Après la fin de l’explosivité sociale propre à des couches moyennes ayant la hantise de la prolétarisation, on a donc désormais les gilets jaunes comme mouvement structuré. Ultra-minoritaire, ils restent cependant en phase avec le populisme si fort en France, continuant eux-mêmes à empoisonner les esprits.
Le mot d’ordre le plus représentatif de ce onzième samedi des gilets jaunes, c’est bien sûr la « nuit jaune ». On a déjà vu que le mouvement des gilets avait changé de nature, perdant de son explosivité, cessant d’être un moment de crise sociale de couches moyennes saisissant avec effroi le risque de déclassement social. Il est désormais porté par une frange très clairement petite-bourgeoise, avec des lubies ultra-démocratiques, complotistes, anti-politiques, populistes, etc. D’où fort logiquement la tendance à revenir à « Nuit debout », comme la vaine tentative hier place de la Bastille à Paris.
Une vaine tentative montée par Eric Drouet, par ailleurs à l’origine d’un rassemblement à part à l’est de Paris avant de rejoindre le cortège général… Et qui s’inscrit dans le schéma général de cristallisation des gilets jaunes comme mouvement indépendant, structuré, avec une identité propre, même si évidemment diffuse. Il faut ainsi ajouter les deux listes pour les Européennes en train de se monter, une mise en place par la très médiatique aide soignante Ingrid Levavasseur, sous le nom de « Ralliement d’initiative citoyenne », l’autre par le chanteur Francis Lalanne.
De manière concomitante à ce changement de forme, et cela malgré le battage médiatique, le nombre de gilets jaunes se stabilise, en étant à autour de 70 000 hier, avec notamment 1 500 à Lyon, 4 000 à Paris, 5 000 à Bordeaux, 1 500 à Lille, 2 500 à Dijon, 1 500 à Montpellier, 2 000 à Nantes, 300 à Strasbourg, 90 à Coutances (dans la Manche), 4000 à Marseille… Avec les inévitables petits accrochages avec la police et des choses débiles et folkloriques comme un lâcher de lampions sur une plage à Saint-Laurent-du-Var pour essayer vainement (et heureusement) de perturber l’aéroport de Nice !
On notera qu’à Marseille, la CGT a participé au cortège, ce qui reflète toute une grosse problématique chez les syndicats. L’échec complet de la grève des cheminots a été un coup très rude pour eux et l’émergence d’un mouvement populiste comme les gilets jaunes risque d’autant plus de leur être fatal. La première victime des gilets jaunes, ce ne sera pas en effet Emmanuel Macron, qui est bien installé dans un régime lui-même parfaitement ancré, ce sera les syndicats, minoritaires dans le pays depuis toujours, porté par une logique de minorité activiste qui ne marche plus et qui plus est désormais remplacé par les gilets jaunes !
Les syndicalistes n’ont qu’un seul moyen de reprendre l’initiative : balancer par dessus bord la charte d’Amiens et enfin assumer la politisation à gauche. S’ils ne le font pas, ils seront balayés. Les gilets jaunes, avec leur ultra-populisme, leur démagogie sociale sans bornes, leurs propositions relevant du mythe mobilisateur comme le « référendum d’initiative citoyenne », ne feront qu’une bouchée d’eux. Il n’y a d’avenir syndicaliste que dans la liaison étroite avec les valeurs de gauche et cela de manière assumée. Il faut mettre un terme à la démarche française du syndicat au-dessus de la politique et assumer le modèle allemand du syndicat comme expression syndicale d’une orientation politique.
On sait à quel point les syndicalistes ne veulent pas de cela, cependant étant donné que la convergence des gilets jaunes avec l’extrême-droite est évidente, il faudra bien, à un moment donné, assumer dans un sens comme dans un autre.
De toutes manières, l’Histoire a fait son œuvre et on sait désormais que la vraie Gauche consiste en ceux et celles n’ayant pas cédé aux sirènes des gilets jaunes.