Le ski alpin est traditionnellement un sport pratiqué par la bourgeoisie intellectuelle des grandes villes, notamment celle des professions libérales médicales (médecins, pharmaciens, kinésithérapeutes, etc.). Ce sont ces personnes, souvent jeunes, françaises ou anglaises, qui l’ont introduit au début du XXe siècle.
C’était un prolongement de l’activité des clubs alpins (qui ont inventé l’alpinisme), au moment de l’avènement du tourisme et du sport.
L’attrait pour la montagne exprimait le besoin de se tourner vers la nature alors que les villes étaient déjà saturées et les campagnes largement façonnées par l’agriculture et considérées comme seulement arriérées culturellement. Le Club Alpin français a par la suite largement contribué à la création de parcs nationaux sur les grands massifs de montagne, les plus connus étant ceux de la Vanoise (créé en 1963) et des Écrins (crée en 1973).
Encore aujourd’hui, les massifs montagneux sont très peu façonnés par l’humanité. La neige, la végétation, la hauteur des sommets et la rudesse des pentes, la vivacité des cours d’eau, fascinaient et fascinent largement.
La question de l’eau est d’ailleurs primordiale. Le tourisme est d’abord parvenu dans les massifs montagneux via les stations thermales (avec une fascination parfois irrationnelle pour les eaux minérales et leurs propriétés curatives prétendues). La neige est elle-même une forme particulière d’organisation de l’eau.
Le ski alpin est directement le produit de cet engouement pour la montagne par la bourgeoisie intellectuelle des grandes villes voulant se tourner vers la nature et les sensations.
C’est une manifestation évidente de la contradiction ville-campagne, mais aussi de la contradiction entre le travail intellectuel et le travail manuel : les travailleurs intellectuels voulant avoir une activité manuelle, utiliser et maîtriser leur corps, mais de manière agréable.
Tant la neige que la forte inclinaison des pentes attenantes à certaines stations thermales étaient justement propices à l’expression de sensations et à la maîtrise de son corps dans des conditions particulières que permet le ski alpin. L’attrait étant bien sûr renforcé par le plaisir d’être au « grand-air » dans un environnement inhabituel, grandiose, etc.
La naissance du ski alpin n’a été possible bien sûr qu’avec l’appuie des masses les plus avancées des populations locales connaissant la montagne et ses dangers. Elles y voyaient la possibilité d’un développement économique et culturel.
Nombres de jeunes se sont rapidement intéressé eux-mêmes au ski – la plupart des champions de ski étant par la suite essentiellement des locaux. Pour autant, c’est d’abord et surtout avec des codes culturels bourgeois et un style urbain, voir même parisien, que s’est développé le ski.
Le premier concours international de ski alpin eu lieu à Chamonix en 1907, organisé par le Club Alpin Français. La seconde édition en 1908 attira largement le « Tout-Paris » pour qui le sport était depuis plusieurs dizaines d’années une mondanité incontournable, et même un style de vie pour les éléments aristocratiques ayant une bonne condition physique et s’impliquant dans le sport.
La ville de Chamonix n’est ainsi pas tant une ville savoyarde qu’une sorte de prolongement de Paris et des grandes villes françaises, avec une architecture de type haussmannienne pour de nombreux bâtiments. C’est le cas également pour la ville de Cauterets dans les Pyrénées, autre berceau du ski en France où furent organisés les championnats de France en 1910.
Durant les années 1920 et 1930, les concours de ski étaient nombreux. Les premiers Jeux Olympiques d’hiver organisés en 1924 à Chamonix (avec 300 coureurs issus de 16 nations) eurent un retentissement considérable. La France était au cœur d’un mouvement culturel et sportif de développement des sports d’hiver, à tel point que fut développé dans les années 1930 un style proprement français : une méthode de ski français.
Cette technique de ski était d’abord une recherche d’efficacité qui permit à son initiateur Émile Allais de devenir un des plus grands champions de sa génération. Il est né à Megève en 1912, c’est-à-dire avant même que le village devienne une station de ski. Ses parents y tenaient une boulangerie et lui-même était porteur de bagages à ski pour les premiers touristes dans sa jeunesse.
Sa méthode sera ensuite popularisée avec l’appuie de la fédération française de ski et la publication d’un livre, puis d’un livre illustré. L’École Nationale du Ski Français qui a vu le jour à la même époque sous l’impulsion de Léo Lagrange, ministre du Front Populaire des Loisirs et des Sports, reprendra directement cette méthode française. Elle sera ensuite diffusée après la guerre via les moniteurs de l’ESF (Ecole de Ski Français), connus pour leurs « pulls rouges ».
S’est alors développée une attitude autour du ski, non forcément liée à la compétition mais en tout cas avec la volonté d’avoir une technique maîtrisée et efficace, en plus d’un style sophistiqué, élégant « à la française », urbain.
Nul hasard au fait que cette méthode française trouve son origine à Megève puisqu’il s’agit là d’une station créée de toutes pièces autour du village initial par la famille Rothschild avec l’ambition d’en faire une station française.
Il lui fallait les codes culturels de l’aristocratie et de la haute-bourgeoisie française qui ne souhaitait pas être mélangée avec l’aristocratie allemande dans les stations suisses. On a là la rencontre entre les masses habiles et connaissant la montagne et les hautes sphères de la société française véhiculant un style français qu’elle appelle « art de vivre à la française ».
A partir des années 1950/1960 le ski et les stations de sport d’hiver se sont largement développées en France, sous l’impulsion de l’État qui a mis en place un « plan-neige » à partir de 1964 jusqu’à la fin des années 1970. Émile Allais a d’ailleurs beaucoup œuvré pour cela. Via des classes de neiges, des colonies de vacances, des possibilités par les comités d’entreprises, une partie des masses a alors eu accès au ski, ne serait-ce que sporadiquement.
Durant les années 1970, les vacances en famille au ski sont devenues accessibles pour la petite-bourgeoisie et les parties les moins pauvres des masses populaires. Cela a largement contribué à faire des vacances au ski non pas un plaisir sportif en tant que tel mais surtout un faire-valoir, une sorte de « must have » petit-bourgeois afin de s’imaginer riche, de s’imaginer appartenir à la bourgeoisie.
Ce genre d’attitude est très bien illustrée dans le film Les Bronzés font du Ski de 1979. Les médias avec leurs reportages redondants chaque année lors des vacances d’hiver relaient largement cet état d’esprit aisément détestable de par sa dimension régressive.