Le traumatisme des affrontements du lundi 6 mai 1968 sont forcément la cause du fait que les médias, pour les 50 ans de mai 1968, ne pouvaient pas en parler librement. Si aujourd’hui une petite ultra-gauche délirante parle de violence policière, cela n’est rien du tout comparé au déchaînement de violence policier de mai 1968.
C’est qu’aujourd’hui le régime est tout sauf en crise, alors qu’à l’époque il vacillait littéralement. Les forces de police étaient mobilisés pour écraser la formation d’une contestation ; quelques centaines d’étudiants proposaient quelque chose d’autre concrètement, une alternative de gauche, révolutionnaire, un changement de mise en perspective, de mentalité.
La rudesse des affrontements du 6 mai reflètent cette confrontation, avec au moins 345 policiers atteints par des projectiles divers, plus de 500 blessés chez les étudiants, et de simples passants tabassés par la police également.
Voici un témoignage montrant bien l’ambiance régnante :
« Nous marchions tranquillement place Saint-Sulpice (déserte) lorsque trente C.R.S. et Brigades spéciales nous ont matraqués et laissés pour morts. »
Si jamais on se demande pourquoi – à tort ou à raison – l’élection de François Mitterrand en 1981 a été autant apprécié à gauche, c’est simplement aussi beaucoup pour cela. Le régime était brutal, très brutal, ne laissant aucun espace.
Parler trop de mai 1968 du côté médiatique ou institutionnel, cela aurait été raconté tout cela…
Voici un autre témoignage du même type :
« Ainsi, vers 21 heures, rue de l’Ancienne-Comédie, j’ai aperçu des forces de police. Un Policier court vers le milieu de la place de Buci et lance une bombe ; je recule à l’angle de la rue Grégoire-de-Tours.
Quelques secondes plus tard, des policiers débouchent dans cette rue et se jettent sur moi : aucun étudiant n’était à ma connaissance dans cette rue. Je hurle que je ne suis qu’une passante. A cinq, ils me jettent par terre et me matraquent. Il en est résulté une fracture du bras gauche, un traumatisme crânien avec plaies ouvertes. »
Ou encore :
« Je passais vers 23 heures place de l’Odéon, le 6 mai, quand un cordon de C.R.S. nous arrêta (nous étions en voiture).
Demandant poliment (quand même) de pouvoir passer pour rentrer chez nous, nous avons reçu pour toute réponse un coup de poing par la portière, puis sans plus d’explications nous fûmes éjectés de la voiture par une dizaine de « vrais enragés », je veux dire les C.R.S. et fûmes alors savamment matraqués ; recevant entre autres des coups de matraques sur le nez, etc.
Bilan de l’affaire : un nez cassé, visage tuméfié, cuir chevelu décollé sans compter les insultes à l’égard de nous-mêmes et des jeunes filles qui nous accompagnaient. »
France Soir donne des indications de cette violence systématique :
« Parmi les blessés, une jeune femme serrant dans ses bras un bébé de trois mois (…) Incommodé par des gaz lacrymogènes à la station Odéon, l’enfant avait été pris de vomissements et avait dû être soigné d’urgence.
« A minuit, l’hôpital était complet et il fallut faire appel au stock de couvertures pour compléter tous les lits.
« Pas de blessés graves, explique le chef de service ; mais beaucoup de plaies dues aux coups de matraque et par les pavés, quelques fractures, et surtout beaucoup de jeunes gens aveuglés par les grenades lacrymogènes. Quelques-uns, une dizaine environ, qui avaient perdu connaissance, ont été gardés à l’hôpital en observation.
« II entrait un blessé toutes les deux minutes environ dans la salle où j’étais hospitalisé, raconte X., à sa sortie de l’Hôtel-Dieu. Rien que dans ma salle une quinzaine ont été gardés pour la nuit… »
Les gens furent particulièrement marqués par la violence acharnée de la police. Voici un témoignage :
« Le lundi 6 mai 1968, à 6 heures de l’après-midi, de l’intérieur d’un magasin situé rue Saint-Jacques j’ai été le témoin horrifié de la brutalité avec laquelle deux policiers se sont acharnés à matraquer un étudiant depuis longtemps déjà hors d’état de se défendre, sur le trottoir d’en face, juste devant le jardin de l’église Saint-Séverin. Quelques minutes après, l’étudiant s’est relevé avec difficulté ; il avait la tête en sang ! »
En voici un autre :
« Une charge de C.R.S. se dirigeait vers des étudiants se trouvant rue Monge et place Maubert. Certains étudiants ont été rattrapés, dont deux qui ont été coincés près d’une porte cochère donnant sur le boulevard Saint-Germain (près station Maubert-Mutualité).
Ces deux jeunes gens se sont fait matraquer par la première charge de C.R.S. Ils sont tombés par terre. Par la suite tous les C.R.S. qui arrivaient leur tapaient dessus alors qu’ils étaient par terre et qu’ils ne bougeaient plus. »
C’est une politique de terreur, visant à briser. Un médecin raconte ce qu’il a vu :
« Avoir été témoin, le 6 mai 1968, vers 18 heures, boulevard Saint-Michel, à quelques mètres de la rue Saint-Séverin, des sauvages matraquages sans raison apparente, et après bousculade délibérée ayant eu pour effet de le jeter à terre, d’un jeune homme par des policiers habillés en toile kaki.
Je vaquais à mes occupations dans cette zone alors entièrement libre, les affrontements et barrages étant au boulevard Saint-Germain. Le jeune homme, très chevelu, ne faisait rien de mal.
Il déambulait du côté des numéros impairs. Il s’est mis instinctivement à hâter le pas quand il a vu les susdits policiers, qui n’étaient pas en bleu marine mais d’aspect militaire (et que, pour ma part, je voyais pour la première fois en cette tenue insolite) traverser le boulevard en se portant dans sa direction d’un air menaçant. Ils sortaient d’un car de police qui venait de s’arrêter devant le café qui fait le coin, du côté opposé, de la rue et du boulevard.
Ils l’ont rattrapé, jeté à terre et ensuite lui ont porté des coups de matraque sur le crâne. Ces coups résonnaient de façon épouvantable sur la boîte crânienne.
Leur oeuvre faite, ils ont regagné le car sans s’occuper des réactions des passants, parmi lesquels j’étais et avec qui j’ai contribué à relever la victime qui geignait. Une touffe de ses longs cheveux était détachée. »
Un phénomène connu fut les interventions jusque dans les lieux privés. Ainsi :
« Je vous informe que on mari a été brûlé par l’éclatement d’une grenade, le lundi 6 mai vers 16 heures alors qu’il se trouvait à l’intérieur des locaux de son travail, rue Jean-Beauvais.
Des étudiants pourchassés par la police s’y étaient réfugiés. Actuellement il est toujours hospitalisé. »
Voici comment une concierge raconte comment elle s’est prise une grenade lacrymogène :
« Lundi 6 mai environ 20 h 30 – 21 heures. J’étais allée fermer la porte d’entrée. Dans le couloir il y avait un groupe de gens parmi lesquels cinq ou six locataires de l’immeuble. J’ai reçu comme un bloc de glace sur la tête, la tête s’est mise à me brûler, j’ai senti un liquide couler sur tout mon corps et une sensation d’étouffement. J’avais très mal surtout au visage, principalement aux yeux.
Le couloir s’est rempli d’une odeur épouvantable et l’évaporation du liquide remplissait l’air. Mon mari et les gens qui étaient dans le couloir pleuraient. Quelques personnes, parmi lesquelles ces locataires de la maison ont eu aussi des petites brûlures, trois locataires. »
C’est que la violence policière devait frapper vite, fort et à tout prix. Un étudiant non manifestant vit la scène suivante du haut de son balcon rue Monsieur-le-Prince :
« Le lundi 6 mai, les violences ont redoublé, nous étions suffoqués et aveuglés par les gaz lacrymogènes que la police lançait sur les manifestants et dans les vitrines.
Ce jour-là un enfant de douze ans environ qui revenait de l’école avec son cartable a été bousculé et renversé par les C.R.S. qui l’ont laissé sur place sans prendre la peine de voir s’il était blessé.
Lorsqu’un C.R.S. parvenait à s’emparer d’un manifestant, aussitôt cinq ou six autres policiers au moins venaient à la rescousse pour, s’acharner sur leur victime qu’ils laissaient ensuite au milieu de la rue dans un état plus ou moins grave.
Entre 19 heures et 19 h 30, des manifestants et des passants poursuivis par la police ont essayé de se réfugier sous le porche du 63 du boulevard Saint-Michel. La porte ne s’est pas ouverte assez vite, les C.R.S. sont arrivés, deux jeunes filles matraquées sont tombées à terre et ont été blessées.
Mais les plus gravement atteints ont été deux étudiants qui, assommés et roués de coups, ont été emmenés sans connaissance quelques instants plus tard par une ambulance. »
Parler de mai 1968 cinquante ans après aurait été parler des brutalités policières systématiques. Cela aurait été remettre en cause la cinquième République, la nature du régime. Comme la Gauche a capitulé à ce sujet, malheureusement, le patrimoine de mai 1968 n’est pas correctement défendu.