Il y a cinquante ans, le 21 août 1968, la Tchécoslovaquie connaissait un coup de poignard dans le dos par l’invasion des troupes soviétiques, polonaises, hongroises, bulgares et est-allemandes, avec 400 000 hommes, plus de 6000 chars et 800 avions.
C’était le second assassinat de ce pays après les accords de Munich de 1938, qui donnait le champ libre aux armées hitlériennes pour dépecer le pays. Il ne s’en remettra jamais et lorsque le bloc soviétique s’effondrera, il se divisera en République tchèque et en Slovaquie, sans aucun référendum, sur la simple décision des gouvernants.
Tel était la conséquence de l’asséchement de toute démocratie en Tchécoslovaquie à la suite de l’invasion décidée par l’URSS afin de briser le « Printemps de Prague », dont l’une des figures principales fut Alexander Dubček. Ce mouvement de vaste libéralisation économique et culturelle, en vue d’un « socialisme à visage humain » au moyen d’une ouverture à l’économie de marché, présentait le risque pour l’URSS d’un affaiblissement de sa domination pratiquement coloniale organisée de manière systématique dans les années 1960.
Avec l’invasion, la Tchécoslovaquie devenait directement une colonie soviétique.
Le « Printemps de Prague » était la conséquence directe d’une très longue tradition démocratique en Tchécoslovaquie. Non seulement ce pays avait été le premier où le protestantisme émergeait en possédant une telle base populaire qu’il s’ensuivra des révoltes paysannes bousculant toute l’Europe centrale, avec les « hussites », mais qui plus est il était une république très développée économiquement dans les années 1920 à la suite de l’effondrement austro-hongrois, dont le président Tomáš Masaryk était un symbole connu en Europe alors.
Sa révolution de 1948 en fit le modèle des « démocraties populaires » et en rapport à la population, le Parti Communiste était numériquement le plus puissant du monde.
Il était évident qu’aucune intervention extérieure ne pouvait écraser cette longue tradition et, en pratique, les troupes restantes après août 1968 vécurent entièrement à l’écart d’une population hostile à son encontre.
Les conséquences historiques furent également immenses dans l’Europe de l’est. Les populations slaves voyaient toujours d’un œil favorable la Russie, même si elle était tsariste, d’où souvent la reprise des couleurs panslaves, dans la foulée du congrès panslave de Prague en 1848. Par la suite, le prestige de l’URSS était immense et servait de ferment fédérateur.
L’intervention de l’URSS dans les années 1960 et la politique russe agressive a anéanti tout ce patrimoine et réactivé la balkanisation de l’ensemble des pays de l’est européen.
Il n’est pas un pays qui n’a pas de soucis frontaliers ou de population avec son voisin, les nationalismes sont outranciers et parfois radicalement expansionnistes ; la haine des peuples entre eux est très largement cultivée par les dominants.
C’est aussi une conséquence de la perte du gigantesque prestige qu’avait l’URSS après 1945 à la suite de l’invasion de la Tchécoslovaquie, un pays historiquement et culturellement d’ailleurs extrêmement proche des Russes qui plus est.
L’invasion de la Tchécoslovaquie en août 1968 a eu un impact très conséquent sur la Gauche française. Pour la gauche anticommuniste, c’était la preuve que l’URSS avait une nature mauvaise à la base ; pour la gauche maoïste, c’était la preuve que l’URSS avait changé de nature et était devenue un « social-impérialisme ».
Pour le PCF, cette histoire devait être passée sous silence le plus vite possible en raison des larges oppositions internes apparues alors au sujet de l’invasion : en pratique, c’est le début de son déclin, surtout après sa position vigoureusement opposé aux étudiants et aux grèves dures en mai et en juin 1968.
Pour les anarchistes et les trotskistes, le « Printemps de Prague » formait une révolution manquée de plus, à ajouter à la panoplie romantique des causes censées avoir été trahies.