Personnage repris à l’écrivain des années 1930 Robert E. Howard, Conan le barbare devait si l’on en croit le début du film servir à un projet ouvertement romantique-réactionnaire. C’est une sorte de super costaud typé « nordique » qui devait s’élever graduellement dans un monde cruel et barbare, en survivant au fur et à mesure et dès l’enfance d’épreuves toujours plus difficiles et sanglantes.
L’ouverture du film par la citation de Nietzsche selon laquelle ce qui ne tue pas rend plus fort était annonciatrice d’une telle mise en perspective, tout comme l’ambiance sordide du début, où se tiennent une remise en cause de toute poésie existentielle :
« Chef : Qu’il y a-t-il de mieux dans la vie ?Un guerrier : L’immense steppe, un rapide coursier, des faucons à ton poing et le vent dans tes cheveux.Chef : Faux ! Conan, qu’il y a-t-il de mieux dans la vie ?Conan : Écraser ses ennemis, les voir mourir devant soi et entendre les lamentations de leurs femmes.Chef : C’est bien. »
Puis, heureusement, on a droit à tout le contraire. Point d’aventure individuelle, Conan visant à venger son peuple et sa famille, sans profit personnel. La femme devenant sa compagne est une combattante aussi valeureuse que lui, bien plus intelligente, lui sauvant la vie deux fois, culminant dans la figure d’une déesse vénérée par Conan. Deux autres figures, présentés comme clairement de type asiatiques, apparaissent comme des aides vitales, lui sauvant également la vie, brisant toute vision racialiste éventuelle.
On a tout le contraire de ce qui semblait promis initialement et si le journaliste Richard Schickel, de Time magazine, critiqua le film à sa sortie en 1982 en le présentant comme un « Star Wars réalisé par un psychopathe. Stupide et ahurissant », c’est qu’il est passé à côté de la force atmosphérique du film marqué par une opiniâtreté tout à fait en rupture avec l’esprit passif de la consommation propre au capitalisme s’étant élancé.
On a ainsi un film épique, avec une musique époustouflante de Basil Poledouris dans cet esprit, orchestré par un réalisateur, John Milius, coauteur d’Apocalypse now et à l’origine du scénario de Jeremiah Johnson. Le fil conducteur ne se perd pas par une narration au rythme efficace, l’engagement et le débat sur les valeurs philosophiques de la vie affleurent, les combats n’étant que des moments convenus propre au style féérique-délirant de l’heroic fantasy.
L’ambiance de mélange de cultures et de peuples donne une impression de se retrouver dans les restes de l’empire d’Alexandre le grand : un temple de quarante mètres fut réellement construit, 1500 figurants furent présents pour bien marquer la dimension de masse, alors qu’un faux serpent de onze mètres fut fabriqué, etc., avec aux manettes Ron Cobb, un illustrateur et chef décorateur qui participa auparavant à La guerre des étoiles (pour les extraterrestres) et Alien (pour le vaisseau), puis ensuite à Retour vers le futur par exemple, et dessina également le « drapeau de l’écologie ».
Arnold Schwarzenegger joue parfaitement la brute cherchant la dignité, sans trop de sérieux ni trop de stupidité, ce film lancera sa carrière ; James Earl Jones forme un sorcier-dieu, Thulsa Doom, absolument fascinant, oscillant entre mysticisme et sensualité, entre la conquête par l’épée et l’affirmation de la primauté de l’esprit, succombant à son propre esprit cruel de raffinement.
On a d’ailleurs une présentation ambiguë de ce fanatisme religieux envoûtant la population et ennemi de Conan : s’agit-il des religions ? Du mouvement hippie ? Du communisme ? Sans aucun doute un peu des trois, de la part d’un John Milius tout à fait représentatif de l’étroitesse de l’esprit américain en droite ligne de la culture du Far West. Le héros reste à la marge, inlassablement à la marge, dans l’esprit du western. Il n’y a pas la dynamique fusionnelle de la classe ouvrière au coeur de la démarche du film, d’où la logique de l’heroic fantasy (et de son équivalent, le space opera).