Quand un pays en envahit un autre depuis une centaine d’années, que ce soit par colonialisme ou par expansionnisme, il ne dit pas qu’il le fait car il veut s’étendre. Il affirme le faire par nécessité : pour sauver des gens, libérer une population, empêcher la barbarie, étendre la civilisation, etc.
Même l’Allemagne nazie, outrancière dans son agressivité, prétendait vouloir former une nouvelle Europe. Ne parlons pas non plus de la guerre de 1914 ou du colonialisme français, tout pétri de « bonnes intentions ».
Être de gauche, c’est inversement et par définition refuser tout interventionnisme militaire de son propre pays dans un autre. Toute acception d’une exception est une trahison de ce principe.
On peut soutenir un pays, un régime, comme par exemple la République espagnole face au soulèvement de Franco. On peut soutenir une résistance légitime à une occupation. Mais on ne peut pas soutenir une faction, des bandes armées, des troubles visant à dépecer un pays.
Par conséquent, être de gauche c’est rejeter par principe l’envoi de troupes françaises en Syrie annoncé hier. La décision, de manière subtile, a été annoncée non pas par l’Élysée, mais par un représentant des Forces démocratiques syriennes, les FDS, le Kurde Khaled Issa.
L’Élysée s’est contentée d’un communiqué de presse, expliquant avoir discuté avec des membres des FDS « à parité de femmes et d’hommes, d’Arabes et de Kurdes syriens » et disant d’Emmanuel Macron que :
« Il a assuré les FDS du soutien de la France, en particulier pour la stabilisation de la zone de sécurité au nord-est de la Syrie, dans le cadre d’une gouvernance inclusive et équilibrée, pour prévenir toute résurgence de Daech dans l’attente d’une solution politique au conflit syrien. »
La « stabilisation » en question est une allusion aux conséquences de l’intervention militaire turque ces derniers jours en Syrie du Nord, dans une zone contrôlée jusque-là par les forces kurdes, avec un chaos général, avec 160 000 personnes fuyant les combats.
La Turquie, aidée de « rebelles » syriens, contrôle déjà une importante zone (en turquoise sur la carte ci-conre).
Pour rappeler brièvement les événements, lors de la guerre civile en Syrie, les occidentaux avec la France en tête ont cru que le régime allait vite tomber et ont arrosé des opposants malgré la forte présence d’Al – Qaïda.
Non seulement le régime a tenu, mais ces forces sont devenues autonomes, alors que l’État islamique s’est développée.
La Russie et l’Iran sont alors intervenus pour soutenir le régime syrien, pendant que les États-Unis développaient une présence en se liant aux Kurdes de Syrie, également appuyées techniquement par des experts non officiels français et britanniques.
La Turquie, qui appuyait l’État islamique, est rentrée dans la danse et officiellement, l’État français vient pour « sauver les Kurdes ». C’est-à-dire, en réalité, pour participer au dépeçage de la Syrie, avec trois zones :
– le régime syrien officiel de Bachar Al-Assad, lié à l’Iran et la Russie ;
– un régime « arabo-kurde » lié aux États-Unis, la Grande-Bretagne et la France ;
– un régime arabo-islamiste aux contours flous encore ;
– une zone passant sous la coupe de la Turquie.
Tout le monde est gagnant : la Turquie empêche l’avènement d’un État kurde et renforce sa dimension « ottomane », pendant que les autres ont un pied à terre local. C’est gagnant-gagnant, aux dépens de la démocratie et des populations locales, jusqu’à la prochaine guerre de partage…
Il faut souligner ici l’importance, dans ce cadre d’un régime autoritaire. De plus en plus, avec la montée des tensions, les régimes deviennent de plus en plus pyramidales, que ce soit en Turquie ou en Russie, en Inde ou aux États-Unis, en Chine ou en Égypte.
Il y a à chaque fois un chef qui dirige le pays, prenant des décisions avec une approche ultra-populiste. C’est aussi le cas en France : la décision d’Emmanuel Macron est, naturellement, celle d’un président de la cinquième République, qui décide seul de la politique extérieure, sans le parlement, sans demander son avis à la population.
Il est inévitable, ici, de parler des Kurdes. Il est tout à fait compréhensible que l’on éprouve de la sympathie pour ce peuple sans État, aux populations vivant en minorité dans plusieurs États, et plus précisément en minorité opprimée, que cela soit en Turquie, en Iran, en Irak ou en Syrie.
Cependant, on ne découpe pas les États comme cela, encore moins quand ce sont des grandes puissances qui sont partie prenante. Cela n’a rien de démocratique, à moins de considérer les nations comme des fictions, les États comme des aberrations.
Lorsque, en France (mais aussi en Belgique), les anarchistes se sont massivement lancés dans des campagnes de soutien aux Unités de protection du peuple (YPG) kurdes agissant en Syrie, ils sont cohérents, puisqu’ils veulent une décentralisation, des communautés autonomes, un État central présent le moins possible, etc.
Mais être de gauche sans basculer dans l’anarchisme qui est bloqué à une vision individuelle des choses, c’est voir le rôle de la guerre, des grandes puissances, de la logique de partage par la conquête…
C’est refuser que des parties fassent ce qu’elles veulent aux dépens du tout, car une telle logique de dépeçage ne profite qu’aux conquérants qui utilisent le vieux principe : diviser pour régner !