Quand la chaleur devient étouffante en ville, que les trottoirs cuisent et que les conduites d’eau s’assèchent par endroits, un autre phénomène discret se produit : les rats sortent. Invisibles la plupart du temps, ils deviennent soudain plus faciles à observer, à la tombée du jour ou tôt le matin, parfois à la recherche d’eau. Certains apparaissent amaigris, désorientés, déshydratés. Et pourtant, bien peu s’interrogent sur leur sort. Le réflexe est souvent celui du rejet, du dégoût, voire de la peur.

Le rat n’éveille ni empathie ni curiosité, il est haï et exterminé. Cette détestation est montrée comme naturelle, évidente, du « bon sens » mais c’est en réalité une accumulation de mythes, doublé d’un désintérêt général pour la question animale, ce qui ne mène pas à rompre avec les stéréotypes.
Le rat brun, aussi appelé surmulot ou Rattus norvegicus, est l’un des animaux les plus répandus dans les villes modernes. Originaire d’Asie, a voyagé avec les humains, transporté dans les cales de navires vikings et marchands, d’où son nom scientifique. Il s’est installé un peu partout, porté par les flux de commerce, de population et… de déchets.
Aujourd’hui encore, il est indissociable des villes. Là où les humains s’installent, les rats suivent en raison de la nourriture abondante à travers les déchets humains. Ils sont également présents à la campagne, mais leur nombre en ville semble aller en augmentant à cause des conditions instables qu’ils subissent dans leur habitat « naturel » à cause du changement climatique (sécheresses, inondations, canicules, catastrophes…) et de l’urbanisation des campagnes.

Les égouts et les sous-sols des villes offrent alors un refuge plus constant. Mais lorsque ces refuges deviennent eux-mêmes plus secs ou plus chauds, les rats sortent à découvert. Et la ville, avec ses ordures faciles d’accès, devient une zone de survie.
La haine des rats repose souvent sur une idée simple : ils seraient sales. Mais cette saleté n’est pas la leur. Elle est produite par les activités humaines. Le nombre de rats en milieu urbain est directement proportionnel à la quantité de déchets alimentaires laissés à l’air libre. La seule variable de nombre en dehors de la nourriture existe dans les villes dotées d’un réseau d’égouts plus moderne et bien entretenu, leur population est nettement moins importante.
En réalité, en l’état de la saleté humaine visible en ville, mais qui existe aussi à la campagne, les rats sont plutôt des alliés. À Paris, ce serait 10 000 tonnes de déchets par an qu’ils aideraient à éliminer. Un site propose même un décompte en temps réel de ce service rendu.
Il y a en fait une forme de coopération inter espèces qu’il faudrait reconnaître.
Quant à leur hygiène, les rats sont en réalité des animaux très propres. Ils se lèchent plusieurs fois par jour, comme le font les chats. Ils trient ce qu’ils mangent, n’urinent pas là où ils dorment, et évitent les espaces souillés. La croyance populaire qui les associe à la saleté s’appuie donc davantage sur leur lieu de vie que sur leur comportement.


Mais il y a aussi cette peur plus ancrée : celle des maladies. On évoque souvent la leptospirose, une bactérie qui peut être transmise par l’urine des rats. C’est vrai, ils sont des porteurs très favorables du point de vue de la bactérie, puisqu’il sont sains. Mais ils sont loin d’être les seuls porteurs, il y a notamment les chiens, les porcs, les chèvres. Pourtant, dans les documents de prévention ou les campagnes d’information sanitaire, le rat est quasi systématiquement l’unique illustré. Les autres ne sont cités que brièvement, entre parenthèses. Contaminés par la leptospirose, les chiens sont en grand danger et peuvent contaminer leurs maîtres, mais pour autant on n’abhorre pas les chiens.
Le rat fait ici office de symbole répulsif : il incarne le danger, l’invisible, l’ennemi héréditaire et souterrain. On oublie alors que, dans certains territoires d’Outre-mer, près de 40 % des élevages porcins sont régulièrement confrontés à la maladie. En réalité, la vraie sous-évaluation de la transmission de la maladie se situe ici, car on sait que la grandes concentration d’animaux est contre-nature, que c’est est une catastrophe sanitaire et que les élevages porcins déversent une grande quantité de boues issues des déjections des animaux exploités.
C’est justement principalement par les urines que se transmet la bactérie, avec ensuite une survie en eau douce de quelques semaines à plusieurs mois, mais peut atteindre près d’un an dans des conditions idéales (eau douce, tempérée et peu polluée). Cette persistance explique pourquoi les milieux aquatiques sont un vecteur majeur de la maladie, il y a notamment un pic de contamination tous les ans vers la fin de l’été en raison des baignades et autres activités d’eau.

Il se trouve que les porcs sont, comme les rongeurs, des porteurs sains ! Les impacts ne sont constatables qu’au niveau de la reproduction, ce qui en fait des hôtes favorables. Il y a donc vraiment quelque chose à creuser si l’on est vraiment préoccupé par la leptospirose. Des études sur la leptospiroses et les porcs existent, mais seulement dans un souci de préserver la rentabilité qui se trouve entravée quand le cheptel se reproduit mal.
Cet aspect des choses, l’élevage, est absent des brochures de santé publique, il faut fouiller les publications vétérinaires ou les rapports techniques pour y accéder.
Outre la chasse aux rats des villes, les rats servent aussi de matière première à une autre forme de violence : l’expérimentation scientifique. Des millions d’entre eux vivent et meurent dans les laboratoires. Ils sont utilisés pour tester des substances chimiques, des médicaments, ou encore valider des hypothèses commandées par des intérêts industriels. Il s’agit d’expériences douloureuses, répétitives, invasives. Un cauchemar pour animaux en somme.
On teste notamment sur eux des molécules dont la nocivité est déjà connue, uniquement pour définir des seuils « acceptables » d’exposition pour les humains. Autrement dit, on continue à exposer des êtres vivants à la souffrance, non pour protéger, mais pour ajuster la marge de tolérance à ce qu’on sait être dangereux.
Certaines études relèvent même de la manipulation grossière. Par exemple, une recherche récente, financée par des intérêts liés à l’élevage, a consisté à nourrir des rats exclusivement avec de l’isoflavone de soja — un composé concentré, isolé, sans aucun lien avec une alimentation humaine réelle — dans le seul but de faire passer ce végétal pour dangereux. La conclusion a été relayée sans nuance dans les médias, dans le but de discréditer l’alimentation végétale.
Les rats sont donc maltraités par une société coupée de la nature et où règnent les intérêts particuliers qui s’accommodent bien du mépris envers le vivant. Pourtant ce sont des animaux extrêmement intelligents, il est par exemple quasiment impossible de les éradiquer, car ils ne se laissent pas empoisonner grâce à des ruses. Comme les rois et empereurs avaient leur goûteur, les rats, qui ont une organisation hiérarchisée, font tester tout nouvel aliment ou aliment suspect par des rats de moindre importance.
Ils détectent les anomalies alimentaires notamment grâce à leur puissant odorat. Ce dernier est aussi utilisé par l’homme pour détecter des mines anti-personnel et des maladies.

Par respect pour son intelligence et pour la vie en général, les rats doivent être considérés. Ils connaissent également des situations de détresse, mais personne ne les aide. Les seules association de rats qui existent sont en rapport au rat domestique, qui est très affectueux et grégaire, comme son cousin des villes !
Il n’existe pas de refuge pour rats « d’égouts » et de toute façon personne ne penserait à les emmener à un centre de soin ou à leur donner à boire pendant la sécheresse. Cela doit changer! Il n’y aura pas plus de rats si change notre rapport à eux, juste plus d’harmonie et moins de peur irrationnelle au coin de la rue.