Sur cette photographie se lie l’urgence. Les liquidateurs est une synthèse de la catastrophe de Tchernobyl. Dès le 29 avril 1986, soit trois jours après l’explosion nucléaire, Igor Kostin commence son premier reportage sur le sujet qui sera le fil rouge de toute sa carrière.
L’ambiance générale de la scène est presque lunaire. Des personnages dans d’étranges combinaisons s’activent sur un sol à l’aspect chaotique. Rien n’est vraiment nette sur l’image. La profondeur de champ semble mal maîtrisée, la mise au point paraît réglée sur l’objet au centre de l’image, derrière le personnage au premier plan. Autant d’indices d’une prise de vue précipitée.
La confusion du spectateur est néanmoins limitée grâce au soin apporté à la composition. La lecture est guidée suivant une ligne diagonale partant de l’angle inférieur gauche : la main droite du personnage de premier plan, puis sa main gauche, le brancard, le deuxième personnage, vers le troisième. On a affaire à des travailleurs manutentionnaires.
L’ensemble est imparfait et les anomalies sont notables. L’horizon ondule. Le grain de l’image est grossier, comme si le film avait été forcé au développement pour rattraper en laboratoire une sous-exposition causée par une prise de vue incorrecte. Des marques blanches en halo sont présentes au bas de l’image laissent penser que le dos du boîtier présentait des puits de lumière.
En cette fin avril 1986, les liquidateurs, civils et militaires, se relaient sur les toits de la centrale, à quelques dizaines de mètres du cratère laissé par l’explosion. Équipés de masques à gaz et de tablier de plomb, les travailleurs charrient les débris contaminés. Au hurlement de la sirène, huit équipiers se ruent sur le chantier pour un poste de 40 secondes.
En une semaine, Igor Kostin retourne cinq fois sur les toits pour des séances de prise de vue de deux à trois minutes. Chaque fois, ses films sont noirs, comme brûlés par les radiations. Il applique alors des plaques de plomb sur son boîtier, et varie les temps d’exposition sans tenir compte des mesures de lumière. Ce procédé lui permet de ramener des images exploitables.
Les quatre boîtiers utilisés pour réaliser le reportage dont est tiré cette photographie sont ensevelis avec les débris nucléaires dans le cratère du réacteur n°4 de la centrale de Tchernobyl.