Les catholiques français sont très réceptifs à la possibilité pour les prêtres de se marier. Or, c’est une impossibilité théologique fondamentale, comme le pape vient de le rappeler. Ce qui se révèle ici, c’est un souhait permanent de chercher à moderniser la religion catholique afin de la maintenir, sous une forme ou sous une autre : elle n’est ainsi qu’une idéologie.
L’Église catholique romaine, afin de ne pas perdre ses positions en France alors que le protestantisme s’élançait (avec Hus, Calvin, Luther), a fait de ce pays sa fille aînée. Plus simplement, il a été dit à François Ier qu’il jouerait un rôle central dans la nomination de la direction catholique, en échange de quoi il ne touchait pas aux privilèges matériels du catholicisme, ni à ses importantes propriétés. Cet accord a permis l’avènement sans encombre de la monarchie absolue.
Cela a amené le catholicisme français à connaître un chemin qui lui est propre. Déjà qu’au-delà de la fiction universelle du Vatican, le catholicisme est relativement différent dans chaque pays, le catholicisme français est qui plus est très autonome. Ses positions très libérales-sociales se sont d’autant plus renforcées qu’il fallait faire face non seulement à la « modernité », mais à une offensive anticléricale, anti-religieuse. Cela amène les prêtres français à tenir un discours démagogique extrêmement ouvert, très accueillant, très universaliste, etc.
Cela fait que les catholiques français ne savent même plus que si l’on n’est pas catholique, alors une fois mort on va en enfer ; ils ne connaissent rien à la théologie, aux grands principes de leur propre religion. D’où inversement les réactions ultras de minorités catholiques, qui attribuent cette situation en réalité très française au concile dit Vatican II. Les Français sont tout simplement pétris de libéralisme et par conséquent, quand ils sont catholiques, ils ont une lecture libérale de leur religion, voilà tout.
Le même phénomène existe d’ailleurs chez les juifs, les protestants et les musulmans. La grande majorité des gens se reconnaissant dans ces religions n’en connaissent pratiquement rien dans le domaine théologique, à part donc pareillement des petites minorités ultras. La religion est une forme relevant de l’antiquité, du moyen-âge ; elle ne peut pas exister ni dans une société libérale, ni dans une société où les gens sont raisonnables, autonomes sur le plan de la pensée (il y a bien lieu de distinguer ces deux sociétés !).
Si elle se maintient, c’est qu’elle est idéologie, bien plus qu’un questionnement métaphysique, chose qu’on ne retrouve que chez les intellectuels, avec parfois une vraie interrogation de type cosmologiste ou bien sur la nature de l’humanité. Les catholiques français expriment, au moyen de leur religion, un conservatisme bienveillant, dont les scouts sont finalement les meilleurs représentants. Seulement voilà on ne fait pas une religion qu’avec des scouts. Il faut un clergé.
Et étant libéraux, les catholiques français n’ont rien contre le mariage des prêtres. D’abord, parce que chacun fait ce qu’il veut, ensuite, parce que cela permettrait d’en avoir plus, d’être plus proches également du mode de vie moderne. Seulement voilà, le catholicisme est un mysticisme qui, dans la lignée d’un (saint) Augustin, d’un (saint) Thomas, (pseudo) Denys l’Aréopagite, n’en a rien à faire du monde moderne, ni même du monde matériel. Il faut aller dans le sens de la pureté divine, pas de la matière. Le mariage des prêtres est donc impossible.
Le pape était il y a peu au Panama, à l’occasion de la journée mondiale de la Jeunesse (catholique romaine), et dans l’avion qui l’a ramené à Rome, il a tenu une conférence de presse, comme il en a l’habitude. On lui a parlé du thème du mariage des prêtres, et ce pape « moderne » a été très clair :
« Personnellement je pense que le célibat est un don pour l’Église »
« Je ne le ferai pas [=autoriser le mariage des prêtres], que cela reste clair. Je peux sembler peut-être fermé là-dessus mais je ne me sens pas de me présenter devant Dieu avec cette décision. »
C’est tout à fait logique, puisque cela correspond à la base théologique du catholicisme. Le pape François a même cité (saint) Paul VI:
« Je préfère donner ma vie que de changer la loi du célibat. »
Après, il a raconté que de son point de vue on pouvait former des quarts de prêtres pour célébrer la messe dans des « endroits très éloignés », mentionnant les îles du Pacifique ou encore l’Amazonie. Mais même cela sera théologiquement très difficile à mettre en place, de par la nature « mystique » du prêtre.
Car le prêtre doit être pur, il est en liaison direct avec le divin. Il n’est pas sur le même plan que les gens qui ne font pas partie du clergé ! D’ailleurs, dans l’Église catholique orthodoxe, le clergé fait encore sa cérémonie mystique en étant masqué des présents dans l’église, car ceux-ci ne sont pas dignes d’y assister. On ne plaisante pas avec l’eucharistie chez les catholiques : le vin est vraiment considéré comme le sang de Jésus, chaque dimanche, et le pain est vraiment censé être son corps.
On boit et on mange le Christ, le dimanche à la messe. C’est évidemment difficile à avaler au 21e siècle, aussi les catholiques libéraux aimeraient bien quelques améliorations, afin de conserver leur joujou conservateur. Mais ils rentrent là en conflit avec la dimension théologique de la religion, qui en fait d’ailleurs son intérêt historique, sur le plan de l’humanisme. Un Dieu qui se fait homme, c’est le début d’une révolution intellectuelle et conceptuelle, un basculement en faveur de l’humanité. Cela mène finalement droit à l’athéisme, pour qui a une lecture humaniste et naturaliste de cette question.
Le catholicisme romain n’évitera donc pas une crise en France, de par les exigences de son public libéral ayant abandonné toute dimension théologique, et le maintien des fondamentaux…