Le gouvernement d’Emmanuel Macron a fait émerger hier des pseudos porte-paroles des gilets jaunes afin de créer ses propres interlocuteurs. Le mouvement s’est en fait poursuivi de manière éparse depuis le 17 novembre avec une expression générale confuse, faible politiquement, mais dominée par une sorte de néo-poujadisme.
Les porte-paroles mis en avant hier sont au nombre de huit et reflètent assez bien la sociologie des gilets jaunes avec surtout des petits entrepreneurs mais aussi une serveuse, un chauffeur routier et un « intérimaire » (sans qu’on puisse savoir dans quel domaine).
Le mouvement rejetant quasiment par définition l’organisation politique, étant éclaté dans sa forme et son organisation, cette formalisation de leur représentation ne peut que déplaire.
La base des gilets jaunes les critiques d’ors et déjà comme non-légitimes, sortant de nulle part et surtout désignés par en haut selon la volonté du gouvernement. Peu de personnes connaissaient la page Facebook permettant de « voter » pour ces pseudos porte-paroles.
Mais quelle est, finalement, l’expression des gilets jaunes dans leur ensemble, que disent-ils, que veulent-ils ? L’opposition aux taxes est vraiment le cœur du mouvement, c’est un dénominateur commun indiscutable. Cet échantillon de tracts et messages illustre parfaitement cela :
Des automobilistes dépendants
Ce qui est contesté en plus du prix du gasoil, c’est par exemple la hausse de la CSG sur les pensions, les taxes sur les successions, la TVA, la taxe foncière, etc. Il n’est pas question de hausse de salaires ou des pensions.
Les personnes qui se mobilisent au travers des gilets jaunes ont en commun d’être des automobilistes dépendants. Ce sont des gens qui vivent franchement à la campagne ou dans les zones qui ne sont ni vraiment des villes ni vraiment la campagne. Ces personnes n’ont pas d’autre choix que d’utiliser l’automobile pour leurs activités quotidiennes.
Les alternatives au moteur diesel comme les véhicules électriques, les transports en commun ou le vélo sont rejetées par eux comme autant d’utopies. Des « trucs de bobo de centre-ville » déconnectés des contraintes réelles subies par la « vraie France ».
L’argument écologique avancé par le gouvernement pour justifier la hausse des taxes sur le gasoil est vécu comme une provocation de la part des gilets jaunes. La question de l’écocide est tout simplement niée par ce mouvement qui pense pouvoir figer le monde dans un aujourd’hui permanent.
Un « ras-le-bol fiscal »
Cette « vraie France » est toute à la fois celle décrite dans la chanson de Kamini eul’ vraie France, dans la sociologie de La France périphérique de Christophe Guilluy et dans « la France qui se lève tôt » du discours du candidat Nicolas Sarkozy aux halles de Rungis en 2006.
Plus encore que le phénomène « vraie France », c’est un phénomène de « ras-le-bol fiscal » qui est mis en parallèle avec le train de vie du couple Macron, les dépenses de fonctionnement du parlement et de l’État en général. Une des figures du mouvement dans le Vaucluse clame par exemple qu’il « vomit la classe politique » et en appelle à renverser le Parlement. On a systématiquement cette amertume insistante envers la classe politique, considéré comme n’ayant pas de valeur, corrompue, déconnectée.
S’il fallait faire une synthèse des revendications, ce serait la baisse des « charges ». On est bien face à une vision comptable de la société : « si je paie plus cher mon gasoil, alors je réaliserai moins de bénéfice ».
Un refus de la socialisation des richesses
Pierre Poujade employait dans les années 1950 l’expression d’« État vampire » selon le même point de vue. Le mouvement est, dans son orientation, au service des intérêts des « petits » : entrepreneurs d’auto-école, infirmiers libéraux, transporteurs routiers, entrepreneurs du BTP, bref, de la petite bourgeoisie. Ce n’est pas un hasard si l’on a pu voir des commerçants apporter de la nourriture et des boissons sur les points de blocage.
Bien sûr, les gilets jaunes ne sont pas exclusivement composés de petits-bourgeois. Il y a aussi des employés, des ouvriers qui adhèrent au mouvement parce que la hausse du prix du gasoil accentue leur paupérisation, la rend encore plus visible, fracassante.
Pour ces personnes, ce n’est pas le « pouvoir d’achat » dont parlent les syndicats et les enseignes de supermarché, mais le « reste à vivre en fin de mois » qui est menacé. Une hausse des dépenses de 30 euros peut condamner des ménages à la précarité. Alors on s’oppose au gouvernement, pour défendre « son bifteck » face à cet État tout puissant qui rend service aux autres, mais pas à soi.
Seulement, cette focalisation sur le refus des impôts n’est pas une critique sociale de l’appareil d’État au main de la bourgeoisie. C’est surtout un refus de la socialisation des richesses, un refus des choix collectifs au profit de l’affirmation individuelle plutôt que du Socialisme.
C’est tout à fait conforme au poujadisme des années 1950, mouvement à l’origine du Front National devenu Rassemblement National.