Le libéralisme d’Emmanuel Macron constitue une puissante vague qui révèle en symétrie de manière terrible l’impuissance et l’absence totale de crédibilité, sur le fond comme sur la forme, de la contestation de la « gauche » majoritaire. Celle-ci, en raison notamment de la force du populisme agité par la France Insoumise de François Ruffin ou Jean-Luc Mélenchon, n’est pas en mesure de faire face aux exigences brutales d’Emmanuel Macron, ni même simplement en mesure de le comprendre, de comprendre en quoi celui-ci incarne quelque chose qui à la fois tétanise les masses et les fascine.
D’abord, Emmanuel Macron n’est pas un personnage sorti de nulle part. Il n’est pas le produit d’une « oligarchie mondialiste » plus ou moins organisée en « hyper-classe », suivant un « plan » ou un « agenda », avec le soutien de la « finance apatride » et des média « mainstream ».
Tout cela est du jargon populiste, de la capitulation de la pensée et pour tout dire, une trahison de la gauche en ce que cette ligne mène tout droit au nationalisme. Emmanuel Macron représente au contraire quelque chose de tout à fait précis, de tout à fait identifiable et de compréhensible, au sein de notre société, au sein de notre pays et de son histoire, au sein de la lutte des classes.
Il est vrai qu’immédiatement, on perçoit Emmanuel Macron comme un genre « d’homme pressé », un peu comme dans la célèbre chanson de Noir Désir : un genre de bourgeois post-moderne, technocrate, métropolitain et cosmopolite.
Cette perception, quoique superficielle, est néanmoins correcte. Emmanuel Macron est d’abord en tant que personne, le produit d’une éducation et plus profondément de tout un pan de notre culture nationale, dans ce quelle a de plus réactionnaire même. Emmanuel Macron, c’est l’incarnation d’abord du pragmatisme, de cet esprit pratique, anti-matérialiste, réputé « empirique », qui nie les contradictions, entend trouver l’équilibre, réconcilier.
Cet état d’esprit flatte une bonne partie de la France, et même hors des métropoles, en ce qu’elle représente la stabilité, l’ordre, la « raison » ordonnée. On la retrouve ainsi autour de nombreuses figures de notre histoire : Richelieu, Louis XIV, Napoléon Bonaparte, Napoléon III, Jaurès, Pétain, De Gaulle.
L’idéologie compte peu, voire pas du tout pour ces figures, ce qui compte c’est rassembler, gouverner avec une méthode pratique qui serait tout simplement la meilleure, sinon la seule possible, en bon père de famille, rassurant et puissant. Pas d’idées, pas de fond, mais une belle forme. Parfois, il est vrai, c’est très baroque : c’est qu’il ne faut pas oublier que les plus riches sont les plus décadents.
On aurait donc tout à fait tort de sous-estimer la flatterie que représente Emmanuel Macron aux yeux d’une partie de notre pays, bien plus large même que ces seuls électeurs d’ailleurs. Et le fait qu’il soit jeune, dynamique, « moderne » est encore mieux. Cela dépasse donc le cadre même des institutions de la Ve République, qui jouent à fond cette carte de l’homme providentiel, du « monarque républicain », c’est un véritable rapport culturel que la gauche doit absolument comprendre pour être en mesure de le briser.
Emmanuel Macron est aussi un produit des Grandes Écoles françaises : Lycée Henri IV, classes préparatoires en Lettres après un Baccalauréat scientifique, obtenu avec une mention Très Bien, IEP de Paris, ENA de Strasbourg, classé 5e.
Il a été pendant ses études un assistant de l’écrivain, revendiqué comme philosophe par la bourgeoisie, Paul Ricoeur et un membre du comité de rédaction de la revue bourgeoise de haut niveau qu’est Esprit.
Il s’inscrit ainsi tout à fait dans la continuité de la technocratie française, de la tendance planiste, experte, coupée des masses mais qui se veut néanmoins « républicaine », au service non seulement de l’État mais aussi du peuple.
Mais Emmanuel Macron est une figure qui pousse cette logique plus loin même. Ses prétentions culturelles voire intellectuelles le traduisent bien, tout comme la référence à Paul Ricoeur, personnage presque inconnu du grand public.
Même sans l’avoir étudié ou lu, les masses française connaissent ainsi Karl Marx par exemple et ont quelques idées sur le contenu de sa pensée. Ni l’une ni l’autre de ces affirmations ne sont vraies pour Paul Ricoeur, mais sa pensée et surtout le courant qu’il représente ont néanmoins inspiré tout un pan de la pensée intellectuelle de notre pays, que l’on peut qualifier de post-moderne, de Jean-Paul Sartre à Alain Finkelkraut, et indirectement donc, de l’éducation même des masses.
Paul Ricoeur, mort en 2005, a quand à lui essayé de développer une pensée qualifiée de « phénoménologie ». Pour la décrire rapidement, il s’agit de réduire l’être humain à l’individu d’une part, et d’autre part sa pensée à la seule captation des « phénomènes » : c’est à dire de l’expérience vécue (que chaque personne devrait donc renouveler, tout à fait dans l’esprit « nuit debout ») et du contenu de la conscience, c’est à dire des choses que l’on ne connaît pas par expérience mais par intuition.
C’est par cette recherche de l’intuition d’ailleurs que Paul Ricoeur en particulier a réintroduit la théologie dans cette démarche « phénoménologique ». Paul Ricoeur en effet, lui-même ayant enseigné à la Faculté de théologie protestante de Strasbourg puis de Paris, place en quelque sorte Dieu au bout de la pensée, des intuitions, comme base du bien.
La vie humaine serait donc au maximum une sorte de quête individuelle de la connaissance qui aboutirait par les expériences et « l’intuition » à Dieu au bout du compte et dans le meilleur des cas. La « phénoménologie » nie donc tous les rapports sociaux collectifs au profit d’une réduction à l’individu dont la seule perspective commune avec les autres serait une éventuelle communion abstraite en Dieu par une éthique partagée.
C’est cette transcendance qui guiderait la morale, ou « l’éthique » et motiverait l’action en vue du bien. Ce n’est donc ni plus ni moins qu’une sorte de « déisme » rebouilli, typique de l’esprit bourgeois français, mais dans une perspective néanmoins pessimiste désormais.
C’est exactement ce qui « structure » la pensée d’Emmanuel Macron, et donne une part quasi-mystique à sa démarche pragmatique, qu’il vit comme une « aventure » éthique personnelle mais transcendante, qui lui donne son style et son assurance.
Cela poursuit toute une tendance bourgeoise, technocratique et « chevaleresque » affirmée depuis l’École d’Uriage en passant aussi en partie par Mai 1968.
Il n’y a donc rien de plus faux que de tenter de décrire Emmanuel Macron comme une sorte de parasite crée par « l’oligarchie », de dire qu’il serait « étranger » au fond à la France, sinon celle des bobos cosmopolites des métropoles ou des grands groupes financiers, de la « banque ».
En réalité, Emmanuel Macron est un produit de toute une part de la culture nationale de notre pays tel que forgée par la bourgeoisie. En cela, il représente donc une part de l’esprit français, même en-dehors du soutien des média, sa popularité vient du fait qu’il constitue une figure identifiable, familière, rassurante et flatteuse auprès d’une large partie de la population française.
Voilà pourquoi les critiques velléitaires et populistes se rencontrent pas d’écho dans les masses. La Gauche telle qu’elle est majoritairement organisée face à Emmanuel Macron et son libéralisme ne fait tout simplement pas le poids, elle n’est pas au niveau. Sa critique superficielle, ses mises en scènes ridicule se brisent sur la volonté d’Emmanuel Macron de ne plus faire semblant d’écouter la contestation velléitaire de la « rue » et de la gauche institutionnelle, de montrer en quelque sorte que le cinéma qu’entretient cette gauche s’imaginant défendre le peuple est fini, que le « réel » et le sérieux sont de retour.
Il y a là une question d’exigence culturelle absolument capitale : il faut élever le niveau, être à la hauteur des attaques.