Magyd Cherfi a commis une pathétique tribune dans Libération. L’ancien chanteur de Zebda y explique qu’en tant que personne de gauche, il aurait dû forcément considérer Johnny Hallyday comme un beauf faisant de la variété.
Les valeurs de gauche ne feraient pas le poids face à la dimension christique de Johnny Hallyday!
Au lieu de se remettre en cause et d’élever son niveau, Magyd Cherfi a préféré basculer chez les beaufs, au nom du fait qu’au moins ce serait populaire. C’est le principe de la capitulation culturelle et une fois qu’on perd ses valeurs culturelles de gauche, on n’est tout simplement plus de gauche…
TRIBUNE
Johnny, plus qu’une voix, par Magyd Cherfi
Par Magyd Cherfi, Chanteur — 6 décembre 2017J’ai fait partie de ces ados qui, dans les années 80, se moquaient de Johnny, à cause de ses fautes de syntaxe, de grammaire, de conjugaison, que sais-je.
C’étaient des années encore «politiques» et l’on portait encore à gauche. On ricanait de son inculture, on riait de sa beauté irréelle, de son allure d’apollon achevé, on moquait ses chansons, leur romantisme échevelé, parfois leur aspect réac.
On raillait son manque d’érudition, son vocabulaire étriqué. On se rassurait qu’un dieu puisse être faillible à ce point. C’était trop facile d’écrabouiller une idole accessible par son humanité.
J’ai fait partie de ces bobos d’avant l’heure qui déifiaient Ferré, en oubliant que le plus réac n’est pas celui qu’on croit. J’ai fait partie de ces prétentieux, sauf qu’en cachette j’achetais ses albums, à Johnny, je bavais du «beau» cousu main.
J’écoutais, agenouillé, une voix plus qu’un texte qui me dévastait, et repartais ailé. Oui, j’ai fait partie des «honteux» qui se croyaient une avant-garde et ne supportaient pas cette ombre venue de plus haut que tous les espoirs.
Il était le mégaphone de tous les appels au secours
J’oubliais que cet homme était plus qu’une voix et cette voix incarnait une détresse des bas-fonds et en même temps une lueur plus haute que les croix portées.
C’était une vibration qui détruisait les migraines, qui carapaçait les cœurs blessés. Elle redressait des corps fourbus et permettait qu’ils embauchent le matin dans les pires boulots, les tâches les plus ingrates.
C’était une voix qui venait au secours de la nôtre. Qui la musclait les jours de colère. Elle se plaquait à nos cordes vocales pour les secourir des cris de détresse étouffés. Il était le mégaphone de tous les appels au secours, oui, un mégaphone d’en bas.
Il portait sans s’en rendre compte la voix de tous les sans-voix, celle des exclus de tous les systèmes, il offrait un alphabet manquant au non-érudit, une plaidoirie à l’âme blessée, il offrait l’argument défaillant chez les démunis du verbe. Son répertoire est devenu une bible, une plaidoirie des muets cette masse inconfortable, la gloire des malheureux.
Cet homme, en ne voulant que se consoler, revigorait l’orgueil des battus, il battait en brèche tous les idéaux d’un monde meilleur, la promesse électorale et la prophétie divine mêlées.
C’était un dieu sans promesses que pour lui-même. Il vieillissait, souffrait, buvait, fumait et survivait à ses propres tares.
Il apaisait la peine du pauvre, du paria, du SDF, du chômeur
Ce Johnny, c’était pas un rockeur, c’était pas un chanteur mais un cataplasme de nos frustrations, un pansement de tous les malheurs de la vie. C’était un organe qui vous recousait le cœur les jours endeuillés.
Ce Johnny était plus que lui-même, il incarnait la consolation, il colmatait les douleurs prolétaires.
Il consolait les survivants des pires malheurs, tous les déclassés. Tous s’identifiaient à cet homme qui suggérait la possibilité de victoires sur le mauvais sort. Il devenait le grand remplaçant d’un être manquant, un cher disparu, une mère trop tôt partie, un enfant blessé.
Il apaisait la peine du pauvre, du paria, du SDF, du chômeur, de la femme battue, du Noir, de l’Arabe, du manouche, de celui même qui ne comprenait pas un traître mot de français.
Son chant allait au-delà du texte, au-delà de la chanson. Toujours il a été plus fort que ses airs, plus fort que lui.
Lui, gueule d’ange, chantait «qu’est ce qu’elle a, ma gueule ?» et tous les moches s’identifiaient à la simple intonation de la sincérité – prouesse.
Sa voix construisait un barrage de paupières contre les larmes de tous les chagrins, un barrage derrière lequel nous nous réfugions et j’ai pas l’impression à l’heure de ce deuil d’en faire des tonnes.
Aujourd’hui, je pleure un mort qui n’est pas de ma famille mais ne l’était-il pas ?