Le second jour du premier moment de grève des cheminots a été un succès encore une fois. S’il y a eu un peu moins de grévistes que la veille, avec 29,7 % contre 33,9 %, il y avait cependant davantage d’aiguilleurs que la veille (46 % au lieu de 39%), ainsi que davantage de contrôleurs (77 % au lieu de 69%).
La part de conducteurs reste grosso modo stable (74 %, 77 % la veille) et l’impact est tellement significatif que même pour la reprise du travail, la désorganisation est importante (seulement 3 transiliens et TER sur 4, 3 Intercités sur 5, 3 RER C sur 5, 1 RER E sur 2).
Un fait important a également été la publication dans Le Monde d’une tribune (payante) de Bernard Thibault, qui a été secrétaire général de la Fédération CGT des cheminots de 1993 à 1999, puis général de la CGT de 1999 à 2013.
Hier, l’article d’agauche.org soulignait le manque d’envergure sociale des revendications des cheminots de la CGT, au sens où tout était étroitement corporatiste, avec une dimension « on sait mieux gérer que les autres ».
La tribune de Bernard Thibault aborde directement cette question, le titre étant par ailleurs « La grève des cheminots porte l’intérêt général », alors que la conclusion est extrêmement lyrique, avec les cheminots présentés comme une sorte d’avant-garde des droits sociaux :
« Accuser les cheminots d’être responsables du désastre des politiques publiques est un comble. Cette humiliation a la réponse qu’elle mérite. Il est à leur honneur de poursuivre l’action de leurs prédécesseurs pour une certaine idée du service public et des droits sociaux pour les générations futures.
Il est des grèves qui portent l’intérêt général, d’où jaillit la lumière, et ce n’est pas en cet anniversaire de celles de 1968 qu’on pourra nous dire le contraire. »
Il faut cependant rappeler ici qu’en 1968, la CGT a été contre le mouvement de contestation et a cherché à tout prix à ce qu’il soit étouffé, participant en première ligne avec l’État pour qu’il y ait des négociations salariales et que le mouvement soit enterré.
Le résultat est bien connu : l’isolement fatal de la gauche voulant changer le monde, le raz-de-marée électorale de la part de la droite.
Bernard Thibault se moque bien de cela, puisque son objectif est en réalité de faire un chantage disant : aucune revendication n’est possible si un bastion du service public tombe.
Sauf qu’il dit en même temps que « la SNCF appartient à la nation » et qu’il s’agit d’une « multinationale qui possède près de 1 300 filiales dans le monde ». Et c’est là que tous les problèmes se révèlent au grand jour.
Car la SNCF est un groupe qui consiste ni plus ni moins qu’en du capitalisme d’État. De par son organisation, ses méthodes, ses objectifs, ses perspectives à l’échelle mondiale, etc., il s’agit de capitalisme tout ce qu’il y a de plus classique.
Que ce groupe, né en 1937-1938, ait profité de l’élan social de 1945, puis de l’intégration de la CGT au projet d’un État-providence fort, tout le monde le sait. Que cela ait pu profiter aux salariés de la SNCF, tant mieux.
Mais à un moment, il faut voir les choses en face et on ne peut pas dire en même temps qu’il s’agit d’une multinationale et d’un secteur public.
C’est pourtant ce qu’ont fait tant le Parti socialiste et le Parti communiste français depuis longtemps, c’est vrai. Cependant, c’était là une faillite intellectuelle, morale et culturelle sur le plan des idées de gauche, et en 2018 une telle incohérence est une bombe à retardement.
Si Bernard Thibault disait : la SNCF devrait être un secteur public, il serait cohérent. Mais ni lui ni la CGT ne le font et ne veulent le faire, car cela serait révéler leur effroyable compromission historique. Ils ont participé à la naissance d’un monstre, au moyen de l’État, qui inévitablement sera repris par la suite par le capitalisme de la manière la plus directe…
Vu ainsi, il n’est pas vrai de dire que « la grève des cheminots porte l’intérêt général », il faudrait dire qu’elle le pourrait… si on passait du corporatisme à la lutte des classes, de la défense d’acquis au sein d’un capitalisme d’État en voie de privatisation à celui d’acquis en général face au capitalisme.