La fascination pour un Orient mystique capable de faire dépasser une lecture trop restreinte de la vie quotidienne a une certaine tradition en France, avec notamment deux auteurs liés aux surréalistes historiquement. On a ainsi René Daumal (1908-1944), fervent expérimentateur d’intoxications aux drogues, auteur d’une grammaire sanskrite et d’une poésie extatique-mystique, et Pierre Drieu La Rochelle (1893-1945) concluant sa vie par un intérêt profond pour la transcendance comme totalité.
Cette fuite romantique – rejetant la religion comme structure au profit de l’illumination comme accès à la totalité – est très précisément ce qui caractérise le groupe Norma Loy, sans aucun doute l’un des plus grands événements musicaux des années 1980 de notre pays.
La reprise de L’homme à la moto d’Edith Piaf est puissamment atmosphérique et témoigne bien de son approche générale, à la fois sombre et romantique, puissante et entièrement intime.
Tout part d’un duo de Dijon qui commence à partir de 1977 à assumer un groupe, Metal Radiant, s’appuyant musicalement sur les Stooges, puis un autre, appelé Coit Bergman, s’appuyant sur le groupe Suicide.
Arrive alors Norma Loy, anagramme de Nom Royal, combinant le pré-punk énergique et torturé des Stooges et les expériences électriques – électroniques de Suicide, le tout avec une profonde démarche de mélange des arts (style, photographie, danse, mise en scène, projection d’images, etc.) et une inspiration dans la mystique orientale comme moteur de rejet du monde tel qu’il est.
En voici un exemple avec la chanson qui est une puissante charge romantique, « The Power of spirit », le pouvoir de l’esprit (« Je reste immaculé dans le maculé / Je suis né immaculé je n’ai aucune confiance dans les images / C’est le pouvoir de l’esprit »).
La vision de Norma Loy est celle d’un univers faux, peuplé de réplicants, de gens manipulés par la télévision, dans un monde désespéré, vide de sens, un monde bas, sans contenu, appelant à une révolte de la totalité de son être.
Tout est alors tendu vers une expression totale, justement. A l’atmosphère et au style para-religieux s’ajoutent des concerts particulièrement marquants, combinant notamment des écrans où sont projetés 600 diapositives, alors que des danseurs de Buto, une danse japonaise oscillant entre expressionnisme et post-moderne, renforcent le caractère marquant de l’atmosphère .
En voici un exemple avec un concert parisien de 1988, où la danseuse Sumako Koseki est présente sur scène. Cette « Nuit de la Saint Vitus » rassemblait également pas moins que Red Lorry / Yellow Lory et The Fields of the Nephilim…
A son apogée, Norma Loy n’a jamais intéressé que 5-6000 personnes, un chiffre incroyablement restreint pour quelque chose d’aussi puissant, d’une telle ampleur sur le plan culturel.
Il est vrai que n’a pas aidé le côté déstructuré qui a régulièrement eu tendance à primer chez Norma Loy, avec un culte du côté undeground jusqu’au fétichisme ; tel booklet possède des photos présentant une mise en scène où les membres ont été massacrés, tel autre photo présente une ambiance digne d’une secte, l’ambiance glauque et dérangeante est digne du surréaliste Hans Bellmer, etc.
L’album Sacrifice (1988) est, sans doute, son chef d’oeuvre, bien qu’il soit difficile de le séparer du très bon Rewind / T-Vision (1986), qui ouvre la perspective, et du très fort Rebirth (1990), qui clôt le cycle.
Avec Attitudes en 1991, Norma Loy partit dans une autre direction, celle d’une sorte de pop profonde et intelligente, très personnelle, d’un potentiel extrêmement riche, cependant en absence de mouvement historique porteur, tout ne pouvait que s’enliser.
Le groupe se sépara, se réunissant pour divers projets sans la même ampleur, même si on notera le fait significatif d’avoir voulu faire un chanson en mémoire des victimes du terrible attentat du 13 novembre.
Une preuve que Norma Loy fut un groupe expérimentant, mais cherchant une expression large, ample, pleine d’émotion, dans la quête de l’expression de la sensibilité la plus grande.