Nous vivons dans une société où l’État n’est pas neutre : il vise à neutraliser, condenser, comprimer toutes les idées ou démarches subversives par rapport aux valeurs dominantes. Il n’est donc guère étonnant que le procès du meurtre de Clément Méric ait consisté en une démonstration de force institutionnelle, entièrement dépolitisée, faisant passer les prolétaires pour des demeurés et réduisant le fascisme à une brutalité de quelques voyous.
Le meurtre de Clément Méric avait déjà posé un vrai casse-tête à l’époque. Pierre Carles du magazine Siné mensuel avait alors dans un article constaté avec amertume que l’État et les médias avaient mis en place tout un dispositif idéologique pour diffuser le mépris anti-prolétaire et anti-immigré, en valorisant le parcours de Clément Méric, étudiant à Sciences Po, fils d’enseignants d’université et engagé dans la scène anarchiste parisienne.
Comment faire ? D’un côté, il y a d’authentiques prolétaires, mais s’étant fourvoyés. De l’autre, des antifascistes, mais liés à la bourgeoisie intellectuelle, à des valeurs libertaires typiques des centres-villes et des universités. Et tous sont, de toutes façons, farouchement anti-socialistes et anti-communistes.
La juge a naturellement prolongé le choix initial. Le procès n’a cessé de chercher à faire passer des prolétaires de province pour des demeurés, des arriérés, tout en effaçant totalement la question de l’inévitable sens de la révolte, ainsi, bien sûr que la déviation de la révolte.
Alors que ces prolétaires sont devenus nazis dans des zones culturellement anéanties. Que beaucoup d’entre eux, et c’est un paradoxe frappant, ont des origines immigrées. Et les observateurs ont été frappés par cela : ces nazis ne connaissaient même pas vraiment leur dossier, s’exprimaient de manière spontanée avec des mots simples et loin d’être forcément bien choisies pour leur propre situation.
Il est aussi nécessaire de remarquer que le meurtrier de Clément Méric était à l’origine impliquée dans une structure de soutien aux animaux montée à l’extrême-droite, comme sa compagne. Qu’avec sa nouvelle compagne il entend désormais monter un refuge, un autre accusé a pareillement parlé de travailler avec des animaux.
Bref, on avait là « des proles de chez proles », comme le dit la formule. Et quand on est de Gauche, on reconnaît cette nature prolétarienne, on ne saurait la mépriser. Quand on est de Gauche, on raisonne comme en Italie après 1922 et en Allemagne après 1933 : pourquoi des prolétaires ont-ils pu se tromper comme cela ?
Évidemment, la juge n’allait pas faire un procès pour expliquer pourquoi des prolétaires auraient dû devenir communistes au lieu de nazis. Ce n’est pas son objectif, qui est de neutraliser toute politique.
La nature prolétarienne des nazis en question ne l’intéressait que dans une seule mesure : faire systématiquement ressortir un mépris, une posture hautaine et arrogante, envers les prolétaires passant en procès, qui ont été scrutés « psychologiquement », « socialement », sans jamais analyser la réalité matérielle d’où ils viennent.
Il s’agissait de les écraser, non pas en tant que nazis, mais en tant que prolétaires qui ont osé faire irruption devant un tribunal. Tout de même, la juge a osé couper la parole à un avocat lors de sa plaidoirie finale – une chose jamais vue -, ainsi que condamner quelqu’un à sept ans de prison pour complicité de coups mortels, sans avoir porté de coups lui-même, c’est-à-dire pour simplement le fait d’avoir été là. Cela aurait été impossible face à des bourgeois.
De la même manière, la circonstance aggravante du coup de point américain a été retenue contre Esteban Morillo condamné à 11 ans de réclusion criminelle, alors qu’il n’y a pas d’expertise formelle à ce sujet ni de témoignages concordants, tandis qu’il y a plusieurs expertises et témoignages affirmant l’inverse.
La culpabilité est votée à la majorité et à bulletin secret par six jurées et trois magistrats sur la base de leur intime conviction. La délibération a durée dix heures et il est difficile d’en comprendre le résultat d’un point de vue strictement judiciaire et moral, à moins de considérer les choses en termes de classe et de comprendre que la Cour d’Assise n’a aucun caractère populaire malgré ses prétentions.
Ce procès a ainsi été dépolitisé, ce n’est pas le fascisme qui a été frappé, mais des prolétaires qui ont été broyés pour l’exemple… dans une démarche anti-prolétaire. C’était inévitable, à moins de ne pas comprendre la nature de la société et de s’imaginer que l’État est « neutre ».