La grève des cheminots maintient son cap et bien entendu difficile d’avoir des chiffres suffisamment précis et corrects. Hier 9 avril, le taux de grévistes étaient de 24.9%, mais de 43 % si l’on ne prend que les gens s’occupant des trains, avec 13 212 cheminots présents aux assemblées générales, soit 2000 de plus que le 4 avril.
Chez les conducteurs la grève concerne 75% du personnel (74% la semaine passée), chez les contrôleurs 71% (contre 77%), chez les aiguilleurs 35% (contre 46%).
4 000 cheminots se sont également réunis sur l’esplanade des Invalides à Paris, 500 cheminots à Lille, 250 à Fougères, 500 à Dijon, 300 à Nancy.
Avant-hier 8 avril, un dimanche les chiffres ne sont pas clairs, mais il semble bien que la mobilisation ait été d’environ 35 %.
Pour rebondir également sur la question de la nature de la SNCF – secteur public ou multinationale? – abordée ici dans un article à l’occasion de la tribune de Bernard Thibault, voici la position de la fédération CGT des cheminots.
Ce long article est tiré d’un document intitulé « ensemble pour le fer » (ici en pdf), publié début mars 2018 et consistant en rapport « sur l’avenir du Service Public ferroviaire et contre le statu quo libéral ».
Il dit, de manière paradoxale, longuement la même chose que l’article publié sur agauche.org, à savoir que la SNCF n’est plus un secteur public que pour « l’imaginaire collectif », qu’il s’agit d’une structure clairement capitaliste dans son organisation…
Tout en expliquant en même temps et finalement, dans l’esprit de Bernard Thibault, qu’il y a « un abandon des obligations et missions de service public », alors qu’il a été dit précédemment que cela ne ressemble plus du tout à un secteur public !
Il y a là une incohérence qui est tout à fait révélatrice de l’ambivalence de la position de toute une gauche, qui voit le libéralisme marcher de manière triomphale, mais est hostile à la confrontation, vivant dans une nostalgie de l’Etat-providence et d’un capitalisme n’ayant pas connu d’accélération (ce qui était pourtant inévitable).
LA LOGIQUE ACTUELLE DU GROUPE SNCF
La SNCF emploie des agents (les cheminots) sous un statut social particulier afin d’assurer un service public de transport pour répondre aux besoins de la Nation et des usagers. Dans l’imaginaire collectif, la « vieille dame » est toujours envisagée comme une compagnie ferroviaire d’Etat, voire une administration de l’Etat.
Cette représentation ignore les restructurations intervenues depuis une vingtaine d’années. Derrière la façade de l’opérateur public réputé intégré, se déploie un groupe commercial internationalisé, formé de plus d’un millier de filiales de droit commun, dont certaines de taille imposante comme Geodis, numéro un français du transport routier et de la logistique, ou Keolis, un des leaders mondiaux des transports urbains.
Ces Sociétés Anonymes, au capital parfois ouvert à des investisseurs privés, agissent aussi bien dans le mode ferroviaire (Thalys, Eurostar, VFLI, Systra, Akiem…) que dans des modes concurrents, tels le camion (Geodis Calberson), l’autocar (Ouibus), le covoiturage (IDvroom) ou la 16 location de voiture (Ouicar).
La SNCF détient également des firmes spécialisées dans l’immobilier, la gestion de parkings et même les drones.
Le projet du groupe SNCF ambitionne de réaliser 42.8 milliards de chiffre d’affaires en 2025, dont 50% aux activités à l’international.
On constate ainsi que l’EPIC SNCF sert de banque pour financer le développement des filiales routières en France ainsi que l’expansion à l’international. La SNCF a racheté par exemple l’activité messagerie du groupe international routier GIRAUD.
L’activité historique de transport ferroviaire de marchandises s’est peu à peu délitée au sein de SNCF GÉODIS, dont la vocation principale est le transport routier.
En fait, les centaines de millions d’euros investis dans des sociétés étrangères (logistique OHL aux USA pour 717 millions, bus ATE en Australie pour 113 millions…) font augmenter la taille du Groupe et son chiffre d’affaires, mais ne dégagent quasiment aucune marge, voire sont sources de pertes (-29,3 millions pour Keolis Boston en 2015).
Ces investissements constituent en vérité un sacrifice de l’entreprise publique de service public SNCF pour lui substituer un groupe international de mobilités, dans lequel l’activité ferroviaire publique française est appelée à devenir minoritaire. En d’autres termes, c’est un détournement des moyens normalement dévolus au service public au service d’un groupe à dominante privée.
A ce jour, les filiales réalisent la moitié des 32 milliards de chiffre d’affaires annuel du groupe SNCF.
Leurs effectifs progressent régulièrement alors que le nombre de cheminots embauchés par les établissements publics (EPIC) décline depuis quinze ans (environ 145 000 cheminots sur 280 000 salariés au niveau du groupe).
La perspective d’une extension de l’ouverture à la concurrence du rail concernant le transport intérieur de voyageurs – le fret étant libéralisé depuis mars 2006 – risque de porter un nouveau coup aux EPIC au bénéfice de sociétés privées, fussent-elles incluses dans le groupe SNCF.
Symbole de cette stratégie, SNCF Mobilités vient de sous-traiter l’exploitation d’un nouveau tram-train, dont elle est directement attributaire et circulant sur le Réseau Ferré National en Seine-Saint-Denis, à une filiale majoritairement contrôlée par Kéolis (Transkéo).
La SNCF envisage ainsi sa politique de groupe non pas sous l’angle d’une complémentarité utile (Transports urbains-Transport ferroviaire de proximité), mais en organisant la concurrence de l’EPIC par ses filiales et en encourageant le dumping social. L’infrastructure ferroviaire n’est pas épargnée par cette intrusion des intérêts privés dans la sphère publique. Sur ce terrain, les géants du BTP sont à l’offensive, décidés à tirer profit du programme de modernisation du réseau ferré et des 46 milliards de travaux prévus sur la prochaine décennie.
Les groupes de la construction se positionnent non seulement sur les phases de régénération de lignes, mais aussi, plus durablement, sur la maintenance ou l’exploitation de pans entiers du rail français. Ils se saisissent des contrats en Partenariat Public-Privé (PPP), comme dans le cas de la Ligne à Grande Vitesse Tours-Bordeaux, ou de contrats de partenariats industriels portant sur de gros chantiers, comme la rénovation des caténaires de la ligne C du RER.
En toute discrétion, Vinci, Eiffage et quelques autres héritent de la conception et de la réalisation de missions entières, entraînant, au détriment de SNCF Réseau, des transferts massifs de charges de travail, de technologies, de compétences et, au final, d’emplois potentiellement dévolus aux cheminots.
D’aucuns présentent cet effacement de la propriété et maîtrise publiques d’un Etablissement de l’Etat comme un gage de meilleure performance.
Pour les 17 tenants de « l’Asset Management », la valorisation des actifs devient la seule manière d’être d’une entreprise efficace. C’est oublier un peu vite que dans le régime de la propriété lucrative (celui de la Société Anonyme), la recherche d’efficacité se focalise sur la survaleur attendue par les détenteurs du Capital, ceux-là même qui prélèvent leur tribut sur le travail, notamment à travers la vente des marchandises produites. Ces exigences conditionnent les choix de gestion.
Dans les faits, le recul des biens et investissements publics s’accompagne de surcoûts financiers virant parfois au fiasco, et d’une dégradation, qualitative et quantitative, du service public rendu et des conditions d’emploi des cheminots.
La dilution de l’EPIC dans un groupe « champion » mondial des services de mobilités et de logistique s’accompagne d’un abandon des obligations et missions de service public comme cadre de référence autour de la réponse aux besoins pour tous les citoyens sur tout le territoire.
Le groupe est cimenté sur des valeurs uniquement commerciales et autour d’un objectif prioritaire de compétitivité, notion qui renvoie directement à des impératifs d’adaptation à la concurrence.
Le dossier se conclut de la manière suivante :
DÉVELOPPER LE SERVICE PUBLIC SNCF
Enfin, il faut capitaliser en termes de service public l’expérience acquise par les régions politiques pour ancrer encore plus le ferroviaire comme colonne vertébrale de l’organisation d’un service public des transports en proximité tout en s’appuyant sur la cohérence nationale de la SNCF.
Pour la CGT, il faut une nouvelle étape de conventions, l’État doit être présent en tant que financeur principal et garant de la cohérence nationale et la SNCF doit être représentée au double titre de l’infra et de l’exploitant.