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Le quatrième samedi des gilets jaunes

La France a été pour la quatrième fois d’affilée la spectatrice passive de sa propre crise. Avec intérêt, curiosité, inquiétude, mais sans aucune percussion sur le plan des idées, des raisonnements. Le mouvement des gilets jaunes ne transporte pas avec lui de valeurs nouvelles, il ne véhicule pas des réflexions sur le sens de la vie sociale.

Cette passivité n’est guère étonnante : les gilets jaunes sont une crise et rien d’autre. Le mouvement est porté par des gens qui ne veulent pas de grandes réformes sociales, de grandes augmentations. Ils veulent juste qu’on arrête des les faire « chier » et donc qu’on arrête de les mettre économiquement sous pression.

Tout cela est très flou et diffus, aussi, le mouvement ne cesse pas malgré le recul du gouvernement sur l’instauration de la taxe sur les carburants. 125 000 personnes se sont mobilisées pour la quatrième journée de manifestation, avec encore une fois des accrochages sévères avec les forces de l’ordre. Il y a eu d’ailleurs 1385 interpellations et 974 gardes à vue pour des affrontements qui ont eu lieu à Caen, Toulouse, Saint-Étienne, Marseille, Bordeaux… mais aussi relativement à Nantes ou Lyon.

À Paris, on a eu le droit à une autosatisfaction de la part des autorités sur le fait que le dispositif policier était plus mobile et a pu tuer dans l’œuf un nouvel affrontement massif avec des placements préventifs en garde-à-vue. L’État a montré qu’il peu très bien maintenir l’ordre dans sa capitale s’il le souhaite, et les casseurs ont prouvé à nouveau, s’il en était besoin, la vanité et surtout la nullité de leur démarche.

Le mouvement ne s’est pas élargi, malgré le démarrage de blocages dans les lycées, avec une répression policière sévère. Il faudrait pour cela qu’il porte quelque chose, or il ne le fait pas. On est dans la crise dans le symbole, comme avec ce gilet jaune qui s’est mis sur la statue de la place de la République à Paris pour tenir un détournement du tableau « La liberté guidant le peuple », avec Marianne en gilet jaune.

Emmanuel Macron le sait très bien et compte faire une intervention télévisée lundi soir, afin de demander aux gens de rentrer dans le rang, en échange de mesures fiscales. Cela suffira-t-il ? Bien entendu que cela suffira, car il n’a en face de lui que des expression épidermiques, une prise de rage, des slogans sans pertinence politique comme « Macron rend le pognon », « Macron démission » ou bien même « halte aux fins de mois du monde difficiles ».

Il y aura peut-être quelques initiatives et quelques heurts, mais le pic est passé. Le chef va siffler la fin de la récréation, et l’extrême-droite va bientôt pouvoir compter tous les bénéfices indirects d’une révolte qui aura été, avant tout, une révolte contre la révolte contre le capitalisme.

Les « classes moyennes » auront eu leur « mai 68 », le Fascisme a un boulevard.

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Gilets Jaunes et Mai 68

Depuis le début du mouvement dit des « Gilets Jaunes », les références à Mai 68 se multiplient. Ces références ont quelque chose de juste : elles témoignent de l’ancrage profond de ce grand bouleversement historique dans le cœur des masses populaires. La grande masse des gens sait que la rupture se réalise dans la confrontation avec le centre des institutions, en dehors des cadres pacifiés de la contestation. C’est là le sens du « retour » de la « centralité ouvrière ».

Gilets jaunes Mai 1968

Mais en rester à ce simple constat, ce serait faire preuve d’un formalisme qui enferme la Gauche depuis bien trop longtemps dans la passivité idéologique. Les comparaisons à Mai 68 illustrent aussi un autre aspect qui est la détérioration terrible de la conscience de classe.

Mai 68 fut une contestation autonome de tout l’ordre social établi. Ce ne fut pas une simple « protestation », un « coup de gueule » réductible à une juxtaposition de « colères ». L’autonomie de est essentielle à Mai 68, puisqu’il émerge d’organismes à la gauche du PCF/CGT et généralise le principe de l’assemblée (ouvrière et étudiante) avec le principe de l’extra-parlementarisme.

Il y a une remise en cause profonde de l’ordre social avec une « subversion » de la société (les étudiants d’origine petite-bourgeoise qui vont à l’usine, les artistes qui se mettent « au service du peuple »). Il y a une critique de la société de consommation, des rapports sexuels, de la vie individuelle. Les courants gauchistes structurent des milliers de personnes et le marxisme a l’hégémonie culturelle. Tout se reflète dans un style militant, une agitation typique de cette époque. Ce style, cette culture se traduisent par exemple par la création d’affiches aux slogans originales.

Dans le même temps, les forces de droite s’unissent et c’est un million de personnes qui manifestent le 30 mai 1968 ; la gauche et la droite s’affrontant, jusqu’à ce que certains y voient le prélude à une « guerre civile ».

Lorsque l’on sait un minimum tout cela, est-il bien sérieux de prendre pour « argent comptant » la comparaison des Gilets jaunes avec Mai 68 ? Comme le dit le dicton populaire, « comparaison n’est pas raison » et cela est vrai pour notre cas actuel.

Plusieurs caractéristiques devraient alerter la Gauche : où est l’activisme des Gilets jaunes, en dehors d’une occupation stérile d’un rond-point ? Où sont les affiches exprimant une critique concrète de la vie quotidienne ? Sans grève interprofessionnelle, où est la rupture réelle avec les institutions ?

De ce point de vue, la révolte de novembre 2005 a bien plus un rapport avec Mai 68. Le font culturel, de la musique « Qu’est-ce-qu’on attend ? » de NTM au film « Ma cité va craquer », exprimait une critique profonde avec la vie quotidienne (par exemple l’enfermement dans les tours bétonnées). Alors que Mai 68, la faculté et l’usine sont occupées grâce à la grève, c’est le lieu de vie direct qui est attaqué par les émeutiers de 2005. Dans les gilets jaunes, on peut tout voir sauf Mai 68 : c’est la marseillaise qui chantée, c’est le drapeau tricolore qui est brandi, c’est le refus des taxes qui cimente, c’est l’antiparlementarisme qui oriente. L’occupation des rond-points, bien que stratégique dans le capitalisme avancé, relève ici bien plus de l’enfermement objectif dans un mode de vie plutôt que de son émancipation.

Le recours à Mai est ainsi révélateur du pillage historique qu’effectue la petite-bourgeoisie radicalisée par le fascisme. Elle se prétend être à l’avant-garde de l’Histoire, alors que son héritage se situe en réalité bien plus dans le poujadisme et le boulangisme que dans Mai 68.

Il ne faut pas se laisser embrumer par l’apparence sociale de la contestation : déjà le boulangisme à la fin du XIXe siècle prétendait à l’action sociale et revendiquait l’héritage de la Commune de Paris, favorisant le ralliement de nombreux ex-communards (blanquistes surtout) au mouvement.

Au fond, lorsque l’amnésie idéologique règne sur un grand mouvement d’émancipation, le fascisme s’engouffre dans la brèche pour tout désorienter, tout paralyser. C’est le cas pour l’actuelle mouvement des gilets jaunes.

Mais alors qu’en est-il de la composante ouvrière qui développe ses références à Mai 68 ? Est-elle simplement déformée par la petite-bourgeoise ?Il y a, sans aucun doute, un parasite idéologique effectué par l’attitude colérique de la petite-bourgeoisie mais cela n’est qu’un aspect du problème car la classe ouvrière développe ses propres références. Celles-ci sont cependant d’ordre purement économiques ; Mai 68 n’ayant été qu’un gros mouvement syndical qui obtenu des « avancées sociales ». Tout le contenu idéologique et politique, notamment incarnée par la jeunesse ouvrière, est mis à la poubelle : il y a une amnésie ouvrière.

Alors, à qui la faute ? Les principaux responsables sont à rechercher du côté des anciens activistes de Mai 68 eux-mêmes qui se sont réfugiés au cours des années 1990 dans le syndicalisme et l’altermondialisme – qui est fut un relais à l’objectif au populisme avec sa critique de l’ « oligarchie financière ».

La stabilisation d’un héritage ouvrière de Mai 68 a été rendu impossible du fait que les ouvriers ont été « déplacés » vers la péri-urbanité lorsque les « ex » dirigeants soixante-huitards se sont rapprochés de la ville par la poursuite de carrières universitaires. Les « ex » restés au plus près des ouvriers ont fini par se décomposer dans le syndicalisme, effaçant toujours plus le contenu culturel des années 68.

On se retrouve alors cinquante ans plus tard avec une classe ouvrière qui a maintenu un héritage, mais en l’absence d’une continuité dans les cadres politiques, en a liquidé les principes fondateurs. Les références à Mai 68 par les gilets jaunes expriment ainsi un double aspect : d’un côté, il y a le maintien d’une mémoire de classe, et d’une autre côté il y a le dévoiement de cette mémoire de classe. Il y a le forme et il y a le fond.

La forme, c’est Mai 68 vu à travers l’émeute, les voitures brûlées et les confrontations avec la police. Le fond, c’est l’hégémonie culturelle de cette époque, marquée par la prégnance du socialisme et de ses symboles. Lorsqu’un mouvement social dynamite le fond d’un événement pour en garder seulement la forme, c’est ce qu’on appelle du « révisionnisme ». C’est l’attitude typique des couches sociales petites-bourgeoises qui, empêtrées dans leur irrationalité et se pensant au centre de l’Histoire, sont obligées de travestir la réalité.

Or, le fond est toujours l’aspect principal et cela doit amener la Gauche à se positionner en faveur d’un véritable travail de formation des cadres politiques au cœur de la classe ouvrière. L’abandon de toute dynamique idéologique, de toute formation de cadres ouvriers renforcent la voie du populisme et du fascisme car lorsqu’il y a une faille ouverte pour le pillage historique, les luttes de classe sont désorientées. C’est le sens de la comparaison des Gilets jaunes avec Mai 68.

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Les points de vue de la Gauche sur les gilets jaunes

La Gauche a réagi de manière assez différente quant aux gilets jaunes, mais toujours autour de deux pôles. Selon la proximité pratique avec Jean-Luc Mélenchon, on est dans une lecture très positive, ou bien au contraire dans une appréhension très grande du tournant que risque de prendre les choses.

Gilets jaunes

Voici une liste de liens concernant la Gauche prise au sens le plus large, certainement en manquent-ils par ailleurs. On a cependant une représentativité assez grande d’une Gauche qui est somme toute divisée en deux camps.

Le premier camp a de manière très nette La France Insoumise comme centre de gravité. S’il est plus ou moins critique des gilets jaunes, il est en tout cas résolument optimiste quant au fait que cela va aller dans le sens d’une crise de régime, en penchant à gauche de la gauche.

C’est, si l’on veut, la Gauche qui se définit par les mouvements sociaux, les manifestations, les militants. On y retrouve notamment les courants liés au trotskysme ou à la gauche du PCF, dans l’idée de « déborder », d’aller plus loin, de provoquer la crise, etc.

Le second camp est nettement plus circonspect. Il voit en les gilets jaunes un noyau dur lié aux indépendant, artisans, commerçants, professions libérales, petits patrons, etc. Il a une grande méfiance quant aux mentalités des gilets jaunes et surtout quant à leur ouverture d’esprit éventuelle aux discours de la gauche « sérieuse », de la gauche des valeurs, de la gauche « programmatique ». Il appréhende de manière franche un puissant coup de barre à droite.

C’est, si l’on veut, la Gauche qui se définit par les écrits théoriques, les traditions politiques, les cadres. Et cela, quel que soit l’arrière-plan (communistes conseillistes du CCI, communistes maoïstes du PCF(MLM), groupes de la Fédération anarchiste, etc.).

Un troisième camp, mais il n’existe pas en tant que tel, oscillant entre les deux camps, est composé de ceux pour qui tout va trop vite. Le Parti socialiste ne publie qu’un communiqué sut twitter, d’autres ne disent rien du tout malgré tout un fond activiste (CNT, CNT – SO, CGA, CPS), les courants liés à « l’autonomie italienne » disent tout et son contraire (Lundi.am, agitation autonome, etc.).

Cette description sommaire ne peut bien entendu pas effacer les différences d’approches, de considérations des uns et des autres, ni même la liste prétendre à l’exhaustivité.

Alternative libertaire
Gilets jaunes : Qui sème la misère récolte la colère

APRÉS + MRC
« Gilets Jaunes : il y a urgence à agir »

Confédération Nationale du Travail – AIT
De l’écologisme et de sa contestation

Coordination Communiste 59/62
Gilets jaunes, gilets rouges: Unité dans la lutte contre la vie chère!

Courant communiste révolutionnaire du NPA
Gilets Jaunes. Quand les masses entrent en action

Europe écologie les verts
Discours de David Cormand au Conseil fédéral

Fédération anarchiste- Collectif Athéné Nyctalope
Le choix dangereux du confusionnisme. Soutenir les « gilets jaunes » c’est soutenir un mouvement de droite

Génération.s
Communiqué de presse de Benoît Hamon

Génération Écologie
Communiqué de presse

Groupe marxiste internationaliste
À bas Macron ! Manifestation nationale unie à l’Élysée !

La Commune – pour un parti des travailleurs
Soutien inconditionnel aux gilets jaunes

La France Insoumise « Fédérer »
édito de Matthias Tavel

La Riposte
Gilets Jaunes : une révolte à comprendre et à soutenir !

Lundi.am
Gilets jaunes : la classe moyenne peut-elle être révolutionnaire ?
Prochaine station : destitution

Lutte Ouvrière
Se dresser contre Macron… et contre ses maîtres capitalistes

NPA
Gilets jaunes : les enjeux d’une mobilisation populaire

NPA Jeunes
La colère éclate, ne restons pas sur le bord de la route !

Organisation Communiste Libertaire
Réflexions sur le mouvement des gilets jaunes

Organisation Communiste Marxiste-Léniniste Voie Prolétarienne
Que penser du mouvement des gilets jaunes ?

Parti Communiste Français
Pouvoir d’achat : Fabien Roussel s’adresse au Président de la République

Parti Communiste de France (marxiste-léniniste-maoïste)
La petite-bourgeoisie et la crise générale du capitalisme

Parti Communiste International (Gauche Communiste)
La France des Gilets Jaunes, une nouvelle impasse pour le prolétariat français

Parti Communiste International (Le Prolétaire)
«Gilets Jaunes» : L’interclassisme est contraire aux intérêts des prolétaires

Parti Communiste Révolutionnaire de France
Tous ensemble contre la politique de Macron, l’homme du capital financier !

Parti Communiste des Ouvriers de France
Mettre les exigences ouvrières et populaires au centre de nos mobilisations !

Parti Ouvrier Indépendant
Une colère légitime contre Macron

Parti révolutionnaire Communistes
Gilets jaunes

Parti socialiste
L’appel des socialistes avec Olivier Faure pour sortir le pays du blocage où l’a conduit le gouvernement

Place Publique
Gilets jaunes et pétro-impasse

Pôle de Renaissance Communiste en France
Seul le peuple est légitime : MACRON DEMISSION ! Appel Pétition #giletsjaunes

Révolution Internationale, Section du Courant Communiste International
Mouvement des « gilets jaunes » : contre les attaques de la bourgeoisie, le prolétariat doit riposter de façon autonome, sur son propre terrain de classe !

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Jean-Claude Michéa n’aime que ce qui lui est familier

En accordant une entrevue au Figaro Magazine, Jean-Claude Michéa montre qu’au-delà de ce qui est de droite ou de gauche, ce qui compte pour lui c’est le passé.

Michéa Le Figaro

Les penseurs aiment les lieux familiers. Quand on pense beaucoup, à plein de choses, on aime à se retrouver dans des endroits qui rassurent, dans la mesure où ils évitent la dispersion. Est-ce pour cela que les philosophes antiques avaient souvent leur jardin, comme Platon avec son académie, Aristote avec son lycée, Épicure avec son jardin ?

Comme pour marcher dans un endroit connu, pour penser à tout le reste du monde ?

Jean-Claude Michéa aime en tout cas les lieux familiers. C’est pour cela qu’il s’est installé au fin fond de la campagne, là où il n’y a rien, où il coupe lui-même son bois de chauffage, préférant cette vie « dix fois plus rude, mais cent fois plus belle ». Là au moins, tout est toujours pareil, rien ne change, c’est rassurant.

C’est pour cela aussi qu’il fréquente la même librairie à Mont-de-Marsan, qui fait tout de même 570 m². C’est rassurant pour la dimension intellectuelle. Il faut son confort et puis là-bas, il n’y aura pas de contestation.

On l’a compris, Jean-Claude Michéa n’aime donc pas être dérangé. C’est certainement aussi pour cela qu’il a raté mai 68, par souci de confort. Car Jean-Claude Michéa est né en 1950, ce qui en toute bonne logique devrait faire de lui quelqu’un ayant connu ce grand épisode historique. Il était cependant au PCF, qu’il a quitté peu après, et le PCF était contre mai 1968.

On ne saura pas étonné donc qu’à l’occasion du mouvement des gilets jaunes, il ait accordé un entretien au Figaro Magazine. Pourquoi un auteur se définissant comme un grand pourfendeur du libéralisme s’exprime-t-il dans la revue du week-end de la bourgeoisie ? Mais justement parce qu’elle est familière ! Elle aussi s’est opposée à mai 1968, elle aussi vit dans le passé.

Car Jean-Claude Michéa n’est pas que quelqu’un qui est largement connu dans les milieux intellectuels pour son ambiguïté fondamentale, puisqu’il combine une rejet du libéralisme avec une position de révolte contre le monde moderne, c’est-à-dire qu’on ne sait jamais en apparence s’il faut le classer à l’extrême-droite ou l’extrême-gauche. Il est lui-même cette ambiguïté.

C’est-à-dire que le type est perdu dans sa tête. Il prend la pose dans la librairie, faisant semblant de lire un livre pour le journaliste du Figaro, explique qu’il y a des gens bien à Droite qui préfèrent les valeurs traditionnelles à l’argent… Tout en dénonçant le marché, qui est pourtant porté de manière assumée par la Droite et le Figaro.

Et tout ce qu’il trouve à raconter au journaliste du Figaro, c’est que les chasseurs sont d’une grande profondeur et que les vegans ont tort de manger des légumes car leur production détruit la planète. Autant dire qu’on atteint ici un niveau d’arriération culturelle et psychologique somme toute assez traditionnelle en France.

Quand on capitule dans notre pays, quand on cède devant les traditions et la pression intellectuelle de la bourgeoisie, on prétend toujours qu’on a choisi quelque chose de différent, qu’on a compris quelque chose qu’on avait pas vu avant, que c’est tout un aboutissement.

Jean-Claude Michéa, pseudo porte-parole de la France réelle des gens normaux qui souffrent, n’est en réalité que la voix du conformisme ambiant, tout comme l’a été son maître à penser, Orwell, en Angleterre, qui collaborait avec les services secrets pour dénoncer les communistes.

Son interview au Figaro magazine, en plein mouvement des gilets jaunes, pour se présenter comme l’un des chefs de file intellectuel d’une révolte d’en bas, est en totale convergence avec les intérêts du capitalisme. L’objectif de cette opération est de pousser toute révolte dans le mauvais sens, d’échapper à toute critique de la bourgeoisie comme classe !

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Les Gilets jaunes ou l’absence de surface de la Gauche

La mobilisation des Gilets jaunes reflète la non-existence d’une base militante à Gauche. Il n’y a tout simplement plus de surface sociale et culturelle qui fasse écho à la Gauche politique ; tout au plus y a-t-il des réseaux syndicaux.

gilets jaunes

La Gauche est née comme mouvement ouvrier, c’est-à-dire comme mouvement politique se fondant sur les ouvriers et leurs intérêts, prenant le travail salarié comme base de son identité.

C’est le cas en France aussi, mais il est un mal qui a commencé dès le départ et qui a persisté : l’absence de surface. Le mouvement ouvrier a été d’une taille immense en Allemagne, en Angleterre, dans le Nord de l’Europe et à l’Est, voire même au Sud. Mais en France, il a toujours été minoritaire.

Les socialistes des années 1910 étaient insignifiants numériquement (mais pas du tout électoralement), la CGT était minoritaire. Il en va de même pour les socialistes et les communistes des années 1920 et s’il n’y avait eu le Front populaire, puis la Résistance, il en aurait été de même. Même mai 1968 n’a pas apporté de flux massif.

Aujourd’hui, les gains du Front populaire et de la Résistance – le PCF est le premier parti de France après la guerre – se sont évaporés. Il n’y a plus de regroupements socialistes et communistes dans les usines et les entreprises, il n’y a plus systématiquement de groupes locaux actifs et ancrés dans la population, il n’y a plus de base sympathisante relativement volontaire, il n’y a pareillement plus de syndicat étudiant de masse et militant dans les universités.

L’existence des Gilets jaunes témoignent de cette absence de surface. D’abord, parce que leur populisme montre bien que sur le plan des idées, les Français sont arriérés et bon pour le fascisme s’ils continuent comme cela. Fonctionner à coups de raccourcis et sur le mode du coup de gueule, dans le rejet de toute réflexion politique et de perspective à moyen terme, sans parler de la question d’envergure, ce n’est juste pas possible.

Politiquement, les Gilets jaunes, c’est Donald Trump sans les millions.

Et à l’inverse, les Gilets jaunes expriment aussi la libération d’une lutte sociale des carcans d’une Gauche qui a trahi la lutte sociale au nom du ministérialisme. Les Gilets jaunes sont le prix populaire à payer pour les trahisons institutionnelles de la base populaire.

Socialement, les Gilets jaunes, c’est la revanche sociale anarchiste sur les ministres.

Nous voilà donc ramenés, en quelque sorte, à la fin du 19e siècle, à un moment où la Gauche n’existe pas, est d’une faiblesse inouïe, dispersée et incohérente. N’existe alors que des ministres progressistes élus sur une base de modernité laïque, et des courants anarchistes anti-ministérialistes, comme les syndicalistes et les bombistes (comme Ravachol, Emile Henry, etc.).

Aujourd’hui, on a à peu près pareil, avec d’un côté les ministres progressistes d’Emmanuel Macron présentant la modernité turbo-capitaliste comme le progrès, de l’autre des syndicalistes jouant la carte du forcing (comme avec les cheminots) et une frange anarchiste surfant sur l’esprit zadiste.

Mais il n’y a pas de Gauche politique, il n’y a pas de surface de la Gauche. Il y a des débris passant qui dans le camp postindustriel, qui dans le camp de l’Union Européenne, mais jamais dans celui de la classe ouvrière et de l’histoire du mouvement ouvrier.

Car il ne s’agit pas de reconstituer la Gauche d’il y a peu, ce n’est pas possible : il faut comprendre pourquoi à la base même – et la réponse est dans la prédominance des syndicats, leur indépendance – la Gauche politique n’a pas été capable en France d’avoir un véritable niveau idéologique et un véritable ancrage populaire dans tout le pays.

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Les Gilets Jaunes, aussi une réaffirmation de la centralité ouvrière

Si le mouvement des gilets jaunes a été déterminé par les artisans, commerçants indépendants, etc., il a charrié avec lui une vraie vigueur ouvrière. Cela correspond à toute une réaffirmation historique, replaçant la classe ouvrière comme élément central de toute orientation conséquente.

Gilets jaunes

Les Gilets Jaunes sont l’expression de la contradiction ville-campagne. C’est une crise objective du mode de vie de la population vivant et travaillant en dehors des grandes villes. En ce sens, si le mouvement est largement dirigé socialement et idéologiquement par la petite-bourgeoisie, notamment les commerçants, artisans, indépendants, etc., il est indéniable qu’une partie de la classe ouvrière a été absorbée dans la dynamique.

La naissance de la gauche moderne s’est faite avec la formation du mouvement ouvrier. À partir de 1789-1793, les courants de gauche puisent leur dynamique dans la mobilisation des classes populaires et c’est au XIXe siècle que la classe ouvrière, délimitée par un mode de vie précis, devient centrale pour la Gauche.

Des années 1930 aux années 1970, la classe ouvrière se trouvent à l’avant-poste de la contestation sociale et politique. La SFIC et la CGT-U (puis CGT) parviennent à organiser les parties les plus avancées de la classe dans des interventions historiques déterminantes.

Sans les ouvriers organisés, pas de conquêtes sociales en 1936. Sans les ouvriers organisés, pas de résistance armée en 1942-1944. Sans les ouvriers organisés, pas de lutte anti-coloniale dans les années 1950. Sans les ouvriers organisés, pas d’offensive réelle dans les années 1970.

En bref, la classe ouvrière est depuis l’avènement du capitalisme, la classe motrice de l’Histoire. Ce n’est pas une vue gauchiste de l’esprit mais un fait historique. Ce réalisme politique était tellement acquis dans les années 1968 que ce ne sont pas moins de 3 000 militants révolutionnaires d’extraction non ouvrière qui ont effectué une rupture sociale pour s’établir en « zone ouvrière ».

Mais cet acquis majeur de la Gauche depuis le XIXe siècle a toujours plus reflué à partir des années 1980. En cause, notamment, l’enfermement dans une logique syndicale des militants « établis » broyés sous le poids de la restructuration sociale et le grand lessivage idéologique des années Mitterrand.

Il s’en est suivi une grande période où la classe ouvrière fut qualifiée de « dépassée », voire au pire « morte ». La lutte des classes a bien évidemment continué, mais la Gauche, toujours plus aliénée dans les milieux universitaires et intellectuels des grandes villes, s’est séparé de la classe ouvrière. La stratégique « centralité ouvrière » a été jeté par dessus bords.

Cette transformation politique et idéologique explique d’ailleurs pourquoi l’extrême-gauche a loupé la grande rébellion de novembre 2005. Justement, cette grande rébellion a failli, entre autres, à cause de l’absence d’unité organique de la classe ouvrière et unifier le peuple c’est le rôle historique de la Gauche.

Avec ce mouvement des gilets jaunes, la Gauche se retrouve face à ses propres errements politiques et idéologiques depuis 30 ans. Elle s’aperçoit que la classe ouvrière existe toujours, mais elle la retrouve largement façonnée par le dernier cycle d’accumulation capitaliste, celui de l’industrialisation des campagnes, de la flexibilité sociale, de la production à flux-tendu avec ses zones industrielles éclatées, de l’accès des ouvriers à la propriété individuelle, etc.

C’est une classe ouvrière enfermée dans le rêve pavillonnaire, individualisée par la voiture et le supermarché, désabusée par l’ennui culturel des zones rurbaines. Le rond-point devient la cristallisation du mouvement, lieu représentatif du cycle capitaliste basé sur la centralité de la logistique routière, du flux-tendu. C’est une classe qui n’est plus dans la banlieue très proche, mais est concentrée dans la misère pavillonnaire à plusieurs dizaines de kilomètres de la ville.

En ce sens, et ce sens seulement, les gilets jaunes comportement un aspect positif. C’est le fait que les ouvriers se remettent au centre du processus politique mais non pas de manière passive comme vivier électoral (comme avec Sarkozy et son « travailler plus ») mais comme acteur collectif dans l’histoire.

Ce « retour » de la centralité ouvrière intervient toutefois dans un moment où il est « trop tard » pour que la Gauche puisse intervenir de manière constructive dans le mouvement.

Elle paye le prix de son éloignement social, spatial, et idéologique et faire une « auto-critique » ne peut se faire par un rattachement hâtif et opportuniste dans le mouvement.
Cette auto-critique, elle devait avoir lieu en novembre 2005, là où la jeunesse ouvrière de tout le pays s’est insurgée contre l’ordre établi mais s’est retrouvée isolée des zones pavillonnaires.

Or, entre novembre 2005 et novembre 2018, c’est une décennie d’inlassable montée du fascisme à laquelle nous avons assisté. C’est l’essor de la propagande de l’Internet avec l’extrême-droite qui a saisi le coche culturel lorsque l’extrême-gauche, par romantisme absurde, l’a rejeté au nom de la « vie réelle ». C’est la décennie de la « fachosphère ».

Pourtant la révolte des gilets Jaunes aurait dû être une étape nouvelle et supérieure de la rébellion de novembre 2005. La « centralité ouvrière » des années 1960-1970, principe essentiellement gauchiste, se retrouve dans les années 2010 sous hégémonie fasciste. Les gilets jaunes démontrent sans faille la mise en branle spontanée des masses populaires et rappellent à la Gauche ce qu’elle avait largement oublié : l’histoire est faite par les grandes forces populaires.

Il n’empêche pas que cela doit alerter les forces progressistes sincères de l’impasse de la gauche postmoderne, dépendante de la petite-bourgeoisie culturelle des grandes villes, tout autant que de l’absurdité du syndicalisme. La classe ouvrière montre ici qu’elle conserve une mémoire de classe comme en atteste les référence (erronées) à Mai 68 alors qu’il a été souvent dit que la mémoire ouvrière n’existait pas à propos de ce mouvement.

L’avenir appartient à la Gauche qui saisit cette centralité ouvrière dans toutes ses dimensions car l’hégémonie fasciste qui actuellement bloque tout n’est qu’un détour temporaire dans la bataille inéluctable pour le Socialisme.

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Le pourrissement du mouvement des gilets jaunes

La mobilisation des gilets jaunes ce samedi 1er décembre a été marquée par de la casse et des scènes de violence contre la Police à Paris et dans plusieurs villes. Il y a eu en tout plus de 300 arrestations et une centaine de blessés rien qu’à Paris, dont 14 du côté des forces de l’ordre qui ont souvent servit de défouloirs. Cette journée montre un pourrissement du mouvement des gilets jaunes.

Le graffiti sur l’Arc de triomphe, « les gilets jaunes triompheront », est sans aucun doute l’élément le plus marquant symboliquement de ce troisième week-end de révolte des gilets jaunes. Car on est là à la fois dans la mythomanie et dans le substitutisme.

Mythomanie, car les gilets jaunes ne peuvent pas triompher, étant un mouvement informe, porté socialement par des artisans, commerçants, indépendants, sans autre horizon politique que le populisme et la démagogie fasciste. Substitutisme, car plus il y a radicalisation en apparence des excités de la petite-bourgeoisie, moins il y a de monde en réalité.

Jean-Luc Mélenchon peut bien s’imaginer qu’il y a une « révolution populaire » et que « les gens ne baissent pas en détermination», on est passé en trois week-ends de 300 000 manifestants à un peu plus de 100 000, puis 80 000 hier.

Aux abords des Champs-Élysées à Paris, cela donnait quelques milliers de personnes, dont un bon millier là pour le folklore d’une casse stérile et médiatique. Un théâtre qui s’est ensuite développé place de l’Opéra, avenue Kléber, avenue Foch, rue de Rivoli, avenue de la Grande Armée, avenue d’Iéna, avenue Raymond Poincaré, boulevard Haussman, avec le traditionnel incendie de voitures, les vitres de banques brisées, les CRS harcelés, etc.

À ce spectacle se sont greffées quelques centaines de pilleurs organisés et équipés pour se servir opportunément, le tout sous l’œil racoleur des caméras des chaînes d’information pendant qu’en plateaux les journalistes et les invités commentaient avec la posture de l’offuscation.

L’inconsistance de la démarche s’est illustrée de manière dramatique avec ce jeune homme participant à l’arrachage de l’immense portail d’entrée du Jardin des Tuileries, puis s’en retournant soudain comme si de rien, avant que le portail ne lui écrase la tête en s’effondrant.

L’absence de policiers et de pompiers étaient bien souvent de rigueur, comme il se doit, à Paris comme ailleurs. Le gouvernement est très éduqué et il sait que la société française est grandement endormie, que la France profonde n’aime pas les troubles.

Aussi, si les gens qui cassent s’imaginent que la France, l’une de plus grandes puissances capitalistes du monde, en a quelque chose à faire de leurs actions infantiles, c’est que leur naïveté est aussi développée que la vanité de leurs actions. Tablons plutôt pour expliquer leur démarche sur la mauvaise foi, ainsi que sur une très large influence du mélange altermondialisme – populisme nationaliste – complotisme d’extrême-gauche – activisme d’extrême-droite.

Si la capitale a regroupé bon nombre de ces « séditieux », comme les nomme le ministre de l’Intérieur qui n’exclut pas d’avoir recours à l’état d’urgence, l’agitation et la casse ont concerné de nombreuses villes en France comme Tours, Marseille ou Toulouse.

Les slogans des gilets jaunes pénétrant puis incendiant la préfecture du Puy-en-Velay en Haute-Loire synthétisent parfaitement l’état d’esprit des gilets jaunes : « Macron démission » et « on est chez nous ».

On n’en a pas fini avec les dégâts sur le plan des valeurs qu’ils auront causé, avec leur culte du spontanéisme, du rejet de la politique, de l’intervention individuelle « rentre-dedans » comme solution aux problèmes économiques. Dans leur définition même, les gilets jaunes sont le vecteur du refus catégorique, formel, sans appel, de toute critique du capitalisme et de la bourgeoisie.

C’est un écho direct de la posture ultra-populiste de Marine Le Pen lors du débat du second tour des présidentielles, de la « fachosphère » sur internet avec un site comme « F de souche » qui n’a jamais rien produit malgré une surface immense, de l’activisme débridé des regroupements d’extrême-droite comme le « bastion social » à Lyon. C’est le reflet d’un capitalisme de plus en plus pourri, faisant des gens des individualistes forcenés, nihilistes sur le plan philosophique, anti-démocratique dans leur vision du monde.

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La filiation des gilets jaunes avec l’antiparlementarisme

Quand on regarde de près le mouvement des gilets jaunes, il y a des paradoxes qui sautent aux yeux. Le mouvement avance sur terrain éminemment politique mais se déclare en dehors des clivages politiques. Il refuse toute forme de représentation intermédiaire mais est pourtant dirigé par les couches sociales intermédiaires, les fameuses « classes moyennes ». Il s’affirme pour la révolution mais est enfermé dans les limites du mode de vie actuel.

Cette expression paradoxale des gilets jaunes tient à sa nature sociale et idéologique dans un contexte historique particulier. Toute personne de gauche sait bien que lors des périodes tumultueuses comme la nôtre, ce qu’il est convenu de nommer « fascisme » est toujours en embuscade pour parasiter toute expression autonome des luttes de classe.

En tant que projet de « Révolution nationale », le fascisme en France comporte plusieurs dynamiques idéologiques. De part son expérience historique, on retient souvent le racisme, l’antisémitisme ou l’exaltation nationaliste. On oublie pourtant un autre aspect central du fascisme, qui lui a d’ailleurs permis d’acquérir une dimension populaire de masse : l’antiparlementarisme.

Que ce soit le boulangisme, les ligues factieuses ou bien le poujadisme, tous ces mouvements d’extrême-droite ont développé une rhétorique et une vision du monde antiparlementaire. Le parlement serait ainsi la cause de tous les maux sociaux, avec ses députés qui se « gavent » sur le « dos du peuple » et s’égosillent dans des débats interminables et bien trop détachés de la vie concrète. Cet antiparlementarisme tient à la nature démagogique de mouvements dont les porte-paroles sont souvent issus des secteurs économiques de la petite-bourgeoisie des zones populaires.

Effrayée par le « déclassement », c’est-à-dire la prolétarisation, et donc relativement attirée par la condition de vie bourgeoise, la petite-bourgeoisie de ces zones développe une idéologie conforme à sa condition sociale. C’est une « idéologie anti-idéologie » qui refuse tout positionnement stable. L’idéologie intermédiaire est donc orientée contre toute forme de représentation et la source du malheur n’est pas la bourgeoisie propriétaire des moyens de production, mais le Parlement, les élus, les « voleurs » contre lesquels il faut opposer le peuple avec son « bon sens » et son « honnêteté ».

En ce sens, il est peu étonnant de voir circuler dans les groupes Facebook de gilets jaunes une vidéo de TV Libertés (média d’extrême droite) qui valorise la réussite individuelle dans l’entrepreneuriat contre la réussite scolaire avec le diplôme (symbole du parvenu politicien, du « politichien »). C’est typiquement l’idéologie de l’ancien ouvrier devenu petit indépendant : le pays contre la « farce politicienne », celui qui produit concrètement contre les agitateurs d’idées en dehors de la vie « réelle ».

Lorsqu’on voit la nature des gilets jaunes, on ne peut que penser à cette filiation avec ce courant particulier du fascisme. Largement dirigé par des auto-entrepreneurs et des artisans, les gilets jaunes s’inscrivent dans cette continuité antiparlementaire, à la suite du boulangisme, des ligues factieuses et du poujadisme. Il est d’ailleurs peu étonnant que c’est surtout dans les zones périurbaines et rurales que le mouvement puise sa force puisque c’est là que cette couche sociale intermédiaire, au plus proche du quotidien ouvrier, peut générer un mouvement populaire massif ; son ancrage dans les grandes villes la rapprochant bien trop de la bourgeoisie en tant que telle.

À  ce titre, Pierre Poujade était lui-même un petit libraire issu d’une petite ville du Lot, Saint-Ceré. De la même manière que les gilets jaunes, il proclamait déjà la « défaillance » du parlement et la convocation d’ « États généraux », vu comme une nouvelle forme républicaine. Le journal poujadiste Fraternité française disait « lorsque la patrie est en danger… il n’y a plus de politique, il ne doit rester que des citoyens » et demandait ainsi de baisser le nombre de députés, de supprimer l’indemnité parlementaire, de sanctionner sévèrement l’abstention, etc.

Le problème est que les gilets jaunes se heurtent à leur propre paradoxe, celui de l’organisation cohérente de leurs revendications et de leur représentation, comme le prouve les débats houleux sur les représentants à choisir. En ce sens, la composition ouvrière des gilets jaunes en dit long sur l’incapacité de la classe ouvrière à imposer une idéologie stable et conforme à ses intérêts de classe.

Si les gilets jaunes étaient sous hégémonie de la Gauche ouvrière, avec toute l’héritage historique qu’il comporte, il n’y aurait pas la diffusion d’un antiparlementarisme stérile. Il y aurait le développement d’une dynamique organisée autour de la formation de comités populaires qui éliraient de manière démocratique des délégués révocables. Car la Gauche, dans ses traditions socialistes et communistes, a toujours été claire : l’action parlementaire, légale, doit exister mais être subordonnée à l’agitation extra-parlementaire, extra-légale.

C’est là la grande différence entre un mouvement populaire extraparlementaire et un mouvement populiste antiparlementaire, l’un n’étant que le miroir négatif de l’autre. C’est le prix à payer pour toute une Gauche qui a renoncé à son héritage tout autant qu’à une extrême-gauche qui s’est enfermée dans l’anarchisme velléitaire.

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Gilets jaunes : la capitulation de la Gauche devant le spontanéisme

Le mouvement ouvrier a toujours exigé la primauté de la conscience et de l’organisation. La croyance en le spontanéisme et en un vitalisme populaire n’a jamais abouti qu’au fascisme. Aussi, le populisme d’une partie de la Gauche pour les Gilets jaunes est littéralement suicidaire.

Gilets jaunes

Que l’ultra-gauche ait participé ici et là aux initiatives des Gilets jaunes, c’est dans l’ordre des choses. La croyance en une sorte de vitalité populaire spontanée amène à soutenir tout ce qui bouge, sans être trop regardant.

Que le regroupement d’extrême-droite Bastion social parvienne à largement s’y impliquer à Lyon, avec notamment le mot d’ordre « à bas les voleurs ! », c’est tout autant dans l’ordre des choses. Le fascisme se veut un mouvement de contestation par la base, au-delà des classes, contre les parasites. La jacquerie anti-taxe des Gilets jaunes est parfaitement adéquate pour cela.

Mais qu’une large partie de la Gauche capitule de même devant les Gilets jaunes, c’est inacceptable. Que l’on soutienne le mouvement n’est pas ici la question, car c’est une lutte. Mais il y a une différence entre soutenir pour apporter des valeurs et combattre les tendances négatives, et soutenir de manière unilatérale.

C’est bien la peine que Lutte Ouvrière souligne de manière régulière – et à juste titre –  l’importance des ouvriers, pour se précipiter dans le soutien aux Gilets jaunes, sans en critiquer aucune des modalités d’expression, résolument petit-bourgeois et non liés à aucune question de la production dans le capitalisme.

Pareillement, quel intérêt a le Nouveau Parti Anticapitaliste, si ce n’est la volonté de surfer sur la vague, de trouver cela très bien de manière unilatérale, de considérer les Gilets jaunes comme un mouvement social tout à fait comme il faut, etc. ? Les Gilets jaunes représentent tout sauf un « mouvement social » traditionnel et d’ailleurs cela n’a aucun sens d’appeler à ce que les associations et les syndicats suivent le mouvement. L’ancêtre du NPA, la Ligue Communiste Révolutionnaire, faisait des mouvements sociaux la base de son activité, mais désormais tout est différent.

Ces deux exemples sont très importants, même si Lutte Ouvrière et le NPA sont depuis longtemps bien plus d’ultra-gauche que de Gauche. Car ils montrent que des gens sérieux, tournés vers les ouvriers ou vers les « mouvements sociaux », sont dépassés par les Gilets jaunes. Ils ne comprennent pas la nature de ce mouvement, ils n’ont aucune clef pour l’interpréter.

Et la raison pour cela est qu’ils ne comprennent pas ce qu’est le fascisme. Ce que dit Jean-Luc Mélenchon sur son blog est d’ailleurs absolument terrifiant, le type ne comprend rien au fascisme, il soutient ouvertement la démarche fasciste sans même s’en apercevoir.

Ses explications suite à la manifestation parisienne de samedi, où il y voit un show sur les Champs-Élysées mis en place par le gouvernement, en arrivent à trouver tout à fait juste le pire des populismes.

« Tout ce qui se passe est hors norme. C’est pourquoi la réplique manipulatoire traditionnelle est complètement décalée par rapport au niveau de conscience populaire. C’est donc pour nous un important succès car des millions de gens ont été une fois de plus instruits en masse des stratégies médiatico-politiques du régime macroniste. L’identification du parti médiatique se fait à échelle de masse. Le mépris et le dégoût qui vont avec de même.

L’autre succès est naturellement le niveau de mobilisation et l’élévation du niveau de conscience qui s’est exprimé partout dans les mots d’ordre et les propos tenus face caméra ou dans les meetings improvisés. Les commentateurs n’attachent pas d’importance au fait que le mot d’ordre « Macron démission » soit un refrain partout. C’est pourtant un slogan qui est très rare dans l’histoire des mouvements sociaux du pays. À vrai dire, je ne crois pas qu’il ait de précédent. Même Hollande y échappa. Rien ne décrit mieux l’isolement du pouvoir actuel et sa perte de légitimité que ce slogan omniprésent. »

Voir en le slogan « Macron démission » quelque chose de positif, c’est tomber au niveau de l’ultra-gauche ou du fascisme. C’est réfuter la primauté de la théorie, avec le principe des valeurs positives, d’un projet rationnel, d’une organisation méthodique. C’est s’imaginer que « tout ce qui bouge est rouge », alors qu’à une époque de dépression du capitalisme, comme on peut le voir partout, l’agitation sociale est plus que poreuse au corporatisme, au populisme, au social-impérialisme.

Les Gilets jaunes révèlent ici de grandes faiblesses concernant la compréhension de ce qu’est le fascisme !

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Conséquence fasciste des gilets jaunes : 130 radars détruits

La destruction de 130 radars en dix jours, la quasi totalité par le feu, est un écho de la dimension fasciste présente dans les Gilets jaunes.

radar gilets jaunes

De puis l’émergence des Gilets jaunes, des radars sont détruits un peu partout en France, dans l’Ain, dans le Nord, en Seine-et-Marne, dans le Tarn, dans l’Hérault, dans les Deux Sèvres, dans les Vosges, en Loire atlantique, etc.

C’est là un écho de toute la dimension ultra-individualiste, s’appuyant sur une idéologie profondément beauf, largement présente dans la matrice même des Gilets jaunes. Il est tout à fait logique, malheureusement, qu’une lutte économique axée de manière corporatiste déraille toujours plus, se reconnaissant dans des révoltes du même type.

C’est cela qui explique également l’appel d’air amenant des nationalistes à se retrouver impliqués de manière toujours plus significative dans tout le pays dans les rangs des Gilets Jaunes. C’est ici ni plus ni moins que le Fascisme qui apparaît, comme mouvement réactionnaire de masse, par en bas, avec une nostalgie romantique pour un passé idéalisé et un refus catégorique de la rationalité, de la politique.

Ce sont les égouts qui débordent. Il est significatif d’ailleurs que sur le site radars-auto.com, on ait des indications pratiques concernant la destruction des radars qui ont eu lieu depuis dix jours. Sous prétexte d’informer de la destruction de 133 radars, on apprend ainsi que la méthode souvent employée est de placer des pneus sous les radars et de les incendier, ou bien d’utiliser une disqueuse.

Le mode d’emploi est pratiquement donné, discrètement, reflétant une vraie hargne résolument fanatique d’hommes entendant nier l’intérêt général au nom de leur attitude particulière, qualifiée de liberté.

Sur 4500 radars d’ailleurs, 600 sont hors d’usage. Dans de nombreux départements, ce sont la moitié des radars qui ont été sabotés. Un exemple révélateur de cette terrible situation marquée par le fanatisme de masse est que le Facebook consacré à fournir des indications sur les radars dans le Nord Pas-de-Calais a 160 000 abonnés.

Avec ces destructions de radars, on a ici une conjugaison de tous les raccourcis, de toutes les faiblesses marquant le peuple français. Tout l’esprit étroit, focalisé sur son propre petit moi et une vie quotidienne bloquée dans le style petit-bourgeois, s’exprime avec la brutalité propre à ce qui n’a aucun fondement à part la pourriture d’un capitalisme de plus en plus en déconfiture.

Il faut avoir conscience de ce qui se passe. Les Gilets jaunes ont à la fois libéré et exprimé des forces profondément incohérentes dans leur démarche, oscillant entre revendication économique pour le peuple et appui de conceptions anti-politiques, anti-démocratiques (au sens de la démocratie comme lieu de raison et de choix populaire rationnel).

Il y a ici une vraie maturation de la crise idéologique en France, avec une véritable affirmation d’un Fascisme de masse, c’est-à-dire d’un mouvement de « régénération » de la nation par le « vrai peuple ». Les enjeux de notre période sont immenses !

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Le mouvement des gilets jaunes est-il un néo-poujadisme ?

Le gouvernement d’Emmanuel Macron a fait émerger hier des pseudos porte-paroles des gilets jaunes afin de créer ses propres interlocuteurs. Le mouvement s’est en fait poursuivi de manière éparse depuis le 17 novembre avec une expression générale confuse, faible politiquement, mais dominée par une sorte de néo-poujadisme.

Les porte-paroles mis en avant hier sont au nombre de huit et reflètent assez bien la sociologie des gilets jaunes avec surtout des petits entrepreneurs mais aussi une serveuse, un chauffeur routier et un « intérimaire » (sans qu’on puisse savoir dans quel domaine).

Le mouvement rejetant quasiment par définition l’organisation politique, étant éclaté dans sa forme et son organisation, cette formalisation de leur représentation ne peut que déplaire.

La base des gilets jaunes les critiques d’ors et déjà comme non-légitimes, sortant de nulle part et surtout désignés par en haut selon la volonté du gouvernement. Peu de personnes connaissaient la page Facebook permettant de « voter » pour ces pseudos porte-paroles.

Mais quelle est, finalement, l’expression des gilets jaunes dans leur ensemble, que disent-ils, que veulent-ils ? L’opposition aux taxes est vraiment le cœur du mouvement, c’est un dénominateur commun indiscutable. Cet échantillon de tracts et messages illustre parfaitement cela :

Des automobilistes dépendants

Ce qui est contesté en plus du prix du gasoil, c’est par exemple la hausse de la CSG sur les pensions, les taxes sur les successions, la TVA, la taxe foncière, etc. Il n’est pas question de hausse de salaires ou des pensions.

Les personnes qui se mobilisent au travers des gilets jaunes ont en commun d’être des automobilistes dépendants. Ce sont des gens qui vivent franchement à la campagne ou dans les zones qui ne sont ni vraiment des villes ni vraiment la campagne. Ces personnes n’ont pas d’autre choix que d’utiliser l’automobile pour leurs activités quotidiennes.

Les alternatives au moteur diesel comme les véhicules électriques, les transports en commun ou le vélo sont rejetées par eux comme autant d’utopies. Des « trucs de bobo de centre-ville » déconnectés des contraintes réelles subies par la « vraie France ».

L’argument écologique avancé par le gouvernement pour justifier la hausse des taxes sur le gasoil est vécu comme une provocation de la part des gilets jaunes. La question de l’écocide est tout simplement niée par ce mouvement qui pense pouvoir figer le monde dans un aujourd’hui permanent.

Un « ras-le-bol fiscal »

Cette « vraie France » est toute à la fois celle décrite dans la chanson de Kamini eul’ vraie France, dans la sociologie de La France périphérique de Christophe Guilluy et dans « la France qui se lève tôt » du discours du candidat Nicolas Sarkozy aux halles de Rungis en 2006.

Plus encore que le phénomène « vraie France », c’est un phénomène de « ras-le-bol fiscal » qui est mis en parallèle avec le train de vie du couple Macron, les dépenses de fonctionnement du parlement et de l’État en général. Une des figures du mouvement dans le Vaucluse clame par exemple qu’il « vomit la classe politique » et en appelle à renverser le Parlement. On a systématiquement cette amertume insistante envers la classe politique, considéré comme n’ayant pas de valeur, corrompue, déconnectée.

S’il fallait faire une synthèse des revendications, ce serait la baisse des « charges ». On est bien face à une vision comptable de la société : « si je paie plus cher mon gasoil, alors je réaliserai moins de bénéfice ».

Un refus de la socialisation des richesses

Pierre Poujade employait dans les années 1950 l’expression d’« État vampire » selon le même point de vue. Le mouvement est, dans son orientation, au service des intérêts des « petits » : entrepreneurs d’auto-école, infirmiers libéraux, transporteurs routiers, entrepreneurs du BTP, bref, de la petite bourgeoisie. Ce n’est pas un hasard si l’on a pu voir des commerçants apporter de la nourriture et des boissons sur les points de blocage.

Bien sûr, les gilets jaunes ne sont pas exclusivement composés de petits-bourgeois. Il y a aussi des employés, des ouvriers qui adhèrent au mouvement parce que la hausse du prix du gasoil accentue leur paupérisation, la rend encore plus visible, fracassante.

Pour ces personnes, ce n’est pas le « pouvoir d’achat » dont parlent les syndicats et les enseignes de supermarché, mais le « reste à vivre en fin de mois » qui est menacé. Une hausse des dépenses de 30 euros peut condamner des ménages à la précarité. Alors on s’oppose au gouvernement, pour défendre « son bifteck » face à cet État tout puissant qui rend service aux autres, mais pas à soi.

Seulement, cette focalisation sur le refus des impôts n’est pas une critique sociale de l’appareil d’État au main de la bourgeoisie. C’est surtout un refus de la socialisation des richesses, un refus des choix collectifs au profit de l’affirmation individuelle plutôt que du Socialisme.

C’est tout à fait conforme au poujadisme des années 1950, mouvement à l’origine du Front National devenu Rassemblement National.

 

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Les gilets jaunes et la question du fascisme

Peu de gens en France ont vraiment étudié le fascisme et savent qu’il consiste en un mouvement élémentaire d’une base populaire soucieuse de régénérer la société, poussé par une partie de la bourgeoisie. Les gilets jaunes ont tout à fait le profil social correspondant à cela.

Quand une révolte est portée par les couches sociales intermédiaires mais pas les ouvriers, de manière élémentaire et non rationnelle, sur des revendications à l’intérieur du cadre étatique, on sait déjà que la Gauche a perdu.

De manière instinctive, beaucoup de personnes ont à l’origine été très méfiantes du mouvement des gilets jaunes précisément pour cette raison. Les gens davantage conscients en comprennent les modalités, ils connaissent l’expérience du fascisme italien, du national-socialisme allemand, et n’oublions pas les Croix de Feu françaises.

Les violences ayant émaillé le quartier des Champs-Élysées à Paris ce samedi 24 novembre renvoient d’ailleurs directement à l’expérience historique de février 1934 dont les Croix de Feu furent la principale ligue menant l’agitation.

Cela ne tient pas seulement à la présence hier de nationalistes, de drapeaux bleu-blanc-rouge et de l’hymne nationale haranguée entre les appel à aller directement chercher le Président à L’Élysée, mais bien à la nature même de l’événement et du mouvement qui l’a porté.

Les Croix de Feu françaises avaient à l’époque acheté Le Figaro, une fois devenu le Parti Social Français, et il est assez intéressant historiquement de noter que Le Figaro soutient depuis le début le mouvement des gilets jaunes, et ce de manière véhémente.

Ces derniers sont présentés comme la vraie France contre les élites, ce qui est énorme intellectuellement quand on connaît le lectorat du Figaro Magazine et de Madame Figaro le week-end. Mais il est vrai que les élites sont divisées et qu’on reconnaît là le grand conflit entre les bourgeois nationaux-agressifs, et les bourgeois modernistes-cosmopolites représentés par Emmanuel Macron.

Une figure de Droite comme Bruno Retailleau, qui était un personnage de première importance lors de la campagne pour la Présidentielle de François Fillon, représente quant à lui les bourgeois nationaux-agressifs. Ce n’est pas pour rien qu’il justifie ouvertement les violences au Journal du Dimanche :

« Emmanuel Macron récolte ce qu’il a semé. À force de détruire méticuleusement les corps intermédiaires, il se retrouve seul face aux Français. Quand on se prend pour Louis XIV, on peut s’attendre à des frondes ».

De son côté, le gouvernement connaît ses classiques et fait par la voix de son Ministre de l’Intérieur le parallèle avec les affrontements fascistes de 1934, tout en insistant sur le rôle de Marine Le Pen qui représente elle aussi les nationaux-agressifs, tout comme Nicolas Dupont-Aignan.

Dans les années 1920 et 1930, les nationaux-agressifs étaient organisés dans des partis de droite qui se sont vus appuyer par une nouvelle formation, de droite mais populaire et communautaire, les fascistes.

Contrairement aux commentaires que l’on voit régulièrement sur le caractère « socialiste » des nazis, ceux-ci se sont toujours définis comme étant de droite et faisaient par conséquent des alliances à droite. Le fascisme de Mussolini s’est pareillement institutionnalisé avec la Droite.

Il s’agissait de mouvements de masse mais leur victoire a été leur intégration institutionnelle, par les élections, dans l’État. La Droite a été leur porte ouverte pour ce processus, dans le cadre de l’unité contre la Gauche.

Or, ces mouvements populaires fascistes avaient une base sociale surtout composée de petits-bourgeois, de commerçants, d’artisans. Il y avait des ouvriers aussi, mais ce n’était pas le cœur du sujet, très loin de là. Contrairement aux cadres de ces mouvements, très politisés, la base voulait juste un « rétablissement », un « redressement », une « remise en marche ».

Impossible de ne pas voir un parallèle au moins minime avec les gilets jaunes aujourd’hui.

Cela ne remet pas en cause le fait que ceux-ci relèvent de la lutte de classes. Pas du tout, et c’est bien là la question de l’antifascisme, qui a comme but d’unifier le peuple sur une base autre que celle du fascisme.

Il va de soi que l’antifascisme qui se contente de critiquer les « fachos » est représentatif d’un anarchisme en perdition qui n’est d’aucun intérêt ici, pour autant qu’il en ait jamais eu. Il faut parler aujourd’hui du véritable antifascisme, celui des années 1920 et 1930, celui où la Gauche savait s’unir pour être à même d’établir suffisamment d’amplitude pour contrer le fascisme sur son terrain.

Ce terrain, c’est celui de la lutte des classes, celui des luttes sociales et de la perspective d’une société où l’on peut vivre de manière bonne et juste. Pour nous, c’est le socialisme, pour le fascisme, c’est un capitalisme restructuré, avec une dynamique chauvine et militariste.

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La convergence syndicale avec les gilets jaunes

Les syndicats ont décidé de converger avec le mouvement des gilets jaunes. C’est un cheminement inévitable, l’apolitisme appelant l’apolitisme, le populisme appelant le populisme, le corporatisme appelant le corporatisme.

Mardi 20 novembre, le syndicat FO-UNCP (transport) appelait ses adhérents et sympathisants à rejoindre le mouvement. Le secrétaire général de la branche transports de FO Patrice Clos, qui est candidat pour la direction de FO suite au récent scandale, appelle à venir renforcer les mouvements existants en se posant comme indispensable, menaçant d’un appel à la grève présentée comme une étape supérieure éventuelle.

De son côté, la CGT a lancé un mot d’ordre de manifestation dans ce cadre pour samedi 1er décembre. Elle a changée son fusil d’épaule sous la pression d’une grande partie de sa base, alors que son secrétaire général Philippe Martinez avait refusé de participer aux blocages organisés samedi dernier.

Dans les deux cas, la question est celle du « pouvoir d’achat », avec pour la CGT la revendication d’un SMIC à 1 800 €.

Laurent Berger de la CFDT propose pour sa part une position intermédiaire, s’imaginant là aussi constructif, allant dans le sens de la continuité du capitalisme avec « un pacte social de la conversion écologique » censé être la solution « aux attentes en termes d’aide à la mobilité, au transport, à l’énergie ».

On est là dans une logique qui correspond tout à fait à celle de la Charte d’Amiens, qui au début du XXe siècle faisait de la CGT un syndicat récusant la politique. Le fait que les syndicats se développent non seulement à côté du Parti socialiste, mais même contre lui, a été d’un impact dévastateur sur les mentalités et le niveau de conscience des travailleurs à l’époque, et cela se prolonge jusqu’à aujourd’hui.

Les syndicats prétendent mieux gérer, vraiment représenter ; minoritaires de manière patente dans le monde du travail, ils n’en sont pas moins d’une prétention sans bornes. Et leur esprit est aussi étroit que celui des gilets jaunes, dans la mesure où de la même manière, ils ne voient qu’à court terme, ils ne raisonnent qu’avec des chiffres et selon des critères de la vie quotidienne tout à fait conformes au mode de vie dominant.

C’est d’autant plus grave que si les gilets jaunes se sont formés sur le tas, les syndicats ont une tradition centenaire, des cadres qui réfléchissent, des avantages matériels et institutionnels extrêmement importants. Leur convergence est d’autant plus significative, d’autant plus grave.

Elles montrent qu’une fraction de la population française est d’accord non pas pour discuter de politique, pour faire de la politique, pour choisir politiquement, mais pour justement ne rien faire de tout cela.

Il faudrait non pas transformer la société, mais la régénérer, la remettre sur son socle. Il faudrait en revenir à ce qui serait réel, par opposition à ce qui ne serait qu’une boursouflure provoquant un déséquilibre social.

Il y a un mot pour une telle approche : le fascisme. Le fascisme est la mort de la société civile, la fin de la politique, la réduction de la vie sociale à un conglomérat d’individus s’unifiant sur une seule base : l’hégémonie de leur regroupement national, afin de mieux profiter de tout et ce aux dépens des autres.

Cela ne veut pas dire que les revendications sociales des gilets jaunes ou des syndicats soient erronées, mais justement que celles-ci sont déviées de leur cours naturel comme lutte des classes. Elles sont précipitées dans le gouffre de l’absence de conscience sociale, de l’affirmation de l’apolitisme, du refus de la lutte des classes, de l’absence de confrontation avec la bourgeoisie.

La preuve de cela est bien sûr qu’une partie du patronat a soutenu le mouvement dès le début, que les enseignes de supermarché se sont empressées de communiquer dans le sens du mouvement avec notamment de l’essence à prix coûtant, étant donné que le « pouvoir d’achat » est leur préoccupation.

Tout n’est pas joué encore, évidemment. Cependant, il ne faut pas sous-estimer ce qui commence à se lancer comme processus, par en bas, comme populisme, comme dépolitisation, et surtout comme refus d’aller dans le sens du socialisme.

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Le PCF peut-il se maintenir tel qu’il est ?

Le PCF est passé d’une ligne insurrectionnelle à une participation gouvernementale soumise aux socialistes. Devenu un satellite de ces derniers, il est désormais orphelin de ceux-ci. Il est à l’heure des choix : trouver une identité propre, ou disparaître. En a-t-il les moyens ?

PCF Congrès 23 25 novembre 2018

En 1978 avaient lieu des élections législatives en France et elles furent un tournant historique à Gauche. La revue de Droite, L’Express, constatait ainsi le 13 mars 1978 par la voix de Jean-François Revel que :

« Le Parti communiste français était le premier parti de France au temps de Maurice Thorez. Du temps du secrétariat de Waldeck Rochet, il était le deuxième parti de France et le premier parti de la gauche. Sous Georges Marchais, il est devenu le deuxième parti de la gauche et le troisième parti de France. »

La Gauche a connu en effet depuis 1945 deux situations. La première est caractérisée par le refus catégorique des socialistes de se rapprocher des communistes. Les socialistes boycottaient la CGT et assumaient un anticommunisme forcené. Le PCF était le premier parti de France, mais les socialistes participaient au blocus général de celui-ci, aux côtés de la Droite, n’hésitant pas à aider à la naissance de la CGT-Force Ouvrière, ouvertement appuyée par les États-Unis.

Cette situation prévalut jusqu’en 1958, où la Gauche en général fut incapable de s’opposer au coup d’État de De Gaulle instaurant la Ve République. Son échec politique fut d’autant plus puissant qu’avec mai 1968 émergea une nouvelle génération de militants, d’activistes, de syndicalistes. François Mitterrand comprit cela, unifia les socialistes et fit en sorte de phagocyter le PCF.

Les socialistes finirent par dépasser électoralement le PCF, bien que celui-ci disposait d’une base de militants et de sympathisants encore sans équivalents. Et en 1981, François Mitterrand triompha aux présidentielles, plaçant le PCF dans l’orbite socialiste jusqu’à aujourd’hui.

De nombreuses tendances oppositionnelles sont apparues dans le PCF, désireuses d’en revenir aux « fondamentaux ». Depuis le tout début des années 1990 et jusqu’à aujourd’hui, elles ont su attirer un certain nombre de membres du PCF. Mais jamais elles ne furent en mesure d’influer ne serait-ce qu’un peu la tendance du PCF à n’être qu’un simple satellite des socialistes.

Le PCF, de par sa volonté de conserver ses élus, de participer au gouvernement, a une tendance naturelle à accepter les choix des socialistes ; en cela, le PCF est devenu comme Europe Écologie Les Verts.

Mais comme les socialistes se sont effondrés, le PCF doit faire des choix par lui-même. Or, au mieux, il produit des dirigeants comme Ian Brossat. Les membres du PCF se sont auto-intoxiqués, s’imaginant vraiment être le prolongement du PCF du Front populaire, du PCF de la Résistance, du PCF des années 1950, 1960, 1970, etc., alors qu’ils n’ont strictement aucun rapport avec rien de l’histoire de ce parti.

La sphère dirigeante du PCF n’est pas tant issu de la base historique de ce parti, que des éléments institutionnels et universitaires ayant parasité celui-ci et finit par prendre la direction culturelle, puis politique et idéologique. C’est pour cela qu’il y a un jargon universitaire post-marxiste, une esthétique très propre et lisse conforme à l’esprit universitaire, des postures revendicatives offusquées, etc.

Cependant, cela ne saurait être suffisant pour développer une identité propre. Cela peut permettre une affirmation, mais il serait naïf de penser que cela suffit, en soi, pour une affirmation autonome, notamment aux prochaines élections européennes. En même temps, ne pas maintenir une affirmation autonome, c’est inéluctablement disparaître dans la fusion avec d’autres.

Tel est le dilemme du PCF, le dilemme insoluble, car en quittant la classe ouvrière, le PCF a perdu le moteur de l’Histoire.

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L’appel de L’APRÈS d’Emmanuel Maurel et Marie-Noëlle Lienemann

Après avoir quitté le Parti Socialiste, Emmanuel Maurel et Marie-Noëlle Lienemann lancent un nouveau parti dénommé APRÈS, qui signifie Alternative pour un Programme Républicain, Écologiste & Socialiste. Ils ont publié un appel afin d’inviter à les rejoindre.

Appel de l'APRES

Le nom APRÈS et l’appel qui y est afférent montre cependant les grandes limites de leur démarche. Normalement, le socialisme est un terme général qui englobe tout le projet politico-culturel de la Gauche. Ainsi, l’écologie ne doit être qu’un aspect inhérent au programme, tout comme peut l’être la question républicaine si l’on souhaite raisonner en ces termes.

En mettant sur le même plan les notions de « Républicain », « Écologiste » avec celle de «  Socialiste », l’APRÈS fait une grande erreur. Elle dénature totalement le projet Socialiste pour en faire une sorte de synonyme de « politique sociale envers les classes populaires ».

Il n’y a d’ailleurs dans cet appel pas de véritable projet, mais une vague proposition qui se contente de dire « changer la vie » pour montrer la filiation à François Mitterrand en imaginant que cela suffise.

On l’aura compris, il ne s’agit pas d’une nouvelle organisation visant à changer le monde mais d’un rassemblement politique avec des vues électorales, et d’abord les prochaines Européennes. Cela était évident déjà vu la façon dont Emmanuel Maurel et Marie-Noëlle Lienemann ont quitté leur propre organisation le Parti Socialiste, en plein vote interne afin de la torpiller puisque leurs positions n’allaient pas être adoptées.

> Lire également : Emmanuel Maurel et Marie-Noëlle Lienemann torpillent le Parti Socialiste

Mais franchement, quel sens cela a-t-il de jouer les vierges effarouchées par la désillusion de François Hollande, tout en disant que « depuis 25 ans, la social-démocratie européenne a peu à peu cédé devant le Libéralisme » ?

Pourquoi se réveiller maintenant à l’automne 2018, si ce n’est parce que c’est suffisamment tôt mais pas trop tôt non plus pour faire une alliance électorale à Gauche pour les Européennes ? Emmanuel Maurel et Marie-Noëlle Lienemann sont tous deux déjà députés européens et risqueraient de perdre leur mandat avec la déroute prévisible au PS, ceci expliquant certainement cela.

> Lire également : Emmanuel Maurel et le mouvement ouvrier

Le contenu proposé n’est qu’un keynésianisme intéressé par les questions industrielles, mais ne relevant pas du mouvement ouvrier. C’est une organisation de Gauche de plus, appelant à l’unité certes, mais n’apportant rien de nouveau ni de vraiment concret qui justifierait la démarche autrement que sur le plan électoral.

Voici leur appel :

ap-res.fr/appeldelapres/

Appel de l’Alternative pour un Programme Républicain, Écologiste & Socialiste

Nous nous sommes engagés parce que nous voulions une société plus juste, une société plus libre, une société plus démocratique, parce que nous voulions agir pour améliorer la vie de nos concitoyens, au plus près d’eux évidemment, mais aussi plus largement porter des réformes qui mettent en œuvre un idéal révolutionnaire – Liberté, Égalité, Fraternité – pour changer la vie. Longtemps, il nous est apparu que le PS était le parti capable de transformer le réel dans ce sens. Nous constatons comme beaucoup d’autres avec tristesse et regret qu’il a cessé de l’être.

Depuis 25 ans, la social-démocratie européenne a peu à peu cédé devant le Libéralisme cessant de résister devant les multinationales et les intérêts privés des groupes financiers. Pendant quelques années, le socialisme français a semblé moins atteint par la dérive néolibérale initiée par Tony Blair. Las, le mandat de François Hollande a démontré qu’au pouvoir les dirigeants du PS avaient eux aussi abdiqué. On connaît les conséquences : des réussites ténues, mais une politique injuste socialement, inefficace économiquement, des écarts avec nos valeurs républicaines, une incompréhension puis un rejet par nos concitoyens, par le peuple de gauche. Nombre de dirigeants « socialistes » étaient prêts en 2017 à vendre leur âme pour un soutien du nouveau Président.

On aurait pu imaginer que le PS apprendrait de la double déroute présidentielle et législative : il n’en est rien… aucun bilan du quinquennat, aucune vision politique, l’inertie règne rendant incapable de parler au reste de la gauche et au mouvement social ou d’être entendus par les Français. La « Renaissance » promise aux militants ressemble à une glaciation.

Alors que la majorité de la social-démocratie européenne se montre au mieux ambigüe, au pire complaisante, envers le néo-libéralisme, les dirigeants nationaux du PS ont annoncé qu’ils se plieraient à ses choix pour son programme électoral et son candidat à la présidence de la Commission européenne. Ils refusent l’idée même de proposer à la gauche française de s’unir aux élections européennes, alors que la raison et l’urgence le commandent. Les mêmes logiques produiront les mêmes effets : compromissions avec les droites européennes et des promesses qui n’engagent donc que ceux qui y croient… la crédibilité s’efface devant la duplicité.

Nous, femmes et hommes de gauche, nous nous organisons pour que cela change.

Pour nous, la République, l’écologie et le socialisme sont une seule et même chose : la défense du bien commun.

Redonner force à la règle commune contre l’individualisme, protéger notre unique planète contre le productivisme, investir dans les moyens publics d’émancipation contre le libéralisme, tel est le programme. Comme toujours à gauche, il sera débattu et enrichi par tous ceux qui nous rejoindront autour de nos valeurs et de nos buts.

Il n’y a plus de temps à perdre dans la compromission désolée et la morne survie de chacun dans son coin. La résignation est une défaite, l’espoir est une première victoire.

Il est à nouveau temps de parler d’avenir.
Maintenant, c’est A.P.R.É.S !

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Les gilets jaunes : une colère juste

Le mouvement de contestation du 17 novembre, organisé par le Collectif des gilets jaunes est empreint d’une colère juste, celle d’automobilistes se sentant piégés par le gouvernement.

Gilets jaunes

Ce qui ressort de la grogne est que de nombreuses personnes ont opté pour l’achat d’un véhicule Diesel pour une question de moins de consommation de l’essence, par soucis écologique ; or maintenant il est dit que l’on va taxer le Diesel pour ces mêmes raisons !

Impossibilité pour les gens de changer de véhicule rapidement, cela coûte cher ! Impossibilité de passer au tout électrique, pas d’infrastructures développées ni de prix attractifs. Les gens se sentent bernés ! C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase ! Cette colère mène à une revendication si forte et si épidermique qu’elle dépasse les réflexions d’ordre écologique. A gauche, nous devons entendre cette grogne et la comprendre.

Le mouvement social des Gilets Jaunes est un phénomène rare depuis ces dernières années. Il s’agit d’une mobilisation spontanée de groupes de personnes via un réseau social. Ces personnes ne dépendent ni d’un corps de métiers, ni de syndicats ou de partis politiques.

Nous les croisons et les reconnaissons tous avec leur gilet de sécurité sur le tableau de bord. C’est une mamie, une coiffeuse à domicile, un électricien, une mère, un homme, une femme, un jeune intérimaire. Rien ne les rassemble et pourtant ils ont tous en commun d’être obligés de se servir de leur voiture, quotidiennement.

Oui sans aucun doute, de nombreux petits entrepreneurs ayant répondu aux sirènes du libéralisme se plaignent de la hausse du carburant et feront partie de la mobilisation. Mais il y a aussi des personnes qui, dans des régions dépourvues ou mal desservies par les transports en commun ont fatalement besoin de leur voiture pour se déplacer !

Il est essentiel de prendre en compte cette donnée quand on essaie (et il le faut !) d’analyser ce mouvement : effectivement il y a des entrepreneurs, des personnes qui ne pensent pas à l’écologie, mais aussi des personnes dépendantes de leur véhicule motorisé, à moyen ou faible revenu qui ne peuvent faire sans.

Mettre en avant l’instrumentalisation par des sociétés privées ou des personnes politiques de la vindicte populaire est un manque évident de respect de la mobilisation des masses. Évidemment l’approche des Gilets Jaunes est confuse mais on ne pas en attendre plus ! L’état actuel de l’avancée du capitalisme fait que l’individualisme est à son zénith.

Comment des personnes forcées à réfléchir à être différentes et devant chercher à se définir par leur orientation sexuelle, peuvent réussir à s’unir dans une perspective commune ?

Pourtant les gilets jaunes sont dans le mouvement et cela doit être mis en avant car c’est le mouvement interne du changement du capitalisme, preuve d’une mobilisation de masse qu’il va à sa perte. Lorsque l’on est à gauche, nous devons observer ce mouvement sans pour autant en attendre une envie de révolution, mais s’en réjouir tout de même !

A ce jour, le prix de l’essence est le problème principal de la population. « L’argent est le nerf de la guerre », cette citation est pour le mouvement des gilets jaunes l’étendard. A gauche, nous pouvons déplorer cette mobilisation qui ne va pas dans le sens d’une avancée écologique mais nous devons l’entendre et la comprendre comme une avancée de la décrépitude du capitalisme.

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11 novembre 1918 : comment Emmanuel Macron n’a pas parlé d’Octobre 1917

Dans son discours lors de la cérémonie du centenaire du 11 novembre 1918, Emmanuel Macron a fait comme tous les journalistes et historiens : il n’a pas mentionné les révolutions russes de février et d’Octobre 1917, qui ont ébranlé la première guerre mondiale.

Emmanuel Macron

Pour faire court, rappelons de manière sommaire les faits. Les empires étaient très faibles, de par leur base moyen-âgeuse, l’Autriche-Hongrie et la Russie étaient incapables de mener la guerre, de par leur intendance lamentable, la faiblesse de leur appareil d’État bureaucratique, etc. La Russie s’effondre avec la révolution démocratique de février 1917. Mais le gouvernement veut continuer la guerre et il est lui-même renversé à l’initiative des bolcheviks de Lénine en octobre 1917, avec le mot d’ordre « pain paix liberté ».

La Russie sort alors de la première guerre mondiale. Qui plus est, comme le drapeau rouge flotte sur le Palais d’Hiver, c’est la panique générale dans toutes les bourgeoisies européennes. Si la guerre continue, que cela se passe mal, n’y a-t-il pas les risque d’un soulèvement général ? La Gauche, brisée par la guerre et intégrée dans les institutions, ne risquent-elles pas de renaître à travers une désobéissance générale ?

Cette peur était accompagnée, effectivement de nombreuses mutineries, de protestations toujours plus nombreuses de la part des soldats. La guerre s’enlisait, la fièvre nationaliste s’était lassée dans les tranchées, les massacres dans les affrontements ne modifiaient pas réellement les lignes de front.

Il fallait donc en terminer la guerre coûte que coûte et c’est l’intervention américaine qui va être décisive, alors que l’Allemagne n’était plus en mesure de pouvoir assurer l’intendance de sa propre armée pour très longtemps. C’est pour cela que la guerre fut terminée d’un coup, sans aller jusqu’à Berlin. Il fallait se débarrasser de la guerre, le plus vite possible, couper court à toute rébellion et faire en sorte que le soulagement de la fin de la guerre se transforme en joie apolitique, sans conséquences pour le régime.

Le silence d’Emmanuel Macron est révélateur de ce qui est masqué. D’ailleurs, les médias et les historiens ne sont-ils pas restés silencieux pareillement au moment du centenaire d’Octobre 1917, un événement qui a pourtant ébranlé l’histoire du monde ?

La manière dont ce silence s’est déployé est révélateur de la hantise, encore aujourd’hui et avec raison, des bourgeois devant le spectre de la révolution sociale, et plus exactement du socialisme, qui représente leur antithèse exacte.

La mobilisation populaire organisée, assumant la gestion du pays, voilà ce qui est leur grande peur. D’où la nécessité de vanter l’État, d’infantiliser les gens, d’effacer les expériences historiques de véritable démocratie, de nier la possibilité même pour le peuple d’être lui-même l’État.

L’État ne pourrait exister que par en haut, au moyen de quelques milliers de spécialistes, en collusion avec les grandes entreprises. Un État par en bas, comme l’État des « soviets », des « comités », n’est même pas présentée comme une absurdité, mais comme une impossibilité, et comme il y a eu une expérience historique, il s’agit de ne pas en parler.

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Week end de mobilisation pour le mouvement des Gilets jaunes

Ce samedi, la mobilisation des Gilets Jaunes a débuté à 6h et s’est terminé dans la soirée. Les chiffres officiels sont de plus de 2 000 rassemblements pour plus de 280 000 manifestants. Des blocages ont été organisés à des péages et des parties d’autoroutes ont été la cible du mouvement comme l’A62 et l’A68 dans le sud est du pays, ou l’A4 (où un péage a été fortement dégradé) et l’A31 dans l’est… Ils ont ainsi été très nombreux et présents partout en France, que ce soit autour de grands axes ou de petits rond-points.

gilets jaunes

Ainsi, le mouvement des Gilets jaunes a été une véritable mobilisation. Cela en dit long sur la nature de la France, qui d’un côté fait face à la cherté de la vie, et résiste, mais de l’autre ne voit la société qu’en termes de gains et de pertes.

Il n’y a aucune mentalité politique, et encore moins une réflexion sur la nature du monde. Pourtant, comment un tel mouvement sera-t-il compris, dans 10 ans, alors que le réchauffement climatique sera vu comme une catastrophe comprise trop tardivement?

Cependant, il faut bien saisir que la révolte des automobilistes est aussi une révolte contre l’automobile. Car la place qu’a prise cette dernière apparaît intenable. Les Gilets jaunes veulent assurer son utilisation, mais leur protestation pose en même temps, de par l’ampleur de la crise, la preuve de sa fin.

Le fait que les gens puissent prendre à tort et à travers la voiture n’est pas tenable écologiquement et c’est valable même quand c’est nécessaire. Par conséquent, il va falloir un monde où l’on peut se passer de la voiture, même pour les choses nécessaires.

Ce que cela veut dire, aussi, c’est que les Gilets jaunes sont des protagonistes d’une chose qui les dépasse. Les esprits critiques diront de manière juste que leur démarche est erronée, que le problème ne se pose pas ainsi. C’est vrai. Mais les Gilets jaunes ne posent pas le problème, ils assument d’être le problème.

Ils ont cherché d’ailleurs justement à s’interposer, les blocages ont été leur manière de revendiquer leur existence. Et là ce n’est pas erroné, il y a la dignité. Celle de l’automobiliste, prolétaire, qui fait le plein et compte ses sous pour cela.

Paradoxalement, les Gilets jaunes qui sont apolitiques sont donc politiques, leur mépris de l’écologie a une grande portée écologiste, si l’on voit en leur réalité la grande crise du capitalisme tant sur le plan de la vie quotidienne et de son prix, que de celui de l’écologie.

Et l’ampleur de leurs initiatives, son caractère décentralisé et national, reflète bien la densité de cette crise, son ampleur, sa vigueur dans les tréfonds de la société.

Bien plus que les zadistes, minorité ayant choisi de contourner les problèmes, les Gilets jaunes reflètent une volonté de combat. Et il faut avoir conscience que ce combat, dans les conditions actuelles, a toutes les chances d’être dévié en soutien au fascisme, à moins que la Gauche assume sa position historique de vouloir établir le Socialisme.

> A lire également : Les gilets jaunes, la révolte pour et contre l’automobile ?

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La première guerre mondiale, les républiques, les empires

Marine Le Pen a affirmé il y a peu que les empires, et non les nations, étaient responsables de la guerre. C’est un discours parallèle à celui d’Emmanuel Macron sur l’unité européenne contre les nations, dans le sens où cela témoigne d’une course à la puissance, au renforcement dans le cadre d’une éventuelle guerre pour le repartage du monde.

Marine Le Pen

Il y a quelques jours, Marin Le Pen a expliqué qu’Emmanuel Macron aurait tort de dénoncer le nationalisme comme cause de guerre. Selon elle, la première guerre mondiale aurait été provoqué par les empires, non par les nations. Et selon elle encore, Emmanuel Macron serait justement partisan d’un empire, l’empire européen, ne pouvant conduire qu’à la guerre.

A l’arrière-plan, on retrouve beaucoup de choses. Marine Le Pen reprend le thème classique comme quoi seuls les empires – l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, voire la Russie – auraient été les forces motrices de la tendance à la guerre. Sauf que la Grande-Bretagne était alors un empire, et que qui plus est la France l’était aussi, en tant que « République » étant un empire colonial.

La France de la première guerre mondiale n’était pas un État national, mais un empire multiculturel ne sachant pas comment faire pour maintenir son emprise, oscillant entre universalisme avec intégration de tous et demi-apartheid.

Il y a également chez Marine Le Pen la seconde idée qu’une France non alliée à l’Allemagne tirerait davantage ses épingles du jeu, alors que les États-Unis et la Chine vont à la confrontation. Une « république » avec une base sociale contrôlée serait plus sûre, plus à même de manœuvrer, qu’une France intégrée dans une Union Européenne centralisée dans sa direction par une tête franco-allemande.

Ce qui revient à cette idée malsaine, fondamentalement malsaine, de placer son pays sur l’échiquier géopolitique des affrontements mondiaux, de raisonner uniquement en termes de partage et de repartage du monde.

Il ne faut pas ici se voiler la face, une partie importante des Français raisonnent déjà ainsi, expliquant que « les Chinois vont nous bouffer », qu’il existe un complot américano-sioniste, que Merkel veut un grand Reich allemand de nouveau, ou bien encore que seule l’Union Européenne peut relancer la France dans la course mondiale.

Un raisonnement du même type explique que l’écologie ne sert à rien en France, car seuls les États-Unis et la Chine compteraient si on s’intéresse à ce domaine.

Le problème de fond est que la France a été une très grande puissance, qu’elles est affaiblie, mais encore très puissante. Il y a donc un complexe et souvent la volonté de la grenouille de se faire plus grosse que le bœuf. Il y a un sentiment inacceptable de perte de puissance impérialiste, qui provoque des réactions épidermiques nationalistes.

Tout cela accumulé risque de transformer le pays en cocotte-minute nationaliste, avec des fractions politiques s’affirmant pour ou contre l’Union Européenne, mais toujours avec comme seule perspective le renforcement de la France.

Jean-Luc Mélenchon, qui ne critique jamais l’armée française comme institution et appelle la France à développer économiques les zones océaniques qu’elle contrôle, est un bon exemple d’une telle variante, ici sociale-impérialiste, c’est-à-dire sociale en parole, impérialiste dans les faits.

Cela n’est pas gai et ce sentiment de frustration impérialiste peut nous péter à la figure, tout comme le ressentiment italien a été marquant après 1918, dans un pays victorieux mais à qui la victoire n’a rien apporté, à part cette impression d’être une puissance de seconde zone.

On sait comment est le patriotisme français, hautain au point d’accepter une critique éventuelle de gens d’autres pays, mais de mauvaise foi et prompt au nationalisme. Il y a là une bombe à retardement culturel.

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Place publique de Raphaël Glucksmann : les bobos veulent sauver leur peau

« Agir pour lutter contre le réchauffement climatique et préserver le vivant. Agir pour empêcher que la montée des inégalités ne disloque nos sociétés. Agir pour endiguer la vague identitaire et autoritaire qui s’abat sur nos démocraties. Agir pour construire une Europe démocratique, solidaire et écologique. Agir pendant qu’il est encore temps. »

Place publique, Libération

En soi, c’est là agir pour que rien ne change. La société tangue, l’économie capitaliste perd de sa stabilité, le nationalisme se renforce brutalement : c’est de plus en plus la panique pour les classes moyennes intellectuelles habituées à un certain confort, et surtout une certaine tranquillité.

C’est bien là le sens de l’initiative de l’intellectuel Raphaël Glucksmann de fonder un nouveau mouvement politique, dénommé Place publique, dont les lignes citées plus haut forment le début du petit manifeste.

Rien que le nom du mouvement souligne comme il se doit le côté à la fois populaire et démocratique attendu, sans marqueur historique de gauche pour autant (« socialiste », « communiste », « parti », « gauche », etc.). Ce qui fait qu’on se demande obligatoirement pourquoi un nouveau mouvement serait nécessaire, alors que cette perspective est déjà par exemple celle de Génération·s de Benoît Hamon ou d’Europe Ecologie Les Verts.

Ces deux derniers mouvements ont d’ailleurs immédiatement pris contact avec Place publique et ils avaient déjà, par le passé, demander à Raphaël Glucksmann d’être sur leurs listes pour les prochaines Européennes. Il a préféré tenter sa chance seul, suivant ainsi son profil carriériste, sa logique de bobo s’appropriant l’espace public.

Le profil des autres principaux membres est évidemment tout à fait parallèle à celui de Raphaël Glucksmann : Jo Spiegel, maire de Kingersheim, est un ancien socialiste adepte de la démocratie participative, Diana Filippova qui est chef d’entreprises appréciant les nouvelles technologies et les logiques de Think tank, Thomas Porcher est un économiste « hérétique » opposé au libéralisme économique, Claire Nouvian la fondatrice de l’association Bloom opposé à la pêche en eaux profondes.

Ces gens s’imaginent qu’il suffit d’avoir de leur expérience et des choses à dire pour s’inscrire dans l’histoire. Alors qu’il s’agit simplement de bobos étrangers au peuple, cherchant à défendre leur existence en niant le capitalisme et en prétendant que, actuellement, la France verrait sa « démocratie kidnappée par des lobbys qui dévoient chaque jour un peu plus nos institutions ». Le fait que le premier meeting se déroulera à la mi-novembre à Montreuil en Seine-Saint-Denis va de paire aussi, puisque le bas-Montreuil est devenu un important bastion des bobos cette dernière décennie.

On imagine très bien qui sera présent, quant on voit qui l’appel de Place publique présente comme les acteurs véritables de notre époque :

« Coopératives paysannes sur les circuits courts, associations se battant pour préserver les solidarités sociales ou lutter contre les discriminations qui défigurent la République, tiers lieux réinventant l’espace public, collectifs œuvrant à un accueil digne des exilés ou s’opposant aux projets climaticides, élus locaux mettant en place la démocratie participative, ONG luttant contre l’évasion fiscale, tous essaient, à leur niveau, d’infléchir le cours des choses. »

Autant dire qu’il s’agit là, comme EELV et malheureusement de Génération·s, de quelque chose n’ayant aucun sens historiquement. La petite-bourgeoisie, ici intellectuelle a peur de se prolétariser, et a peur de la bourgeoisie en même temps. Inexistante dans le fond, car n’étant que le sous-produit du développement du capitalisme dans toute son ampleur, la petite-bourgeoisie veut sauver sa peau, prétend définir l’actualité, maintenir le statu quo. C’est déjà condamné par l’histoire.