Dans une interview au journal Le Monde, Benoît Hamon pose enfin une vision claire de comment il voit les choses. Le mouvement des gilets jaunes lui a évidemment forcé la main.
Benoît Hamon, qui a fondé Génération-s afin de donner un nouvel élan à la Gauche, se retrouve dans une situation difficile de par la faiblesse de celle-ci, la faiblesse de son mouvement, l’émergence d’un concurrent direct (Place publique) et encore plus avec les ambiguïtés (au minimum) et l’ampleur d’un mouvement comme les gilets jaunes.
Il a tenu jeudi dernier un meeting à Paris, qui a été présenté comme un succès avec tout au plus 2 000 personnes, afin de se lancer en prévision des élections européennes. Dans le même temps, c’est part une longue interview au Monde qu’il a exposé quelques traits généraux de son orientation.
Enfin, pourrait-on dire, tellement Benoît Hamon oscillait entre un discours assez dur avec un retour aux sources, utilisant parfois même le terme de bourgeoisie, et une démarche ouvertement postmoderne, postindustrielle, avec des appels incessants à soutenir les migrants.
Aujourd’hui, une telle oscillation n’est plus possible. S’il était très prudent en effet auparavant, ne voulant se fermer aucune option, Benoît Hamon n’est plus en mesure de tergiverser. Il faut poser les choses.
Au Monde, Benoît Hamon ose donc enfin. Cela donne les choses suivantes. Il y a déjà les gilets jaunes : « cela marque le réveil du peuple français », c’est une « convulsion profonde de la société française ».
S’il dit qu’on ne sait pas si cela donnera plus de libertés ou un régime autoritaire, il évacue de la manière suivante la nature des gilets jaunes, au nom de ce qu’on peut appeler le « mouvementisme » :
« Ce qui me fascine, c’est la tétanie et la peur d’une grande partie des élites politiques par rapport à ce mouvement social.
Certains y voient de l’égoïsme, des gens qui préfèrent leur plein de diesel à l’avenir de leurs enfants. D’autres ne voient que les groupuscules fascistes ou insurrectionnels ; d’autres encore, que les racistes et antidémocratiques. Cela existe. Mais ce qui réunit les 80 % de Français qui soutiennent ce mouvement, c’est la volonté de transformer une société inégalitaire qui a perdu le sens de l’intérêt général et de la justice sociale (…).
Peu importe l’étincelle qui déclenche le mouvement actuel, il a un double moteur qui parle à tous les Français : les inégalités et le sentiment d’être pris pour quantité négligeable. A certains égards, ce mouvement qui mêle demandes sociales et démocratiques, ressemble aux « printemps arabes ». »
C’est là assez opportuniste, dans la mesure où Benoît Hamon se détourne de se confronter à la réalité en tant que telle des gilets jaunes. La référence aux « printemps arabes » est qui plus est extrêmement floue, puisque ceux-ci ont eu des formes difficilement saisissables, sans parler du rôle essentiel du média Al Jazira et des Frères Musulmans.
Mais, de manière intéressante sur le plan des idées, d’autres font pareillement référence aux « printemps arabes » au sujet des gilets jaunes, précisément dans toute la sphère intellectuelle voyant les choses en termes de « société postindustrielle ». Il s’agit des intellectuels s’inspirant de « l’autonomie italienne » et appréciant la « spontanéité » des mouvements sociaux « postindustriels ».
On est là dans la croyance. Il y aurait une sorte de mouvement flottant au-dessus des classes et surtout de l’État – qui transporterait une force citoyenne établissant des rapports sociaux meilleurs. Cette conception est très exactement celle de Michel Foucault, qui l’a très longuement exposé dans son analyse très positive de la révolution iranienne.
Faut-il ici y voir une sorte de romantisme orientaliste ? En tout cas, on a la même perspective postindustrielle d’une révolution qui serait une sorte de révolte de la société contre l’État.