Il est difficile d’exprimer le malaise terriblement profond qu’on peut ressentir parfois, et que dire de ce qu’on a au fond de soi à la vue de ce commentaire du Monde dans son « live » pour le match France-Belgique d’hier, en coupe du monde de football ?
« Il a 19 ans, et il est en finale de la Coupe du monde. Vous faisiez quoi à 19 ans, vous ? » peut-on lire, avec une photographie où l’on voit de dos Kylian Mbappé.
Ce n’est pas seulement la surmédiatisation et la dimension « spectacle » du football moderne qui pose ici problème, ni même l’individualisation forcenée d’un système qui ne voit justement que des individus, de par sa nature.
Bien sûr, tout cela est vrai, mais certains diront : c’est de la politique et diront que là n’est pas l’important. Admettons, même si ce n’est pas vrai. Non, au-delà de cela, il y a ce terrible problème, ce problème peut-être le plus douloureux de notre époque : la négation de la personnalité.
Car ce que sous-tend Le Monde, c’est qu’être en finale d’une Coupe du monde aurait davantage d’intensité dans le vécu que, par exemple, à 19 ans, devenir amoureux, découvrir les premiers albums de Pink Floyd, adopter un chien dans un refuge, voir sa première aurore boréale, avoir un couple de pigeons ayant construit un nid et couvant ses œufs juste devant sa fenêtre.
Et c’est là qu’on ressent en pleine face ce qui est une odieuse impression de vide ; la vie dans cette société semble être un immense gaspillage, entièrement superficiel, sans aucune substance, avec tout n’étant qu’apparence.
La vie dans cette société n’est que du remplissage, une immense accumulation de choses diverses servant au remplissage. Et, ausi, on remplit sa vie avec un emploi, avec un couple, avec des jours qui passent. Non pas qu’un emploi ni un couple ne soient pas nécessaires, pas plus que les jours qui passent ! Bien au contraire, penser à l’inverse serait basculer dans la religion ou la célébration de marginalités auto-destructrices.
Cependant, pour un couple authentique et un emploi non aliénant, pour des jours qui passent en étant emplis de vie et non remplis de consommation et de superficialité, il faut s’arracher, s’extraire, s’extirper, s’enlever, s’ôter, se retirer d’attitudes, de conventions, de normes paradoxalement totalement vides.
Et les remplacer par d’autres, fondamentalement positives, allant dans le sens de l’épanouissement de ses propres facultés, de ressentir toute une gamme d’émotions, de sentir la nature, et d’une capacité à construire, à produire. C’est cela, le socialisme.
Et donc comprendre que ce qui compte, c’est la civilisation dans son ensemble, la culture, par laquelle on existe avec la nature, et non pas des individus qui ne sont que des egos abstraits. Après tout, qu’importe de savoir qui est l’auteur de La Multiplication des pains des Très Riches Heures du duc de Berry au XVe siècle?