Combien sont les veneurs ? Où sont-ils présents ? A quel degré sont-ils structurés et quel sorte de vecteurs forment-ils ?
La chasse à courre est une activité plus que minoritaire. De qui parle-t-on ? D’environ 10 000 personnes. Leurs sympathisants les plus proches ne sont pas bien plus nombreux : la « lettre des amis » touche environ 30 000 personnes. On peut dire que c’est le noyau dur de la chasse à courre.
De plus, en apparence, ces gens ne peuvent pas disposer d’une force locale très forte. En effet, la chasse à courre est ainsi possible dans 63 départements, et elle existe dans 63 départements, avec à peu près 400 équipages. Il n’y a donc pas un bastion particulier, qui serait une forteresse inexpugnable, mais des équipages dispersés, et en plus même pas sur tous les territoires.
Il y a quinze équipages en Charente-Maritime, mais un seul dan l’Aude ; il y en a dix dans l’Eure, dix-huit dans l’Indre, mais deux dans la Loire, quatre dans les Landes. Il y en a onze dans la Sarthe, mais un seul dans les Vosges, etc.
Ce n’est pas tout, les veneurs n’exercent pas tous la même activité. Il y a à peu de choses près 38 équipages visant les cerfs, 93 les chevreuils, 46 les renards, 121 les lièvres, 48 les lapins, 40 les sangliers. C’est autant de différenciation sur le plan de l’approche, des mentalités.
Il faut aussi compter les disparitions d’équipages, environ dix par an. Même si elles sont compensées par autant de création d’équipages, cela fait autant de traditions en moins.
Pourtant, malgré tout cela, la chasse à courre n’a jusqu’à présent jamais été ébranlée, à part depuis ces derniers mois grâce à l’impact dévastateur d’AVA en Picardie, qui s’est désormais donné une stature nationale, avec une présence dans une quinzaine de lieux.
Pourquoi cela ? Non pas parce que la chasse à courre est anecdotique, mais bien justement, à l’inverse, parce qu’elle est d’une puissance sans proportions avec sa faible base numérique.
Ce qui compte en effet avant tout, c’est que ces équipages soient des vecteurs de tout un système de valeur, allant des traditions des notables à la réduction des esprits à la dimension du « terroir ». La chasse à courre fait peser un poids énorme sur les mentalités, elle est un tel couvercle sur les esprits.
C’est là son intérêt pour le régime, qui cherche par instinct la conservation. Et c’est par là que la base numérique se démultiplie.
Étant portée par des gens appartenant socialement à la haute bourgeoisie, la chasse à courre dispose d’appui des plus solides dans l’appareil d’État. Cela est vrai tant au plus haut niveau, qu’au niveau local, où forcément les municipalités s’effacent devant les desiderata des puissants notables.
Pour donner un exemple, Gallica, le site officiel de la Bibliothèque Nationale, a fait un partenariat avec les veneurs, permettant de consulter les ouvrages sur la chasse à courre sur un site consacré à la mémoire des équipages. Joconde, le site du ministère de la culture, a fait de même pour les peintures.
Certaines sections du site en question sont également accessibles à partir de bornes spéciales dans certains musées, ainsi à Chambord, Gien, Montpoupon, Senlis, celui de la « Chasse et de la Nature » à Paris.
On est là dans l’esprit des grands propriétaires et il va de soi que tous les gens concernés de près ou de loin par les châteaux, manoirs, domaines… se retrouvent dans ce milieu, à quelque degré que ce soit.
Il faut également tenir compte de la gigantesque intendance exigée par la chasse à courre. Ici, il n’y a aucun amateurisme ; la société de vénerie a été fondée en 1907 et enseigne des approches bien définies, des techniques bien déterminées.
7 000 chevaux sont par exemple employés. Avoir de tels animaux coûte une fortune et implique de nombreuses personnes au service de leurs possesseurs. C’est autant d’impact en plus. Il y a également 30 000 chiens qui sont utilisés, ce qui demande pareillement toute une intendance, avec autant de gens participant. Les veneurs font d’ailleurs naître eux-mêmes 4 000 chiots par an.
Quelques rares entreprises sont spécialisées dans les habits très précis destinés à la chasse à courre, comme Saadetian ou Hourvari, tout comme une vingtaine d’artistes (Thierry D’., Yvan B., Marie-Joëlle C., Antoine de la B., Christian de la V., Arnaud de M., Didier de M., etc.), quelques photographes.
Ce n’est pas tout. Le nombre de chasses est énorme, il est de 16 000 par an. Cela renforce encore plus la base des suiveurs, sans parler de l’impact culturel sur les territoires concernées, de par la régularité de cette activité. Il faut tabler ici sur un total de 100 000 personnes qui, d’une manière ou d’une autre, se retrouvent liés à tout cela, depuis une simple participation aux messes spéciales à une participation active en tant que telle.
Ce panorama montre bien qu’on a ici affaire à une couche sociale bien déterminée, parfaitement insérée socialement dans la bourgeoisie et les territoires, capable de faire agir différents leviers.
Ce n’est pas une simple annexe de la bourgeoisie, mais une de ses composantes. C’est un des éléments du dispositif du maintien de l’ordre à l’échelle du territoire.