Une pétition issue des gilets jaunes et réclamant la démission d’Emmanuel Macron a recueilli 492 467 signatures, ce qui est assez révélateur de l’état de la société française.
Évoquons tout d’abord l’objectif de cette pétition : la démission d’Emmanuel Macron, comme solution au manque de démocratie de la Cinquième République, et à tous les problèmes de la population.
Comment peut-on prétendre que changer de Président plus tôt que prévu changerait quoi que ce soit dans les institutions de l’État français ? On atteint là des profondeurs insoupçonnées dans le gouffre de la déliquescence idéologique de notre société. Ce niveau de réflexion, qui ne dépasse pas la discussion de bistrot, est d’ailleurs revendiqué :
« Avons-nous réellement besoin de disserter des années pour comprendre la base du problème ? »
C’est vrai, quoi ! Pourquoi réfléchir, quand on peut faire du populisme de bas étage ? Si tout va mal, c’est la faute d’Emmanuel Macron, « élu avec [sic] 16 % des électeurs ». Rien à voir, évidemment, avec le mode de production capitaliste, avec le fait qu’il soit en crise ou que l’État n’en soit que le reflet institutionnel.
L’explication n’est pas « un peu brève » : elle est inexistante. Cela n’empêche pourtant pas son initiateur, « Lucchesi », de présenter sa pétition comme l’initiatrice de « grands changements ».
Peu importe que l’initiateur de la pétition confonde président et gouvernement (on nous dit qu’il faut virer le président… car le gouvernement décide des guerres… ce qui est faux, une fois encore), et n’envisage sa pétition que comme une espèce de test pour vérifier une dernière fois si la France est une démocratie ou non (« cela nous prouverait que le peuple n’est pas souverain »).
Passons sur l’idée qu’un président idéal doit, selon Lucchesi, contenter entre 50 et 100 % de la population, ce qui indique bien l’ignorance et la négation totale de la lutte des classes.
Passons également sur l’idée, finalement centrale, selon laquelle tout doit passer par le Président. Passons également sur l’objectif de réunir « 50 % des électeurs », soit entre 18 500 000 et 23 800 000 de personnes, selon qu’on se réfère aux inscrits ou aux votants.
Cette pétition est anti-Macron, mais certainement pas dirigée contre les institutions capitalistes, ni même au minimum contre la cinquième République…
Ce qui est inquiétant, c’est de constater que cette pathétique tentative soit en mesure de recueillir autant de signature. Certes, ce ne sont pas 492 467 signatures sur une pétition aussi ridicule qui vont avoir une impact direct. En revanche, cela indique que 492 467 personnes ont jugé utile d’apposer leur signature au bas d’une réflexion comptoir, qui véhicule l’idée qu’il suffit que le « peuple », bourgeois, petit-bourgeois et prolétaires confondus, s’unisse pour changer le gestionnaire de l’État capitaliste, pour que l’État devienne démocratique et populaire.
Bien sûr, les commentaires sont à l’avenant. Si deux ou trois sortent du lot, en ce qu’ils sont un cri de révolte authentique d’un peuple qui souffre du capitalisme ( « Honteux la réduction des retraites savez vous combien coûte une maison de retraite et sans plus beaucoup de personnel ! »), on y trouve, grosso modo, tout ce qui, finalement, compose le mouvement des gilets jaunes. On y lit (assez péniblement d’ailleurs) des commentaires de bistrot (« casse toi », « pas voter mr macron », « marre de ce type », « macron démission », « dégage »), des phrases pseudo-lyriques, typiques de la petite bourgeoisie qui verse dans le pathos, la théâtralisation et le verbiage (« Il n’aime pas les français, pourquoi devrions-nous l’aimer ? », « Finisson avec l exclavages .. », « Les tyrans, dehors ! », « Le ROI doit descendre de son piédestal, l’époque des rois et seigneurs est finie depuis longtemps », etc.).
On trouve des insoumis (ou assimilés), qui parlent de VIe République, qui défendent le « peuple » contre la « finance » (sans jamais parler de capitalisme, bien évidemment), avancent même parfois tout leur programme (comme si la démission de Macron signifiait leur victoire immédiate), quelques altermondialistes, qui prônent tel ou tel système de vote (« Vive le Jugement Majoritaire. Regardez sur Google. ») ou glosent sur le vote blanc, qui serait la solution miracle.
Et, bien sûr, il y a les fascistes. Les fascistes qui, probablement, s’ignorent sont ceux qui jugent Macron « inefficace », « incapable » de gérer l’État. Ils montrent bien là leur logique de gestion par en-haut de l’État. Les autres sont des fascistes bien plus ouverts et crient à la « trahison de la Nation », à la « vente de la France », jugent que Macron est un « pédéraste » qui représente la « secte maçonnique », et en appellent à la renaissance de la France, à la « FRANCE en marche », et crient « France d’abord ».
Cette pétition et ses commentaires symbolisent finalement très bien comment l’apolitisme et les délires altermondialistes de la gauche petite-bourgeoise et anti-ouvrière mènent au fascisme, le renforcent et l’accompagnent.