L’envergure du succès du « Raptor dissident » se voit au nombre de vues que l’algorithme de YouTube mesure, et il faut bien admettre que l’on est là présence d’une surface d’influence littéralement énorme : plus de 500 000 abonnés le suivent, ses vidéos atteignent et dépassent de plus en plus le millions de vues, notamment sur sa chaîne YouTube Raptor Dissident, avec plus de 2,5 millions de vues pour certaines d’entre celles de la série « Expliquez moi cette merde ».
Les vidéos de sa seconde chaîne, Raptor vs Wild, où il anime de longues émissions dans un esprit plutôt radiophonique de plusieurs heures, avec des invités, rencontrent moins de succès en comparaison, mais tournent néanmoins autour d’une base solide de pratiquement 150 000 vues chacune. On peut donc parler ici d’un phénomène particulièrement significatif.
A quoi est dû ce succès ? Le « Raptor dissident », c’est donc d’abord un style. Un style exprimé par la connexion entre deux formes symétriques de la réaction que le YouTuber a su réaliser et développer de manière réussie.
D’abord, le Raptor s’est appuyé sur les codes expressionnistes propres à rassembler et à toucher toute une frange de sa génération. Cela autour d’un univers largement alimenté par des références aux jeux vidéos, aux mangas, aux blockbusters américains, aux émissions de télévision des années 1990-2000. On retrouve ici cet univers geek largement développé sur les réseaux ou sur YouTube par le Joueur du Grenier ou même Usul par exemple selon un style parallèle, assez similaire en tout cas sur la forme, le ton, le montage.
Mais cette forme, le Raptor l’a considérablement approfondie et politisée par toute une démarche culturelle, de nature « méta-politique », propre à l’extrême-droite. C’est-à-dire, un mélange d’individualisme aristocratique, mêlant dans une perspective romantique, un appel aux vertus chevaleresques, aux valeurs « identitaires » et à l’esprit de communauté, dans le but de produire et d’affirmer des cadres culturels en capacité d’influencer le débat public, par leurs idées et leur style.
Et pour cela, le Raptor a bénéficié de l’espace politique ouvert par Dieudonné et Alain Soral, en s’inscrivant lui-même dans ce courant de la « dissidence » populiste réactionnaire. Le Raptor a donc poussé cette démarche à fond, rassemblant autour de lui d’autres figures en mesure de renforcer cette ligne, comme Papacito en particulier.
D’autre part, le Raptor et sa bande ont perçu l’impasse vers laquelle se dirigeaient Dieudonné et Soral, qui après leurs premiers succès, se sont contentés d’une situation de rente propre à simplement leur assurer une existence confortable, mais ayant échoué à produire un changement culturel significatif selon eux.
Il s’agit alors d’approfondir la démarche en passant au-dessus de Dieudonné ou Soral, considérés non comme des adversaires mais comme des précurseurs, ou des concurrents, outranciers et surtout pas au niveau de la ligne qu’entend promouvoir le Raptor.
Celui-ci entend compléter la culture geek dont il est issu par tout un parallèle avec la culture réactionnaire antérieure, revoyant précisément à la France gaullienne d’avant Mai 1968, comme base idéalisée permettant de produire une image propre à marquer par son style et à rallier de manière large.
On a ici toute une démarche consistant à mettre en avant les codes de l’acteur Jean Gabin, notamment avec ce qu’essaye de reproduire quelqu’un comme Papacito, une mise en scène qui se pense irrésistible, « virile », avec des poses et des répliques surjouées, théâtralisées, forcées pour tout dire, une esthétique qui mélange les pages « culture » du Figaro ou de Valeurs Actuelles avec ses lunettes de soleil hors de prix et son goût pour la consommation distinctive et luxueuse, avec une attitude et un jeu et des punch-lines pour faire « populaire », vantant par exemple la nécessité d’éduquer à coup de « gifle avec élan » les immigrés récalcitrant à se sentir français.
Ou encore affirmant qu’au fond s’il y a des agressions contre les femmes, c’est aussi parce que les hommes ne sont plus des « bonhommes à l’ancienne », qu’il manquerait donc plus de patriarcat et d’autorité virile.
On a là le même anti-réalisme, caricaturant les types et forçant les traits mais qui s’affirme toutefois authentique, rejetant la modernité corrompue au nom de la liberté individuelle et de l’esprit du terroir et de « ceux qui triment » et qui se retrouvent dans leur temps libre à dialoguer entre copains, quand ils ne sont pas à salle pour « pousser » ou mettre les gants, entre mâles de préférence, échangeant sur leur écœurement face à l’écroulement du monde, entourés de filles reflétant symétriquement leur vulgarité désabusée, sur le ton de la dérision semi-sophistiquée et du bon mot, qu’on peut se permettre, parce qu’on a du muscle et qu’on est « street credible ».
C’est-à-dire qu’on a littéralement ici des petit-bourgeois qui se travestissent en ouvrier, méprisent les masses dont ils sont issus pour vivre romantiquement une aventure individualiste, une entreprise contre le reste du monde dont ils rejettent la médiocrité de manière unilatérale, en hommes libres et solitaires.
Évidemment, on a là aussi tout un écho avec le style développé par le réalisateur Michel Audiart, qui a mieux que personne joué sur cette confusion entre les valeurs de la Gauche et le soi-disant pragmatisme « concret » de la Droite, exprimant faussement le « bon sens » populaire de la seconde contre la première :« c’est la gauche qui me rend de droite » disait Audiard, et toute la démarche, tout le style du Raptor s’inscrit dans cette filiation, et mieux dans la posture, de la « rébellion » petite-bourgeoise contre le monde moderne.
Le Raptor a compris qu’un écho était jouable en affirmant le parallèle avec cette forme identifiable et malheureusement appréciée car mal comprise au sein de la culture de notre pays, et qui permet d’apparaître crédible, de dire quelque chose de familier, avec un style qui apparaît « français » et authentique.
La vulgarité de l’esthète désabusé, mais fort d’esprit et de corps, prolonge donc ici des figures propres à flatter l’esprit réactionnaire d’une partie des masses, piégées dans la culture beauf à qui elle donne une forme « noble », « cultivée », « aristocratique », comme l’a fait Louis-Ferdinand Céline dans le domaine littéraire ou Jean-Marie Le Pen dans celui de la politique, que le Raptor présente comme le « daron du game trop stylée et déter » face à sa fille surnommée ironiquement « Malika Le Pen » qui ne porte pas « ses couilles » et ne consiste en rien.
La « dissidence » du Raptor consiste donc à se reconnecter directement à ce style démagogique et à ces figures, en proposant une enveloppe modernisée, établissant une continuité propre à permettre l’héritage, d’exprimer faussement la « permanence » d’une rébellion française face à la Modernité, d’affirmer « l’homme ancien » contre le monde moderne. Il s’agit bien là en ce sens d’une offensive culturelle de la réaction, d’un populisme réactionnaire sur une ligne menant très clairement au fascisme.