L’Allemagne a sa tête une coalition, où la droite est hégémonique (elle a fait 28,5% aux élections de février 2025, contre 16,3% pour les sociaux-démocrates du SPD).
Le SPD est présent au gouvernement notamment avec le ministre de la Défense Boris Pistorius, qui ne cesse depuis sa nomination en janvier 2023 d’affirmer que la Russie veut la guerre contre l’Otan, qu’il faut se préparer à la guerre, etc.
En prévision du congrès du SPD fin juin 2025, l’aile gauche a décidé de se rebeller avec un manifeste dénonçant le bellicisme, tant en Allemagne que dans les autres pays.
On parle ici de l’aile gauche du SPD, dont la ligne est grosso modo de centre-gauche – et le document est bien plus à gauche que tout ce qu’on trouve en France dans les partis politiques parlementaires !
En France, le Parti socialiste est, en effet, totalement pro-guerre avec la Russie, alors que tant le PCF que La France Insoumise soutiennent les initiatives de soutien militaire au régime ukrainien, les appels à démanteler la Fédération de Russie, etc.
Ce manifeste, qui appelle ouvertement à la diplomatie et à ne pas s’aligner sur les forces bellicistes, notamment de l’Otan, fait chaud au coeur et rappelle les valeurs de la Gauche historique.
Ce sont d’ailleurs des figures historiques qui ont signé ce manifeste, en plus des représentants principaux de l’aile gauche ; au total, une centaine de personnes sont signataires, dans ce qui est un acte de défiance ouvert avec l’idéologie dominante de réarmement et de logique d’affrontement militaire assumé avec la Russie.

Manifeste : Assurer la paix en Europe par la capacité de défense, le contrôle des armements et la compréhension.
—À propos des Cercles de paix du SPD : les Cercles de paix du SPD sont un organe consultatif qui se réunit régulièrement pour discuter des questions liées à la politique de paix du SPD. Les participants sont issus de divers cercles, associations et groupes de travail, tels que le Cercle Erhard Eppler, le Cercle Willy Brandt, la Société Johannes Rau, le SPD 60 plus, le mouvement « Oser davantage de diplomatie », la Gauche démocratique 21, le mouvement « Détente maintenant ! », les Amis de la nature et le cercle Paix de Brême et de Cologne.—
Quatre-vingts ans après la fin de la catastrophe du siècle que fut la Seconde Guerre mondiale et la libération du fascisme hitlérien, la paix est à nouveau menacée en Europe.
Nous sommes confrontés à de nouvelles formes de violence et de violations de l’humanité : la guerre russe contre l’Ukraine, mais aussi la violation fondamentale des droits de l’homme dans la bande de Gaza.
La fracture sociale dans le monde se creuse, tant au sein des sociétés qu’entre celles-ci. La crise de la Terre et du système climatique, provoquée par l’homme, la destruction des sources de nourriture et les nouvelles formes de colonialisme pour les matières premières menacent la paix et la sécurité humaine.
Enfin, et ce n’est pas le moins important, les nationalistes tentent d’exploiter l’insécurité, les conflits et les guerres pour leurs intérêts néfastes.
Nous sommes loin d’un retour à un ordre de paix et de sécurité stable en Europe.
Au contraire : en Allemagne et dans la plupart des pays européens, des forces ont pris le dessus, cherchant un avenir principalement par une stratégie de confrontation militaire et des centaines de milliards d’euros de réarmement.
La paix et la sécurité ne peuvent plus être obtenues avec la Russie, affirment-ils, mais doivent être imposées contre elle.
On invoque la contrainte de construire des armements toujours plus importants et de se préparer à une guerre prétendument imminente, au lieu de lier les capacités de défense nécessaires à une politique de maîtrise des armements et de désarmement pour parvenir à une sécurité commune et à un rétablissement mutuel de la paix.
Nous sommes convaincus que le concept de sécurité commune est le seul moyen responsable de prévenir la guerre par la confrontation et l’augmentation des armements, indépendamment des divergences idéologiques et des intérêts conflictuels.
Le concept de sécurité commune a également constitué la base du traité de 1987 interdisant toutes les armes nucléaires de portée intermédiaire entre le président américain Ronald Reagan et le secrétaire général du PCUS Mikhaïl Gorbatchev, qui a joué un rôle clé dans la fin de la guerre froide en Europe et dans la réunification allemande.
Depuis les années 1960, le monde a été conduit à plusieurs reprises au gouffre nucléaire. La guerre froide a été caractérisée par une méfiance mutuelle et une confrontation militaire entre les principales puissances de l’Est et de l’Ouest.
Le président américain John F. Kennedy, Willy Brandt et d’autres hommes politiques de premier plan de l’époque ont tiré les bonnes conclusions du dangereux manque de perspectives pour cette course aux armements, devenu évident lors de la crise des missiles de Cuba.
La confrontation et l’augmentation des armements ont été remplacées par des pourparlers et des négociations sur la sécurité par la coopération, le renforcement de la confiance, la maîtrise des armements et le désarmement.
La signature de l’Acte final de la CSCE à Helsinki en 1975 a marqué l’aboutissement de cette convergence des politiques de défense et de désarmement, qui a assuré la paix en Europe pendant des décennies et a finalement rendu possible la réunification allemande.
À Helsinki, les principes fondamentaux de la sécurité européenne, fondés sur une interaction plus pacifique entre les États, ont été convenus : l’égalité des États quelle que soit leur taille, la préservation de leur intégrité territoriale, la renonciation aux menaces mutuelles de recours à la force, le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la renonciation à l’ingérence dans les affaires intérieures des États et l’accord de coopération globale.
Malheureusement, nous vivons aujourd’hui dans un monde différent.
L’ordre de sécurité européen basé sur les principes de l’Acte final de la CSCE avait déjà été de plus en plus miné dans les décennies précédant l’attaque illégale de la Russie contre l’Ukraine – également par « l’Occident » – par exemple par l’attaque de l’OTAN contre la Serbie en 1999, la guerre en Irak avec une « coalition des volontaires » en 2003, ou par le non-respect des engagements de désarmement nucléaire du Traité de non-prolifération nucléaire réaffirmé en 1995, par la résiliation ou le non-respect d’importants accords de contrôle des armements, principalement par les États-Unis, ou par une mise en œuvre totalement inadéquate des accords de Minsk après 2014.
Cette évolution historique montre que ce qui est nécessaire n’est pas une accusation unilatérale quant aux responsabilités, mais une analyse différenciée de toutes les contributions à l’abandon des principes d’Helsinki.
C’est précisément pourquoi nous ne devons pas oublier les leçons de l’histoire. Un retour à une politique de dissuasion pure, sans maîtrise des armements ni accumulation d’armements, ne renforcerait pas la sécurité de l’Europe.
Nous devons au contraire retravailler sur une politique de paix axée sur la sécurité partagée. Pour beaucoup aujourd’hui, la sécurité partagée paraît illusoire.
C’est une erreur dangereuse, car il n’existe aucune alternative responsable à une telle politique. Ce chemin ne sera pas facile.
Par conséquent, avant de pouvoir mettre en œuvre de véritables mesures de confiance, des mesures progressives sont nécessaires : limiter toute nouvelle escalade, protéger les normes humanitaires minimales, initier une coopération technique dans des domaines tels que la gestion des catastrophes ou la cybersécurité, et reprendre prudemment les contacts diplomatiques.
Ce n’est qu’une fois ces bases posées que la confiance pourra s’instaurer – et ainsi ouvrir la voie à une nouvelle architecture de sécurité européenne.
Le discours public sur la politique de sécurité doit également y contribuer.
Par ailleurs, l’Europe est plus que jamais appelée à assumer ses responsabilités. Sous la présidence de Trump, les États-Unis mènent à nouveau une politique de confrontation, notamment envers la Chine.
Cela accroît le risque d’une militarisation accrue des relations internationales. L’Europe doit y répondre par une politique de sécurité indépendante et axée sur la paix et participer activement au retour à un ordre de sécurité coopératif, guidé par les principes de l’Acte final de la CSCE de 1975.
Une chose est ainsi claire : une Bundeswehr capable de défense et un renforcement des capacités de l’Europe en matière de politique de sécurité sont nécessaires.
Cependant, cette capacité de défense doit s’inscrire dans une stratégie de désescalade et de renforcement progressif de la confiance, et non dans une nouvelle course aux armements.
En réalité, les États européens membres de l’OTAN, même sans les forces armées américaines, sont clairement supérieurs à la Russie en termes militaires conventionnels.
La rhétorique d’alarme militaire et les vastes programmes de réarmement n’améliorent pas la sécurité de l’Allemagne et de l’Europe, mais conduisent à la déstabilisation et intensifient la perception mutuelle de la menace entre l’OTAN et la Russie.
Les éléments centraux d’une nouvelle politique de paix et de sécurité durable sont donc :
• Mettre fin aux massacres et aux morts en Ukraine le plus rapidement possible. Pour y parvenir, nous avons besoin d’une intensification des efforts diplomatiques de tous les États européens. Le soutien à l’Ukraine dans ses revendications en vertu du droit international doit être lié aux intérêts légitimes de tous les Européens en matière de sécurité et de stabilité.
Sur cette base, il est impératif de tenter, avec la Russie après le cessez-le-feu, de renouer le dialogue, notamment sur un ordre de paix et de sécurité pour l’Europe, soutenu et respecté par tous.
• Établir une capacité de défense indépendante des États européens, indépendante des États-Unis. Mettre fin à la course aux armements. La politique de sécurité européenne ne doit pas reposer sur le principe du réarmement et de la préparation à la guerre, mais sur une capacité de défense efficace. Nous avons besoin d’équipements défensifs pour les forces armées, qui protègent sans créer de risques supplémentaires pour la sécurité.
• Rien, en matière de politique de sécurité, ne justifie une augmentation annuelle fixe du budget de la défense à 3,5 ou 5 % du produit intérieur brut. Nous considérons irrationnel de fixer un pourcentage des dépenses militaires basé sur le PIB. Au lieu d’investir toujours plus dans l’armement, nous avons besoin de toute urgence de davantage de ressources financières pour investir dans la réduction de la pauvreté, la protection du climat et la lutte contre la destruction des ressources naturelles, qui touche de manière disproportionnée les personnes à faibles revenus dans tous les pays.
• Interdiction du stationnement de nouveaux missiles américains de moyenne portée en Allemagne. Le stationnement de systèmes de missiles américains hyperrapides à longue portée en Allemagne ferait de notre pays la cible d’une attaque immédiate.
• Lors de la Conférence d’examen du Traité de non-prolifération nucléaire de 2026, l’engagement en faveur du désarmement nucléaire, prévu à l’article 6, doit être renouvelé et renforcé par des rapports d’étape contraignants et des déclarations de « non-recours en premier » conformes au droit international.
• Parallèlement, il est important de promouvoir le renouvellement du traité NEW START sur la réduction des armements stratégiques, qui expire en 2026, et de nouvelles négociations sur la limitation et le contrôle des armements, les mesures de confiance, la diplomatie et le désarmement en Europe.
• Un retour progressif à l’apaisement des tensions et à la coopération avec la Russie, ainsi qu’une prise en compte des besoins des pays du Sud, notamment dans la lutte contre la menace commune du changement climatique.
• Aucune participation de l’Allemagne et de l’UE à une escalade militaire en Asie du Sud-Est.