une société pacifiée et civilisée doit forcément y répondre.

Joël Robuchon n’a pas vu cela, car il ne s’est pas intéressé à la société. Il a simplement entrevu cette possibilité, en tant qu’opportunité commerciale et défit technique. On peut penser que cela est utile, contribuant à faire évoluer les mentalités de par l’influence qu’il a sur la société en tant que grand chef. Mais ce n’est bien sûr pas suffisant. Sa démarche n’était qu’anecdotique, incapable d’aller dans le sens d’un réel engagement.

En ce sens, on ne peut pas dire que Joël Robuchon ait révolutionné la gastronomie française, il l’a simplement modernisé dans un sens plus conforme à son époque.

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Joël Robuchon, la grande cuisine française pour les riches

Le chef Joël Robuchon est décédé ce lundi 6 août, à 73 ans. Il est unanimement salué et reconnu comme une figure de la grande cuisine française, qu’il a largement participé à promouvoir dans le monde, mais uniquement pour les riches.

À vrai dire, peu de personnes ont réellement goûté à la cuisine de Joël Robuchon. Celle-ci était en effet réservée à une minorité de gens ayant les moyens économiques et culturels de manger dans ses établissements.

Il en est ainsi du luxe et d’une manière générale, de l’art de vivre à la française, accaparé de manière quasi-exclusive par la bourgeoisie. Pour autant, on aurait tort de croire que cette exigence ne concerne que les plus riches simplement parce qu’ils s’en réservent le résultat, réel ou supposé.

L’image d’une immense brigade de cuisiniers en blancs s’affairant sans répits avec des casseroles traditionnelles et des produits frais méticuleusement choisis, est quelque-chose qui plaît largement, à travers toutes les couches sociales.

Joël Robuchon est en ce domaine très apprécié car il incarnait précisément ce style français. Son succès, outre son talent qu’on imagine certain, vient du fait qu’il a su se présenter comme prônant la sophistication, dans une quête de l’excellence.

Il est systématiquement présenté par ses pairs comme un forçat de travail, précis et perfectionniste. Le chef du restaurant parisien trois étoiles L’Arpège, Alain Passart, dit par exemple de lui :

« Il avait une main redoutable et goûtait merveilleusement bien. Il savait corriger un assaisonnement olfactivement. Il avait également une oreille de dingue : il écoutait les cuissons et rectifiait à distance si besoin. »

Sa rigueur vient bien sûr de sa formation originale en pâtisserie, qui est une branche de la cuisine française particulièrement stricte. Il expliquait ainsi lui-même :

« Lorsque vous avez été pâtissier, vous regardez les choses avec un autre oeil. Vos gestes dans la cuisine ne sont pas les mêmes. Il faut faire preuve d’encore plus de précision. Le travail [de pâtisserie] n’est que formule et technique pure. Et ces qualités vous aident plus tard, lorsque vous arrosez un poulet en train de rôtir, quand vous déglacez un plat ou troussez une volaille. »

Joël Robuchon a été formé à l’école des Compagnons du tour de France des Devoirs unis, c’est-à-dire dans un style tout à fait traditionnel, puis a été Meilleur ouvrier de France en 1976. Rapidement, il a décroché deux étoiles au guide Michelin, puis une troisième, la plus haute distinction, en 1984.

Bien que classique, son approche se voulait néanmoins moderne, et donc tournée vers le business. En 1990, il était sacré « meilleur cuisinier du siècle » par le guide Gault & Millau, représentant du courant moderniste de la « Nouvelle cuisine », issue des années 1970

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Après avoir pris sa retraite de chef cuisinier en 1996, à 51 ans, il a développé à travers le monde tout une série de restaurants se voulant à la fois classiques à la française et modernes de manière cosmopolite.

Dans son édition d’aujourd’hui, le journal de droite Le Figaro, qui apprécie largement la démarche du chef, explique :

« Lassé de la haute gastronomie, des plats hyper techniques et des multiples contraintes d’un quotidien harassant, il se ressource et découvre une autre culture, un autre mode de vie. Cela lui inspirera le concept de l’Atelier, qu’il dupliquera partout dans le monde quelques années plus tard, oubliant son désir de retraite oisive. »

Ensuite, il a multiplié les concepts avec des dizaines d’établissements, à Paris, Bordeaux, Tokyo, Hongkong, New York, Bangkok, Las Vegas, Londres, Macao, ou encore Shanghai.

En homme d’affaire aguerri, il n’avait pas la gestion de ces lieux. Il les supervisait simplement, parfois à bord d’une Rolls-Royce mise à disposition, après avoir élaboré la carte et choisi les équipes. Il percevait en échange une redevance, à la manière d’une franchise ou de droits d’auteurs.

Ses contrats de licence et ses marques étaient partagées avec un fonds d’investissement luxembourgeois. Ce parfait capitaliste a très tôt goûté au monde des affaires en s’associant au groupe Fleury Michon dès 1987, puis à la marque Reflets de France de Carrefour en 1996.

Le grand public le connaît surtout pour l’image du chef traditionnel et quelque peu ringard qu’il a su façonner à la télévision. Durant neufs saisons, de 2000 à 2009, tous les midis en semaine, il a conclu chaque épisode de son émission de la même manière : Au revoir, et bon appétit bien sûr !

Pendant 4 min, il expliquait succinctement une recette dite traditionnelle, sans que cela ne soit réellement transposable dans sa cuisine pour le quidam, malgré les prétentions populaires de l’émission.

Ce qui semble avoir le plus marqué les esprits est l’épisode dans lequel il «révèle» comme cadeau de fin d’année le « secret » de sa purée de pomme de terre, particulièrement appréciée dans ses restaurants.

Cela est très cocasse pour celui qui est censé être le chantre de la gastronomie française, car il ne s’agit nullement d’une recette raffinée mais plutôt d’un goût très grossier, permis par une quantité immense de beurre. Il ne conseillait pas moins que 250 g de beurre pour 1 000 g de pomme de terre ! Et cela sans compter les « 20 à 30 centilitres de lait entier » à ajouter.


Cette émission d’un populisme outrancier résume bien la carrière de Joël Robuchon. Sa démarche n’était pas démocratique, mais tournée vers l’enrichissement personnel.

La grande cuisine française a forcément une valeur autre que symbolique, et Joël Robuchon en est certainement un grand représentant, comme l’affirment nombre de spécialistes. Il n’est pas question ici de nier la tradition classique française, avec son raffinement et son art de table issue largement du Versailles de Louis XIV.

Cependant, du point de vue populaire, l’excellence à la française n’est qu’une fiction inaccessible. Elle n’a d’utilité, en matière de gastronomie, que comme faire-valoir pour l’agro-industrie et les entrepreneurs capitalistes du « terroir », eux-mêmes liés à cette agro-industrie et à la grande distribution.

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Culture

La chanson « La jeune garde »

La chanson « La jeune garde » relève du patrimoine ouvrier français, avec ses qualités mais également ses grandes limites. Elle est encore connue, parfois, dans certains milieux ayant conservé une tradition relevant, il est vrai, plus du folklore qu’autre chose.

Elle est née en 1910 (ou en 1912 selon les sources) comme Chanson des jeunes gardes, avec un texte de Gaston Montéhus (en fait Gaston Mardochée Brunswick, 1872 – 1952) et un arrangement musical de Saint-Gilles (pseudonyme d’une personne morte en 1960).

Son succès repose sur la dynamique d’une opposition : d’un côté il s’agit d’une mise en garde aux ennemis de la Gauche, de l’autre d’un appel à former une jeunesse sur ses gardes.

Voici les paroles (le premier couplet manque dans la version ci-dessus).

Nous somm’s la jeune France
Nous somm’s les gars de l’avenir,
El’vés dans la souffrance, oui, nous saurons vaincre ou mourir ;
Nous travaillons pour la bonn’cause,
Pour délivrer le genre humain ,
Tant pis, si notre sang arrose
Les pavés sur notre chemin

[refrain] Prenez garde ! prenez garde !
Vous les sabreurs, les bourgeois, les gavés, et les curés
V’là la jeun’garde v’là la jeun’garde qui descend sur le pavé,
C’est la lutte final’ qui commence
C’est la revanche de tous les meurt de faim,
C’est la révolution qui s’avance,
C’est la bataille contre les coquins,
Prenez garde ! prenez garde !
V’là la jeun’garde !

Enfants de la misère,
De forc’ nous somm’s les révoltés,
Nous vengerons nos mères
Que des brigands ont exploitées ;
Nous ne voulons plus de famine
A qui travaille il faut des biens,
Demain nous prendrons les usines
Nous somm’s des homm’s et non des chiens

Nous n’ voulons plus de guerre
Car nous aimons l’humanité,
Tous les hommes sont nos frères
Nous clamons la fraternité,
La République universelle,
Tyrans et rois tous au tombeau !
Tant pis si la lutte est cruelle
Après la pluie le temps est beau.

On voit aisément le ton qui est, somme toute, très XIXe siècle, avec un fond culturel éminemment républicaniste et syndicaliste.

Utilisée d’ailleurs initialement par les jeunesses de la Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO) avant la première guerre mondiale, elle devint pour cette raison, après le congrès de Tours de 1920, une chanson tant par des jeunesses liées au Parti Communiste – Section Française de l’Internationale Communiste que de celles liées à la « vieille maison ».

Sa période de gloire date d’ailleurs du Front populaire ; les communistes changeront cependant le « Nous sommes la jeune France » en « Nous sommes la jeune garde ».

Deux couplets s’ajoutèrent par la suite.

Quelles que soient vos livrées,
Tendez vous la main prolétaires.
Si vous fraternisez,
Vous serez maîtres de la terre.
Brisons le joug capitaliste,
Et bâtissons dans l’monde entier,
Les États-Unis Socialistes,
La seule patrie des opprimés.

Pour que le peuple bouge,
Nous descendrons sur les boulevards.
La jeune Garde Rouge
Fera trembler tous les richards !
Nous les enfants de Lénine
Par la faucille et le marteau
Et nous bâtirons sur vos ruines
Le communisme, ordre nouveau !

La chanson a toutefois relativement perdu sa valeur, se maintenant uniquement par un esprit folklorique qu’on peut librement trouver ridicule ou pathétique.

Voici ainsi une vidéo du Parti socialiste du Bas-Rhin lors du premier mai de 2009, puis une chorale à la fête de l’Humanité en 2016, et enfin la version la plus connue de la chanson, avec une image de Castro et Guevara qui ne doit pas étonner, puisque la chanson fut largement appréciée par les Jeunesses Communistes Révolutionnaires, dont le trotskisme se voulait également en quelque sorte guévarisme.

Vu comme cela, ça ne donne pas envie et cela révèle beaucoup de choses sur les faiblesses des traditions de la gauche française. Tout repose ici sur un symbolisme dont le manque de consistance est patent.

Il est à noter que la chanson a eu son importance en Espagne. Reprise par la Jeunesse Communiste, elle devint l’hymne des Juventudes Socialistas Unificadas après l’unification des jeunesses du Parti Communiste d’Espagne et du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol en mars 1936.

Le texte est plus volontaire, puisque c’est « le bourgeois insatiable et cruel » qui est mis en garde, avec la fin de l’exploitation annoncée par l’appropriation des usines.

La chanson « La jeune garde » fait partie du patrimoine, mais le maintien de son existence en France reflète un fétichisme d’une affirmation purement symbolique de la lutte.

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Politique

La réponse de Dieudonné face à « Jeunesse contre la Haine Haute-Savoie »

Il y a quelques mois, le 14 avril 2018, l’humoriste antisémite Dieudonné prévoyait de jouer à Annecy (Haute-Savoie).

Dieudonné

Un groupe de jeunes progressistes nommé « Jeunesse contre la Haine Haute-Savoie » a prit la décision de lancer une véritable offensive face à Dieudonné. N’étant que très peu nombreux, et avec des moyens limités, ces derniers ont dû mener une bataille pour empêcher sa venue. Ce ne fut pas chose aisée, face au libéralisme ainsi qu’à l’antisémitisme ayant gangrené la gauche.

Ces jeunes progressistes ont donc tracté dans les rues d’Annecy, essayant d’alerter la population locale face à cette menace, et ont également lancé une pétition…

Ce n’est qu’après une campagne médiatique qu’un certain écho est revenu : un peu plus de 200 personnes avaient signé la pétition le 14 avril 2018 et plusieurs élus locaux avaient également apporté leur soutien, ce qui avait permis d’annuler la réservation de la salle où Dieudonné devait initialement se produire.

Il a alors rusé, pour finalement se produire dans un champ.

>> La page Facebook Jeunesse-contre-la-haine-Haute-Savoie

Les idées progressistes de « Jeunesse contre la Haine Haute-Savoie » ayant réussi à contrer l’installation de Dieudonné dans un cadre « officiel » , mais n’ayant pas réussi à mobiliser la population locale montrent deux choses très importantes :

  • premièrement, que la gauche est en totale décomposition, incapable de s’en tenir à ses idées fondamentales, tel le progressisme ;
  • deuxièmement, que sans un appui dans les masses populaires, on ne peut que freiner les idées réactionnaires, et non les stopper.

Vincent Lapierre, « journaliste » pour Égalité et Réconciliation TV, le média d’Alain Soral, a réalisé une vidéo gratuite de plus de 23 minutes en compagnie de Dieudonné, et une version payante plus longue, qui n’a comme seul but que de faire passer Dieudonné pour une victime du système et « Jeunesse contre la Haine Haute-Savoie » comme une « obscure association », qui ne « représente qu’elle-même ». Elle se représente visiblement si bien « elle-même », qu’elle a réussi, même avec une large supériorité numérique des fans de Dieudonné dans la région, à empêcher sa venue dans une salle.

Dans cette vidéo, on y voit d’abord Vincent Lapierre poser des questions aux spectateurs.

Ces questions font référence au texte de la pétition proposée par « Jeunesse contre la Haine Haute-Savoie » posant la question : «  Trouvez-vous que Dieudonné est antisémite ? »

Les personnes interrogées répondent qu’ « il faut sans cesse se remettre en question » et ajoutent que Dieudonné n’est pas antisémite.

Tout le reportage est filmé de manière à faire croire que « Jeunesse contre la Haine Haute-Savoie » est derrière tout ça, menant un véritable délire complotiste. À partir de la troisième minute de la vidéo, on apprend que la salle à Annecy sera annulée pour Dieudonné, et nous avons une véritable impression de surprise et d’émotion : le caméraman a choisi de faire un plan rapproché sur Hervé, la personne s’occupant de la réservation des salles pour Dieudonné, au moment où ce dernier semble inquiet.

S’ensuivent plusieurs minutes de dialogue entre Hervé et Vincent à propos d’Annecy.

On y voit Hervé inquiété par la victoire des idées progressistes.

Par la suite, Vincent interroge Dieudonné sur la manière dont il vit cela. Ce dernier répond en osant se comparer à l’un des plus grands écrivains et dramaturges français :

«  Molière en d’autres temps, qui était chassé par le roi à un moment donné parce qu’il a pas dû faire rire et donc il se retrouve sur les routes avec sa roulotte, bah c’est un peu ça ».

Ce passage montre une nouvelle fois le caractère complotiste de Dieudonné, le roi étant ici « Jeunesse contre la Haine Haute-Savoie ».

Nous voyons bien là qu’il cherche à discréditer le groupe de jeunes progressistes, en se basant uniquement sur le nombre de mentions « j’aime » sur leur page Facebook.
C’est pathétique.

Il ne s’attaque même plus à un contenu, mais à la forme… De même, il ajoutera à propos de l’interdiction de son spectacle : « est-ce que c’est vraiment la police[qui a fait pression sur le propriétaire de la salle], ou pas ? » rajoutant, en moins de deux minutes, une nouvelle théorie délirante. Durant les 16 minutes suivantes, on y suit Dieudonné cherchant un lieu pour sa représentation, qui finalement sera un champ à 12 km d’Annecy.

Dieudonné et Alain Soral au tribunal
Dieudonné et Alain Soral au tribunal

Dieudonné a eu besoin d’une vidéo de 23 minutes et d’un article sur « Égalité et Réconciliation TV » pour dire que ces attaques ne l’atteignaient pas, alors qu’on sait que ce dernier n’en menait pas large quant au devenir de sa représentation à Annecy.

Cela sera finalement une demi-victoire pour « Jeunesse contre la Haine Haute-Savoie », qui a réussi à tenir sa ligne, à freiner Dieudonné dans son élan, ainsi qu’à bien l’importuner pendant quelque temps.

Notons que ce dernier prévoit à nouveau de jouer à Annecy, le 14 mars 2019. Cette fois, il n’aboutira à rien et ne fera même pas de « spectacle » dans un champ !

> À lire ailleurs : une présentation de « Jeunesse contre la Haine Haute-Savoie » par le site annecygauche.noblogs.org

 

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Culture

La Saline Royale de Claude-Nicolas Ledoux

La Saline Royale d’Arc-et-Senans est un ensemble industriel conçu par Claude-Nicolas Ledoux au dernier quart du 18ème siècle.

La situation géographique du site est dictée par les contraintes économiques. L’agencement des bâtiments quant à lui répond à une ambition d’un genre nouveau; il s’agit d’intégrer la vie des travailleurs toute entière dans le lieu de production.

Le sel est une marchandise précieuse sous l’ancien régime. La fiscalité du royaume repose en effet en partie sur la perception d’un impôt sur le sel, la gabelle.

La diversification des procédés de fabrication incluant le sel et l’essor de la bourgeoisie et de son mode de vie, deux phénomènes liés au développement du capitalisme, provoquent une hausse importante de la demande en sel.

Claude-Nicolas Ledoux est commissaire des salines de Franche-Comté, de Lorraine et des Trois Evêchés (les régions de Metz, Toul et Verdun).

Il doit faire face aux rendements insuffisants du principal site de production de cette province, situé à Salins-les-Bains. Il élabore un projet intégralement nouveau : ce sera la Saline Royale d’Arc-et-Senans.

Le site choisi pour l’implantation du nouvel outil de production dispose de nombreux atouts. La forêt de Chaux, l’une des plus étendue de France, pourra fournir le combustible nécessaire, le massif du Jura offrira la protection et la pente nécessaire au procédé de transformation de la matière première, et l’eau douce, abondante dans le secteur, permettra aux hommes de vivre.

La Saline Royale répond à un plan en demi-cercle. Il ressort une grande harmonie du dessin général du site. Cinq bâtiments alignés forment un segment servant de diamètre à un arc de cercle composé lui-aussi de cinq bâtiments.

Neuf allées disposées en rayon découpent l’espace. La maison du directeur, comme un point d’équilibre, est située au centre de cet hémicycle de 185 mètres de rayon.

Imprégné des philosophes de son siècle et de la pensée rationnelle qu’elles portent, Claude-Nicolas Ledoux produit une oeuvre architecturale guidée par la symétrie et la rigueur des formes géométriques.

Il puise largement dans l’antiquité grecque pour le dessin de ses bâtiments, répétant dans un alignement parfait les voûtes en demi-cercle (dites en plein cintre) et les frontons triangulaires portés par des colonnes. Les bâtiments de la Saline Royale sont typiques de l’architecture néo-classique.

Néanmoins, il ne faut pas se méprendre, l’ensemble architectural n’a pas de vocation philanthropique. Tout a été pensé pour servir les intérêts de la Couronne dans la production de sel. Ainsi, le large mur d’enceinte n’est percé que d’une unique porte facile à garder.

De même, la maison du directeur est placée au centre du plan, de manière à pouvoir surveiller les autres bâtiments, notamment au travers de l’oculus placé sur le fronton de la façade. De chaque côté de la maison du directeur sont positionnés symétriquement les bernes, c’est-à-dire les ateliers.

Ce sont des bâtiments abritant les dernières étapes du processus de transformation de l’eau saumâtre en sel, la cristallisation par chauffage et évaporation. Aux extrémités du segment se trouvent les bâtiments administratifs, dont le bâtiment de la gabelle.

Claude-Nicolas Ledoux a réparti les bâtiments afin de limiter les déplacements au maximum, pour éviter les efforts inutiles et ainsi gagner du temps dans les étapes de production.

Les bâtiments occupés par les forges, les maréchaux et la tonnellerie font ainsi face aux bernes.

Ledoux a envisagé la Saline Royale comme le cœur d’un projet plus ambitieux encore. Une sorte de cité idéale nommée Cité de Chaux. Organisée en une série de cercles concentriques, elle aurait consisté, si cette ville avait vu le jour, en un ensemble de bâtiments destinés à combler les besoins des travailleurs de la Saline Royale et de leurs familles dans tous les domaines.

Le projet de Cité comporte un marché, des boutiques et des ateliers artisanaux, un hôpital, un palais de justice, une nécropole, une église et des bains.

Le dessin cherche à la fois l’harmonie dans les proportions et l’équilibre entre la pierre et les arbres, en adéquation avec la pensée rousseauiste.

Seule la partie strictement productive du projet est sortie de terre. La Cité est donc réduite à l’unité de production, la Saline Royale. Les logements des ouvriers berniers ont fait l’objet d’un soin particulier. Ils sont situés au plus près des ateliers, afin de limiter les déplacements et ont été conçus pour être plus confortables que les logements communs des ouvriers de l’époque. L’idée est de fixer la population ouvrière et de conserver au mieux sa capacité de travail.

Les bâtiments des logements ouvriers présentent douze chambres de quatre lits et une grande salle commune prévue comme cuisine et pourvue d’une cheminée monumentale. A l’extérieur, les ouvriers disposent d’une surface de terrain pour la culture potagère.

Environ 240 personnes vivent et travaillent à la production, la Saline Royale met sur le marché entre 3000 et 4000 tonnes de sel par an. L’exploitation cesse en 1895 et le site restera à l’abandon près d’un siècle avant d’être entièrement restauré à la fin du siècle dernier, avec désormais un musée.

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Réflexions

Un manque de suite dans les idées dans le métro parisien

Les Français manquent de suite dans les idées : c’est un constat simple, mais qui semble si vrai dans les petits détails. La dernière fois, à Paris, sur une de ces lignes du centre-ville, une femme encore jeune, habillée de manière si ce n’est cossue au moins chic, s’aperçoit qu’elle devrait descendre.

Elle le fait tardivement ; elle avance, elle recule, elle tergiverse, elle ajourne son élan,

Enfin, la sonnerie retentit, les portes se ferment ou quasiment et elle, consciente de cela, passe tout de même ou du moins, tente seulement bien sûr de passer, pour s’encastrer dans les battants se fermant. Tout cela devant les yeux de contrôleurs présents juste à côté d’elle.

Un abîme de perplexité sur le visage de ceux-ci. Une attitude humaine, avec cet air gêné, qui veut éviter la moquerie mais s’aperçoit du caractère pittoresque de la scène, presque burlesque même avec les mimiques de la femme.

Puis, il y a les réactions. « La sonnerie a retenti » dit l’un, alors que l’autre a écarté les portes pour l’aider à s’extraire. La femme descend, titube en faisant quelques pas en ayant l’air de dire qu’en fait elle n’aurait pas dû descendre. Elle fait mine de remonter, alors que la sonnerie retentit de nouveau ; elle fit finalement un geste de la main qui semble vouloir dire : « tant pis ! ».

Faut-il ici se demander si dans un pays du Nord, plus policé dans ses mœurs, les contrôleurs l’eurent vertement enguirlandé, ou bien si la femme en question n’eut pas l’idée d’une telle aberration ? C’est que les Français n’ont pas de suite dans les idées. Adeptes de l’immédiatisme, ils se précipitent. Si je le pense, c’est que je le suis !

C’est comme, une chose unique à voir quand on y pense, ces Parisiens commençant à courir dans le métro, alors que la sonnerie du métro retentit et qu’ils sont loin : en haut d’un escalier, voire dans un couloir, à trente mètres, où la dite sonnerie résonne.

On se dit alors : c’est trop tard, on l’a raté. Mais comme il n’y a pas de suite dans les idées, c’est la fuite en avant. Ou bien est-ce un manque d’esprit d’à propos ?

Autre fait, plus grave, plus écœurant aussi : cette manière de laver, ou plus précisément de ne pas laver les barres métalliques plantées dans les rames de métro et servant à se tenir. Avez-vous déjà assisté à un lavage d’une de ces barres ? C’est très français.

Arrive en effet un pauvre hère, mal payé, qui très visiblement vit mal son travail. Il prend une sorte de chiffon d’une couleur indescriptible, voire non identifiable. Il le fait passer sur la barre de bas en haut. Aucun produit n’a été utilisé pour rendre utile la démarche.

Puis, il passe à la barre métallique se situant juste à côté de la première, à une cinquantaine de centimètres peut-être. Il conserve le même chiffon, faisant exactement les mêmes mouvements, avec toujours comme l’âme paralysée, l’esprit ankylosé.

Il faut se figurer ce que cela signifie. Le chiffon sale se voit ajouté de la saleté, servant de grand intermédiaire de la saleté se projetant de barre en barre, acquérant la propriété quasi magique de projeter son contenu de part en part, participant à l’essaim des saletés s’éparpillant de manière exponentielle dans toutes les rames !

Serait-ce là une allégorie de cette léthargie qui se répand, se propage, s’empare des Parisiens, les endormant au point qu’ils ne voient plus le rythme oppressant, l’aliénation sous-jacente à la « vie » dans une grande ville ? Qui les prive de cette suite dans les idées qui, après tout, est tout de même la base de toute orientation correcte dans la réalité ?

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Culture

Joint Security Area (2000)

Le film Joint Security Area, du réalisateur sud coréen Park Chan-wook, est un oeuvre à voir absolument pour qui s’intéresse à la culture coréenne, et plus généralement pour toute personne portant les valeurs de l’universalisme.

Joint Security Area

Sorti en 2000, il est souvent considéré comme le film marquant le début de ce qu’on appel la Nouvelle Vague du cinéma sud coréen.

En France ce statut est plus généralement accordé à Memories of Murder de Bong Joon-ho l’autre réalisateur phare de cette Nouvelle Vague (auxquels ont pourrait ajouter Kim Jee-woon). Cela s’explique notamment par le fait que celui-ci marque l’arrivée du cinéma sud coréen dans les cinémas de France, bien que de manière assez confidentielle, attirant principalement les cinéphiles amateurs de culture asiatique.

Joint Security Area, s’il a connu un énorme succès dans son pays d’origine, n’a pas eu accès à la sortie en salle en France et n’est sorti en DVD qu’en 2009, alors que la réputation de Park Chan-wook était déjà établi par sa « trilogie de la vengeance ».

Joint Security Area

Si ses autres films ne sont pas dénués d’intérêt Joint Security Area reste sans nul doute son oeuvre la plus aboutie et la plus intéressante, un très grand film de cinéma, et bien plus que cela.

L’histoire prend place fin des années 90 dans la « Zone coréenne démilitarisée », une zone qui longe la frontière entre Corée du Nord et Corée du sud, et plus précisément au sein de la « zone de sécurité commune » (« joint security area » en anglais), qui est sous le contrôle de l’ONU.

En ouverture du film on retrouve justement l’ONU qui a dépêché une enquêtrice Suissesse d’origine sud coréenne pour démêler le vrai du faux dans une affaire qui vient d’éclater dans la zone : un soldat sud coréen s’est retrouvé dans le poste frontière nord coréen juste en face de son propre poste de garde et y aurait abattu deux soldats du nord, un seul autre ayant survécu.

Joint Security Area

La version de la Corée du sud est qu’il s’est fait enlevé par ces soldats et a réussi à prendre la fuite en en tuant deux pour se défendre.

La version de la Corée du nord est qu’il s’est infiltré avec pour but de tuer.

Très vite, lorsque l’enquêtrice va interroger les deux soldats impliqués, on se rend compte que l’histoire est sûrement plus compliquée qu’une de ces deux versions.

La majorité du film prend alors lieu dans des flashbacks « subjectifs » dans le sens où ces flashbacks correspondront aux versions racontées par les différentes protagonistes et pas nécessairement à l’histoire telle qu’elle a réellement eu lieu.

Par l’avancée de l’intrigue et donc l’avancée des flashbacks le film va monter tout du long en intensité dramatique, jusqu’à un climax assez éprouvant, mais magnifique.

Joint Security Area

Park Chan-wook y mêle à merveille cette tension de plus en plus insoutenable à un humour bien senti qui permet d’apporter un peu d’air, sans pour autant jamais tourner en ridicule les situations. C’est d’ailleurs une particularité qu’on retrouvera souvent dans ce cinéma sud coréen, notamment dans le très dur mais parfois très drôle Memories of Murder déjà cité.

Ce difficile équilibre où de nombreux films se cassent les dents sur l’un ou l’autre des aspects (voir les deux) est possible grâce à la grande maîtrise de la mise en scène de Park Chan-wook ainsi que par la formidable prestation des acteurs qui sonne très vraie et tout simplement très… humaine. Il y a une vraie chaleur humaine qui se dégage de nombreuses séquences.

Il est d’ailleurs à noter que ce film marque aussi l’arrivée sur le devant de la scène de plusieurs acteurs que l’on retrouvera dans de nombreux films majeurs de cette nouvelle vague, dont principalement Song Kang-ho (Memories of Murder, The Host, Le bon, la brute et le cinglé…), mais aussi Lee Byung-Hun (Le bon, la brute et le cinglé, A bittersweet life, A meet the devil…), soit les deux acteurs principaux de JSA, les deux survivants de l’affaire.

Joint Security Area

Mais au delà d’un film parfaitement maîtrisé dans sa forme, c’est aussi un film important et éblouissant quand à ce qu’il raconte, ce qui en ressort, à savoir une ode à l’unité du peuple coréen. Aussi bien par l’histoire, par l’intrigue qui place la fraternité au centre, que par la mise en scène.

La plus grosse partie du film prend place dans une zone très restreinte : au niveau des deux postes de garde frontière, juste séparé par un pont de quelques mètres.

La réalisation n’aura de cesse de jouer sur cette frontière par différents plans de caméra. Ou  par des scènes comme celle où des soldats se retrouve perdus, ne sachant même pas de quelle côté ils sont.

Joint Security Area

Et cette mise en scène va plus loin puisqu’elle se joue aussi de la frontière non pas au sol, entre deux pays, mais culturelle, entre deux peuples qui ne font en fait qu’un, dans de superbes plans, transitions, ou tout simplement par le décor, les costumes, les dialogues.

Ces frontières, ces divisions, deviennent alors totalement artificielles.  

Park Chan-wook ne s’attarde jamais sur la politique des deux états, tout juste sont-ils évoqué et subtilement critiqués (comme l’ONU par ailleurs) surtout pour leur agressivité envers leur voisin. Ce qui l’intéresse vraiment c’est le peuple coréen, représenté ici par plusieurs soldats qui exercent leur service militaire, et par l’enquêtrice dont le passé que l’on découvre vers la fin du film, est lourd de sens.

Joint Security Area

Il est à noter que l’éditeur et distributeur français La Rabbia a lancé un remasterisation 4K du film tout récemment, et a permis sa diffusion dans quelques salles de cinéma. Une version DVD/BluRay a également de grande chance de sortir l’année prochaine si on s’en tient aux pratiques de l’éditeur.

Une bande annonce accompagne cette ressortie, malheureusement celle ci en révèle un peu trop sur le film dans lequel il est préférable de se lancer en en sachant le moins possible si l’histoire elle-même tellement la maîtrise du récit est totale. Rien n’est laissé au hasard que ce soit sur la forme ou dans le fond. Tout fait sens, sert le film, son propos, son intensité narrative, jusqu’à ce plan final déchirant où s’entremêlent passé et présent.

Très grand film donc, de par ce qu’il représente pour le cinéma sud coréen et même mondial, pour la Corée en terme culturel, et tout simplement par sa puissance humaniste qui ne peut laisser insensible.

Joint Security Area

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Culture

Amesoeurs d’Amesoeurs (2009)

Amesœurs est un groupe français des années 2000 qui aura réussi à incorporer des éléments de black metal à une base entre post-punk, new wave et shoegaze. La production du groupe sera décriée par nombre d’amateurs bas du front de black metal, et la formation sera en même temps qualifiée, par des personnes venant du post-punk, de la new wave, de fasciste à cause des parcours des membres du groupes. Faisons un aperçu réaliste et de gauche sur un groupe présentant une réelle valeur historique.

amesoeurs

Nombre d’amateurs de black metal ont été et sont toujours incapables de saisir la dimension romantique qui traverse l’histoire de cette branche très particulière du métal. Romantique dans l’importance accordée à la nature, dans la dimension épique de certaines formations, un certaine élitisme, dans le soin accordée à l’esthétique…

S’il ne faut pas se voiler la face, et réaliser que nombre de groupes sont tout simplement mauvais et ne sont que des copies de copies, il est impossible de ne pas voir cette tendance de fond qui est une des caractéristiques du genre. L’album Transilvanian hunger de Darkthrone en est l’exemple le plus frappant malgré toutes les polémiques.

C’est en ce sens qu’il faut savoir saisir la subtilité d’Amesœurs, qui commença avec un premier EP prometteur, Ruines humaines, en 2006.

Puis vint l’album éponyme, en 2009.

La toute fin des années 1970 et les années 1980 ont été une période de grandes productions. Elles vont vu naître des groupes de post-punk, de pop indépendante, de musique électronique influencée par la scène industrielle, comme Depeche Mode, the Smiths, the Cure ou encore le son proto-gothique de Joy Division. On y retrouve une dimension romantique, plus ou moins torturée.

A l’inverse du romantisme black metal, celui-ci est davantage introverti. Et aussi souvent bien plus profond et travaillé.

On comprend très vite qu’il y a forcément des ponts à construire entre ces deux mondes, entre romantisme du black metal et romantisme post-punk. Ceux-ci se font assez logiquement pour une petite partie des auditeurs. Et il est logique que trois décennies après les débuts de Joy Division et des Cure et que deux décennies après les débuts sulfureux du black metal norvégien, des personnes aient cherchées à réunir toutes ces influences au sein d’un album.

amesoeurs

Si l’on s’intéresse à l’album d’Amesœurs dans sa totalité, on est frappé par sa dimension expressionniste et par la critique du monde moderne et de ses villes déshumanisées. Que ce soit par les rapports entre personnes, la déshumanisation des grandes villes, l’anonymat… Le groupe qualifiera très justement leur premier et unique album de « Kaleidoscopic soundtrack for the modern era » (Bande son kaléidoscopique du monde moderne) dans le livret.

« Flânant au pied des ruches grises,

Je lève les yeux

Vers un ciel qui de son bleu

Inhabité me cloue à terre ;

Plus absent que moi encore.

Dans la vie que je mène

Chaque jour se ressemble

Et guêpe parmi les guêpes,

J’ai offert mes ailes

Aux bons plaisirs des reines imbéciles

La nuit et ses lueurs glaciales

Ont transformé la ruche malade

En un beau palais de cristal ;

Puis au petit matin,

Le soleil dévoile les plaies obscènes

De ces mégalopoles tentaculaires

Dont le venin et les puanteurs

Étouffent et violent les âmes

Qu’elles gardent en leur sein. »

Les ruches malades

Si l’on regarde l’album, le black metal est un aspect secondaire sur la plan strictement musical. Une chanson comme Les ruches malades n’en incorpore pas – du moins pas aussi clairement qu’Heurt. Il se fera ressentir principalement sur le chant : Neige crie ses paroles, Audrey S. les chante avec sa voix langoureuse qui correspond parfaitement à l’ambiance intense et mélancolique de l’album.

Toutefois, au fil de l’album, on comprend très facilement d’où vient l’atmosphère tourmentée. L’influence de Joy Division ou des Sisters of mercy se mélangent avec la noirceur du black metal.

Si la dimension expressionniste-tourmentée est un peu forcée, on ne peut qu’être admiratif du talent qui se déploie tout au long de l’album. Musicalement, c’était quelque chose d’attendu, un déploiement de toute une culture marginalisée en appelant à la sensibilité.

Même si la formation n’arrive pas au niveau des groupes anglais, cet album est une prouesse marquante. Black metal, shoegaze, post-punk et new wave se côtoient et se mêlent même par moments. Résultat : les « mégapoles tentaculaires » et la destruction de nos sens sont au cœur des paroles.

« Après une courte réflexion

Qu’une seule chose en tête :

Se perdre dans le noir, le noir abyssal,

Là où simplement rien n’existe,

Juste le vide et le refuge du silence.»

(Troubles (éveils infâmes))

On comprend qu’il soit difficile de continuer un tel projet quand on voit la noirceur qui s’en dégage. Ces Sisters of mercy français tant attendus arrivaient de plus sans l’époque capable de porter le groupe.

Eux-mêmes ne cernaient pas ce qu’ils portaient ; ils furent incapables de voir l’horizon positif nécessaire, notamment la défense de la nature, des animaux, le besoin existentiel de révolution, ce qui est ou devrait être au coeur de l’identité romantique.

Le groupe se séparera avant même la sortie de l’album. Neige continuera son groupe principal : Alceste et participera à Lantlôs. Fursy T. participera à un groupe nommé Les Discrets. Tous ces groupes sont dans la continuité d’Amesœurs. Mais aucun n’arrivera à reproduire quoi que ce soit du même niveau : trop esthétisant, trop aérien…

Quant à la chanteuse, son romantisme sombrera dans le nihilisme de l’extrême-droite. Tout cela est un véritable gâchis.

amesoeurs