Le film Joint Security Area, du réalisateur sud coréen Park Chan-wook, est un oeuvre à voir absolument pour qui s’intéresse à la culture coréenne, et plus généralement pour toute personne portant les valeurs de l’universalisme.
Sorti en 2000, il est souvent considéré comme le film marquant le début de ce qu’on appel la Nouvelle Vague du cinéma sud coréen.
En France ce statut est plus généralement accordé à Memories of Murder de Bong Joon-ho l’autre réalisateur phare de cette Nouvelle Vague (auxquels ont pourrait ajouter Kim Jee-woon). Cela s’explique notamment par le fait que celui-ci marque l’arrivée du cinéma sud coréen dans les cinémas de France, bien que de manière assez confidentielle, attirant principalement les cinéphiles amateurs de culture asiatique.
Joint Security Area, s’il a connu un énorme succès dans son pays d’origine, n’a pas eu accès à la sortie en salle en France et n’est sorti en DVD qu’en 2009, alors que la réputation de Park Chan-wook était déjà établi par sa « trilogie de la vengeance ».
Si ses autres films ne sont pas dénués d’intérêt Joint Security Area reste sans nul doute son oeuvre la plus aboutie et la plus intéressante, un très grand film de cinéma, et bien plus que cela.
L’histoire prend place fin des années 90 dans la « Zone coréenne démilitarisée », une zone qui longe la frontière entre Corée du Nord et Corée du sud, et plus précisément au sein de la « zone de sécurité commune » (« joint security area » en anglais), qui est sous le contrôle de l’ONU.
En ouverture du film on retrouve justement l’ONU qui a dépêché une enquêtrice Suissesse d’origine sud coréenne pour démêler le vrai du faux dans une affaire qui vient d’éclater dans la zone : un soldat sud coréen s’est retrouvé dans le poste frontière nord coréen juste en face de son propre poste de garde et y aurait abattu deux soldats du nord, un seul autre ayant survécu.
La version de la Corée du sud est qu’il s’est fait enlevé par ces soldats et a réussi à prendre la fuite en en tuant deux pour se défendre.
La version de la Corée du nord est qu’il s’est infiltré avec pour but de tuer.
Très vite, lorsque l’enquêtrice va interroger les deux soldats impliqués, on se rend compte que l’histoire est sûrement plus compliquée qu’une de ces deux versions.
La majorité du film prend alors lieu dans des flashbacks « subjectifs » dans le sens où ces flashbacks correspondront aux versions racontées par les différentes protagonistes et pas nécessairement à l’histoire telle qu’elle a réellement eu lieu.
Par l’avancée de l’intrigue et donc l’avancée des flashbacks le film va monter tout du long en intensité dramatique, jusqu’à un climax assez éprouvant, mais magnifique.
Park Chan-wook y mêle à merveille cette tension de plus en plus insoutenable à un humour bien senti qui permet d’apporter un peu d’air, sans pour autant jamais tourner en ridicule les situations. C’est d’ailleurs une particularité qu’on retrouvera souvent dans ce cinéma sud coréen, notamment dans le très dur mais parfois très drôle Memories of Murder déjà cité.
Ce difficile équilibre où de nombreux films se cassent les dents sur l’un ou l’autre des aspects (voir les deux) est possible grâce à la grande maîtrise de la mise en scène de Park Chan-wook ainsi que par la formidable prestation des acteurs qui sonne très vraie et tout simplement très… humaine. Il y a une vraie chaleur humaine qui se dégage de nombreuses séquences.
Il est d’ailleurs à noter que ce film marque aussi l’arrivée sur le devant de la scène de plusieurs acteurs que l’on retrouvera dans de nombreux films majeurs de cette nouvelle vague, dont principalement Song Kang-ho (Memories of Murder, The Host, Le bon, la brute et le cinglé…), mais aussi Lee Byung-Hun (Le bon, la brute et le cinglé, A bittersweet life, A meet the devil…), soit les deux acteurs principaux de JSA, les deux survivants de l’affaire.
Mais au delà d’un film parfaitement maîtrisé dans sa forme, c’est aussi un film important et éblouissant quand à ce qu’il raconte, ce qui en ressort, à savoir une ode à l’unité du peuple coréen. Aussi bien par l’histoire, par l’intrigue qui place la fraternité au centre, que par la mise en scène.
La plus grosse partie du film prend place dans une zone très restreinte : au niveau des deux postes de garde frontière, juste séparé par un pont de quelques mètres.
La réalisation n’aura de cesse de jouer sur cette frontière par différents plans de caméra. Ou par des scènes comme celle où des soldats se retrouve perdus, ne sachant même pas de quelle côté ils sont.
Et cette mise en scène va plus loin puisqu’elle se joue aussi de la frontière non pas au sol, entre deux pays, mais culturelle, entre deux peuples qui ne font en fait qu’un, dans de superbes plans, transitions, ou tout simplement par le décor, les costumes, les dialogues.
Ces frontières, ces divisions, deviennent alors totalement artificielles.
Park Chan-wook ne s’attarde jamais sur la politique des deux états, tout juste sont-ils évoqué et subtilement critiqués (comme l’ONU par ailleurs) surtout pour leur agressivité envers leur voisin. Ce qui l’intéresse vraiment c’est le peuple coréen, représenté ici par plusieurs soldats qui exercent leur service militaire, et par l’enquêtrice dont le passé que l’on découvre vers la fin du film, est lourd de sens.
Il est à noter que l’éditeur et distributeur français La Rabbia a lancé un remasterisation 4K du film tout récemment, et a permis sa diffusion dans quelques salles de cinéma. Une version DVD/BluRay a également de grande chance de sortir l’année prochaine si on s’en tient aux pratiques de l’éditeur.
Une bande annonce accompagne cette ressortie, malheureusement celle ci en révèle un peu trop sur le film dans lequel il est préférable de se lancer en en sachant le moins possible si l’histoire elle-même tellement la maîtrise du récit est totale. Rien n’est laissé au hasard que ce soit sur la forme ou dans le fond. Tout fait sens, sert le film, son propos, son intensité narrative, jusqu’à ce plan final déchirant où s’entremêlent passé et présent.
Très grand film donc, de par ce qu’il représente pour le cinéma sud coréen et même mondial, pour la Corée en terme culturel, et tout simplement par sa puissance humaniste qui ne peut laisser insensible.