Dans son discours lors de la cérémonie du centenaire du 11 novembre 1918, Emmanuel Macron a fait comme tous les journalistes et historiens : il n’a pas mentionné les révolutions russes de février et d’Octobre 1917, qui ont ébranlé la première guerre mondiale.
Pour faire court, rappelons de manière sommaire les faits. Les empires étaient très faibles, de par leur base moyen-âgeuse, l’Autriche-Hongrie et la Russie étaient incapables de mener la guerre, de par leur intendance lamentable, la faiblesse de leur appareil d’État bureaucratique, etc. La Russie s’effondre avec la révolution démocratique de février 1917. Mais le gouvernement veut continuer la guerre et il est lui-même renversé à l’initiative des bolcheviks de Lénine en octobre 1917, avec le mot d’ordre « pain paix liberté ».
La Russie sort alors de la première guerre mondiale. Qui plus est, comme le drapeau rouge flotte sur le Palais d’Hiver, c’est la panique générale dans toutes les bourgeoisies européennes. Si la guerre continue, que cela se passe mal, n’y a-t-il pas les risque d’un soulèvement général ? La Gauche, brisée par la guerre et intégrée dans les institutions, ne risquent-elles pas de renaître à travers une désobéissance générale ?
Cette peur était accompagnée, effectivement de nombreuses mutineries, de protestations toujours plus nombreuses de la part des soldats. La guerre s’enlisait, la fièvre nationaliste s’était lassée dans les tranchées, les massacres dans les affrontements ne modifiaient pas réellement les lignes de front.
Il fallait donc en terminer la guerre coûte que coûte et c’est l’intervention américaine qui va être décisive, alors que l’Allemagne n’était plus en mesure de pouvoir assurer l’intendance de sa propre armée pour très longtemps. C’est pour cela que la guerre fut terminée d’un coup, sans aller jusqu’à Berlin. Il fallait se débarrasser de la guerre, le plus vite possible, couper court à toute rébellion et faire en sorte que le soulagement de la fin de la guerre se transforme en joie apolitique, sans conséquences pour le régime.
Le silence d’Emmanuel Macron est révélateur de ce qui est masqué. D’ailleurs, les médias et les historiens ne sont-ils pas restés silencieux pareillement au moment du centenaire d’Octobre 1917, un événement qui a pourtant ébranlé l’histoire du monde ?
La manière dont ce silence s’est déployé est révélateur de la hantise, encore aujourd’hui et avec raison, des bourgeois devant le spectre de la révolution sociale, et plus exactement du socialisme, qui représente leur antithèse exacte.
La mobilisation populaire organisée, assumant la gestion du pays, voilà ce qui est leur grande peur. D’où la nécessité de vanter l’État, d’infantiliser les gens, d’effacer les expériences historiques de véritable démocratie, de nier la possibilité même pour le peuple d’être lui-même l’État.
L’État ne pourrait exister que par en haut, au moyen de quelques milliers de spécialistes, en collusion avec les grandes entreprises. Un État par en bas, comme l’État des « soviets », des « comités », n’est même pas présentée comme une absurdité, mais comme une impossibilité, et comme il y a eu une expérience historique, il s’agit de ne pas en parler.