« J’ai donc ordonné aux forces armées françaises d’intervenir cette nuit, dans le cadre d’une opération internationale menée en coalition avec les États-Unis d’Amérique et le Royaume-Uni et dirigée contre l’arsenal chimique clandestin du régime syrien. »
Emmanuel Macron assume parfaitement l’attaque, au moyen de plus de cent missiles, d’installations syriennes censées abriter des moyens de fabriquer des armes chimiques. Une « ligne rouge » qui apparaît, malheureusement, comme un farce et une fable de plus dans un conflit syrien sanglant ayant coûté la vie, depuis 2011, à plus de 350 000 personnes.
Car l’attaque commune à la France, le Royaume-Uni et les États-Unis n’est qu’un ajout à une liste extrêmement nombreuse d’interventions armées, de manipulations politiques, de gesticulations par les services secrets, tout cela au service d’une bataille pour le repartage du contrôle des territoires et des pays.
La guerre suinte de tous les pores des initiatives des grandes puissances et ici, bien entendu, c’est la Russie qui est particulièrement visée, dans une épreuve de force marquée par un esprit d’escalade militaire de plus en plus grand.
Et la France est une grande puissance au même titre que les autres. Ce simple fait est, comme toujours, nié par beaucoup, comme si somme toute la France n’était qu’une sorte de colonie. C’est la contribution classique à la négation de l’interventionnisme français, qui ne vaut pas mieux que les autres.
La France serait un pays voulant la paix et qui se laisserait en quelque sorte abuser, ou bien manipuler, par des Américains qui seraient les seuls fautifs. Marine Le Pen, par exemple, en allusion aux États-Unis, regrette que :
« La France perd à nouveau une occasion d’apparaître sur la scène internationale comme une puissance indépendante et d’équilibre dans le monde. »
Jean-Luc Mélenchon dit la même chose :
« C’est une aventure de revanche nord-américaine, une escalade irresponsable. La France mérite mieux que ce rôle. Elle doit être la force de l’ordre international et de la paix. »
Florian Philippot manie le même lyrisme nationaliste :
« Voir la France réduite au rôle de supplétif des faucons contre la paix du monde et ses propres intérêts est toujours une souffrance. »
Les « député-e-s » du Parti communiste français (eux aussi suivent la mode universitaire de l’écriture inclusive) adoptent un lyrisme patriotique traditionnel chez eux :
« Une décision illégale et dangereuse qui confirme la rupture avec notre tradition d’indépendance nationale fondée sur la valeur de la paix et du multilatéralisme.
Si cette tradition faisait notre singularité et notre grandeur, sa remise en cause questionne notre place dans le monde : la France est-elle condamnée à s’aligner sur la volonté et les intérêts américains ? »
Le Nouveau Parti Anticapitaliste dénonce pareillement (et on se rappellera qu’il prônait en 2011 le soutien des grandes puissances à la « révolution syrienne »!) :
« la nouvelle aventure militaire dirigée par Trump en Syrie »
Comme si la France n’était pas impliquée en Syrie. Comme si la France avait reçu des ordres pour envoyer cinq frégates multimissions et des bâtiments de protection et de soutien en mer Méditerranée, neuf chasseurs pour tirer 12 missiles de croisière (trois depuis une frégate, neuf depuis les chasseurs).
Le fait d’avoir choisi d’ailleurs de lancer des missiles depuis une frégate vise à valoriser le missile de croisière naval (MDCN) utilisé ici pour la première fois. Cela correspond à l’esprit d’une démonstration de force.
C’est pour cette raison que Benoît Hamon a eu tort quand il a affirmé que :
« Laisser Assad impuni après l’usage d’armes chimiques contre des civils est impossible. Mais il faut un mandat de l’ONU. Que ceux qui s’offusquent du bombardement d’une usine, sortent aussi du silence quand Poutine et Assad anéantissent les civils de la Goutha et d’Alep. »
C’est là en appeler à un système international de sécurité largement dépassé. Il y a quatre ans, la Russie annexait purement et simplement la Crimée, où était l’ONU ? Et que dire auparavant de la guerre contre la Libye en 2011, sans mandat de l’ONU ? De celle, bien connue, contre l’Irak, toute pareille, en 2003 ? De l’intervention, également sans mandat, au Kosovo en 1999 ?
La vérité est que la compétition internationale tend à la guerre de repartage. Ne pas assumer cela, c’est ne pas être de gauche ; accuser les Américains, c’est nier que chez les dirigeants, russes comme français, américains comme britanniques, iraniens comme israéliens, on éprouve l’envie, le besoin de se tourner vers la guerre de repartage.