Les syndicats ont décidé de converger avec le mouvement des gilets jaunes. C’est un cheminement inévitable, l’apolitisme appelant l’apolitisme, le populisme appelant le populisme, le corporatisme appelant le corporatisme.
Mardi 20 novembre, le syndicat FO-UNCP (transport) appelait ses adhérents et sympathisants à rejoindre le mouvement. Le secrétaire général de la branche transports de FO Patrice Clos, qui est candidat pour la direction de FO suite au récent scandale, appelle à venir renforcer les mouvements existants en se posant comme indispensable, menaçant d’un appel à la grève présentée comme une étape supérieure éventuelle.
De son côté, la CGT a lancé un mot d’ordre de manifestation dans ce cadre pour samedi 1er décembre. Elle a changée son fusil d’épaule sous la pression d’une grande partie de sa base, alors que son secrétaire général Philippe Martinez avait refusé de participer aux blocages organisés samedi dernier.
Dans les deux cas, la question est celle du « pouvoir d’achat », avec pour la CGT la revendication d’un SMIC à 1 800 €.
Laurent Berger de la CFDT propose pour sa part une position intermédiaire, s’imaginant là aussi constructif, allant dans le sens de la continuité du capitalisme avec « un pacte social de la conversion écologique » censé être la solution « aux attentes en termes d’aide à la mobilité, au transport, à l’énergie ».
On est là dans une logique qui correspond tout à fait à celle de la Charte d’Amiens, qui au début du XXe siècle faisait de la CGT un syndicat récusant la politique. Le fait que les syndicats se développent non seulement à côté du Parti socialiste, mais même contre lui, a été d’un impact dévastateur sur les mentalités et le niveau de conscience des travailleurs à l’époque, et cela se prolonge jusqu’à aujourd’hui.
Les syndicats prétendent mieux gérer, vraiment représenter ; minoritaires de manière patente dans le monde du travail, ils n’en sont pas moins d’une prétention sans bornes. Et leur esprit est aussi étroit que celui des gilets jaunes, dans la mesure où de la même manière, ils ne voient qu’à court terme, ils ne raisonnent qu’avec des chiffres et selon des critères de la vie quotidienne tout à fait conformes au mode de vie dominant.
C’est d’autant plus grave que si les gilets jaunes se sont formés sur le tas, les syndicats ont une tradition centenaire, des cadres qui réfléchissent, des avantages matériels et institutionnels extrêmement importants. Leur convergence est d’autant plus significative, d’autant plus grave.
Elles montrent qu’une fraction de la population française est d’accord non pas pour discuter de politique, pour faire de la politique, pour choisir politiquement, mais pour justement ne rien faire de tout cela.
Il faudrait non pas transformer la société, mais la régénérer, la remettre sur son socle. Il faudrait en revenir à ce qui serait réel, par opposition à ce qui ne serait qu’une boursouflure provoquant un déséquilibre social.
Il y a un mot pour une telle approche : le fascisme. Le fascisme est la mort de la société civile, la fin de la politique, la réduction de la vie sociale à un conglomérat d’individus s’unifiant sur une seule base : l’hégémonie de leur regroupement national, afin de mieux profiter de tout et ce aux dépens des autres.
Cela ne veut pas dire que les revendications sociales des gilets jaunes ou des syndicats soient erronées, mais justement que celles-ci sont déviées de leur cours naturel comme lutte des classes. Elles sont précipitées dans le gouffre de l’absence de conscience sociale, de l’affirmation de l’apolitisme, du refus de la lutte des classes, de l’absence de confrontation avec la bourgeoisie.
La preuve de cela est bien sûr qu’une partie du patronat a soutenu le mouvement dès le début, que les enseignes de supermarché se sont empressées de communiquer dans le sens du mouvement avec notamment de l’essence à prix coûtant, étant donné que le « pouvoir d’achat » est leur préoccupation.
Tout n’est pas joué encore, évidemment. Cependant, il ne faut pas sous-estimer ce qui commence à se lancer comme processus, par en bas, comme populisme, comme dépolitisation, et surtout comme refus d’aller dans le sens du socialisme.