Aaliyah avait contribué à redéfinir une forme de R&B largement travaillé par la pop et le hip hop, mais l’orientation restait résolument ancrée dans une accessibilité tendant ouvertement au commercial.
Avec la chanteuse Abra, la « duchesse de la darkwave », on a un profil tout à fait similaire, mais avec cette fois une optique d’intimisme tourmenté et d’affirmation féminine dense et en-dehors des attentes des codes dominants.
Cette perspective, commune à d’autres artistes comme Kelela, Princess Nokia ou encore Tommy Genesis qui est proche d’Abra, n’est jamais simple de par les risques de sombrer dans l’esthétisme faussement rebelle de la posture identitaire, comme le « queer ».
Abra s’y arrache pourtant pour l’instant de manière magistrale grâce à son très haut niveau culturel, au moyen d’une R&B tendant vers cet electro vaporeux, froid, lancinant, d’une puissance démesurée.
Le plus impressionnant est que dans son premier album Rose en 2015, on croit qu’Abra pratique ses gammes, touchant à toutes les extrémités possibles d’une musique feutrée et dansante, avec à chaque fois une touche différente, une approche choisie.
S’agit-il d’ailleurs d’une pop electro tendant à la Soul pleine de langueur, visée de la quête inaboutie cette dernière décennie de Madonna, ou bien d’une musique de club envoûtante, ou encore de la bande originale d’une vie urbaine musicalisée, à la fois hostile à la société et totalement dedans, comme le vivent les jeunes ?
La nature féminine ainsi qu’afro-américaine du véritable projet d’Abra saute aux yeux. On est clairement dans une affirmation particulièrement étudiée, de la part d’une jeune chanteuse qui se produit avec un micro et un ordinateur, avec une aisance oscillant entre jeu sensuel et touche garçon manqué.
Et en arrière-plan, il y a cette force de frappe de l’esprit funk, avec cette basse frappant le rythme dans la première partie des années 1980, ou encore à la soul et son esprit particulièrement chaleureux. Ici, la seconde chanson n’est pas sur l’album, mais est issu d’une collaboration avec Stalin Majesty.
On a ici quelque chose de résolument moderne, correspondant à l’esprit de synthèse. Née à New York dans une famille de missionnaires s’installant à Londres juste après sa naissance, Abra a vécu à Atlanta à partir de 8 ans.
Sa famille interdisait la musique semblant non conforme à la religion, donc elle fonde sa culture musicale sur le folk, le jazz, le flamenco, pour ensuite se tourner elle-même vers la pop, son frère se tournant vers le punk et le neo-metal.
L’album Rose, sorti en 2015, revient quant à lui toujours à la R&B, mais Abra a une production inépuisable et les commentateurs musicaux sont unanimes pour souligner à quel point son avenir sera d’une très grande signification culturelle.
Loin de tout formatage identitaire individuel, on a ici une expression personnel faisant synthèse de plusieurs courants musicaux, avec une démarche solide et une très haute qualité, ici de l’autoproduction exigeante : Abra est une référence de la fin des années 2010.