Le jeu Kingdom Come: Deliverance a été victime d’une campagne l’accusant de racisme sous prétexte qu’on n’y trouve pas de personnages « de couleurs ». Cette polémique est une sorte de postface ridicule après les débats hystériques autour du mot-clef #gamergate en 2014. C’est une illustration très précise de comment les positionnements postmodernes ont littéralement pourris le camp des progressistes de l’intérieur et brouillent les pistes par rapport aux réactionnaires.
Quand on est à Gauche, lorsque l’on parle d’une œuvre culturelle, soit l’on considère qu’elle fait partie du problème, c’est-à-dire des choses qu’il faut changer dans la société, soit l’on considère qu’elle va dans le bon sens, c’est-à-dire qu’elle fait partie des choses positives aidant le monde à être meilleure.
Si nous avons mis en avant Kingdom Come: Deliverance dans une comparaison au jeu Red Dead Redemption 2, c’est précisément selon cette considération que le premier va dans le bon sens contrairement au second qui représente tout un tas de choses négatives.
Rien que le fait d’avoir fait un jeu réaliste selon une trame historique précise et détaillée, avec une interface de jeu aboutie, profonde, est un marqueur progressiste. C’est une volonté d’appartenir au champ des productions culturelles qui élèvent le niveau, qui sont intelligentes, qui relèvent du savoir et pas de la consommation passive et improductive.
En l’occurrence, ce jeu vidéo ne relève nullement du mysticisme pseudo-médiéval comme on le voit souvent dans les jeux vidéos ou dans la littérature moderne avec des dragons, de la magie et des histoires rocambolesques négligeant totalement la vie du peuple. C’est au contraire une œuvre présentant un moment d’histoire, les prémices de la constitution de la nation tchèque.
Il présente de manière très fine et précise l’arrière-plan ayant mené à des grands bouleversements sociaux et culturels dans les années qui ont suivi en Bohème, avec l’avènement de la réforme religieuse sous l’influence du prédicateur Jan Hus. Surtout, il le fait du point de vue du peuple, en présentant des villageois et des féodaux locaux comme des acteurs historiques à part entière, avec leurs propres contradictions mais aussi leurs exigences complexes, leur rapport à la foi et aux fléaux de l’époque.
La première quête est d’ailleurs très intéressante, présentant un conflit typique de l’époque avec de jeunes Tchèques s’en prenant à un Germain, puis le père du héros que l’on incarne lui faisant des remontrances contre leur attitude brutale en expliquant qu’il faut savoir utiliser sa tête pour convaincre plutôt que ses poings. Il explique ensuite que l’Empereur Charles VI roi de Bohème était un souverain comme on en voit tous les mille ans, car il a bâti la moitié de Prague, de nombreux châteaux, construit un pont au-dessus de la Vltava, fondé une université, le tout sans partir en guerre.
On l’aura compris, rien de très « fachos » là dedans, bien au contraire. Seulement voilà, cela n’intéresse pas les postmodernes qui n’ont rien à faire ni du peuple, ni de l’Histoire.
Ils ne sont bons qu’à lancer des polémiques stériles en accusant à tort et à travers les gens de tous les maux, avec un catalogue d’« oppressions », de « phobies » et de « -isme » qu’ils agrandissent chaque jour.
C’est quelque chose d’absolument terrible, qui détourne sans-cesse des combats démocratiques pour les enfoncer et les noyer avec cette rengaine de l’« inclusion ».
C’est un phénomène très répandu aux États-Unis qui existe également en France. L’écriture « inclusive » en est le dernier avatar. Cela fait beaucoup de mal à la Gauche et contribue largement à l’éloigner des classes populaires, qui souvent ne supportent pas cela.
C’est précisément là que se situe le cœur de cette grande polémique dans le monde du jeu vidéo autour du mot-clef #gamergate en 2014. Tout un tas de gens se sont mis à critiquer des « Social Justice Warriors » devenus de plus en plus insupportables, imposant des points de vue universitaires par en haut, de manière non-démocratique.
Une histoire de copinage faisant scandale est à l’origine de l’emballement, mais cela n’était qu’un prétexte à une grande et virulente critiques des féministes postmodernes et de leur rhétorique « queer » et « LGBT », faisant le jeu des réactionnaires.
Cela a pris une telle ampleurs que des femmes et des afro-américains ont à leur tour affirmé le mot-clef #Notyourshield (pas votre bouclier), se sentant pris en otages par les postmodernes s’acharnant contre les « mâles blancs cisgenres ».
Le directeur créatif du jeu Daniel Vávra est connu pour avoir été un partisan actif du #gamergate, assumant donc cette critique des postmodernes. Il a été traité de «facho » car il disait beaucoup de choses à l’époque sur Twitter, comme :
« L’avenir de notre industrie [du jeu vidéo] est en jeu et les médias « progressistes » le détruisent avec leur récit plein de haine. »
Cependant, il n’est pas un « facho », et il a pu l’expliquer à des gens ayant pris la peine de l’écouter :
« La différence entre nous, apparemment, c’est que je me qualifie peut-être même de « progressiste », car nous essayons de réaliser beaucoup de choses sur lesquelles vous écrivez. Mais j’essaie d’y parvenir par différents moyens. »
Pourtant, ce sont précisément ces médias dit « progressistes » qui l’ont attaqué en disant qu’il y avait un choix raciste de ne pas « inclure » de personnages qui ne seraient pas « blancs » dans Kingdom Come: Deliverance.
En France, cela a été relayé par un article surréaliste du site Numerama qui conclue :
« Mais, s’il est effectivement possible que tous les habitants d’une aire de jeu de 9km² soient blancs, il serait peut-être judicieux d’assumer qu’il s’agit là d’un arbitrage créatif et non historique. Alors certes, être libre de s’exprimer, c’est aussi être libre de mentir — et d’en subir les conséquences. »
Cela n’a bien sûr aucun sens, ne sert aucune cause démocratique et présente d’ailleurs des « arguments » qui contredisent eux-mêmes la thèse du « choix » raciste.
Il est au passage complètement hallucinant de constater que ces gens de Numerama ne semblent même pas se rendre compte qu’ils sont eux-mêmes tous « blancs ». Sur les 27 photos de la page de présentation de l’équipe, on ne voit aucune personne de « couleur », alors qu’ils sont à Paris en 2018 et pas dans les campagnes d’Europe centrale en 1403.
Daniel Vávra a eu beau expliquer son point de vue à plusieurs reprises, cela n’a rien changé pour la simple et bonne raison que les accusations ne sont pas rationnelles.
Ses arguments sont pourtant tout à fait corrects, et suffisent pour n’importe quelle personne rationnelle à comprendre qu’il n’y a aucun racisme ni « choix » spécifique contre les gens de « couleur ». En voici un extrait issu d’un article très intéressant du magazine kotaku, pourtant à l’origine plutôt hostile à Daniel Vávra :
«Notre jeu n’est pas encore terminé, mais ces personnes savent déjà que ce sera raciste, car nous avons dit qu’il n’y aurait pas de gens de couleur dans la Bohême du XVe siècle »
« Peu importe que nous écrivions une histoire traitant de sujets très sensibles et controversés comme la haine entre les Tchèques et les Allemands, l’antisémitisme ou le fanatisme religieux. Peu importe que nous soyons le premier jeu sur la culture et l’histoire tchèques. Ce n’est pas assez ! Nous devons couvrir tous les problèmes de tous les peuples du monde avec ce jeu unique, sinon nous sommes très mauvais. Et c’est A – impossible, B – insensé, C – stupide. Cela m’a pris des années de stress, de travail acharné et de risques pour pouvoir enfin créer un jeu que j’ai toujours voulu faire et que je ferai comme je veux. Si vous voulez quelque chose, faites-le vous-même. Mais ce n’est pas aussi facile que d’aboyer sur les autres. »
C’est très bien répondu, et pas du tout raciste.
En fait, c’est précisément la polémique contre Kingdom Come: Deliverance qui relève du racisme. C’est une hystérisation des questions ethniques, une focalisation raciste sur la couleur de peau des gens.
Le point de vue progressiste est au contraire de dire que cela n’importe peu : une femme « noire » n’aura aucun mal à se reconnaître dans le personnage du jeu même s’il est un homme « blanc », car l’histoire de l’humanité est une et universelle.
Il suffit d’ailleurs simplement de regarder la jeunesse dans ses rapports sociaux habituels et simples pour comprendre tout de suite que la couleur de peau est une chose vraiment pas importante dans la vie de tous les jours, ou en tous cas pas plus que la couleur des cheveux et des yeux.
Le plus terrible dans cette affaire est que les postmodernes, qui ne sont pas des progressistes, se sont focalisé sur la question des gens de « couleurs » et sont passé à côté de ce qu’est réellement ce jeu, de sa charge anti-réactionnaire et de sa dimension universelle.
Ils n’ont pas vu cette scène d’une grande tendresse avec un chien lorsque le héros retourne dans son village ravagé au début de l’histoire. Ils n’ont pas été capables de remarquer cette référence très subtile dans la quête du monastère au grand penseur persan que fut Avicenne, dont un livre est caché dans une armoire par des fanatiques religieux qui ne veulent pas qu’il soit lu.