Dans toute l’Europe, il y a des gens sincèrement en faveur de la paix, qui détestent Donald Trump, mais qui pensent que ce dernier joue un rôle positif en refrénant le bellicisme et en « forçant » la paix en Ukraine.
Triste illusion ! Car la guerre n’est pas le produit du militarisme ou d’un choix belliciste. La guerre est le produit inexorable du capitalisme.
Jean Jaurès et la guerre comme possibilité
La gauche française est née façonnée surtout par Jean Jaurès, dont l’idée principale sur la guerre est restée largement dominante. Quelle est cette idée ? Que le capitalisme peut provoquer la guerre, que par l’esprit de compétition entre les pays qu’il implique, il donne naissance à des frictions qui risquent toujours d’arriver à la guerre.
Mais pour Jean Jaurès, la guerre est une possibilité, une option, qu’il faut chercher à éviter. Il ne considère pas du tout que la guerre est inévitable.
Il y a ainsi un grand contre-sens quand on lui fait dire que « Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage » et souvent des gens bien-intentionnés pensent bien faire.
Jean Jaurès n’est cependant ni Rosa Luxembourg, ni Lénine. Voici ce qu’il a réellement dit, à la Chambre des communes, en mars 1895.
« Toujours votre société violente et chaotique, même quand elle veut la paix, même quand elle est à l’état d’apparent repos, porte en elle la guerre, comme une nuée dormante porte l’orage. »
Jean Jaurès et la «paix» comme produit naturel du capitalisme
Le capitalisme porte la guerre, parce qu’il implique des contentieux entre pays, des concurrences acharnées, qui risquent toujours de mal tourner. On peut par contre conjurer la catastrophe, à condition d’avoir des socialistes suffisamment puissants dans le pays, pour contrer le militarisme.
Le militarisme, et non l’impérialisme. Là est la différence essentielle.
Militarisme ou impérialisme ?
Si on dit que le militarisme amène la guerre, alors pour empêcher la guerre, il suffit de rejeter le militarisme. On peut accepter une République française et son armée, il suffit d’empêcher que cette République ne bascule dans le militarisme, et que l’armée ne tombe aux mains de dirigeants cherchant la guerre.
Par contre, si on part du principe que le capitalisme connaît une excroissance, l’impérialisme, alors on comprend que la tendance à la guerre est inexorable.
Pourquoi ? Parce que si le capitalisme libéral, concurrentiel, est en faveur de la paix et des échanges internationaux, ce n’est pas le cas de l’impérialisme, comme « stade suprême » du capitalisme avec des monopoles prenant le contrôle du pays.
L’impérialisme, cela implique la guerre pour le repartage du monde. Chaque pays capitaliste cherche à former un nouvel « empire » autour de lui. C’est le Far West des grandes puissances.
Si on part de ce principe, et il le faut, alors il faut rejeter tant le régime de la République française et son armée, qui sont des outils du capitalisme, et donc de l’impérialisme.
Un exemple de différence
Prenons un exemple concret de ce que ça donne comme différence.
Voici ce que dit Révolution permanente, une organisation qui s’aligne justement sur la dénonciation du « militarisme » et non de « l’impérialisme ».
« L’idylle annoncée par les médias bourgeois entre Merz et Macron doit être prise comme une menace sérieuse par l’ensemble des travailleurs du continent.
La nation, la construction européenne ou l’amitié franco-allemande seront autant de prétexte pour militariser les sociétés, suspendre les droits sociaux et démocratiques et imposer de violentes attaques contre les travailleurs et la jeunesse.
Face au réarmement et aux dangers de guerre, face aux idylles militaires de Macron et de Merz, l’alliance qu’il faut souder est celle des travailleurs de tous les pays contre les capitalistes et contre leurs gouvernements : pas un euro pour leur guerre ! »
Macron-Merz : un nouveau couple franco-allemand pour mener l’Europe à la guerre
Il faut combattre le danger de guerre et ce qu’implique la militarisation. Mais au grand jamais il ne sera dit que la guerre est inévitable. C’est parce que, au fond, il est considéré que la guerre vient du « militarisme ».
Il en est exactement de même pour le PRCF (issu du PCF) et Lutte Ouvrière. Ce qui est très inquiétant parce qu’on parle ici des seules structures, avec agauche.org, ayant parlé du conflit militaire en Ukraine, en soulignant son importance.
Ça veut dire que pour eux, toute la séquence de la guerre en Ukraine est plus ou moins terminée. Ils tirent déjà des bilans de cette séquence, qui relève du passé à leurs yeux (on peut lire ici l’analyse approfondie de Lutte Ouvrière pour la fin février 2025 : « Ukraine les fauves prêts à se partager leur proie »).
Ils ne comprennent pas qu’en réalité, cette séquence s’imbrique dans une nouvelle séquence, encore plus dangereuse et avec encore plus d’ampleur.
Bien entendu, ça ne veut pas dire qu’ils ne voient pas qu’il y a bien une escalade militaire. Toutefois, il s’agit pour eux justement de militarisme. C’est comme s’il y avait un risque, et que ce risque est dépassé, pour passer à un autre risque.
La preuve politique est que toutes ces structures ne disent pas : attention, on va à la guerre mondiale de repartage du monde.
Ils disent : soupesons de manière géopolitique ce qui se passe, faisons des hypothèses, dénonçons le principe de guerre, ayons conscience que les masses vont être la cible d’attaques afin de la pressuriser encore davantage dans un tel contexte.
Ce n’est pas seulement qu’il manque la sensation d’urgence, la dimension dramatique. C’est surtout une erreur stratégique.
Pourquoi ? Car ça attribue à des choses secondaires une importance capitale, cela n’indique pas la contradiction principale qui est la tendance à la guerre, la marche inexorable à la bataille pour le repartage du monde.
Ces gens vont continuer leur logique de revendications, surtout syndicalistes, parfois « sociétales » (pour Révolution Permanente), parfois attentistes-populistes (pour Lutte Ouvrière), parfois parfois nationalistes (pour le PRCF).
Ils ne proposent pas une matrice qui soit juste, et qui dise : soit la révolution empêche la guerre, soit la guerre provoque la révolution !