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Que représente l’ISSEP, l’école inauguré par Marion Maréchal ?

Marion Maréchal (anciennement Le Pen) a inauguré ce vendredi 22 juin 2018 à Lyon l’école d’enseignement supérieur qu’elle dirigera. L’institut Supérieur de Sciences Économiques et Politiques (ISSEP) a pour ambition de former des cadres dirigeants avec une vision du monde réactionnaire et culturellement de droite. Il proposera à la rentrée 2018 un Magistère (Bac +5), ainsi qu’une formation destinée au grand public, accessible sans diplôme, dispensée le week-end.

Il y a forcément quelque chose de ridicule à voir une jeune femme de 28 ans s’imaginer directrice d’une “grande École” qu’elle aurait elle-même fondé comme une “chef d’entreprise”, pour former les futures “élites” de la nation. Le logo de l’ISSEP relève d’ailleurs lui-même de la supercherie puisqu’il représente un bâtiment néo-classique rappelant l’imagerie des établissements traditionnels parisiens, alors que l’institut se situera dans les locaux flambants neufs d’un immonde quartier ultra-moderne de Lyon.

Cependant, il serait erroné de ne pas prendre au sérieux ce projet. Marion Maréchal n’est ici qu’une figure, un nom représentant une affirmation idéologique ; il y a surtout derrière elle des personnes aguerries, avec des réseaux bien en place.

Des dirigeants « haut-placés »

L’organigramme de cette école, constitué uniquement d’hommes en dehors de la Directrice, est ainsi très parlant. On y retrouve non seulement des personnalités de la droite et de l’extrême-droite traditionaliste catholique française, mais ces personnes ont aussi, ou ont eu, des fonctions importantes.

Le président honoraire de l’ISSEP Patrick Libbrecht est lui-même présenté comme un ancien haut cadre chez Danone, Materne et Kronenbourg.

Le conseil scientifique, chargé de la politique pédagogique et scientifique, est constitué par de nombreuses personnes ayant ou ayant eu des responsabilités dans l’enseignement supérieur (Université Lyon III, Collège Stanislas de Paris, Prépasup, Université Panthéon-Assas Paris II, Sciences Po Paris, École Pratique des Hautes Études à la Sorbonne, Université Wesford Genève, Université de Saint-Pétersbourg, etc.), un ancien directeur de collection aux Presses Universitaires de France, un expert reconnu par la cour d’appel de Lyon, etc.

Il faut remarquer dans ce domaine la présence de Roger Chudeau qui a eu une longue carrière dans l’Éducation Nationale en étant d’abord chef d’établissement, puis inspecteur d’académie, inspecteur général et enfin sous-directeur des enseignements des écoles, collèges et lycées, attaché au cabinet du Ministre Gilles de Robien.

Autre figure de poids, et pas des moindres, le Général d’armée Jean-Marie Faugère, ancien inspecteur général des armées et conseiller défense de la direction du Groupe THALES.

Autrement dit, on a ici à faire à des gens très sérieux, tout à fait impliqués dans les institutions françaises, dont deux Chevaliers de la Légion d’Honneur. L’ISSEP s’annonce comme étant un projet de grande envergure.

Des personnalités très marquées idéologiquement

Sur le plan idéologique, les choses sont très claires. Le conseil scientifique est co-présidé par Patrick Louis et Jacques de Guillebon, qui sont des personnalités très marquées idéologiquement.

Le premier est lié au mouvement catholique traditionnel, il est secrétaire général du Mouvement pour la France de Philippe de Villiers. Sa fille a été coordinatrice régionale de “La Manif pour tous”, est issue du courant Sens Commun et actuellement conseillère régionale LR, dans la majorité de Laurent Wauquiez.

Le domaine de Patrick Louis est celui de la “géopolitique”, c’est-à-dire, sous couvert de neutralité, l’étude de la façon dont la France peut se positionner comme grande puissance parmi les grandes puissances du monde. Il a avec lui à l’ISSEP une personne comme Pascal Gauchon, le directeur et fondateur de la revue géopolitique Conflits.

De son côté, Jacques de Guillebon représente la dimension plus culturelle du projet de l’institut. Il est un ancien journaliste au magazine Causeur et ancien directeur du mensuel catholique traditionaliste la Nef. C’est aujourd’hui le rédacteur en chef de l’Incorrect, magazine avec lequel il a organisé le très médiatique débat contre « Mai 68 », en présence de Marion Maréchal.

On retrouve à ses côtés Thibaud Collin de la revue Liberté politique, dont le numéro en cours est consacré à la critique de « Mai 68« , considérant que ce mouvement “est l’aboutissement d’une entreprise de déconstruction morale, qui s’enracine dans l’expérience des Lumières, puis de la Révolution française”.

En ce qui concerne la politique, les enseignements de l’école devraient être conformes aux positions nationalistes exprimées par Marion Maréchal devant les conservateurs américains. Pour preuve, il y a deux représentants étrangers de cette même ligne dans leur propre pays, au sein du conseil scientifique de l’ISSEP.

Raheem Jamaludin Kassam de l’UKIP (Grande-Bretagne) est une figure de la campagne pour le Brexit et Paul Edward Gottfried est le représentant d’une ligne nationaliste dure chez les conservateurs américains, et est présenté comme un ancien ami de Richard Nixon.

Une affirmation libérale et pro-business franche

Sur le plan économique, le positionnement de l’école sera là aussi très clair. Il était expliqué en introduction de la conférence de presse de présentation que le point commun des animateurs du projet est d’être “des entrepreneurs”.

L’affirmation libérale et pro-business est franche, et cela se ressent directement dans le contenu du Magistère qui relève plus de la “Business School” que de Science Po.

On y retrouve des intitulés de cours, dont de nombreux anglicismes, comme :

Développement du leadership,
Management du conflit,
Management de crise,
Management interculturel,
Mediatraining,
Communication- marketing,
Business Plan,
Calcul des coûts et des marges.

C’est une ligne de démarcation importante avec les grandes écoles françaises formant traditionnellement les dirigeants, et notamment l’ENA. Celle-ci est une école d’administration, orientée vers le secteur public, et donc avec une approche marquée à Gauche, ou en tous cas non-ouvertement capitaliste.

L’ISSEP entend au contraire être marquée à Droite, et donc puiser dans le registre de l’entreprenariat, du capitalisme assumé.

Ces enseignements se feront en lien avec des entreprises et pourront profiter de la présence au conseil scientifique d’un ancien analyste-financier dans une banque d’investissements. Les liens avec des entreprises existent déjà de part les financements extérieurs, dont ceux provenant du fonds d’investissement Fra Finances.

Cependant, cette vision libérale prétend être différente du capitalisme classique, et proposer autre chose.

“C’est la singularité et la richesse de notre projet que de faire émerger des décideurs économiques qui placeront leurs ambitions au service de projets utiles à la société et ne s’enfermeront pas dans une simple logique comptable ou financière, ainsi que des décideurs publics qui insuffleront une nouvelle vitalité à la vie politique de notre pays.”

 

Un projet « métapolitique »

De nombreux commentateurs s’égarent en cherchant à savoir si l’ISSEP représente pour Marion Maréchal un outil de “retour” en politique, comme si finalement tout devait tourner autour de la candidature à l’élection présidentielle.

La question n’est pas là et le projet porté par son école est bien plus ambitieux que cela. L’ancienne députée FN du Vaucluse a exprimé maintes fois son point de vue, en parlant de métapolitique notamment. Il s’agit pour elle d’influencer en profondeur la société française et de former des cadres à même d’occuper des fonctions dirigeantes.

Il ne suffit pas de se présenter à l’élection présidentielle avec des arguments convaincants et une équipe de communication solide. Il faut aussi des cadres solides, formés pratiquement et culturellement, aguerris idéologiquement, pour diriger l’État d’une manière nouvelle.

Marion Maréchal le dit clairement :

« Ce n’est pas un projet politique. Notre objectif est d’offrir une alternative éducative dans un monde du supérieur français que nous estimons sclérosé sur le plan intellectuel et dont les enseignements nous apparaissent insatisfaisants, en ce qui concerne notamment les écoles en charge de la formation des élites françaises.”

Quand elle dit que ce n’est pas un projet politique, cela signifie qu’elle refuse de se cantonner aux considérations politiques actuelles. Elle se situe dans une perspective bien plus grande, celle d’un nouveau régime, dans l’esprit d’une « reconquête » se déroulant subitement, telle une remise en ordre, dans l’esprit de la guerre d’Espagne ou de l’austro-fascisme.

L’ISSEP entend être au « carrefour des intelligences », c’est-à-dire qu’il veut puiser sans restriction dans les forces-vives réactionnaires françaises. Ce doit être une pépinière, et il est hors de question dans cette perspective de se restreindre, pour le moment, aux considérations politiciennes.

Un laboratoire réactionnaire

C’est pour cela que la droite traditionnelle ayant par exemple soutenue Fillon côtoient, à la direction de l’ISSEP, l’extrême-droite issue du Front National.

La formation continue proposé par l’école à côté du Magistère se veut quant à elle bien plus pratique, et utile directement. Cette formation est dispensée sur dix week-ends du samedi matin au dimanche soir pendant un an.

À lire la plupart des intitulés de cours, on croirait que le programme a été rédigé par les activistes de Génération Identitaire, par exemple :

Développement du leadership : les bonnes méthodes pour être un chef respecté
Conduite de réunion & organisation d’une équipe
Méthodes de négociation
Politique et combat culturel
Mode d’actions des minorités agissantes
Atelier créativité. Exercice mise en pratique
Optimiser et moderniser sa campagne en ligne
Développer un message persuasif, rhétorique
La communication du futur
Utilisation & optimisation de vos réseaux sociaux.
France et chrétienté, quel héritage ?
Islam et civilisation islamique
Consumérisme, laïcité, athéisme les nouvelles religions ?
Stage de cohésion sportif en nature

Il s’agit, à côté du magistère destiné aux futures “élites”, de former cadres régionaux, activistes, militants, capables de porter rapidement et efficacement un projet politique (la formation continue dispense aussi quelques enseignements liés aux campagnes électorales).

L’école revendique déjà 60 pré-inscriptions d’élèves pour son magistère, 160 pour sa formation continue, et quelque 120 candidatures spontanées d’enseignants.

L’Institut Supérieur de Sciences Économiques et Politiques entend donc devenir un lieu de convergence et d’élaboration pour le mouvement réactionnaire français. La ville de Lyon est à cet égard une place de choix. Depuis de nombreuses années, c’est une sorte de laboratoire de la droite dure, de l’extrême-droite et du fascisme dans le pays.

Cela fera certainement de l’ISSEP, ou fait probablement déjà de l’ISSEP, un bastion idéologique du fascisme en France dans sa tentative de conquête du pouvoir.

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