Voici le texte de l’homélie faite lors de « l’hommage populaire » à Johnny Hallyday, par le vicaire général de l’archidiocèse de Paris, le père Benoist de Sinety.
«Avec une seule poignée de terre, Il a créé le monde
Et quand Il eut créé la Terre, tout en faisant sa ronde
Le Seigneur jugeant en somme qu’il manquait le minimum
Il créa la femme et l’amour qu’elle a donné aux hommes.»
En ce jour où une foule immense communie à la même tristesse, autour de vous Laeticia, Jade et Joy, autour de vous David et Laura, autour de vous leurs mamans, voici que ce refrain chanté par un jeune homme au début des années 60, peut retentir de nouveau.
Ces paroles résonnent comme en écho à celles que nous venons d’entendre, paroles initiales du Livre de la Vie: «La vie s’est manifestée!». L’Apôtre Jean pousse ce cri de joie en écrivant aux premières communautés chrétiennes: oui la vie s’est manifestée et elle se manifeste encore, jour après jour, comme un don inestimable qui nous est confié en partage, à nous, hommes de toutes conditions, de tous peuples et de toutes cultures.
En entendant la nouvelle de sa mort, beaucoup ont été saisis de chagrin, d’angoisse, de détresse: ainsi celui qui avait accompagné tant de moments heureux ou douloureux de nos existences ne chanterait plus, sa voix s’est éteinte…
Même si chacun au plus intime de lui-même se reconnaît finalement mortel, on en vient à rêver que ceux que nous aimons et que nous admirons, ne connaissent jamais de fin. Et lorsque les ténèbres du deuil paraissent, un froid glacial saisit nos cœurs et nos esprits.
Il y a deux mille ans, un homme naquit. Il se manifesta à ceux qui attendaient du Ciel un Envoyé, comme le Messie, le Christ. Ceux qui le reconnurent comme tel, le suivirent, pensant qu’Il leur donnerait de voir un royaume humain inédit, que rien ni personne ne pourrait détruire. Ils le suivirent sur les chemins de Judée et de Galilée, de Samarie et jusqu’au Temple de Jérusalem.
En l’écoutant parler, en le regardant guérir l’aveugle de ses obscurités, purifier le lépreux des rejets qu’il inspire, relever la femme que tous veulent lapider, accueillir l’étranger que nul ne veut recevoir, relever ceux qui étaient morts, ceux qui le suivent apprennent à comprendre qu’en ce Jésus se révèle le visage de Dieu.
Et pourtant, un jour, celui qu’ils pensaient être roi sur terre, fut suspendu à la croix d’infamie. Les ténèbres semblaient devoir tout recouvrir: qu’espérer alors et qui croire? A cette question, le matin de Pâques apporte une réponse éclatante.
Celui qui était mort est vivant, le Christ est ressuscité. Désormais, tout homme peut entendre de ses oreilles une Espérance nouvelle: l’Amour est incorruptible. Ce que nos rêves osaient à peine envisager est bien la réalité: la mort n’est pas le dernier mot de nos histoires. S’il n’est pas roi sur la terre, le Christ est bien le Roi de cette terre nouvelle vers laquelle nous marchons, cahin-caha, où la mort disparaît!
«Recherchez avec ardeur les dons les plus grands», je vais vous en indiquer le chemin par excellence écrit Paul aux chrétiens de Corinthe. A ceux qui vivent dans cette cité antique où les plaisirs et les richesses coulent à flots, quel autre chemin vers le bonheur donner que de profiter de tout cela sans vergogne?
Que sont, pourtant, nos vies sans l’Amour? Non pas l’amour éphémère d’une passion aussi intense que fugace, non pas l’amour égoïste et narcissique, mais l’Amour véritable qui nous fait reconnaître dans l’autre un frère à aimer, l’amour exigeant qui nous invite à aimer comme Jésus lui-même a aimé.
Lequel d’entre nous ne mesure l’infini vide que procurent, au bout du compte, les objets de ce monde pour lesquels nous déployons pourtant tant d’efforts et d’énergie?
Qui n’a jamais ressenti, enfant, la déception devant le jouet tant espéré qui, sitôt obtenu, devient moins séduisant, moins excitant? Rien ne peut combler le cœur de l’homme sinon l’Amour. C’est cet Amour qui nous rend capables de sortir de nous-mêmes, de croire que nous valons plus que nous n’osons l’envisager, de comprendre que nous sommes appelés à l’immortalité.
À la différence de beaucoup d’entre nous, Jean-Philippe Smet n’a peut-être pas reçu dans les premiers instants de son existence cet Amour qui est dû pourtant à toute vie naissante. Ces regards absents, sans doute, les a-t-il guettés tout au long de sa vie et s’est-il profondément réjoui de les trouver auprès de ceux qui l’ont aimé du plus proche au plus lointain.
Mais il avait, un jour de son enfance, entendu retentir au plus secret de son être ces mots prononcés de la bouche même de Dieu: au jour de son baptême ces paroles ont été déposées en lui «Tu es mon enfant bien-aimé, en toi je mets toute ma joie».
«On peut me faire ce qu’on voudra, je resterai chrétien. Je suis sûr que Jésus, lui, ne m’en veut pas» dira-t-il plus tard alors que des journalistes l’interrogent sur sa foi.
À sa manière, tout au long de sa vie, il a cherché l’Amour et il a compris que le moyen le plus certain d’y parvenir était d’aimer, d’aimer sans compter, d’aimer toujours.
C’est pour cela que nous sommes là, parce que nous avons un jour compris, à travers ses chansons, sa générosité et sa disponibilité, que nous étions aimés de lui. Si la voix du chanteur et ses mélodies touchent en nous l’intime c’est qu’elles nous révèlent son désir et que ce désir nous bouleverse parfois.
Toute vie est mortelle mais ce qui ne meurt jamais c’est l’Amour: l’amour dont nous avons été aimés et l’amour dont nous aimons: ces liens tissent en chacun de nous un être spirituel immortel, éternel. Ces liens nous mettent dans une communion de plus en plus intime avec Dieu même ; ils nous divinisent.
La vie de Johnny Hallyday, parce qu’elle a manifesté l’Amour, y compris dans ses pauvretés et dans ses manques, nous invite à lever les yeux vers Celui qui en est la source et l’accomplissement.
Celui dont il nous dit, en reprenant l’image biblique, qu’avec «une poignée de terre il a créé le monde» afin d’y faire vivre l’Amour.
Oui, à chacun de vous cette promesse est renouvelée aujourd’hui: votre vie est précieuse, tellement précieuse. Ensemble, nous sommes invités à cheminer en ce monde, frères et sœurs, en laissant l’amour accomplir en nous le don de nous-mêmes.
Chacun d’entre vous est infiniment aimé de Celui qui ne cesse de nous créer et qui nous appelle le jour venu à le contempler face à face. Quels que soient votre existence, ses doutes, ses hontes, ses renoncements, ses blessures, cet Amour dont Dieu vous aime ne passera jamais. Il est le seul bien, la seule promesse que rien ni personne ne pourra jamais nous enlever, nous arracher.
«Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés» dit Jésus à ceux qui cherchent le chemin de la Vie.
Comme Jean-Philippe, devenu Johnny Hallyday, nous sommes tous appelés à laisser percer en nous cette lumière divine qui fait de nous des icônes de l’Amour de Dieu plutôt que des idoles dont la vie s’épuise.
Entre dans la Lumière Johnny Hallyday, une Lumière, un Feu qui ne s’éteint jamais. Te voilà accueilli par un Père qui ouvre les bras à l’enfant tant aimé, toi qui as tant cherché et tant donné aussi.
Avec toi, nous l’entendons te dire pour toujours ces paroles qui viennent en écho jusqu’à nous car elles nous sont aussi adressées, sans aucun doute possible: «Que je t’aime, que je t’aime…» Amen.