Avant-hier la chaîne de streaming Netflix mettait en ligne la deuxième partie de la série La casa de Papel. Arrivée discrètement en décembre sur la plateforme, elle a connu un très grand succès en février et mars, particulièrement en France, arrivant en tête de plusieurs classements.
La série a déjà été diffusée en entier en Espagne, son pays d’origine. C’est l’histoire d’une bande de malfrats qui mène un casse avec des prétentions sociales, illustrées par la chanson Bella Ciao présente à différentes reprises.
Ils investissent pendant une semaine la Maison Royale de la Monnaie d’Espagne à Madrid pour imprimer leur propre butin. Ils séquestrent et maltraitent des otages, y compris des adolescents, en les forçant à travailler pour eux.
La série emprunte beaucoup à la dramaturgie du huis-clos, sans en être un, et porte ainsi un intérêt tout particulier à la psychologie des personnages. Ils ne sont cependant pas des figures typiques, mais plutôt des portraits caricaturaux de différentes personnalités, surjoués psychologiquement. On est loin d’un film comme A dog’s day Afternoon (Un après-midi de chien) de Sidney Lumet (1976), qui traite globalement du même thème, dans un quasi huis-clos également. Autre époque, autre niveau.
L’histoire est somme toute très banale, c’est un énième “casse du siècle”, avec un plan prévu au millimètre qui connaît finalement quelques accros. Les rebondissements sont nombreux, mais systématiquement résolus par le “professeur”, dont le profil rappel aisément celui de l’ignoble Walter Walt dans Breaking Bad.
Le scénario est finalement très niais avec des rebondissements tirés par les cheveux. Le cœur de l’intrigue est la liaison qu’entretient le meneur du braquage (qui agit depuis l’extérieur) avec la cheffe des opérations du côté de la police (qui se jette dans les bras d’un inconnu et lui présente sa famille en moins d’une semaine).
Un des moments les plus absurdes est celui où l’une des héroïnes, après avoir été arrêtée puis s’être échappée, s’introduit à nouveau dans le bâtiment à l’aide d’une moto-cross sous les yeux de la police tenant le siège. C’est digne d’un mauvais film d’action des années 1990.
Les personnages évoquent souvent ce qu’ils vont faire après les douze jours de production de monnaie, s’acheter une île est l’idéal central. Il s’agit de se mettre à l’aise jusqu’à la fin de sa vie. Leur braquage est motivé par l’enrichissement personnel et l’adrénaline avec la figure mythique du génie calculateur pour permettre cela.
On peut donc se demander au nom de quoi le morceau emblématique Bella Ciao, dont voici les paroles, vient appuyer à multiples reprises ce scénario.
|
|
La chanson Bella Ciao est une chanson paysanne qui s’est popularisée au sein de la résistance antifasciste italienne durant la seconde guerre mondiale. Elle est devenue par la suite un hymne repris par les mouvements populaires européens, notamment lors des soulèvements de 1968 en France ou dans les années 1970 en Italie.
Dans le dernier épisode de la première partie diffusée sur Netflix, un flashback de la veille du début du braquage montre « le Professeur » avec son bras droit « Berlin » autour d’un dernier repas, le professeur dit : « Nous sommes la résistance, non? » et il commence à entonner Bella Ciao.
En voix off, « Tokyo » la narratrice, explique au spectateur que « La vie du Professeur tournait autour d’une seule idée : résister. » Et on y apprend que son grand-père avait résisté contre le fascisme en Italie.
On a donc un élément de l’héritage historique de la gauche qui est mis en avant, et ce à plusieurs reprises.
Mais contre qui résistent les braqueurs ? Sont-ils comme les maquisards braquant 2 milliards dans un train à Périgueux en juillet 1944 pour financer la lutte contre l’occupant nazi ? Certainement pas.
Mais dans le contexte actuel il peut sembler au spectateur que leur entreprise est une forme de pied de nez au « système ». C’est d’ailleurs le discours qui est tenu en arrière plan, avec des références à l’aspect subversif qu’aurait le fait d’imprimer sa propre monnaie avec les machines de l’État.
Sur fond de crise économique en Espagne, le “professeur” critique par exemple la Banque Centrale Européenne ayant injecté des liquidités dans les banques privées. Sauf que cela n’est qu’un aspect technique, et ne change pas grand-chose à la réparation des richesses dans la société.
Prétendre pour sa part qu’ils ne volent personne sous prétexte qu’ils créent leur propre monnaie est d’une absurdité sans nom. Les banques passent leur temps à créer de la monnaie par le biais du crédit, c’est même leur rôle majeur, et cela n’a aucun rapport. En imprimant leurs propres billets, les malfaiteurs s’approprient de manière unilatérale une partie de la valeur des marchandises en circulation dans la société. Cela n’est ni plus ni moins que du vol, un braquage comme un autre.
Mais cela correspond à la vision « anti-système », cette apparente révolte individuelle qui est actuellement très en vogue dans la jeunesse populaire, par le biais du rap entre autre.
Il ne faudrait plus se révolter, il faudrait « niquer le système » en devenant soi-même un bourgeois par une voie illégale, se donnant l’illusion de changer les choses « de l’intérieur ». Ce n’est pas un hasard si les braqueurs ont un uniforme avec un masque de Dali, qui est bien plus une référence au pseudo-mouvement Anonymous qu’à la peinture surréaliste espagnole, même si le côté transgressif est bien sûr mis en avant également.
C’est ainsi que les attitudes mafieuses sans aucune proposition politique sont mises en valeur dans la population, comme avec la série Narcos qui a rencontré elle aussi un grand succès. Ce type de mentalité rejetant la construction collective est ce qui contribue au pourrissement de la société.
La mise en parallèle du patrimoine partisan qu’amène Bella Ciao avec un banditisme détaché de toute action politique est donc une insulte à l’héritage des personnes de Gauche qui veulent défendre des positions historiques authentiques à travers la lutte des classes et non la fuite en avant individuelle.