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Marion Maréchal, la réaffirmation politico-culturelle du conservatisme de Droite

L’ultralibéralisme et la décadence sur le plan des valeurs dans lesquels baigne la France produisent nécessairement leur pendant : le conservatisme ultra. Marion Maréchal est assurément la figure de ce conservatisme, qu’elle entend régénérer politiquement et culturellement, en réaffirmant la Droite. Elle considère dans cet optique le mouvement des gilets jaunes comme la possibilité d’un « grand mouvement conservateur ».

Marion Maréchal Le Pen

Marine Le Pen aurait commenté récemment, a priori sur le ton de la boutade, que sa nièce devrait prendre la direction du parti de la Droite Les Républicains, parce que sa ligne serait celle de la droite de Laurent Wauquiez, le chef du parti.

Cela n’a rien d’absurde, tellement une partie de la Droite est de plus en plus proche du Rassemblement National tandis qu’une autre se situe dans l’orbite d’Emmanuel Macron, du libéralisme de l’Union-Européenne, et donc finalement surtout du modernisme centriste.

Cette Droite qui s’oriente vers le Rassemblement National est justement celle qui soutien et voit d’un bon oeil le mouvement des gilets jaunes. Il est donc tout à fait logique que depuis le début, Marion Maréchal soutienne « l’énervement général » porté par les gilets jaunes et qu’elle n’avait pas hésiter à se rendre à la manifestation des Champs-Élysées le 24 novembre. C’est un moyen pour elle d’exprimer politiquement et culturellement son affirmation de la Droite.

Le grand projet de Marion Maréchal est son école de science politique, l’ISSEP, qui se veut précisément une École de droite, en opposition aux Écoles classiques françaises qu’elle considère de gauche.

Sa récente intervention sur le thème « Quel avenir pour les Droites ? » lors du lancement du Cercle AUDACE était de cet acabit. L’ambition de ce réseau est de permettre une alliance des courants de la Droite avec un horizon plus ou moins affirmé des prochaines élections municipales.

Le propos de Marion Maréchal n’était pas politique dans le sens électoral, mais politico-culturel. La question du conservatisme y était centrale. Il s’agit pour elle d’expliquer que le souverainisme, ce que nous appelons le nationalisme, n’est pas suffisant. Elle a compris qu’il faut surtout des valeurs, une vision du monde, pour mobiliser la société.

Elle a donc surtout parlé d’« ordre social » contre « le relativisme ambiant », de marchandisation de la filiation en dénonçant la « pratique abominable » de la GPA ou encore d’islamisation.

Il y a en arrière-plan de cela une critique de la ligne de sa tante qui avaient fait du FN avec Florian Philippot un parti focalisant sur des thèmes économiques et sociaux, s’adressant majoritairement aux classes populaires, débauchant des syndicalistes, tendant à brouiller le clivage Droite/Gauche.

Elle a dénoncé, de manière très complexe et intelligente, les limites du populisme, qu’elle considère de manière bienveillante en tant qu’opposition au libéralisme, mais insuffisant en tant que cela porte un style plébéien. Le problème selon elle est de viser les élites de manière unilatérale, alors qu’il faudrait plutôt reformer ces élites, ce qu’elle envisage avec l’ISSEP.

Devant un public composé surtout de « chefs d’entreprise, industriels, entrepreneurs ou financiers âgés de 25 à 70 ans » comme l’a rapporté le journal de la Droite Le Figaro, elle a donné l’exemple la Ligue italienne qui a su rassembler une partie de la base industrielle du Nord du pays. Elle a expliqué de manière tout à fait typique à Droite qu’un projet de justice pour les classes populaires n’était pas incompatible avec les classes moyennes et la bourgeoisie.

Il faut bien-sûr considérer ici les choses électoralement, avec cette question du « plafond de verre » que le FN n’a jamais réussi à dépasser, qui pourrait voler en éclat en cas d’alliance avec la Droite.

Mais l’arrière-plan de cette alliance qu’elle souhaite est surtout culturel. C’est pour cela qu’elle verrait d’un bon œil la tête d’affiche aux élections européennes de l’adjoint au maire de Versailles François-Xavier Bellamy pour Les Républicains. Celui-ci s’était affirmé sur le plan des valeurs en tant que meneur du mouvement des Veilleurs, issu de la Manif pour tous.

Pour l’ancienne plus jeune députée de la Ve République, ces valeurs s’incarnent dans le refus de la « fascination pour le progrès » des élites qui s’oppose à « l’héritage ». C’est la définition de son conservatisme, qui s’oppose également à l’« universalisme » des élites, qui est en fait surtout un cosmopolitisme à lequel elle oppose « le particulier et le local ».

Sa proposition est donc le repli sur soi, selon cette considération que « le passé est toujours plus inoffensif que l’avenir ». Dans cette optique, la pensée des Lumières, qui est un matérialisme, une expression progressiste, est critiquée ouvertement, ce qui est typique et caractéristique du fascisme dans son essence idéologique.

Le conservatisme qu’elle défend se pose comme défenseur de la civilisation face à la décadence du capitalisme, mais il ne s’oppose aucunement au capitalisme.

La question du capitalisme est considéré comme secondaire, relative, parce qu’il suffirait de le soumettre au projet politico-culturel du conservatisme. Il s’agit pour elle d’abord d’une « disposition à penser et agir d’une certaine manière », qui ensuite doit se transformer en mouvement politique.

On aura compris bien-sûr a quel point cela fait écho à la démarche des gilets jaunes, dont elle est une des expressions intellectuelles. La question est celle de l’alternative, pour faire face au désenchantement que génère la crise du capitalisme.

Et c’est là que le clivage entre la Gauche et la Droite s’affirme, ou en tous cas devrait s’affirmer de plus en plus pour savoir qui porte la civilisation. Sont-ce les conservateurs ou les progressistes ? Faut-il la Nation ou le Socialisme ? Qui doit diriger, la bourgeoisie ou la classe ouvrière ? Tels sont les grandes questions de notre époque, qui nous opposent frontalement et directement à cette figure qu’est Marion Maréchal.

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Le quatrième samedi des gilets jaunes

La France a été pour la quatrième fois d’affilée la spectatrice passive de sa propre crise. Avec intérêt, curiosité, inquiétude, mais sans aucune percussion sur le plan des idées, des raisonnements. Le mouvement des gilets jaunes ne transporte pas avec lui de valeurs nouvelles, il ne véhicule pas des réflexions sur le sens de la vie sociale.

Cette passivité n’est guère étonnante : les gilets jaunes sont une crise et rien d’autre. Le mouvement est porté par des gens qui ne veulent pas de grandes réformes sociales, de grandes augmentations. Ils veulent juste qu’on arrête des les faire « chier » et donc qu’on arrête de les mettre économiquement sous pression.

Tout cela est très flou et diffus, aussi, le mouvement ne cesse pas malgré le recul du gouvernement sur l’instauration de la taxe sur les carburants. 125 000 personnes se sont mobilisées pour la quatrième journée de manifestation, avec encore une fois des accrochages sévères avec les forces de l’ordre. Il y a eu d’ailleurs 1385 interpellations et 974 gardes à vue pour des affrontements qui ont eu lieu à Caen, Toulouse, Saint-Étienne, Marseille, Bordeaux… mais aussi relativement à Nantes ou Lyon.

À Paris, on a eu le droit à une autosatisfaction de la part des autorités sur le fait que le dispositif policier était plus mobile et a pu tuer dans l’œuf un nouvel affrontement massif avec des placements préventifs en garde-à-vue. L’État a montré qu’il peu très bien maintenir l’ordre dans sa capitale s’il le souhaite, et les casseurs ont prouvé à nouveau, s’il en était besoin, la vanité et surtout la nullité de leur démarche.

Le mouvement ne s’est pas élargi, malgré le démarrage de blocages dans les lycées, avec une répression policière sévère. Il faudrait pour cela qu’il porte quelque chose, or il ne le fait pas. On est dans la crise dans le symbole, comme avec ce gilet jaune qui s’est mis sur la statue de la place de la République à Paris pour tenir un détournement du tableau « La liberté guidant le peuple », avec Marianne en gilet jaune.

Emmanuel Macron le sait très bien et compte faire une intervention télévisée lundi soir, afin de demander aux gens de rentrer dans le rang, en échange de mesures fiscales. Cela suffira-t-il ? Bien entendu que cela suffira, car il n’a en face de lui que des expression épidermiques, une prise de rage, des slogans sans pertinence politique comme « Macron rend le pognon », « Macron démission » ou bien même « halte aux fins de mois du monde difficiles ».

Il y aura peut-être quelques initiatives et quelques heurts, mais le pic est passé. Le chef va siffler la fin de la récréation, et l’extrême-droite va bientôt pouvoir compter tous les bénéfices indirects d’une révolte qui aura été, avant tout, une révolte contre la révolte contre le capitalisme.

Les « classes moyennes » auront eu leur « mai 68 », le Fascisme a un boulevard.

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Politique

Gilets Jaunes et Mai 68

Depuis le début du mouvement dit des « Gilets Jaunes », les références à Mai 68 se multiplient. Ces références ont quelque chose de juste : elles témoignent de l’ancrage profond de ce grand bouleversement historique dans le cœur des masses populaires. La grande masse des gens sait que la rupture se réalise dans la confrontation avec le centre des institutions, en dehors des cadres pacifiés de la contestation. C’est là le sens du « retour » de la « centralité ouvrière ».

Gilets jaunes Mai 1968

Mais en rester à ce simple constat, ce serait faire preuve d’un formalisme qui enferme la Gauche depuis bien trop longtemps dans la passivité idéologique. Les comparaisons à Mai 68 illustrent aussi un autre aspect qui est la détérioration terrible de la conscience de classe.

Mai 68 fut une contestation autonome de tout l’ordre social établi. Ce ne fut pas une simple « protestation », un « coup de gueule » réductible à une juxtaposition de « colères ». L’autonomie de est essentielle à Mai 68, puisqu’il émerge d’organismes à la gauche du PCF/CGT et généralise le principe de l’assemblée (ouvrière et étudiante) avec le principe de l’extra-parlementarisme.

Il y a une remise en cause profonde de l’ordre social avec une « subversion » de la société (les étudiants d’origine petite-bourgeoise qui vont à l’usine, les artistes qui se mettent « au service du peuple »). Il y a une critique de la société de consommation, des rapports sexuels, de la vie individuelle. Les courants gauchistes structurent des milliers de personnes et le marxisme a l’hégémonie culturelle. Tout se reflète dans un style militant, une agitation typique de cette époque. Ce style, cette culture se traduisent par exemple par la création d’affiches aux slogans originales.

Dans le même temps, les forces de droite s’unissent et c’est un million de personnes qui manifestent le 30 mai 1968 ; la gauche et la droite s’affrontant, jusqu’à ce que certains y voient le prélude à une « guerre civile ».

Lorsque l’on sait un minimum tout cela, est-il bien sérieux de prendre pour « argent comptant » la comparaison des Gilets jaunes avec Mai 68 ? Comme le dit le dicton populaire, « comparaison n’est pas raison » et cela est vrai pour notre cas actuel.

Plusieurs caractéristiques devraient alerter la Gauche : où est l’activisme des Gilets jaunes, en dehors d’une occupation stérile d’un rond-point ? Où sont les affiches exprimant une critique concrète de la vie quotidienne ? Sans grève interprofessionnelle, où est la rupture réelle avec les institutions ?

De ce point de vue, la révolte de novembre 2005 a bien plus un rapport avec Mai 68. Le font culturel, de la musique « Qu’est-ce-qu’on attend ? » de NTM au film « Ma cité va craquer », exprimait une critique profonde avec la vie quotidienne (par exemple l’enfermement dans les tours bétonnées). Alors que Mai 68, la faculté et l’usine sont occupées grâce à la grève, c’est le lieu de vie direct qui est attaqué par les émeutiers de 2005. Dans les gilets jaunes, on peut tout voir sauf Mai 68 : c’est la marseillaise qui chantée, c’est le drapeau tricolore qui est brandi, c’est le refus des taxes qui cimente, c’est l’antiparlementarisme qui oriente. L’occupation des rond-points, bien que stratégique dans le capitalisme avancé, relève ici bien plus de l’enfermement objectif dans un mode de vie plutôt que de son émancipation.

Le recours à Mai est ainsi révélateur du pillage historique qu’effectue la petite-bourgeoisie radicalisée par le fascisme. Elle se prétend être à l’avant-garde de l’Histoire, alors que son héritage se situe en réalité bien plus dans le poujadisme et le boulangisme que dans Mai 68.

Il ne faut pas se laisser embrumer par l’apparence sociale de la contestation : déjà le boulangisme à la fin du XIXe siècle prétendait à l’action sociale et revendiquait l’héritage de la Commune de Paris, favorisant le ralliement de nombreux ex-communards (blanquistes surtout) au mouvement.

Au fond, lorsque l’amnésie idéologique règne sur un grand mouvement d’émancipation, le fascisme s’engouffre dans la brèche pour tout désorienter, tout paralyser. C’est le cas pour l’actuelle mouvement des gilets jaunes.

Mais alors qu’en est-il de la composante ouvrière qui développe ses références à Mai 68 ? Est-elle simplement déformée par la petite-bourgeoise ?Il y a, sans aucun doute, un parasite idéologique effectué par l’attitude colérique de la petite-bourgeoisie mais cela n’est qu’un aspect du problème car la classe ouvrière développe ses propres références. Celles-ci sont cependant d’ordre purement économiques ; Mai 68 n’ayant été qu’un gros mouvement syndical qui obtenu des « avancées sociales ». Tout le contenu idéologique et politique, notamment incarnée par la jeunesse ouvrière, est mis à la poubelle : il y a une amnésie ouvrière.

Alors, à qui la faute ? Les principaux responsables sont à rechercher du côté des anciens activistes de Mai 68 eux-mêmes qui se sont réfugiés au cours des années 1990 dans le syndicalisme et l’altermondialisme – qui est fut un relais à l’objectif au populisme avec sa critique de l’ « oligarchie financière ».

La stabilisation d’un héritage ouvrière de Mai 68 a été rendu impossible du fait que les ouvriers ont été « déplacés » vers la péri-urbanité lorsque les « ex » dirigeants soixante-huitards se sont rapprochés de la ville par la poursuite de carrières universitaires. Les « ex » restés au plus près des ouvriers ont fini par se décomposer dans le syndicalisme, effaçant toujours plus le contenu culturel des années 68.

On se retrouve alors cinquante ans plus tard avec une classe ouvrière qui a maintenu un héritage, mais en l’absence d’une continuité dans les cadres politiques, en a liquidé les principes fondateurs. Les références à Mai 68 par les gilets jaunes expriment ainsi un double aspect : d’un côté, il y a le maintien d’une mémoire de classe, et d’une autre côté il y a le dévoiement de cette mémoire de classe. Il y a le forme et il y a le fond.

La forme, c’est Mai 68 vu à travers l’émeute, les voitures brûlées et les confrontations avec la police. Le fond, c’est l’hégémonie culturelle de cette époque, marquée par la prégnance du socialisme et de ses symboles. Lorsqu’un mouvement social dynamite le fond d’un événement pour en garder seulement la forme, c’est ce qu’on appelle du « révisionnisme ». C’est l’attitude typique des couches sociales petites-bourgeoises qui, empêtrées dans leur irrationalité et se pensant au centre de l’Histoire, sont obligées de travestir la réalité.

Or, le fond est toujours l’aspect principal et cela doit amener la Gauche à se positionner en faveur d’un véritable travail de formation des cadres politiques au cœur de la classe ouvrière. L’abandon de toute dynamique idéologique, de toute formation de cadres ouvriers renforcent la voie du populisme et du fascisme car lorsqu’il y a une faille ouverte pour le pillage historique, les luttes de classe sont désorientées. C’est le sens de la comparaison des Gilets jaunes avec Mai 68.

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Société

La vanité de la pétition «Pour une Baisse des Prix du Carburant à la Pompe !»

L’immense succès de la pétition intitulée « Pour une Baisse des Prix du Carburant à la Pompe ! » s’appuie sur une mentalité profondément étroite, conformément à l’esprit de la jacquerie fiscale des gilets jaunes.

« Pour une baisse des prix du carburant à la pompe »La plate-forme change.org permet de mettre des pétitions en ligne et d’obtenir des signatures. C’est ainsi que la pétition contre la loi travail a eu énorme succès et il en va de même pour celle-ci, qui en a obtenu presque autant. Ce 7 décembre 2018, elle recueille plus de 1 124 115 signatures.

Elle pose un véritable problème, à la fois intellectuel, moral et politique. Sans parler des propositions farfelues, niant la réalité matérielle, naturelle, pour soit-disant permettre le remplacement des carburants actuels.

La Démocratie a comme principe de permettre l’expression de chacun, ce qui est une valeur essentielle. Mais le capitalisme ne fabrique pas des citoyens, il déforme les personnalités pour en faire des individus égoïstes, égocentriques, ne s’appuyant sur leur ego.

Cette pétition n’apparaît donc que comme une sombre vanité, une prétention résolument antipolitique et antidémocratique, dans la mesure où ce qui est dit est totalement stupide et où les revendications sont censées être satisfaites par l’assemblage de signatures individuelles.

C’est là très directement ce qu’on appelle le populisme ; c’est exactement ce que réfute le Socialisme, en tant qu’expression consciente, rationnelle, d’une perspective étudiée, travaillée, et cela sur la base d’une classe.

Car la pétition se veut surtout une longue analyse de la situation, une évaluation de faits, avec des contre-références s’appuyant sur « YouTube, Les Echos, France-Infos, Le Télégramme, Challenges, Agoravox, Echologique-solidaire, Prix du Baril, CeeEnergie, Le Figaro, Connaissance-des-Energies. »

Une accumulation censée justifier le caractère prétendument sérieux de l’opération, qui valorise concrètement le point de vue de « l’Association nationale de défense des consommateurs et usagers » et qui consiste à remettre en cause toute fiscalité écologique. Cela car :

« Nous sommes déjà dépendants des cours du pétrole, il n’est pas question qu’en plus nous subissions une augmentation des taxes »

On l’a compris, cette pétition reflète l’esprit des gilets jaunes, avec cette posture du consommateur insatisfait, qui pratique par conséquent une jacquerie fiscale, dans le déni tant de la démocratie que de la réalité économique du pays, du monde, sans parler de l’écologie.

Son initiatrice Priscillia Ludosky a d’ailleurs été reçue par le gouvernement comme pseudo porte-parole du mouvement. Elle dirige une société de vente en ligne de cosmétiques bio et de conseils en aromathérapie. « Propriétaire » à Savigny-le-Temple en Seine-et-Marne, elle expliquait dans Le Monde se frustration de ne pas avoir pu acheter plus près de Paris.

Sa pétition a été écrite en s’appuyant sur cet esprit de jacquerie, de rejet des dirigeants :

« Je pense pouvoir parler au nom de toutes les personnes qui n’en peuvent plus de payer pour les erreurs des dirigeants et qui ne souhaitent pas toujours tout payer et à n’importe quel prix ! »

Toute la dimension anti-socialiste réside dans cette considération qu’il y aurait des erreurs des chefs, alors qu’il s’agit d’un système économique, d’une classe dominante. Et nous sommes en France en 2018, la personne écrivant cela sait très bien qu’en disant une chose et pas une autre, elle assume le refus catégorique de dénoncer le capitalisme.

La pétition demande, dans la logique des choses, que l’État soutienne les entreprises, qui devraient recevoir des subventions pour s’installer dans davantage d’endroits pour qu’il y ait moins de transports. Il faudrait également que les entreprises acceptent le travail à domicile et, dans ce rêve fou d’un capitalisme à visage humain, il y a l’appel à… utiliser l’eau pour la transformer en carburant !

Sauf qu’en réalité, les exemple cités ne concernent que des réglages de moteurs à l’aide d’un peu d’eau, et encore que cela ne concerne que les vieux moteurs diesels car la plupart de ceux en circulation maintenant ont des optimisations rendant caduque ce type de bricolage.

L’exemple de l’utilisation de l’eau de mer par la Marine américaine est quand à lui complètement délirant, compris de manière idéaliste. Il n’y a pas de magie permettant de mettre de l’eau de mer dans les moteurs actuels pour remplacer l’essence ; l’exemple cité nécessite de grandes quantités d’énergie et une mise en œuvre tout à fait expérimentale pour littéralement casser des molécules d’eau de mer, autrement détruire la nature pour  servir les intérêts stratégiques d’indépendance de l’armée américaine !

Quoi qu’il arrive, il faut en amont une source d’énergie polluante, et il en est de même pour les véhicules électriques. Ils sont mis en avant dans la pétition alors qu’ils ne sont pas du tout une solution souhaitable, à moins là encore de soutenir l’appareil militaro-industriel français et de souhaiter l’extension des centrales nucléaires.

En l’état, le réseau français n’est pas du tout capable de soutenir une massification des véhicules électriques, qui poseraient d’ailleurs un grand problème de pollution à cause de leurs batteries. Ce problème des batteries concerne évidemment aussi les véhicules hybrides, qui d’ailleurs en pratique n’ont pas une très grande efficacité pour réduire la consommation de carburant et la pollution.

Cette pétition, c’est la démocratie version Youtube et Coca-Cola, avec l’appui du patronat. C’est le degré zéro de la réflexion intellectuelle, de la connaissance historique et scientifique, de l’approche critique des faits.

On a ici une démonstration d’infantilisme petit-bourgeois, qui se cumule avec la vanité de l’individu aliéné prétendant pouvoir juger en fonction du vécu de son petit moi, sans en rien se soucier du reste de la société, de la planète, et encore moins en ayant une exigence de complexité.

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Les points de vue de la Gauche sur les gilets jaunes

La Gauche a réagi de manière assez différente quant aux gilets jaunes, mais toujours autour de deux pôles. Selon la proximité pratique avec Jean-Luc Mélenchon, on est dans une lecture très positive, ou bien au contraire dans une appréhension très grande du tournant que risque de prendre les choses.

Gilets jaunes

Voici une liste de liens concernant la Gauche prise au sens le plus large, certainement en manquent-ils par ailleurs. On a cependant une représentativité assez grande d’une Gauche qui est somme toute divisée en deux camps.

Le premier camp a de manière très nette La France Insoumise comme centre de gravité. S’il est plus ou moins critique des gilets jaunes, il est en tout cas résolument optimiste quant au fait que cela va aller dans le sens d’une crise de régime, en penchant à gauche de la gauche.

C’est, si l’on veut, la Gauche qui se définit par les mouvements sociaux, les manifestations, les militants. On y retrouve notamment les courants liés au trotskysme ou à la gauche du PCF, dans l’idée de « déborder », d’aller plus loin, de provoquer la crise, etc.

Le second camp est nettement plus circonspect. Il voit en les gilets jaunes un noyau dur lié aux indépendant, artisans, commerçants, professions libérales, petits patrons, etc. Il a une grande méfiance quant aux mentalités des gilets jaunes et surtout quant à leur ouverture d’esprit éventuelle aux discours de la gauche « sérieuse », de la gauche des valeurs, de la gauche « programmatique ». Il appréhende de manière franche un puissant coup de barre à droite.

C’est, si l’on veut, la Gauche qui se définit par les écrits théoriques, les traditions politiques, les cadres. Et cela, quel que soit l’arrière-plan (communistes conseillistes du CCI, communistes maoïstes du PCF(MLM), groupes de la Fédération anarchiste, etc.).

Un troisième camp, mais il n’existe pas en tant que tel, oscillant entre les deux camps, est composé de ceux pour qui tout va trop vite. Le Parti socialiste ne publie qu’un communiqué sut twitter, d’autres ne disent rien du tout malgré tout un fond activiste (CNT, CNT – SO, CGA, CPS), les courants liés à « l’autonomie italienne » disent tout et son contraire (Lundi.am, agitation autonome, etc.).

Cette description sommaire ne peut bien entendu pas effacer les différences d’approches, de considérations des uns et des autres, ni même la liste prétendre à l’exhaustivité.

Alternative libertaire
Gilets jaunes : Qui sème la misère récolte la colère

APRÉS + MRC
« Gilets Jaunes : il y a urgence à agir »

Confédération Nationale du Travail – AIT
De l’écologisme et de sa contestation

Coordination Communiste 59/62
Gilets jaunes, gilets rouges: Unité dans la lutte contre la vie chère!

Courant communiste révolutionnaire du NPA
Gilets Jaunes. Quand les masses entrent en action

Europe écologie les verts
Discours de David Cormand au Conseil fédéral

Fédération anarchiste- Collectif Athéné Nyctalope
Le choix dangereux du confusionnisme. Soutenir les « gilets jaunes » c’est soutenir un mouvement de droite

Génération.s
Communiqué de presse de Benoît Hamon

Génération Écologie
Communiqué de presse

Groupe marxiste internationaliste
À bas Macron ! Manifestation nationale unie à l’Élysée !

La Commune – pour un parti des travailleurs
Soutien inconditionnel aux gilets jaunes

La France Insoumise « Fédérer »
édito de Matthias Tavel

La Riposte
Gilets Jaunes : une révolte à comprendre et à soutenir !

Lundi.am
Gilets jaunes : la classe moyenne peut-elle être révolutionnaire ?
Prochaine station : destitution

Lutte Ouvrière
Se dresser contre Macron… et contre ses maîtres capitalistes

NPA
Gilets jaunes : les enjeux d’une mobilisation populaire

NPA Jeunes
La colère éclate, ne restons pas sur le bord de la route !

Organisation Communiste Libertaire
Réflexions sur le mouvement des gilets jaunes

Organisation Communiste Marxiste-Léniniste Voie Prolétarienne
Que penser du mouvement des gilets jaunes ?

Parti Communiste Français
Pouvoir d’achat : Fabien Roussel s’adresse au Président de la République

Parti Communiste de France (marxiste-léniniste-maoïste)
La petite-bourgeoisie et la crise générale du capitalisme

Parti Communiste International (Gauche Communiste)
La France des Gilets Jaunes, une nouvelle impasse pour le prolétariat français

Parti Communiste International (Le Prolétaire)
«Gilets Jaunes» : L’interclassisme est contraire aux intérêts des prolétaires

Parti Communiste Révolutionnaire de France
Tous ensemble contre la politique de Macron, l’homme du capital financier !

Parti Communiste des Ouvriers de France
Mettre les exigences ouvrières et populaires au centre de nos mobilisations !

Parti Ouvrier Indépendant
Une colère légitime contre Macron

Parti révolutionnaire Communistes
Gilets jaunes

Parti socialiste
L’appel des socialistes avec Olivier Faure pour sortir le pays du blocage où l’a conduit le gouvernement

Place Publique
Gilets jaunes et pétro-impasse

Pôle de Renaissance Communiste en France
Seul le peuple est légitime : MACRON DEMISSION ! Appel Pétition #giletsjaunes

Révolution Internationale, Section du Courant Communiste International
Mouvement des « gilets jaunes » : contre les attaques de la bourgeoisie, le prolétariat doit riposter de façon autonome, sur son propre terrain de classe !

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Jean-Claude Michéa n’aime que ce qui lui est familier

En accordant une entrevue au Figaro Magazine, Jean-Claude Michéa montre qu’au-delà de ce qui est de droite ou de gauche, ce qui compte pour lui c’est le passé.

Michéa Le Figaro

Les penseurs aiment les lieux familiers. Quand on pense beaucoup, à plein de choses, on aime à se retrouver dans des endroits qui rassurent, dans la mesure où ils évitent la dispersion. Est-ce pour cela que les philosophes antiques avaient souvent leur jardin, comme Platon avec son académie, Aristote avec son lycée, Épicure avec son jardin ?

Comme pour marcher dans un endroit connu, pour penser à tout le reste du monde ?

Jean-Claude Michéa aime en tout cas les lieux familiers. C’est pour cela qu’il s’est installé au fin fond de la campagne, là où il n’y a rien, où il coupe lui-même son bois de chauffage, préférant cette vie « dix fois plus rude, mais cent fois plus belle ». Là au moins, tout est toujours pareil, rien ne change, c’est rassurant.

C’est pour cela aussi qu’il fréquente la même librairie à Mont-de-Marsan, qui fait tout de même 570 m². C’est rassurant pour la dimension intellectuelle. Il faut son confort et puis là-bas, il n’y aura pas de contestation.

On l’a compris, Jean-Claude Michéa n’aime donc pas être dérangé. C’est certainement aussi pour cela qu’il a raté mai 68, par souci de confort. Car Jean-Claude Michéa est né en 1950, ce qui en toute bonne logique devrait faire de lui quelqu’un ayant connu ce grand épisode historique. Il était cependant au PCF, qu’il a quitté peu après, et le PCF était contre mai 1968.

On ne saura pas étonné donc qu’à l’occasion du mouvement des gilets jaunes, il ait accordé un entretien au Figaro Magazine. Pourquoi un auteur se définissant comme un grand pourfendeur du libéralisme s’exprime-t-il dans la revue du week-end de la bourgeoisie ? Mais justement parce qu’elle est familière ! Elle aussi s’est opposée à mai 1968, elle aussi vit dans le passé.

Car Jean-Claude Michéa n’est pas que quelqu’un qui est largement connu dans les milieux intellectuels pour son ambiguïté fondamentale, puisqu’il combine une rejet du libéralisme avec une position de révolte contre le monde moderne, c’est-à-dire qu’on ne sait jamais en apparence s’il faut le classer à l’extrême-droite ou l’extrême-gauche. Il est lui-même cette ambiguïté.

C’est-à-dire que le type est perdu dans sa tête. Il prend la pose dans la librairie, faisant semblant de lire un livre pour le journaliste du Figaro, explique qu’il y a des gens bien à Droite qui préfèrent les valeurs traditionnelles à l’argent… Tout en dénonçant le marché, qui est pourtant porté de manière assumée par la Droite et le Figaro.

Et tout ce qu’il trouve à raconter au journaliste du Figaro, c’est que les chasseurs sont d’une grande profondeur et que les vegans ont tort de manger des légumes car leur production détruit la planète. Autant dire qu’on atteint ici un niveau d’arriération culturelle et psychologique somme toute assez traditionnelle en France.

Quand on capitule dans notre pays, quand on cède devant les traditions et la pression intellectuelle de la bourgeoisie, on prétend toujours qu’on a choisi quelque chose de différent, qu’on a compris quelque chose qu’on avait pas vu avant, que c’est tout un aboutissement.

Jean-Claude Michéa, pseudo porte-parole de la France réelle des gens normaux qui souffrent, n’est en réalité que la voix du conformisme ambiant, tout comme l’a été son maître à penser, Orwell, en Angleterre, qui collaborait avec les services secrets pour dénoncer les communistes.

Son interview au Figaro magazine, en plein mouvement des gilets jaunes, pour se présenter comme l’un des chefs de file intellectuel d’une révolte d’en bas, est en totale convergence avec les intérêts du capitalisme. L’objectif de cette opération est de pousser toute révolte dans le mauvais sens, d’échapper à toute critique de la bourgeoisie comme classe !

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Les Gilets jaunes ou l’absence de surface de la Gauche

La mobilisation des Gilets jaunes reflète la non-existence d’une base militante à Gauche. Il n’y a tout simplement plus de surface sociale et culturelle qui fasse écho à la Gauche politique ; tout au plus y a-t-il des réseaux syndicaux.

gilets jaunes

La Gauche est née comme mouvement ouvrier, c’est-à-dire comme mouvement politique se fondant sur les ouvriers et leurs intérêts, prenant le travail salarié comme base de son identité.

C’est le cas en France aussi, mais il est un mal qui a commencé dès le départ et qui a persisté : l’absence de surface. Le mouvement ouvrier a été d’une taille immense en Allemagne, en Angleterre, dans le Nord de l’Europe et à l’Est, voire même au Sud. Mais en France, il a toujours été minoritaire.

Les socialistes des années 1910 étaient insignifiants numériquement (mais pas du tout électoralement), la CGT était minoritaire. Il en va de même pour les socialistes et les communistes des années 1920 et s’il n’y avait eu le Front populaire, puis la Résistance, il en aurait été de même. Même mai 1968 n’a pas apporté de flux massif.

Aujourd’hui, les gains du Front populaire et de la Résistance – le PCF est le premier parti de France après la guerre – se sont évaporés. Il n’y a plus de regroupements socialistes et communistes dans les usines et les entreprises, il n’y a plus systématiquement de groupes locaux actifs et ancrés dans la population, il n’y a plus de base sympathisante relativement volontaire, il n’y a pareillement plus de syndicat étudiant de masse et militant dans les universités.

L’existence des Gilets jaunes témoignent de cette absence de surface. D’abord, parce que leur populisme montre bien que sur le plan des idées, les Français sont arriérés et bon pour le fascisme s’ils continuent comme cela. Fonctionner à coups de raccourcis et sur le mode du coup de gueule, dans le rejet de toute réflexion politique et de perspective à moyen terme, sans parler de la question d’envergure, ce n’est juste pas possible.

Politiquement, les Gilets jaunes, c’est Donald Trump sans les millions.

Et à l’inverse, les Gilets jaunes expriment aussi la libération d’une lutte sociale des carcans d’une Gauche qui a trahi la lutte sociale au nom du ministérialisme. Les Gilets jaunes sont le prix populaire à payer pour les trahisons institutionnelles de la base populaire.

Socialement, les Gilets jaunes, c’est la revanche sociale anarchiste sur les ministres.

Nous voilà donc ramenés, en quelque sorte, à la fin du 19e siècle, à un moment où la Gauche n’existe pas, est d’une faiblesse inouïe, dispersée et incohérente. N’existe alors que des ministres progressistes élus sur une base de modernité laïque, et des courants anarchistes anti-ministérialistes, comme les syndicalistes et les bombistes (comme Ravachol, Emile Henry, etc.).

Aujourd’hui, on a à peu près pareil, avec d’un côté les ministres progressistes d’Emmanuel Macron présentant la modernité turbo-capitaliste comme le progrès, de l’autre des syndicalistes jouant la carte du forcing (comme avec les cheminots) et une frange anarchiste surfant sur l’esprit zadiste.

Mais il n’y a pas de Gauche politique, il n’y a pas de surface de la Gauche. Il y a des débris passant qui dans le camp postindustriel, qui dans le camp de l’Union Européenne, mais jamais dans celui de la classe ouvrière et de l’histoire du mouvement ouvrier.

Car il ne s’agit pas de reconstituer la Gauche d’il y a peu, ce n’est pas possible : il faut comprendre pourquoi à la base même – et la réponse est dans la prédominance des syndicats, leur indépendance – la Gauche politique n’a pas été capable en France d’avoir un véritable niveau idéologique et un véritable ancrage populaire dans tout le pays.

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Les Gilets Jaunes, aussi une réaffirmation de la centralité ouvrière

Si le mouvement des gilets jaunes a été déterminé par les artisans, commerçants indépendants, etc., il a charrié avec lui une vraie vigueur ouvrière. Cela correspond à toute une réaffirmation historique, replaçant la classe ouvrière comme élément central de toute orientation conséquente.

Gilets jaunes

Les Gilets Jaunes sont l’expression de la contradiction ville-campagne. C’est une crise objective du mode de vie de la population vivant et travaillant en dehors des grandes villes. En ce sens, si le mouvement est largement dirigé socialement et idéologiquement par la petite-bourgeoisie, notamment les commerçants, artisans, indépendants, etc., il est indéniable qu’une partie de la classe ouvrière a été absorbée dans la dynamique.

La naissance de la gauche moderne s’est faite avec la formation du mouvement ouvrier. À partir de 1789-1793, les courants de gauche puisent leur dynamique dans la mobilisation des classes populaires et c’est au XIXe siècle que la classe ouvrière, délimitée par un mode de vie précis, devient centrale pour la Gauche.

Des années 1930 aux années 1970, la classe ouvrière se trouvent à l’avant-poste de la contestation sociale et politique. La SFIC et la CGT-U (puis CGT) parviennent à organiser les parties les plus avancées de la classe dans des interventions historiques déterminantes.

Sans les ouvriers organisés, pas de conquêtes sociales en 1936. Sans les ouvriers organisés, pas de résistance armée en 1942-1944. Sans les ouvriers organisés, pas de lutte anti-coloniale dans les années 1950. Sans les ouvriers organisés, pas d’offensive réelle dans les années 1970.

En bref, la classe ouvrière est depuis l’avènement du capitalisme, la classe motrice de l’Histoire. Ce n’est pas une vue gauchiste de l’esprit mais un fait historique. Ce réalisme politique était tellement acquis dans les années 1968 que ce ne sont pas moins de 3 000 militants révolutionnaires d’extraction non ouvrière qui ont effectué une rupture sociale pour s’établir en « zone ouvrière ».

Mais cet acquis majeur de la Gauche depuis le XIXe siècle a toujours plus reflué à partir des années 1980. En cause, notamment, l’enfermement dans une logique syndicale des militants « établis » broyés sous le poids de la restructuration sociale et le grand lessivage idéologique des années Mitterrand.

Il s’en est suivi une grande période où la classe ouvrière fut qualifiée de « dépassée », voire au pire « morte ». La lutte des classes a bien évidemment continué, mais la Gauche, toujours plus aliénée dans les milieux universitaires et intellectuels des grandes villes, s’est séparé de la classe ouvrière. La stratégique « centralité ouvrière » a été jeté par dessus bords.

Cette transformation politique et idéologique explique d’ailleurs pourquoi l’extrême-gauche a loupé la grande rébellion de novembre 2005. Justement, cette grande rébellion a failli, entre autres, à cause de l’absence d’unité organique de la classe ouvrière et unifier le peuple c’est le rôle historique de la Gauche.

Avec ce mouvement des gilets jaunes, la Gauche se retrouve face à ses propres errements politiques et idéologiques depuis 30 ans. Elle s’aperçoit que la classe ouvrière existe toujours, mais elle la retrouve largement façonnée par le dernier cycle d’accumulation capitaliste, celui de l’industrialisation des campagnes, de la flexibilité sociale, de la production à flux-tendu avec ses zones industrielles éclatées, de l’accès des ouvriers à la propriété individuelle, etc.

C’est une classe ouvrière enfermée dans le rêve pavillonnaire, individualisée par la voiture et le supermarché, désabusée par l’ennui culturel des zones rurbaines. Le rond-point devient la cristallisation du mouvement, lieu représentatif du cycle capitaliste basé sur la centralité de la logistique routière, du flux-tendu. C’est une classe qui n’est plus dans la banlieue très proche, mais est concentrée dans la misère pavillonnaire à plusieurs dizaines de kilomètres de la ville.

En ce sens, et ce sens seulement, les gilets jaunes comportement un aspect positif. C’est le fait que les ouvriers se remettent au centre du processus politique mais non pas de manière passive comme vivier électoral (comme avec Sarkozy et son « travailler plus ») mais comme acteur collectif dans l’histoire.

Ce « retour » de la centralité ouvrière intervient toutefois dans un moment où il est « trop tard » pour que la Gauche puisse intervenir de manière constructive dans le mouvement.

Elle paye le prix de son éloignement social, spatial, et idéologique et faire une « auto-critique » ne peut se faire par un rattachement hâtif et opportuniste dans le mouvement.
Cette auto-critique, elle devait avoir lieu en novembre 2005, là où la jeunesse ouvrière de tout le pays s’est insurgée contre l’ordre établi mais s’est retrouvée isolée des zones pavillonnaires.

Or, entre novembre 2005 et novembre 2018, c’est une décennie d’inlassable montée du fascisme à laquelle nous avons assisté. C’est l’essor de la propagande de l’Internet avec l’extrême-droite qui a saisi le coche culturel lorsque l’extrême-gauche, par romantisme absurde, l’a rejeté au nom de la « vie réelle ». C’est la décennie de la « fachosphère ».

Pourtant la révolte des gilets Jaunes aurait dû être une étape nouvelle et supérieure de la rébellion de novembre 2005. La « centralité ouvrière » des années 1960-1970, principe essentiellement gauchiste, se retrouve dans les années 2010 sous hégémonie fasciste. Les gilets jaunes démontrent sans faille la mise en branle spontanée des masses populaires et rappellent à la Gauche ce qu’elle avait largement oublié : l’histoire est faite par les grandes forces populaires.

Il n’empêche pas que cela doit alerter les forces progressistes sincères de l’impasse de la gauche postmoderne, dépendante de la petite-bourgeoisie culturelle des grandes villes, tout autant que de l’absurdité du syndicalisme. La classe ouvrière montre ici qu’elle conserve une mémoire de classe comme en atteste les référence (erronées) à Mai 68 alors qu’il a été souvent dit que la mémoire ouvrière n’existait pas à propos de ce mouvement.

L’avenir appartient à la Gauche qui saisit cette centralité ouvrière dans toutes ses dimensions car l’hégémonie fasciste qui actuellement bloque tout n’est qu’un détour temporaire dans la bataille inéluctable pour le Socialisme.

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Le pourrissement du mouvement des gilets jaunes

La mobilisation des gilets jaunes ce samedi 1er décembre a été marquée par de la casse et des scènes de violence contre la Police à Paris et dans plusieurs villes. Il y a eu en tout plus de 300 arrestations et une centaine de blessés rien qu’à Paris, dont 14 du côté des forces de l’ordre qui ont souvent servit de défouloirs. Cette journée montre un pourrissement du mouvement des gilets jaunes.

Le graffiti sur l’Arc de triomphe, « les gilets jaunes triompheront », est sans aucun doute l’élément le plus marquant symboliquement de ce troisième week-end de révolte des gilets jaunes. Car on est là à la fois dans la mythomanie et dans le substitutisme.

Mythomanie, car les gilets jaunes ne peuvent pas triompher, étant un mouvement informe, porté socialement par des artisans, commerçants, indépendants, sans autre horizon politique que le populisme et la démagogie fasciste. Substitutisme, car plus il y a radicalisation en apparence des excités de la petite-bourgeoisie, moins il y a de monde en réalité.

Jean-Luc Mélenchon peut bien s’imaginer qu’il y a une « révolution populaire » et que « les gens ne baissent pas en détermination», on est passé en trois week-ends de 300 000 manifestants à un peu plus de 100 000, puis 80 000 hier.

Aux abords des Champs-Élysées à Paris, cela donnait quelques milliers de personnes, dont un bon millier là pour le folklore d’une casse stérile et médiatique. Un théâtre qui s’est ensuite développé place de l’Opéra, avenue Kléber, avenue Foch, rue de Rivoli, avenue de la Grande Armée, avenue d’Iéna, avenue Raymond Poincaré, boulevard Haussman, avec le traditionnel incendie de voitures, les vitres de banques brisées, les CRS harcelés, etc.

À ce spectacle se sont greffées quelques centaines de pilleurs organisés et équipés pour se servir opportunément, le tout sous l’œil racoleur des caméras des chaînes d’information pendant qu’en plateaux les journalistes et les invités commentaient avec la posture de l’offuscation.

L’inconsistance de la démarche s’est illustrée de manière dramatique avec ce jeune homme participant à l’arrachage de l’immense portail d’entrée du Jardin des Tuileries, puis s’en retournant soudain comme si de rien, avant que le portail ne lui écrase la tête en s’effondrant.

L’absence de policiers et de pompiers étaient bien souvent de rigueur, comme il se doit, à Paris comme ailleurs. Le gouvernement est très éduqué et il sait que la société française est grandement endormie, que la France profonde n’aime pas les troubles.

Aussi, si les gens qui cassent s’imaginent que la France, l’une de plus grandes puissances capitalistes du monde, en a quelque chose à faire de leurs actions infantiles, c’est que leur naïveté est aussi développée que la vanité de leurs actions. Tablons plutôt pour expliquer leur démarche sur la mauvaise foi, ainsi que sur une très large influence du mélange altermondialisme – populisme nationaliste – complotisme d’extrême-gauche – activisme d’extrême-droite.

Si la capitale a regroupé bon nombre de ces « séditieux », comme les nomme le ministre de l’Intérieur qui n’exclut pas d’avoir recours à l’état d’urgence, l’agitation et la casse ont concerné de nombreuses villes en France comme Tours, Marseille ou Toulouse.

Les slogans des gilets jaunes pénétrant puis incendiant la préfecture du Puy-en-Velay en Haute-Loire synthétisent parfaitement l’état d’esprit des gilets jaunes : « Macron démission » et « on est chez nous ».

On n’en a pas fini avec les dégâts sur le plan des valeurs qu’ils auront causé, avec leur culte du spontanéisme, du rejet de la politique, de l’intervention individuelle « rentre-dedans » comme solution aux problèmes économiques. Dans leur définition même, les gilets jaunes sont le vecteur du refus catégorique, formel, sans appel, de toute critique du capitalisme et de la bourgeoisie.

C’est un écho direct de la posture ultra-populiste de Marine Le Pen lors du débat du second tour des présidentielles, de la « fachosphère » sur internet avec un site comme « F de souche » qui n’a jamais rien produit malgré une surface immense, de l’activisme débridé des regroupements d’extrême-droite comme le « bastion social » à Lyon. C’est le reflet d’un capitalisme de plus en plus pourri, faisant des gens des individualistes forcenés, nihilistes sur le plan philosophique, anti-démocratique dans leur vision du monde.

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La filiation des gilets jaunes avec l’antiparlementarisme

Quand on regarde de près le mouvement des gilets jaunes, il y a des paradoxes qui sautent aux yeux. Le mouvement avance sur terrain éminemment politique mais se déclare en dehors des clivages politiques. Il refuse toute forme de représentation intermédiaire mais est pourtant dirigé par les couches sociales intermédiaires, les fameuses « classes moyennes ». Il s’affirme pour la révolution mais est enfermé dans les limites du mode de vie actuel.

Cette expression paradoxale des gilets jaunes tient à sa nature sociale et idéologique dans un contexte historique particulier. Toute personne de gauche sait bien que lors des périodes tumultueuses comme la nôtre, ce qu’il est convenu de nommer « fascisme » est toujours en embuscade pour parasiter toute expression autonome des luttes de classe.

En tant que projet de « Révolution nationale », le fascisme en France comporte plusieurs dynamiques idéologiques. De part son expérience historique, on retient souvent le racisme, l’antisémitisme ou l’exaltation nationaliste. On oublie pourtant un autre aspect central du fascisme, qui lui a d’ailleurs permis d’acquérir une dimension populaire de masse : l’antiparlementarisme.

Que ce soit le boulangisme, les ligues factieuses ou bien le poujadisme, tous ces mouvements d’extrême-droite ont développé une rhétorique et une vision du monde antiparlementaire. Le parlement serait ainsi la cause de tous les maux sociaux, avec ses députés qui se « gavent » sur le « dos du peuple » et s’égosillent dans des débats interminables et bien trop détachés de la vie concrète. Cet antiparlementarisme tient à la nature démagogique de mouvements dont les porte-paroles sont souvent issus des secteurs économiques de la petite-bourgeoisie des zones populaires.

Effrayée par le « déclassement », c’est-à-dire la prolétarisation, et donc relativement attirée par la condition de vie bourgeoise, la petite-bourgeoisie de ces zones développe une idéologie conforme à sa condition sociale. C’est une « idéologie anti-idéologie » qui refuse tout positionnement stable. L’idéologie intermédiaire est donc orientée contre toute forme de représentation et la source du malheur n’est pas la bourgeoisie propriétaire des moyens de production, mais le Parlement, les élus, les « voleurs » contre lesquels il faut opposer le peuple avec son « bon sens » et son « honnêteté ».

En ce sens, il est peu étonnant de voir circuler dans les groupes Facebook de gilets jaunes une vidéo de TV Libertés (média d’extrême droite) qui valorise la réussite individuelle dans l’entrepreneuriat contre la réussite scolaire avec le diplôme (symbole du parvenu politicien, du « politichien »). C’est typiquement l’idéologie de l’ancien ouvrier devenu petit indépendant : le pays contre la « farce politicienne », celui qui produit concrètement contre les agitateurs d’idées en dehors de la vie « réelle ».

Lorsqu’on voit la nature des gilets jaunes, on ne peut que penser à cette filiation avec ce courant particulier du fascisme. Largement dirigé par des auto-entrepreneurs et des artisans, les gilets jaunes s’inscrivent dans cette continuité antiparlementaire, à la suite du boulangisme, des ligues factieuses et du poujadisme. Il est d’ailleurs peu étonnant que c’est surtout dans les zones périurbaines et rurales que le mouvement puise sa force puisque c’est là que cette couche sociale intermédiaire, au plus proche du quotidien ouvrier, peut générer un mouvement populaire massif ; son ancrage dans les grandes villes la rapprochant bien trop de la bourgeoisie en tant que telle.

À  ce titre, Pierre Poujade était lui-même un petit libraire issu d’une petite ville du Lot, Saint-Ceré. De la même manière que les gilets jaunes, il proclamait déjà la « défaillance » du parlement et la convocation d’ « États généraux », vu comme une nouvelle forme républicaine. Le journal poujadiste Fraternité française disait « lorsque la patrie est en danger… il n’y a plus de politique, il ne doit rester que des citoyens » et demandait ainsi de baisser le nombre de députés, de supprimer l’indemnité parlementaire, de sanctionner sévèrement l’abstention, etc.

Le problème est que les gilets jaunes se heurtent à leur propre paradoxe, celui de l’organisation cohérente de leurs revendications et de leur représentation, comme le prouve les débats houleux sur les représentants à choisir. En ce sens, la composition ouvrière des gilets jaunes en dit long sur l’incapacité de la classe ouvrière à imposer une idéologie stable et conforme à ses intérêts de classe.

Si les gilets jaunes étaient sous hégémonie de la Gauche ouvrière, avec toute l’héritage historique qu’il comporte, il n’y aurait pas la diffusion d’un antiparlementarisme stérile. Il y aurait le développement d’une dynamique organisée autour de la formation de comités populaires qui éliraient de manière démocratique des délégués révocables. Car la Gauche, dans ses traditions socialistes et communistes, a toujours été claire : l’action parlementaire, légale, doit exister mais être subordonnée à l’agitation extra-parlementaire, extra-légale.

C’est là la grande différence entre un mouvement populaire extraparlementaire et un mouvement populiste antiparlementaire, l’un n’étant que le miroir négatif de l’autre. C’est le prix à payer pour toute une Gauche qui a renoncé à son héritage tout autant qu’à une extrême-gauche qui s’est enfermée dans l’anarchisme velléitaire.