C’est un fait extrêmement marquant pour toutes les personnes qui connaissent les principes d’organisation à gauche et qui ont une mémoire des luttes : depuis le début des années 1990, il y a eu un effondrement général de la violence.
Les services d’ordre, « outillés » et strictement organisés, ont disparu. Les affrontements parfois très brutaux entre factions politiques ont disparu. La répression policière est parfaitement limitée et en tout cas strictement encadrée.
C’est allé de paire avec un véritable lessivage tant des idées que des principes d’une organisation avec des militants suivant une idéologie bien déterminée. L’individualisme triomphant, avec le libéralisme, impose un mode d’association libre, sans contraintes, temporaire, etc.
Tout pour l’action, rien par la raison, à la carte, sans responsabilité : tel est l’esprit de l’époque.
Les événements de l’université de Montpellier qui soulèvent une partie de l’opinion depuis quelques jours marquent peut-être la fin de cette époque d’absence d’engagement complet et, comme on pouvait se l’y attendre, l’initiative vient de l’extrême-droite liée aux institutions.
L’intervention extrêmement brutale contre des étudiants occupant un amphithéâtre est un saut qualitatif, dans la mesure où elle est carrément soutenue (voire organisée) par le doyen de la faculté de droit, qui a été obliger de démissionner devant la pression de l’opinion publique.
Un commando de personnes cagoulées et armées de bâtons, de matraques et de Taser, menant une opération coup de poing, est quelque chose non pas de nouveau, mais qui n’a pas été vu depuis bien longtemps et c’est pour cette raison un saut qualitatif, un retour au conflit ouvert, franc, assumé.
Le temps de la naïveté, de l’innocence d’une gauche prise en otage par des intellectuels – osons le dire – bourgeois considérant que l’écriture inclusive dépasse la lutte des classes, se clôt.
Voici une vidéo explicative concernant l’attaque, et en-dessous une autre vidéo, celle montrant la brutalité utilisée par les tenants de la chasse à courre contre des opposants il y a quelques jours également.
Il y a lieu de mettre cela en parallèle, car les « veneurs » comme on appelle ceux qui font la chasse à courre ont l’appui du préfet, du maire de Compiègne, ainsi que du président de la République lui-même.
Dans les deux cas, les institutions sont mêlées à des « débordements ». C’est l’esprit du fascisme qui frappe dans les deux cas : l’esprit de la milice, de l’agression, du coup de force, avec l’appui tacite des institutions aux mains de la droite dure.
Voici un témoignage, en provenance du site alternatif montpelliérain Le poing :
« Je suis arrivé peu avant le début de l’attaque et le doyen a cru que j’étais de son côté. Du coup j’ai tout entendu.
Le doyen a d’abord réuni les étudiants qui étaient contre l’occupation et il leur a sommé de se rassembler dans un coin de l’amphithéâtre. Ils ont compté le nombre de personnes présentes dans l’amphi et ils ont dit ‘‘ok, c’est bon.’’
Ensuite, ils ont fait placer les personnels de la sécurité-incendie en haut de l’amphi et au bord de la porte extérieure qui donne sur la rue. Après, l’un des subordonnés du doyen a ouvert une porte au fond du hall d’entrée qui était restée fermée toute la soirée. Une dizaine de personnes sont arrivées, la plupart cagoulées et armées de bâtons qui ressemblaient à des sortes de bouts de palette.
Le doyen leur a ordonné d’aller dans l’amphi occupé, et ils se sont mis à taper tout le monde. La sécurité-incendie a fait semblant de ne pas trop savoir ce qu’il se passait.
Quand les étudiants ont fui en se faisant taper, le doyen m’a regardé en faisant un pouce levé. J’ai vu quelqu’un se faire tazer au sol.
Quand tout le monde était dehors, les grilles de la faculté se sont fermées, ce qui veut bien dire que les gens cagoulés sont restés avec le doyen.
Il faudrait être aveugle et sourd pour ne pas comprendre que l’attaque a été mené sur ordre du doyen ».
Voici ce qu’affirme même un site d’extrême-droite, « Réseau libre », assumant le soutien de la police au commando dont aurait fait partie un professeur en droit civil et un professeur d’histoire du droit :
« Le doyen de la fac et les vigiles de l’université ouvrent le chemin à une quinzaine de costauds, cagoulés, planches de bois et barres de fer en mains (…). Le commando est ensuite aimablement raccompagné vers la sortie, remplacé par quelques policiers ».
Tout cela n’est qu’un début. C’est inévitable historiquement. Et rien qu’hier, lorsque 200 personnes étaient présentes devant la préfecture de l’Hérault pour protester contre la réforme de l’accès à l’université, une trentaine d’activistes « identitaires » de la Ligue du Midi était présente également.
Une provocation, une de plus, alors que les « identitaires » voulaient officiellement saluer la mémoire d’Arnaud Beltrame, ce gendarme qui s’est sacrifié lors de l’attentat islamiste du Super U de Trèbes, en prenant volontairement la place des otages de l’assaillant.
Voici d’ailleurs la page d’accueil du site Le Figaro hier, alors que l’Église catholique a publié par l’intermédiaire d’un prêtre un long texte s’appropriant l’initiative du gendarme. On voit que l’autocollant est celui de « Génération identitaire », ce qui est un choix rédactionnel bien entendu fait exprès, alors qu’en parallèle l’air du temps est au rapprochement entre droite dure et extrême-droite.
D’abord le libéralisme à tout va, puis le fascisme s’instaurant comme représentant de ceux qui ont su émerger du libéralisme sans limites. C’est le même scénario que dans les années 1930.