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Week end de mobilisation pour le mouvement des Gilets jaunes

Ce samedi, la mobilisation des Gilets Jaunes a débuté à 6h et s’est terminé dans la soirée. Les chiffres officiels sont de plus de 2 000 rassemblements pour plus de 280 000 manifestants. Des blocages ont été organisés à des péages et des parties d’autoroutes ont été la cible du mouvement comme l’A62 et l’A68 dans le sud est du pays, ou l’A4 (où un péage a été fortement dégradé) et l’A31 dans l’est… Ils ont ainsi été très nombreux et présents partout en France, que ce soit autour de grands axes ou de petits rond-points.

gilets jaunes

Ainsi, le mouvement des Gilets jaunes a été une véritable mobilisation. Cela en dit long sur la nature de la France, qui d’un côté fait face à la cherté de la vie, et résiste, mais de l’autre ne voit la société qu’en termes de gains et de pertes.

Il n’y a aucune mentalité politique, et encore moins une réflexion sur la nature du monde. Pourtant, comment un tel mouvement sera-t-il compris, dans 10 ans, alors que le réchauffement climatique sera vu comme une catastrophe comprise trop tardivement?

Cependant, il faut bien saisir que la révolte des automobilistes est aussi une révolte contre l’automobile. Car la place qu’a prise cette dernière apparaît intenable. Les Gilets jaunes veulent assurer son utilisation, mais leur protestation pose en même temps, de par l’ampleur de la crise, la preuve de sa fin.

Le fait que les gens puissent prendre à tort et à travers la voiture n’est pas tenable écologiquement et c’est valable même quand c’est nécessaire. Par conséquent, il va falloir un monde où l’on peut se passer de la voiture, même pour les choses nécessaires.

Ce que cela veut dire, aussi, c’est que les Gilets jaunes sont des protagonistes d’une chose qui les dépasse. Les esprits critiques diront de manière juste que leur démarche est erronée, que le problème ne se pose pas ainsi. C’est vrai. Mais les Gilets jaunes ne posent pas le problème, ils assument d’être le problème.

Ils ont cherché d’ailleurs justement à s’interposer, les blocages ont été leur manière de revendiquer leur existence. Et là ce n’est pas erroné, il y a la dignité. Celle de l’automobiliste, prolétaire, qui fait le plein et compte ses sous pour cela.

Paradoxalement, les Gilets jaunes qui sont apolitiques sont donc politiques, leur mépris de l’écologie a une grande portée écologiste, si l’on voit en leur réalité la grande crise du capitalisme tant sur le plan de la vie quotidienne et de son prix, que de celui de l’écologie.

Et l’ampleur de leurs initiatives, son caractère décentralisé et national, reflète bien la densité de cette crise, son ampleur, sa vigueur dans les tréfonds de la société.

Bien plus que les zadistes, minorité ayant choisi de contourner les problèmes, les Gilets jaunes reflètent une volonté de combat. Et il faut avoir conscience que ce combat, dans les conditions actuelles, a toutes les chances d’être dévié en soutien au fascisme, à moins que la Gauche assume sa position historique de vouloir établir le Socialisme.

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Les gilets jaunes, la révolte pour et contre l’automobile ?

Les Français sont bien souvent obligés de prendre leur voiture. La cherté toujours plus marquée de cette nécessité provoque une rancœur s’exprimant à travers les « gilets jaunes » entendant organiser des blocages ce 17 novembre 2018. C’est un système intenable qui s’ébranle de l’intérieur.

La vie quotidienne en France est difficile voire impossible sans voiture pour beaucoup de gens. Aller au travail, à l’hôpital, au supermarché, voir sa famille, au restaurant, en discothèque… Tout cela n’est réalisable en pratique qu’avec une voiture, à moins d’habiter dans une grande métropole, et même là les infrastructures de transport sont souvent défaillantes. Cela est particulièrement vrai pour les personnes âgées ou handicapées, ou encore quand on a des enfants.

C’est qu’à partir de la relance du capitalisme dans les années 1950, la voiture a été considérée comme le vecteur du nouveau mode vie. Ce qui a primé, c’est la route, depuis les autoroutes jusqu’aux rocades et au périphérique parisien, ce dernier étant une insulte terrible sur le plan architectural.

Or, ce n’est aujourd’hui plus tenable. La voiture est devenue une prise d’otages. Elles sont de plus en plus technologiques, avec des réparations coûtant toujours plus cher. Le contrôle technique est devenu récemment bien plus pointilleux et si la sécurité a du bon, tout le monde a bien compris que tous ces progrès servent surtout de complications et de levier pour arracher plus de profit.

À cela s’ajoute les incessantes augmentation du prix de l’essence, censées être justifiées par la hausse des prix du pétrole, sauf que les baisses ne se font jamais ressentir.

Inacceptable pour un ressentiment déjà présent et c’est de là qu’émerge le mouvement des gilets jaunes, qui reprend les codes des révoltes françaises anti-fiscales. L’exaspération contre les prix des carburants prend ici une tournure politique, qui a même ébranlé le gouvernement, qui cherche à tout prix à empêcher que cela fasse tâche d’huile.

C’est que le gouvernement est porté par des classes sociales profitant de la mondialisation, vivant plutôt dans les centre-villes, faisant des affaires et voyant en l’Union Européenne une perspective de paix et de développement. Les gilets jaunes sont quant à eux typiquement portés par les artisans, commerçants, petits-bourgeois travaillant de manière plus ou moins indépendante, vivant dans les marges du grand capitalisme et avec toujours une épée de Damoclès sur la tête. Ces gens peuvent gagner beaucoup, ils peuvent vite tout perdre aussi.

Et là dans leur peur, la question de la voiture est absolument vitale ; sans elle, c’est toute leur existence sociale qui est en jeu. Les gilets jaunes sont un mouvement de survie sociale de certaines couches sociales intermédiaires.

Leur réaction interpelle forcément tout le monde qui plus est, parce qu’en France jusqu’à très récemment, l’utilisation de la voiture était banale sur le plan des dépenses, malgré son prix. Tout cela a changé, il y a la fois colère et incompréhension. Et c’est aussi pour cela que les gilets jaunes représentent quelque chose de plus qu’une volonté de baisse des carburants. Ils reflètent l’attraction et la répulsion des gens pour leur propre mode de vie.

D’un côté, ils sont obligés de vivre avec ce qu’il y a, et donc ils exigent de pouvoir le faire comme ils l’ont toujours fait. On bascule ici aisément dans le romantisme d’extrême-droite avec le « c’était mieux avant ». Les gilets jaunes formulent d’ailleurs de manière ouverte surtout la volonté de pouvoir continuer à faire comme ils l’ont toujours fait avec leur voiture.

De l’autre, les gens savent que ce n’est pas tenable, que le découpage des villes et des campagnes est une catastrophe sur tous les plans, que l’utilisation de la voiture, incontournable, n’est qu’un pis-aller. Qu’il y a des problèmes partout : l’absence de postes, de crèches, de banques, de magasins, d’hôpitaux bien sûr. Que les loisirs sont compliqués à aménager, que la pollution se généralise, qu’il y a une dégradation générale du cadre de vie.

C’est en fait le capitalisme qui se ratatine sur lui-même, la crise climatique étant l’expression du caractère devenu absurde du mode d’organisation de l’humanité. Les gilets jaunes représentent une rébellion contradictoire par conséquent : ils veulent vivre comme avant, mais ils expriment le fait que cela n’est plus possible.

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Ammerschwihr et la situation des campagnes alsaciennes

En 2010, lors des élections régionales, gagnées de justesse par la droite en Alsace, alors que l’essentiel des régions basculaient à gauche dans les mains du Parti Socialiste, le Front National a enregistré à cette occasion une défaite relative en perdant 3 sièges pour n’en conserver que 5 au Conseil Régional, qui pilote les moyens et les missions délégués par l’Etat.

En particulier, le responsable local du FN, Patrick Binder, père de 6 enfants, travaillant dans la comptabilité et condamné en 2011 à 3 mois de prison avec sursis pour insultes à caractères antisémites et racistes, a pu maintenir son mandat, avec celui de son épouse d’ailleurs.

Depuis, la situation a évolué en Alsace comme dans le reste de notre pays, avec un renforcement du vote pour l’extrême droite, et en particulier du FN, et un effondrement de la gauche, notamment avec les dernières élections présidentielles et législatives de 2017.

On le voit sur les cartes présentées ici, la situation est la suivante : dans un contexte d’abstentionnisme généralisé, les villes tendent à concentrer les électeurs entendant que le régime se poursuive sous une forme libérale, plutôt centriste depuis la victoire d’Emmanuel Macron.

Les périphéries urbaines et les campagnes voient elles une explosion de la tendance à voter pour le FN.

On retrouve ici l’un des grands thèmes mis en avant comme clef par le « matérialisme dialectique » : la production d’une contradiction historique villes/campagnes et une tendance à la segmentation sociale sur le plan territorial qui s’accroit.

Le danger que soulignent ces résultats électoraux, est qu’ils montrent qu’une partie de l’extrême droite a compris cela. Il leur est apparu de plus en plus clair que les contradictions territoriales, mais aussi professionnelles, entre le travail manuel et le travail intellectuel, étaient une conséquence du libéralisme bourgeois et que ces contradictions allaient en s’aggravant.

Face à l’effondrement de la Gauche, qui occupait traditionnellement cet espace, le FN en particulier a mis cela en avant, et de manière de plus en plus affirmée ces derniers mois notamment avec la création dissidente des « Patriotes » de Florian Philippot ou le dernier Congrès du FN début mars 2017 durant lequel Marine Le Pen, seule candidate à la Présidence de son Parti, à clairement exprimé la volonté de se saisir de cet enjeu et d’occuper cet espace politique.

Évidemment, l’extrême droite ne peut ni saisir correctement cette problématique, ni donc y faire face concrètement. Mais elle peut y trouver un terrain où développer ses thèses populistes, en dénonçant sur cette base une soi-disant fracture entre « mondialistes » et « patriotes », dont l’essor métropolitain des villes serait par exemple une conséquence de la « mondialisation nomade », c’est-à-dire du capitalisme financier et « non régulé ».

Il ne faudra pas encore pousser très loin pour entendre parler « d’oligarchie », de la « banque » et bientôt des « Juifs ». Sur ce point néanmoins, les nécessités idéologiques de la lutte contre l’islamisme, lui-même violemment antisémite, modèrent toutefois pour l’instant les velléités explicitement antisémite du FN et de sa ligne.

Dans ce contexte, il est donc intéressant de saluer cette initiative spontanée de la jeunesse d’un village alsacien du Piémont vosgien, Ammerschwihr, dans le département du Haut-Rhin.

Ammerschwihr est un petit village d’environ 1800 habitants, très typique du vignoble alsacien.

Le village se situe à proximité de la ville de Colmar, principal bassin d’emploi de ses habitants, et vit pour le reste du tourisme, de par le caractère « iconique » de ses paysages, et de la production de vin en coopérative de petits et moyens propriétaires, notamment en la matière, ceux-ci s’appuient sur la réputation du terroir de la colline de Kaefferkopf, qui bénéficie de la part de l’Etat de la reconnaissance d’un label particulier et du classement en « grand cru ».

En outre, sur le ban de la commune, on trouve aussi le lieu-dit des « Trois-Epis », où les catholiques locaux ont développé une tradition de pèlerinage à la Vierge Marie depuis la fin de la terrible Guerre de Trente Ans au XVIIème siècle, et où la MGEN (Mutuelle Générale de l’Education Nationale) a installé un vaste centre médical de repos des personnes en suivi d’opération chirurgicales ou nécessitant une hospitalisation de convalescence.

La communauté de ce village n’est donc absolument pas marginalisée, on peut même dire qu’il s’agit ici d’un exemple presque caricatural de campagne développée avec un certain succès par l’intégration capitaliste.

C’est peut-être une des raisons qui a poussé Parick Binder à choisir ce village pour illustrer l’affiche de sa campagne électorale en 2010. Mais ceux sont justement aussi ces mêmes raisons qui ont produit de l’incompréhension et le rejet de la part d’une partie significative de la population et notamment de sa jeunesse.

La jeunesse de ce village a refusé en effet le discours intolérant et nationaliste du FN de manière créative et expressionniste en produisant une chanson explicitement engagée dans une perspective populaire, festive, joyeuse, assumant le métissage et la culture alsacienne, le vivre ensemble dans un esprit de paix, parce que les thèses de dénonciation populistes du FN contre la « mondialisation », l’immigration ou les attaques libérales, n’y faisaient pas écho à la réalité locale.

Il y aurait beaucoup à dire bien sûr à propos des limites de tout cela, notamment la banalisation irresponsable de la consommation d’alcool, d’autant que le « collectif » à l’origine de la chanson a encore produit une autre vidéo faisant l’apologie des « fêtes des caves » et de leur consommation outrancière de vin.

Il faut ajouter sur ce point, qu’à l’origine de la mobilisation, on trouve un jeune propriétaire vigneron justement, Arnaud Geschickt et sa famille. On peut aussi voir encore l’absence de toute vue d’ensemble, une certaine naïveté, tenant aussi sans doute au jeune âge des participants à ce collectif.

Mais ce qui compte, c’est que ces jeunes ont eu raison de se révolter, ils ont été correctement touché par l’esprit populaire, se sont saisi des codes expressionnistes des jeunes des villes dans leur style, ont développé grâce à leur niveau d’éducation et leurs valeurs une volonté d’exprimer politiquement et rationnellement le rejet de l’extrême droite.

Dommage qu’ils le fassent, par conséquent, sur une base petite bourgeoise, d’un village d’une campagne que l’on pourrait percevoir « heureuse » échappant partiellement à l’esprit décadent, compétitif et agressif dans lequel baigne plus souvent et plus complètement la jeunesse des métropoles alsaciennes comme Mulhouse ou Strasbourg particulièrement.

Pourtant, Ammerschwihr est aussi une campagne cernée par la production massive d’alcool, exposée aux pesticides, où malgré tout l’ennui, le désœuvrement pousse à la consommation d’alcool, de drogues comme le cannabis ou les drogues de synthèses et où existe et se développe aussi la violence dans les familles.

La base depuis laquelle ces jeunes défient musicalement le FN est donc fragile, il ne faut pas aller bien loin d’Ammerschwihr pour rencontrer une jeunesse alsacienne malheureusement plus travaillée par le nationalisme et les idéologies d’extrême droite.

Bien entendu, tout cela n’était pas le propos visé par cette chanson et cette mobilisation. Mais cela explique le fait qu’elle ait été finalement et malheureusement vaine. Le groupe réuni par cette expérience n’a pas su approfondir sa démarche collective, s’engager dans le long terme, générer un organisme de lutte sur la base de l’espace qu’il a réussi à ouvrir et c’est finalement volatilisé en l’absence de vocation à durer.

Toutefois, cet exemple souligne l’importance pour les gens de gauche de prendre le temps d’étudier le terrain dans lequel vit notre peuple, autour de soi et dans la situation générale de notre société, de relever les choses qui vont dans le bon sens, d’encourager les espaces d’expression démocratiques et populaires aspirant à se libérer du carcan étouffant de la société bourgeoise.

Et de le faire en mesurant les bases, les limites, les perspectives et les faiblesses de ces expressions, non pour les rejeter, mais les faire progresser, les renforcer, vers la démocratie, en élevant le niveau de conscience de chaque personne en partant du réel et le niveau d’engagement du plus grand nombre.