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Les Gilets jaunes ou l’absence de surface de la Gauche

La mobilisation des Gilets jaunes reflète la non-existence d’une base militante à Gauche. Il n’y a tout simplement plus de surface sociale et culturelle qui fasse écho à la Gauche politique ; tout au plus y a-t-il des réseaux syndicaux.

gilets jaunes

La Gauche est née comme mouvement ouvrier, c’est-à-dire comme mouvement politique se fondant sur les ouvriers et leurs intérêts, prenant le travail salarié comme base de son identité.

C’est le cas en France aussi, mais il est un mal qui a commencé dès le départ et qui a persisté : l’absence de surface. Le mouvement ouvrier a été d’une taille immense en Allemagne, en Angleterre, dans le Nord de l’Europe et à l’Est, voire même au Sud. Mais en France, il a toujours été minoritaire.

Les socialistes des années 1910 étaient insignifiants numériquement (mais pas du tout électoralement), la CGT était minoritaire. Il en va de même pour les socialistes et les communistes des années 1920 et s’il n’y avait eu le Front populaire, puis la Résistance, il en aurait été de même. Même mai 1968 n’a pas apporté de flux massif.

Aujourd’hui, les gains du Front populaire et de la Résistance – le PCF est le premier parti de France après la guerre – se sont évaporés. Il n’y a plus de regroupements socialistes et communistes dans les usines et les entreprises, il n’y a plus systématiquement de groupes locaux actifs et ancrés dans la population, il n’y a plus de base sympathisante relativement volontaire, il n’y a pareillement plus de syndicat étudiant de masse et militant dans les universités.

L’existence des Gilets jaunes témoignent de cette absence de surface. D’abord, parce que leur populisme montre bien que sur le plan des idées, les Français sont arriérés et bon pour le fascisme s’ils continuent comme cela. Fonctionner à coups de raccourcis et sur le mode du coup de gueule, dans le rejet de toute réflexion politique et de perspective à moyen terme, sans parler de la question d’envergure, ce n’est juste pas possible.

Politiquement, les Gilets jaunes, c’est Donald Trump sans les millions.

Et à l’inverse, les Gilets jaunes expriment aussi la libération d’une lutte sociale des carcans d’une Gauche qui a trahi la lutte sociale au nom du ministérialisme. Les Gilets jaunes sont le prix populaire à payer pour les trahisons institutionnelles de la base populaire.

Socialement, les Gilets jaunes, c’est la revanche sociale anarchiste sur les ministres.

Nous voilà donc ramenés, en quelque sorte, à la fin du 19e siècle, à un moment où la Gauche n’existe pas, est d’une faiblesse inouïe, dispersée et incohérente. N’existe alors que des ministres progressistes élus sur une base de modernité laïque, et des courants anarchistes anti-ministérialistes, comme les syndicalistes et les bombistes (comme Ravachol, Emile Henry, etc.).

Aujourd’hui, on a à peu près pareil, avec d’un côté les ministres progressistes d’Emmanuel Macron présentant la modernité turbo-capitaliste comme le progrès, de l’autre des syndicalistes jouant la carte du forcing (comme avec les cheminots) et une frange anarchiste surfant sur l’esprit zadiste.

Mais il n’y a pas de Gauche politique, il n’y a pas de surface de la Gauche. Il y a des débris passant qui dans le camp postindustriel, qui dans le camp de l’Union Européenne, mais jamais dans celui de la classe ouvrière et de l’histoire du mouvement ouvrier.

Car il ne s’agit pas de reconstituer la Gauche d’il y a peu, ce n’est pas possible : il faut comprendre pourquoi à la base même – et la réponse est dans la prédominance des syndicats, leur indépendance – la Gauche politique n’a pas été capable en France d’avoir un véritable niveau idéologique et un véritable ancrage populaire dans tout le pays.